La maison d’arrêt de Colmar occupe l’ancien couvent des Augustins dont la construction remonte au XIVe siècle. Le décret du 13 février 1790 supprime les ordres religieux en France et propose aux moniales et aux moines qui le souhaitent de se retirer dans des maisons pour y poursuivre leur vie commune. Ordre est alors donné aux Augustins de Colmar de rejoindre l’abbaye de Pairis, ce qu’ils refusent. Au mois de mai 1791, la communauté se disperse et le 10 juin suivant, l’église et le couvent sont fermés par ordre du directoire du département du Haut-Rhin. En parallèle, le ministre de l’Intérieur ordonne en novembre 1791 aux directoires de département de procéder à l’aménagement de maisons d’arrêt et de justice ainsi que de prisons pour peines conformément au décret du 16-29 septembre 1791 qui organise les tribunaux criminels. Ce texte impose l’établissement d’une maison d’arrêt près de chaque tribunal de district, d’une maison de justice près de chaque tribunal criminel et de prisons pour peines. Les départements ont la charge de financer ces installations et beaucoup d’entre eux, faute de moyens financiers suffisants, optent pour la transformation en prisons de biens nationaux confisqués à l’Église. C’est notamment le cas du couvent des Augustins de Colmar qui est transformé tout à la fois en prison et en caserne. Sa position géographique est idéale car il est accolé au palais de justice de Colmar et un témoin indique en décembre 1791 que l’on y a déjà érigé à cette date « quatre cachots ». Les archives disponibles délivrent néanmoins peu d’informations sur la transformation du couvent en un établissement pénitentiaire durant les trois premières décennies de son activité. À peine sait-on que face à la prison se situait un théâtre, vraisemblablement installé sur l’emplacement de l’actuel tribunal d’instance. Mais le maire de Colmar se plaint que les « avenues » de cette salle de spectacle municipale soient considérablement gênées par le mur de clôture du jardin du couvent des Augustins. Ce mur obstrue effectivement la rue et rend son passage difficile. Le maire demande donc le 14 vendémiaire an XI (6 octobre 1802) au préfet du Haut-Rhin de le faire reculer afin d’agrandir la rue. Puis le 29 juin 1807, le maire ordonne la démolition de l’église des Augustins.
1. La maison d’arrêt de Colmar au XIXe siècle
Plan du chapitre
Introduction
La construction de la maison d’arrêt
D’une contenance de 200 places, la prison de Colmar réunit dans un même bâtiment une maison d’arrêt et une maison de justice. Les maisons d’arrêt accueillent les prévenus de délits relevant de la compétence des tribunaux de police correctionnelle et, dans un quartier qui doit normalement être séparé, les prévenus et les accusés de crimes et délits relevant de la compétence des cours d’assises. Les maisons de justice accueillent exclusivement des condamnés frappés d’une ordonnance de prise de corps. Mais la disposition de la prison de Colmar ne permet aucune séparation effective entre les prévenus, les accusés et les condamnés qui sont donc mélangés entre eux. Or la circulaire du ministre de l’Intérieur du 20 octobre 1810 impose une séparation stricte entre maisons de justice et d’arrêt. L’administration, le régime et la police intérieure des maisons d’arrêt et de justice relevant de l’autorité des préfets, c’est donc au préfet du Haut-Rhin à qui revient la tâche de réorganiser la prison de Colmar afin de la mettre en conformité avec la circulaire. Pour ce faire, il envisage dans un premier temps son déménagement dans les bâtiments de l’ancien hôpital militaire de la ville. Mais l’opération n’aboutit pas. Puis il charge l’architecte du département, Janinet, de lui fournir un projet d’aménagement à l’intérieur de la prison de Colmar d’une maison d’arrêt et d’une maison de justice.
Janinet visite la prison le 8 mai 1813 et son rapport offre une première description détaillée du bâtiment qu’il trouve particulièrement encombré puisqu’il y dénombre 300 détenus. L’édifice ne comprend qu’un seul corps de trois bâtiments constitué d’une aile gauche, d’un bâtiment central et d’une aile droite. Il est organisé autour d’une cour intérieure de forme « trapézoïde » dont le mur d’enceinte longe la rue des Augustins et où donne l’entrée principale de l’établissement. Une deuxième cour se situe à l’arrière de l’aile droite et longe également la rue des Augustins ainsi que des habitations. L’ensemble est flanqué de deux bâtiments de service (un bûcher et un magasin à paille) situés également à l’arrière de l’aile droite (qui comprennent aussi des latrines ainsi qu’une cour intérieure). L’aile gauche contient un rez-de-chaussée et un étage tandis que le bâtiment central et l’aile droite disposent chacun d’un rez-de-chaussée et de deux étages.
Le rez-de-chaussée de l’aile gauche est occupé par quatre cachots et un corridor donne accès à l’une des cours de service du tribunal. Son premier étage est quant à lui occupé par des dépendances du palais de justice. Le rez-de-chaussée du bâtiment central comprend un promenoir qui débouche sur deux vastes salles : la première accueille des détenus et la seconde un cellier qui donne accès à des caves. Le premier étage est divisé en huit cellules (ou « chambres ») dans lesquelles les détenus dorment sur de la paille, sans couchettes, ni couvertures ainsi que le note l’architecte. Le deuxième étage est séparé dans toute sa longueur par une cloison formant à droite et à gauche plusieurs cellules communiquant entre elles par des portes de service. Mais leur disposition est telle que l’air ne peut y circuler qu’en y laissant ouvertes toutes les portes de communication, ce qui empêche d’y incarcérer des détenus. Le rez-de-chaussée de l’aile droite est constitué d’un promenoir (qui communique avec celui du bâtiment central) qui donne accès à deux guichets, au corps de garde, au greffe, à une salle servant d’atelier de filature et à la cuisine. Le premier étage est occupé en partie par l’appartement du concierge et en partie par des cellules de détenus logés à la pistole. Le second étage dispose de neuf cellules « trop petites » qui sont occupées par des détenus logés également à la pistole. « Coucher à la pistole » ou être « pistoliers » permet aux détenus disposant de moyens financiers de louer une chambre et de dormir dans un lit, tandis que les autres dorment sur de la paille (on les surnomme d’ailleurs « pailleux »).
Pour remédier à cette situation et répondre aux attentes de la circulaire du 20 octobre 1810, Janinet propose de séparer la maison de justice de la maison d’arrêt. Pour cela, il suggère de réserver le corps de bâtiment déjà bâti à l’usage exclusif de la maison de justice et de construire une nouvelle maison d’arrêt séparée ainsi qu’une infirmerie commune aux deux maisons. Les deux bâtiments projetés assurent des séparations par quartiers afin d’isoler les détenus par catégories et par sexe. Mais le budget global de l’opération, 74 000 francs, est jugé trop élevé par la commission des bâtiments civils et le ministre de l’Intérieur réclame en 1816 un nouveau plan à l’architecte en exigeant, derechef, d’aménager les deux maisons dans le seul bâtiment déjà existant.
Dans l’intervalle, la situation sanitaire de la prison de Colmar s’est considérablement dégradée. Le ministre de la Justice signale en 1817 à son homologue de l’Intérieur l’état de vétusté très avancé de l’établissement où les « prisonniers sont dans le plus grand dénuement et manquent de couvertures pour les garantir des rigueurs du froid ». Les femmes, prévenues et condamnées, sont entassées dans une même « chambre et […] parmi elles, certaines sont attaquées au plus haut degré par la maladie vénérienne ». Il n’existe qu’une seule latrine pour toute la prison qui offre ainsi un « tableau affligeant ». La surpopulation est telle que toutes les cellules sont doublées et cette promiscuité entraîne une épidémie de « fièvre des prisons » qui provoque de nombreux décès durant l’été 1817. Las, le sous-secrétaire d’État à l’Intérieur valide le 8 décembre 1817 le projet d’agrandissement de la prison de Colmar proposé par Janinet. Celui-ci repose sur un réaménagement de la maison de justice et sur la construction de nouveaux locaux pour la maison d’arrêt pour un montant total de 88 300 francs. Ce projet entraîne l’expropriation et la destruction pour cause d’utilité publique d’une maison et d’une partie d’un hangar. Le 21 août 1818, le marché est adjugé et les travaux débutent. Mais ils prennent du retard et les premiers détenus ne sont accueillis dans la nouvelle maison d’arrêt qu’au mois d’octobre 1823. Les deux maisons sont isolées l’une de l’autre par un mur de clôture qui longent leurs préaux respectifs.
Cette nouvelle configuration pose néanmoins des problèmes de gestion de la détention qui nécessitent la réalisation de travaux supplémentaires portant le coût total de l’opération à 131 427 francs. Il est notamment nécessaire de construire en 1825 deux cachots dans les combles de la nouvelle maison d’arrêt afin d’éviter les transferts de détenus punis d’une maison à l’autre :
« Le concierge, lorsqu’il veut infliger une punition est obligé de livrer le coupable au concierge de la maison de justice, et le perd ainsi de vue. Les communications d’une prison à l’autre ont plus d’un inconvénient ; elles favorisent les abus et affaiblissent la surveillance en la déplaçant. »
En définitive, le certificat de réception de la nouvelle prison est officiellement dressé par l’architecte du département du Haut-Rhin le 15 décembre 1828.
Une nouvelle façade
La présence de deux concierges pour gérer l’établissement représente un coût conséquent. Ainsi, lorsque l’un des deux démissionne en 1829, le ministère de l’Intérieur en profite pour n’en conserver plus qu’un seul et souhaite faire établir une conciergerie unique pour assurer le service des deux maisons. Mais comme aucune de deux conciergeries de l’établissement ne dispose d’un espace suffisant, il est décidé d’en faire construire une nouvelle. Les travaux sont adjugés le 10 avril 1830 et sont réceptionnés le 10 novembre 1831 par l’architecte du département du Haut-Rhin, Griois. L’entrée de la nouvelle conciergerie donne sur la rue des Augustins et comprend un guichet général, deux chambres de guichetiers et une salle commune de visite (ou parloir) donnant accès aux cours de promenade des deux maisons. Le premier étage dispose d’un oratoire destiné à assurer les cultes catholique et protestant où l’on accède en empruntant deux escaliers depuis les maisons de justice et d’arrêt. Désormais, les deux établissements disposent d’un guichet d’entrée commun et c’est cette nouvelle façade de la prison qui est encore visible de nos jours. Seule la porte d’accès a été remplacée par une grille suite à une triple évasion survenue le 10 octobre 1976.
Mais malgré ces travaux d’agrandissement, la prison est toujours en situation de surpopulation carcérale et sa configuration initiale ne permet pas d’assurer une séparation stricte entre catégories de détenus, comme le déplore régulièrement l’architecte du département :
« Depuis longtemps on a reconnu l’insuffisance des prisons de Colmar, établies dans les bâtiments de l’ancien couvent des Augustins, qui n’ont jamais été assez convenablement appropriées à leur destination actuelle. »
Pour pallier ces défaillances, l’administration pénitentiaire décide en 1838 de réserver la maison d’arrêt aux femmes prévenues, accusées et condamnées, aux détenus pour dettes et aux jeunes condamnés âgés de moins de 16 ans. Quant à la maison de justice, elle est réservée aux hommes prévenus, accusés et condamnés attendant leur transfert, aux condamnés à un an et moins d’un an d’emprisonnement pour lesquels elle sert de maison de correction et aux condamnés de passage civils et militaires. Bien que cette séparation ne soit pas conforme à l’article 604 du Code d’instruction criminelle, elle permet à tout le moins de pouvoir séparer les hommes des femmes.
L’évolution des modèles architecturaux
En 1837, le ministre de l’Intérieur adresse une circulaire aux conseils généraux dans laquelle il leur demande de se prononcer sur l’introduction du système de l’encellulement individuel dans les prisons départementales. Mais l’opération s’avère impossible à Colmar. La vétusté de la maison de justice ne permet pas sa transformation en prison cellulaire et la surface de la maison d’arrêt n’autorise l’aménagement que de 24 cellules, là où il en faudrait au moins 200. Pourtant, il est urgent de réaménager la prison qui ne cesse de se dégrader et qui ne permet pas une séparation stricte entre catégories de détenus. Au 1er janvier 1853, elle héberge près de 412 détenus (315 hommes et 97 femmes) pour un nombre de places théoriques évalué à 240 hommes et 60 femmes ! Des matelas sont posés au sol pour accueillir jusqu’à 80 individus dans un dortoir qui contient déjà 45 lits. De son côté le quartier des femmes compte 121 détenues et près de 24 enfants au mois de mars 1854. Cette situation se rencontre également dans beaucoup d’autres établissements pénitentiaires en France à la même époque. En 1853, le ministre de l’Intérieur déplore que sur les 396 maisons d’arrêt, de justice et de correction que compte le parc carcéral français, seulement 60 assurent une séparation entre catégories de détenus. Face à cette situation, le ministre adresse le 17 août 1853 une circulaire aux préfets actant l’abandon du système cellulaire et les enjoignant à mettre en œuvre des plans de restauration des prisons afin d’assurer une séparation des détenus par quartiers. Pour permettre l’application de cette nouvelle circulaire, le ministre de l’Intérieur envisage en 1858 d’agrandir la prison de Colmar en expropriant des propriétaires de maisons bordant l’établissement. Ou bien de la reconstruire. Devant le coût trop important des expropriations, la décision est donc prise de la reconstruire au nord de la ville. La prison doit être rasée pour faire place, en partie, à une nouvelle cour d’assises, pour laquelle un emplacement est recherché depuis 1854, et à une nouvelle rue reliant le tribunal à la future cour d’assises. L’architecte du département, Laubser, soumet le 4 mars 1860 un projet de reconstruction d’une prison d’une contenance de 625 détenus qui s’appuie sur le modèle de la prison de Beauvais, dans la Nièvre. Mais le projet est retoqué par le conseil de l’inspection des prisons qui demande à l’architecte de réduire le nombre de détenus à 400. Un nouveau projet d’un coût global de 530 000 francs est donc proposé le 19 juillet suivant. Mais celui-ci ne voit en définitive pas le jour et la prison de Colmar n’est pas déplacée.
L’agrandissement du quartier des femmes
Un dernier projet d’agrandissement de l’établissement est entrepris en 1868. Une circulaire du 3 mai 1865 fixe un certain nombre de règles pour éviter la propagation de la variole dans les prisons. Elle impose notamment une visite médicale à tous les détenus entrants et l’isolement de tous ceux contaminés lors d’épidémies. Pour répondre à ces prescriptions, l’administration pénitentiaire doit donc doter les quartiers des femmes et des hommes de la prison de Colmar de deux « dortoirs sanitaires d’attente » : un pour les maladies contagieuses et un autre pour les détenus atteints de la gale. Mais l’organisation intérieure de l’établissement rend cette installation particulièrement difficile. Pour y remédier, l’architecte du département propose d’agrandir le quartier des hommes « trop entassés encore dans les ateliers ». Pour ce faire, il suggère de surélever la chapelle et d’ajouter un étage. Mais son projet est rejeté et les deux dortoirs sanitaires des hommes sont aménagés dans une partie des dortoirs de leur quartier. En ce qui concerne le quartier des femmes, il suggère de l’agrandir en acquérant un café qui y est accolé, le café d’Alsace, installé au 3 grand’rue des Augustins. Ce projet est approuvé par le Conseil général du Haut-Rhin en 1868 et le chantier est achevé deux ans plus tard. Ce nouveau quartier des femmes permet d’aménager au rez-de-chaussée la lingerie générale et le vestiaire de la prison. Le premier étage accueille un dortoir pour les condamnées entrantes, un autre pour les condamnées et un dernier pour celles atteintes de la gale ou de maladies contagieuses. Enfin, un troisième étage accueille des magasins, une bibliothèque, un dortoir pour les prévenues entrantes et une chambre pour les trois sœurs surveillantes. Cet agrandissement permet d’isoler totalement les femmes d’avec les hommes et d’empêcher désormais tout contact entre eux. Car la lingerie générale de la prison se situait jusque-là dans le quartier des hommes et les sœurs étaient dans l’incapacité d’empêcher les détenues qui y travaillaient de communiquer avec les détenus.
La vie quotidienne des détenus
Les détenus sont incarcérés en moyenne quelques mois à la prison de Colmar, le temps d’être jugés puis transférés dans une maison centrale. Ce va-et-vient entraîne ainsi un renouvellement permanent de la population pénale qui est composée de nombreux détenus germanophones, notamment du fait de la proximité de Colmar avec la frontière allemande :
« Le Haut-Rhin étant département frontière, et la langue usuelle étant la langue allemande, une grande partie des vagabonds et des malfaiteurs de la Suisse, des pays de Bade, du Wurtemberg, de la Bavière et des États allemands y afflue, cela explique le nombre considérable des entrants, qui s’élève annuellement dans les prisons de Colmar de 2 200 à 2 400. »
Les détenus arrivent à la prison à pied ou dans des voitures cellulaires. Ils y accèdent par la conciergerie où le concierge doit les fouiller et le greffier enregistrer leur arrivée dans un registre. Ils sont ensuite interrogés sur leur état de santé et, s’ils sont malades, passent obligatoirement une visite médicale. Selon la gravité de leur état, ils peuvent être soit isolés et traités à l’infirmerie, soit transférés à l’hospice de Colmar. Ceux « attaqués de vermine » ont les cheveux coupés, doivent prendre un bain et se voient remettre des vêtements propres. Ceux atteints de la gale sont isolés et traités dans une « chambre des galeux ». Chaque condamné reçoit un costume pénal constitué d’une chemise de toile de chanvre, d’un pantalon, d’une veste, d’une paire de sabots et, du 1er décembre au 1er avril, d’une capote de drap commun.
Le concierge doit ensuite orienter les détenus selon qu’ils sont prévenus ou condamnés. Les condamnés aux travaux forcés sont placés d’office au cachot et mis aux fers. Les autres gagnent leurs cellules ou dortoirs qui sont ouverts à partir de six heures du matin du 1er avril au 1er octobre et à partir de huit heures le reste de l’année. Ils sont refermés une demi-heure « avant la nuit » et à partir de 20 heures en été. Les détenus qui ne disposent pas de moyens financiers pour coucher à la pistole dorment sur de la paille dans des dortoirs, à même le sol. Puis à partir de 1821, la paille est progressivement remplacée par des lits en bois appelés « galiotes ». Ils disposent d’un drap en laine et la paille de leur lit est renouvelée tous les deux mois. Malgré cela, ces galiotes sont fréquemment infestées de punaises l’été. Pour tenter d’y obvier, elles sont nettoyées au commencement du mois de mai, au moment où tous les locaux de la prison sont blanchis à la chaux bouillante. La paille des paillasses de la pistole est quant à elle changée quatre fois par an. Un projet de remplacement des galiotes par des hamacs, bien plus hygiéniques et économiques car il n’est plus besoin d’en renouveler la paille, est envisagé en 1830. Mais il n’est pas adopté du fait du manque d’espace à l’intérieur de la prison.
Les détenus de la maison de justice et de la maison d’arrêt disposent de la possibilité de se promener dans leurs cours et promenoirs (ou corridors) respectifs dans lesquels la plupart passent le plus clair de leur journée. L’horaire de la promenade quotidienne des prévenus et accusés de la maison d’arrêt est fixé de 8 heures à 10 heures du matin et de midi jusqu’à 14 heures. L’horaire pour les femmes est fixé de 10 heures à midi et de 14 heures à 16 heures. En ce qui concerne la maison de justice, l’organisation est plus complexe car les condamnés et les condamnés aux fers ne doivent pas se croiser. La journée des détenus à la prison de Colmar est assez monotone. Ceux qui travaillent ont droit à trois pauses quotidiennes d’une demi-heure. Les autres sont totalement oisifs. Au réveil, ils balaient leurs dortoirs et font leur lit et, deux heures après leur lever, descendent dans la cour de la prison où ils font leur toilette. Puis ils se promènent jusqu’à dix heures, heure à laquelle a lieu la distribution du pain. À 10 heures 30, la cantine ouvre ses portes jusqu’à 11 heures 30. À 11 heures 45 a lieu la distribution de la soupe. De 14 heures 30 à 15 heures 30 a lieu la seconde ouverture de la cantine. Puis les détenus remontent dans leurs dortoirs à 17 heures en été et à 16 heures en hiver et sont soumis à un appel. Le dimanche, ils assistent à la messe dans l’oratoire de la prison où est également assuré le culte protestant. Les visites ont lieu de 10 heures à 17 heures du 1er avril jusqu’au 1er octobre et jusqu’à 15 heures le reste de l’année. Les visites des avocats et des avoués ont lieu au greffe. Tandis que celle des autres visiteurs, qui sont fouillés à l’entrée et à la sortie, ont lieu au parloir durant une heure et en présence du concierge ou d’un surveillant. Le concierge doit également viser les courriers rédigés par les détenus, sauf ceux adressés aux autorités.
Le travail est introduit en 1833 à la prison de Colmar. Il est concentré dans les trois salles du rez-de-chaussée de la maison de justice qui accueille 30 métiers à tisser le calicot. Cette activité permet au détenu de gagner un salaire qui est divisé en trois parts. Une part lui est remise tous les quinze jours (essentiellement pour assurer ses achats de cantine), une autre lui sert à la fourniture de ses vêtements et la dernière est une « masse réserve » qui lui est remise au moment de sa libération. Les emplois offerts aux femmes détenues se limite à du tricotage et du filage. Le salaire qui leur est versé se limite à 25 centimes par jour, tandis qu’un bon tisserand gagne 75 centimes et qu’un tisserand ordinaire 50. Certains détenus sont « hommes de corvée », c’est-à-dire qu’ils sont employés au service intérieur de la prison. Mais l’administration pénitentiaire ne parvient pas à offrir des emplois en nombre suffisant à tous les détenus. En 1843, sur un effectif de 190 détenus, seuls 87 travaillent. L’exiguïté des locaux et le court séjour des détenus empêchent d’offrir un emploi à tous les condamnés et aux prévenus qui le désirent. La situation évolue au cours du temps et dans les années 1860 la prison de Colmar compte plusieurs ateliers de travaux (tailleurs, tissage de toile de lin et de bobinage, tricotage de bas et chaussettes, couture, chaussons, empaillage de chaises et cordonnerie). Ces ateliers sont désormais gérés par un entrepreneur qui ne parvient pas, ici encore, à offrir un emploi à chacun.
Du concierge au gardien-chef
Les concierges qui dirigent les prisons disposent d’un pouvoir très étendu. Tous les employés d’une prison (à l’exception du greffier) lui sont subordonnés et doivent exécuter ses ordres. Celui de Colmar s’avère particulièrement brutal et son service laisse franchement à désirer, comme en témoigne plusieurs comptes-rendus de visite de l’établissement :
« […] le linge destiné aux détenus est insuffisant et […] les condamnés renfermés dans les cachots n’ont pas même des couvertures pour se garantir du froid. […] dans la maison d’arrêt, il a été trouvé des prévenus de crimes et de délits confondus avec des détenus pour dettes ou pour cause de démence ; […] le concierge et sa nombreuse famille envahissent pour leur propre service les salles destinées aux prisonniers qui, lorsque leurs parents viennent les visiter, parcourent avec eux et sans surveillance les cours, les corridors et les dortoirs ; enfin […] plusieurs détenus se sont plaints d’avoir été maltraités par le concierge dont la brutalité paraît entretenue par un état continuel d’ivresse. »
La discipline est assurée par le concierge et les détenus qui ne respectent pas le règlement s’exposent à différents types de sanctions. Ceux qui troublent l’ordre par des cris, chants ou « autrement » peuvent se voir priver de promenade pendant trois jours et huit jours en cas de récidive. Les détenus qui volent ou maltraitent de nouveaux arrivants s’exposent à cinq jours de mise au « secret » (cachot) et ceux qui insultent le concierge ou le personnel de l’établissement s’exposent à une mise au cachot de deux jours. Enfin, ceux qui s’adonnent aux jeux de hasard sont passibles de trois jours de cachot et de huit jours en cas de récidive. De son côté, le personnel pénitentiaire est interdit de rudoyer, injurier, battre ou maltraiter les détenus et de boire avec eux ou de les laisser s’enivrer. Par la suite, le règlement général pour les prisons départementales du 30 octobre 1841 précise les différentes punitions qui peuvent être infligées aux détenus. À Colmar, c’est désormais un gardien-chef qui prononce les punitions suivantes :
- Privation de promenade, de l’école, des visites, de correspondance, de secours du dehors et de tout ou partie du produit du travail ;
- La mise au pain et à l’eau ;
- La mise au cachot ;
- La mise aux fers dans les cas prévus par l’article 614 du Code d’instruction criminelle.
La nourriture fournie aux détenus est distribuée le matin après le nettoyage de leurs dortoirs et de leurs cellules. Elle se compose de pain et d’une soupe de légumes avec un peu de beurre jusqu’en 1841. Puis la ration alimentaire est légèrement améliorée : en plus du pain et d’une soupe de légumes (une demi-ration distribuée le matin et une autre le soir), le jeudi ou le dimanche est distribuée une soupe grasse supplémentée de 200 grammes de viande. Pour améliorer cet ordinaire, les détenus ont le droit de recevoir de la nourriture, des boissons ainsi que du linge du dehors. Soit ce sont les familles qui les leur fournissent, soit ce sont des commissionnaires de la prison qui se chargent d’acheter les denrées à l’extérieur, moyennant le paiement d’une commission. Les détenus peuvent également acheter des biens en cantine auprès du concierge.
En plus de la cantine, le concierge assure également la garde du magasin du linge et du vestiaire ainsi que la fourniture du bois de chauffage de la prison et de la soupe des détenus. Mais suite à plusieurs abus, il se voit retirer une à une chacune de ces attributions par la commission de surveillance de l’établissement. À partir du 19 novembre 1819, la prison de Colmar est effectivement placée sous le contrôle d’une commission de cinq citoyens présidée par le maire de Colmar délégué par le préfet du Haut-Rhin. De 1821 à 1835, cette commission se réunit chaque semaine et fait face à de nombreux abus dans le service de la prison, notamment de la part de son concierge. À la suite de plusieurs déficits constatés dans les inventaires, la garde du magasin du linge et du vestiaire lui est retirée en 1822 pour passer sous la tutelle du greffier. La distribution du bois de chauffage, objet de nombreuses plaintes de la part des détenus, est également transférée en 1824 au greffier. Quant à la soupe, elle est mise en adjudication et retirée au concierge car il avait tendance à s’arroger des rations pour nourrir ses chiens. Enfin, la cantine lui est aussi retirée, toujours au profit d’une adjudication : « La cantine tenue par le concierge était, en d’autres termes, l’introduction d’un cabaret dans la prison ; cabaret que l’appât du gain tenait constamment ouvert au détriment de la police intérieure de l’établissement. Les profits du cantinier étant en raison inverse des devoirs du concierge, nécessairement ce dernier s’oubliait à la cantine et l’ébriété était tolérée, sinon encouragée. Les détenus qui faisaient une grande dépense étaient favorisés, ce qui était d’un pernicieux exemple, et leur peine qui devait être correctionnelle n’avait d’autre effet que de les dépraver moralement. »
Ces marchés de fournitures sont exclusivement passés auprès de commerçants de la ville (un boulanger, un fournisseur de paille, un fournisseur de paillasses, un barbier et un blanchisseur). L’alimentation, le blanchiment, la cantine et la pistole de la prison de Colmar sont à partir de 1844 gérés par un entrepreneur moyennant le versement de 46 centimes par détenu. Et les frais d’entretien des détenus sont supportés par les Conseils généraux. Ce n’est qu’à partir du 1er janvier 1856, et ce en application d’une circulaire du ministère de l’Intérieur en date du 17 mai 1855, que ces frais sont transférés à l’État.
Le règlement général pour les prisons départementales du 30 octobre 1841 fait disparaître les concierges (dénommés également geôliers ou guichetiers). Le ministre de l’Intérieur reproche effectivement aux conciergeries des prisons départementales d’être devenues « un véritable patrimoine de famille. Aussi, l’exécution d’une règle écrite, et surtout nouvelle, souffre-t-elle toujours de grandes difficultés de la part des concierges qui ont succédé à leurs pères ». Face à leur manque de compétences, le ministre souhaite améliorer leur recrutement. À cet effet, ils disparaissent en 1841 au profit de directeurs (pour les établissements les plus importants) ou de gardiens-chefs et leur traitement est relevé. À partir de cette date, c’est donc un gardien-chef qui dirige la prison de Colmar. Pour être recruté, il doit obligatoirement savoir lire, écrire et compter. À l’instar du concierge, il est logé avec sa famille à l’intérieur de l’établissement dont il est chargé de la surveillance et de la tenue des registres d’écrou. Le personnel est composé de six surveillants logés également dans l’établissement (mais sans leur famille), d’un greffier, d’un commis aux écritures (qui fait également office d’instituteur), d’un aumônier catholique, d’un pasteur protestant, d’un médecin de la ville attaché à l’établissement à partir de 1819 et de trois sœurs chargées de la surveillance des femmes.
Mais la proximité entre les gardiens et les détenus crée, comme sous le règne des concierges, une certaine promiscuité qui entraîne une grande familiarité et des problèmes d’ivrognerie, comme en témoigne le directeur des prisons du Haut-Rhin en 1858 :
« Les gardiens de cette prison ne possèdent généralement pas le sentiment de cette dignité qui fait respecter l’autorité même dans les plus modestes positions et qui est si nécessaire dans les rapports avec les prisonniers, ils usent avec eux d’une familiarité qui va jusqu’à l’oubli de leurs devoirs et qui les poussent à boire avec eux, lorsque l’occasion s’en présente. »
À la lecture des rapports que dresse le directeur des prisons du Haut-Rhin dans les années 1850, il semble que les gardiens de la prison de Colmar ne soient pas suffisamment « fermes et dignes » avec les détenus. Mais cette déconsidération qui pèse sur eux provient également du fait qu’ils ne disposent pas d’uniformes, malgré les prescriptions formelles du règlement général pour les prisons départementales du 30 octobre 1841 qui indique que le directeur, le gardien-chef et les gardiens doivent obligatoirement porter un uniforme dans l’exercice de leurs fonctions. Cette situation prend fin au mois d’août 1861 et des uniformes confectionnés à la maison centrale d’Ensisheim leur sont fournis. De même, l’arrivée d’un nouveau gardien-chef en 1859 qui se montre d’une grande sévérité avec les gardiens « qui ont conservé des habitudes d’ivrognerie ou de trop grande familiarité avec les détenus » améliore quelque peu la situation.
Le régime des détenus mineurs
Une école d’instruction primaire ouvre ses portes en 1841 à la prison de Colmar. La classe est divisée en deux sections selon le niveau des élèves. Mais l’instituteur rencontre beaucoup de difficultés pour enseigner le français et considère qu’à peine un dixième des 64 élèves qu’il reçoit entre le 17 juillet et le 17 août 1842 comprend le français. Sur ce nombre, 40 sont âgés de 10 à 20 ans, 18 de 20 à 30, 4 de 30 à 40 et 2 de 40 à 50. Cet enseignement s’adresse donc en priorité aux jeunes détenus, les adultes n’ayant droit qu’à une heure quotidienne et uniquement à titre de récompense. Le matin, l’instituteur reçoit ses élèves dans sa classe où ils récitent une prière. Ceux qui savent lire doivent apprendre par cœur une demi-page de catéchisme qu’ils doivent ensuite réciter. Puis de 8 heures à 10 heures, les élèves classés selon leur niveau apprennent à lire et à écrire. Ils vont ensuite manger leur soupe en prenant le soin de réciter à nouveau une prière avant et après leur repas. Puis ils ont droit à une heure de récréation dans la cour. Ils travaillent l’après-midi dans l’atelier de chaussons jusqu’à 13 heures et retournent en classe jusqu’à 16 heures. Après la distribution d’une seconde soupe, ils ont à nouveau droit à une heure de récréation puis reprennent leur travail à l’atelier. À 19 heures, ils regagnent leur dortoir (qui demeure isolé de ceux des adultes), effectuent leurs prières du soir et se couchent. Il est toutefois difficile à l’enseignant de travailler correctement car ses jeunes élèves ne restent pas longtemps en détention et sont renouvelés en moyenne tous les mois. Arrêtés pour vagabondage, ils sont fréquemment relaxés au bout de quelques semaines ou bien sont transférés dans une maison d’éducation correctionnelle en cas de condamnation. Ainsi, l’école se borne-t-elle à « inculquer aux enfants des principes de morale et de religion, [plutôt] qu’une instruction primaire suivie ». En complément, une bibliothèque contenant des livres en français et en allemand est aménagée à partir de 1866.