Apparue dès 1770 à l’hôpital-prison de Bicêtre, la camisole de force est l’instrument de contention le plus répandu dans les asiles psychiatriques, et même en prison, pour calmer les aliénés. Il faudra attendre l’arrivée de médecins aliénistes courageux, tels que Philippe Pinel et Jean-Etienne Dominique Esquirol, pour révolutionner la psychiatrie française en offrant un statut juridique et une prise en charge plus humaine aux insensés.
1. L'âge d'or des médecins aliénistes au XVIIIe siècle
Plan du chapitre
La camisole de force
L’hôpital de Bicêtre
Construit en 1633 sur les ruines d’un château féodal, l’hôpital de Bicêtre est d’abord destiné à recevoir les soldats blessés de la commanderie de St Louis. Il est rattaché en avril 1656, sous Louis XIV, à un hôpital général visant à enfermer les vagabonds, vieillards et mendiants qui pullulent à Paris.
Départ des forçats pour le bagne à la prison de Bicêtre
Après la Révolution, Bicêtre interne les aliénés tous ensemble avec les épileptiques, les syphilitiques, les criminels, les condamnés aux travaux forcés attendant d’être envoyés au bagne. Ceux-ci ont des chaînes rivés à leur cou. Bicêtre fait ainsi simultanément office de prison d’Etat, d’asile d’aliénés et d’hospice. La prison sera fermée en 1836.
Dr Philippe Pinel (1745-1826)
« Je suis né dans la région de Toulouse en 1772. J’ai tout d’abord travaillé dès 1801 avec le Dr Pinel à la Salpêtrière, avant de soutenir en 1805 ma thèse que j’ai intitulée « Des passions considérées comme causes, symptômes et moyens curatifs de la maladie mentale ». J’ai succédé ensuite à mon maître à la tête de son service en 1820 où je me suis employé à perfectionner son œuvre. J’ai réussi à faire voter la loi du 30 juin 1838, obligeant chaque département à se doter d’un hôpital spécialisé pour malades mentaux et mettant fin aux internements arbitraires. Voici ma méthode pour traiter la folie : tout d’abord, je m’intéresse autant aux maux corporels du patient qu’à sa situation intellectuelle et morale. Je prends soigneusement en note ses paroles incohérentes afin d’y déceler l’aliénation et je recueille son histoire de vie. Je dialogue avec la part de raison qu’il conserve et j’opère sur ses passions. Maintenant vous savez tout ! » Philippe Pinel meurt à Paris en 1840, après avoir acquis une renommée européenne dans le monde de la psychiatrie.
Dr Jean-Etienne Dominique Esquirol (1772-1840)
« Je suis né en 1745 dans le Tarn. Je suis arrivé à l’asile de Bicêtre en 1793 en qualité de médecin des aliénés. J’ai repris les idées de mon surveillant-chef Jean-Baptiste Pussin, en faisant preuve de bienveillance envers les malades et en appliquant le traitement moral des aliénés, qui est considéré comme la première forme de psychothérapie basée sur la suggestion et la parole. Je n’ai eu de cesse de combattre les pratiques brutales envers les insensés, ainsi je suis parvenu à mettre fin à l’usage généralisé des chaînes dans les asiles. J’ai ensuite été nommé médecin-chef à l’hôpital de la Salpetrière en 1795. Dans mon « Traité médico-philosophique sur l’aliénation mentale, ou la manie » publié en 1809, j’affirme que les aliénés sont loin d’être des coupables qu’il faut punir, mais qu’ils sont des malades dont l’état pénible mérite tous les égards dus à l’humanité souffrante. » Après une vie de travail couronnée d’honneurs, il s’éteint en 1826 à Paris.
La responsabilité des malades mentaux
Dans son ouvrage intitulé « Des maladies mentales considérées sous les rapports médical, hygiénique et médico-légal », publié en 1838, le Dr Esquirol propose une classification des diverses formes de folie, avec leurs symptomatologies, leurs causes et leurs traitements. Esquirol est le premier, en 1817, à enseigner les maladies mentales à la Faculté de médecine. Il présente dans son cours clinique des malades d’hospices ainsi qu’une collection de crânes, plâtres et dessins d’aliénés récoltés au fil de ses rencontres quotidiennes avec les malades.
En 1810, l’article 64 du Code Pénal Napoléonien consacre le principe d’irresponsabilité pénale des malades mentaux :
« Il n’y a ni crime ni délit lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. »
Encore faut-il pouvoir démontrer l’état d’aliénation du prévenu au moment des faits. Avec l’essor de la médecine aliéniste, les tribunaux font de plus en plus appel aux experts afin de déterminer si l’individu était entièrement dominé par la folie au moment des faits, ou s’il avait conservé une part d’intentionnalité. Diverses théories s’affrontent pour mesurer l’implication de la pathologie dans le passage à l’acte.
Dans son « Précis de psychiatrie », publié en 1887, le Dr Regis soutient que la capacité d’imputation suppose la liberté de juger et de discerner, ainsi que la liberté de décider en s’appuyant sur sa faculté de juger. Il y a irresponsabilité quand une de ces conditions psychologiques manque. Toutefois, il adhère au concept de responsabilité semi-atténuée pour les semi-aliénés dans les périodes d’incubation d’une maladie mentale, de convalescence et de rémission, dans l’hystérie, l’épilepsie, l’alcoolisme et l’imbécilité mentale.
Pour le Dr Esquirol, certains criminels agissent sous l’emprise d’une responsabilité partielle, gouvernés par un trouble mental qu’il baptise du nom de monomanie. Cette manie raisonnante se caractérise par un délire fixé sur une préoccupation unique, qui affecte exclusivement les actes et non la raison du criminel.
Dans son « Traité de pathologie mentale », publié en 1903, le Dr Baller s’oppose fermement à l’idée d’une responsabilité partielle pour les aliénés. Toutes les psychoses confirmées entraînent selon lui l’irresponsabilité pénale.