Dépendants de la Marine Royale et régis par l’ordonnance du 27 septembre 1748, les bagnes portuaires se substituent à la peine des galères. Établis dans les villes de Toulon, Brest et Rochefort, ils participent largement à la construction des arsenaux de ces villes, avant de fermer au profit des bagnes coloniaux dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Si ces bagnes portuaires ont été abondamment racontés, discutés et critiqués durant leur siècle d’existence, ils demeurent peu connus de nos jours, et mal connus, tant notre imaginaire a tendance à les confondre avec les bagnes coloniaux.
Cette exposition présente le bagne de Rochefort (1767-1852) à travers son iconographie et ses archives, mettant au cœur de son propos les hommes – forçats et habitants libres – qui ont fait la ville de Rochefort. Les illustrations proposées sont autant des peintures que l’on peut retrouver dans les musées rochefortais, des aquarelles – notamment celles réalisées par l’un des forçats les plus connus de Rochefort (Jean-Joseph Clemens) –, ou des gravures extraites des ouvrages du XIXe siècle.
Les sources pour l'histoire du bagne de Rochefort
Il importe de distinguer les sources d’archives et la littérature imprimée sur le bagne qui fut abondante au XIXe siècle, au point que l’on peut y voir une littérature de genre, au même titre que celle qui se développe sur le thème des prisons.
Les archives (correspondances et registres) permettent de comprendre le fonctionnement du bagne, ses relations avec la ville et les autres institutions de la Marine telles que l’hôpital maritime ou l’arsenal, et donc le quotidien des hommes et des femmes liés à l’activité du bagne. Elles se trouvent principalement dans les antennes portuaires des Services Historiques de la Défense (SHD) et concernent les échanges entre le commissaire du bagne, le préfet maritime, le cabinet ministériel ou encore le Conseil de Santé du Port.
Les services municipaux (archives, bibliothèques) possèdent également des documents intéressants concernant notamment les relations entre les élus, les habitants et le bagne, ainsi que les différents protocoles que les villes abritant un bagne se devaient de respecter.
La « littérature du bagne » n’est pas simplement une littérature de témoignage. Elle reflète aussi les idéologies sociales et scientifiques du moment de leur production et de leurs auteurs. Elle est également, comme toute fiction, sujette à des procédés narratifs suscitant les affects du lecteur. Tout ce qui a trait à la vie des forçats est à la fois très documenté et très imaginé, aussi est-il difficile de considérer ces récits au même titre que les archives. Ils sont bien plus à prendre comme l’expression d’un imaginaire produit par la singularité même de ce lieu de punition : violence des rapports humains, rébellion, évasion et même héroïsation des condamnés innocents, à l’image du Jean Valjean de Victor Hugo.
Auteurs, dessinateurs et peintres du XIXe siècle se sont inspirés de la vie du bagne, suscitant l’affect, alimentant l’imaginaire et la fantaisie des lecteurs. On peut distinguer deux points de vue. Le premier, « interne », est tenu par des garde-chiourmes ou des forçats. Leurs productions orientées sont destinées à plaire à l’administration du bagne ; ainsi un forçat pouvait se voir accorder des aménagements spéciaux et bénéficier d’une grâce royale plus rapidement. Le bagne de Rochefort détient deux forçats artistes de ce type : Anthelme Collet et Jean-Joseph Clemens. Les aquarelles de ce dernier sont notamment reprises dans l’Histoire des bagnes de Pierre Zaccone.
Le second point de vue, « externe », concerne les publications faites sur le bagne. Ces publications visant un large public s’apparentent bien plus au roman feuilleton qu’à des études sérieuses. Bien qu’elles ne garantissent aucune certitude sur la fiabilité de leur récit, elles donnent accès à l’imaginaire populaire de ces lieux de punition et leurs illustrations offrent de rares représentations visuelles des bagnes. Trois auteurs sont prépondérants : Pierre Zaccone, journaliste et auteur de romans-feuilletons, Benjamin Appert, fervent militant pour l’amélioration des conditions des forçats et Maurice Alhoy, journaliste et écrivain.
Les espaces mémoriels qui tentent aujourd’hui d’évoquer la mémoire du bagne de Rochefort font face à de nombreux défis. Comment parler du bagne à travers des collections dont on ne sait généralement pas grand-chose et qui comporte peu de pièces ? Par exemple, si elles sont fortement liées à l’imaginaire du bagne, les noix de cocos sculptées sont peu documentées : d’où viennent-elles ? Qui les a taillées ? Pourquoi ? Quand ? Elles sont cependant exposées aujourd’hui pour illustrer un aspect du bagne. Dans les musées de la Marine de Rochefort, les pièces sont divisées entre celles liées directement à l’arsenal (horloge du forçat Dubois et cloche du bagne, musée de la Marine, hôtel de Cheusse), et celles liées à l’étude de la phrénologie (26 crânes de forçats, musée de l’École de médecine navale). On possède très peu de documents administratifs ou d’inventaires permettent d’établir les liens précis entre ces collections et le fonctionnement du bagne.
Cette exposition a été réalisée par Abigaëlle Marjarie dans le cadre du master "Direction de projets ou établissements culturels,
parcours développement culturel de la ville" de l'université de La Rochelle (promotion 2017-2018)
L'auteure tient à remercier les institutions qui ont permis la réalisation de cette exposition : la médiathèque de Rochefort, le Musée Hèbre de Saint-Clément et le Musée de la Marine de Rochefort.
Montage de l'exposition : Marc Renneville