2. La prison de Bicêtre pendant la Révolution

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La prison de Bicêtre pendant la Révolution

La prise de la Bastille, célèbre prison d'Etat mais qui ne contient que quelques prisonniers seulement le 14 juillet 1789, laisse attendre une prochaine libération pour les nombreux détenus par ordre du roi présents dans les autres prisons, notamment à Bicêtre. Le 8 décembre 1789 une trentaine de détenus de la prison ont tenté de s'évader. L'article de la Gazette nationale (Le Moniteur universel) annonce l'envoi prochain de députés de l'Assemblée nationale visiter les prisons pour entendre "la liberté réclamer ses droits devant des hommes qui savent la faire respecter". Il développe le principe qui va être suivi : liberté pour les détenus victimes du despotisme, maintien en captivité pour les condamnés de droit commun. La suppression des lettres de cachet en mars 1790 répond en partie à la première demande, car l'Assemblée nationale veut tenir compte de l'avis de toutes les parties en cause, dont celle de ceux qui avaient demandé au roi une incarcération pour des raisons familiales.

Pendant la Révolution, l’hôpital général réforme aussi ses fous. Le fondateur de l’aliénisme Philippe Pinel est nommé médecin en chef de Bicêtre, en août 1793. Il y développe un nouveau traitement des fous, très largement mythifié par la suite. Le tableau de Charles Louis Muller, Pinel fait enlever les fers aux aliénés de Bicêtre (Académie de médecine, 1849), pendant masculin de celui de Tony Robert-Fleury (Pinel libérant les aliénées à La Salpêtrière, 1876), est emblématique de ce mythe humanitariste, assez éloigné de la réalité du traitement moral. La révolution médicale opérée par Pinel ne repose pas en effet sur l’enlèvement des chaines mais sur une nouvelle conception de la folie : qui considère que le médecin doit s’adresser au reste de raison qui subsiste en chacun. Le traitement moral se fonde ainsi sur l’usage de l’autorité du médecin qui mobilise la douceur et la parole, mais aussi la contention (camisole de force), l’enfermement et la punition comme méthodes thérapeutiques. Bicêtre devient alors un lieu majeur de traitement des aliénés des classes populaires en France.

L'établissement de Bicêtre est formé de plusieurs divisions ou emplois. La plupart des prisonniers sont intégrés dans la 1ère division (La cuisine) qui comprend les cabanons, le fort Mahon, la Force, l'infirmerie et les ateliers de travail (polissage des glaces, manège du grand puits). Dans les cabanons comme à l'infirmerie, les prisonniers pensionnaires (les familles versant une pension dont le montant détermine notamment le régime alimentaire) sont les moins nombreux. Pour avoir le total des prisonniers en 1789, il faut ajouter les enfants en correction, dans le 5e emploi, salle Saint-Martin ou la correction, au nombre de trente-cinq, ce qui chiffre à 540 l'effectif total des prisonniers alors que le même article ajoute : "Total des pauvres de la maison de Bicêtre, tant officiers, pauvres, prisonniers que pensionnaires, quatre mille quatre-vingt-quatorze".

L'Assemblée nationale ayant rejeté l'abolition de la peine capitale, décida qu'elle consisterait "dans la simple privation de la vie sans qu'il puisse jamais être exercé aucune torture sur les condamnés" (Code pénal de 1791, art. 2). Deux médecins, Joseph Ignace Guillotin, député de Paris, et Antoine Louis, secrétaire de l'Académie de médecine, sont les promoteurs d'une machine autorisant la décollation rapide et sans souffrance. Le premier essai, concluant, de la guillotine eut lieu à Bicêtre le 17 avril 1792 sur trois cadavres fournis par l'administration des hospices.

L'été 1792 est celui de toutes les craintes pour les révolutionnaires. La proclamation de la patrie en danger en réponse aux premières défaites des troupes françaises aux frontières, la répression sanglante des émeutiers lors de la prise des Tuileries, comme l'attente de l'élection d'une Convention nationale en remplacement de l'Assemblée législative offrent un contexte propice aux rumeurs de trahison et de complots fomentés dans les prisons pendant que les fédérés vont aller défendre la patrie. C'est dans ce cadre que le 2 septembre, un groupe de prêtres conduit à la prison de l'Abbaye est massacré après un simulacre de justice populaire, le "verdict" étant prononcé sur lecture du registre d'écrou. Le massacre de prisonniers s'étend rapidement à toutes les prisons de Paris. La rumeur se répand qu'une conspiration armée se préparait à Bicêtre. Plus d'un millier de militants des sections parisiennes se rendent dans cette prison l'après-midi du 3 septembre et procèdent au "jugement" et massacre des prisonniers jusqu'au lendemain matin, s'interrompant seulement pendant la nuit.

Paul Bru a fait le décompte scrupuleux des victimes du massacre des 3 et 4 septembre à l'aide du premier registre de la prison établi le 1er janvier 1792 lors de la séparation des deux administrations de l'hospice et de la prison. Ce registre (consultable aux Archives de la préfecture de police de Paris, cote AB 338) relève les noms de tous les prisonniers alors présents (le plus ancien est entré en 1777) et continue après le 1er janvier, à indiquer au jour le jour les entrées. En marge de chaque écrou est indiqué le motif de sortie. Pour les victimes des massacres de septembre, le plus souvent la mention est : "Mort dans l'affaire qui a eu lieu le dit jour dans cette maison, les 3 et 4 septembre 1792". Le relevé de Paul Bru estime à 170 le nombre de tués dont 66 âgés de moins de 20 ans. Plus d'un tiers des prisonniers (38 %) de Bicêtre auraient péri, soit une proportion sans doute plus faible que celle proposée généralement pour l'ensemble des prisons parisiennes (entre 42 et 54 %).

Grandpré est le responsable des prisons depuis septembre 1792 au ministère de l'Intérieur, puis à la commission des administrations civiles, de police et des tribunaux et le reste jusqu'au Directoire. Partisan d'un traitement humain des prisonniers, il se heurte fréquemment aux directions des prisons beaucoup plus préoccupées par la discipline et la crainte des évasions. C'est à la suite d'une évasion le 24 avril 1795 de forçats en attente de partir pour le bagne, alors qu'il avait exigé du concierge leur sortie dans les cours, qu'il est arrêté quelque temps par le Comité de sûreté générale, dénoncé par le concierge désireux de se couvrir. Sa Réponse montre que les conditions de détention à Bicêtre restent aussi défectueuses que sous le régime déchu, d'autant plus que périodiquement l'établissement est encombré de prisonniers