Figure majeure du Paris lde a Belle Époque, Fantômas embrasse, aussi, une histoire européenne. À coups de tirages spectaculaires et de formules sanglantes, le « Génie du crime » passionne, incarnant sous le masque noir la pulsion de transgression et de violence de son temps. Parmi les personnages nés de la culture de masse au début du XXe siècle, sa postérité est rare. Il suffit pour s’en persuader de constater le peu de cas que l’histoire éditoriale et littéraire fait des œuvres de Gustave Le Rouge, de Léon Sazie ou d’André Couvreur, ou plus largement, de l’ensemble des collections prisées par le lectorat populaire.
C’est cependant une autre histoire dans laquelle cette exposition invite à plonger. Ou plutôt, c’est à une autre échelle qu’elle invite à questionner le mythe du « Maître de l’Effroi ». Car d’Almeria à Saint-Pétersbourg, le personnage provoque un même spasme. Non seulement ses aventures sont traduites, partout, et adaptées au cinéma, mais Fantômas inspire aussi une foultitude de clones, dérivant son nom – Fansomas, Fanthomas, etc. Cette masse suscite des livres, des spectacles, des films, en nombre. Il n’est pas interdit de penser que le personnage créé par Souvestre et Alain procède, lui aussi, de dérivations initiales, qui le rendraient dès l’origine solidaire d’une vaste armée de criminels. Les traces sont minces pour documenter ces univers de fiction, à la fois si puissamment implantés dans les imaginaires de leur temps et, matériellement, si fragiles. Les petites collections populaires sont aujourd’hui difficiles à reconstituer, la majorité des films de l’avant-guerre sont perdus. Des spectacles dramatiques ou musicaux qu’inspire Fantômas, il ne reste que quelques affiches, des annonces de presse, parfois un livret, un fond de scène.
Cette saisie continentale permet d’interroger une fascination plus générale pour le crime, mais aussi de comprendre comment fonctionnent les industries culturelles d’avant la Première Guerre mondiale. La circulation sauvage de ce héros cynique et brutal, dont le récit sape les fondements narratifs classiques du detective novel, révèle la porosité des imaginaires européens, les angoisses collectives, mais aussi la façon dont les fictions populaires offrent une représentation des sociétés du vieux Continent. Profitant des faiblesses d’un droit d’auteur dépassé par la rapidité des adaptations et l’essor de l’industrie du cinéma, différents entrepreneurs de fictions apparaissent dans les archives. L’examen de leurs actions montre comment la justice a parfois été requise pour réguler la prolifération des fictions criminelles. Invariablement Fantômas s’échappe, mettant en déroute toutes les polices. Réinterprété, il renaît en Europe au tournant des années 1960, sous d’autres noms. Il donne corps, une fois encore, aux troubles et fantasmes de l’époque.