2. Le bas du village (berge du fleuve Maroni)

Plan du chapitre

Le bas du village (berge du fleuve Maroni)

Afin que les navires puissent accoster à Saint-Jean, la berge marécageuse bordant le fleuve est rapidement comblée et, dès 1888, des chalands peuvent débarquer leur chargement. L'appontement date lui de 1899. Il est complété l'année suivante par un warf spécial aménagé pour assurer, lors des marées, l'embarquement ou le débarquement des animaux. Des portementeaux sont également construits afin de mettre à l'abri la baleinière et les canots à pétrole destinés à surveiller le fleuve pour prévenir les évasions. Des arbres fruitiers ainsi que de l'herbe sont plantés tout au long du quai. Mais, du fait de fréquents éboulements, le quai n'est définitivement achevé qu'en 1902. En tout, le quai de Saint-Jean mesure 500 mètres et les fosses 300 mètres, soit un total de près de 850 mètres cubes de perré.

A partir de 1891, un marais de près de 22 000 mètres carrés partant du fleuve et s'étendant jusqu'au plateau de l'Oreille est asséché. Ce marais est drainé, déboisé et la crique qui le traverse est comblée. Une route, menant à l'atelier des travaux et au plateau de l'Oreille, est bâtie et empierrée en 1896 et un fossé collecteur muni d'un coffre à double vanne et deux vannes à crémaillère sont installés pour limiter les remontées des eaux du fleuve. L'ensemble est planté en herbe de Para destinée aux pâturages du bétail de Saint-Jean. En parallèle, le cours de la crique Saint-Jean, qui formait de nombreux méandres, est modifié sur toute sa longueur afin de faciliter l'évacuation de ses eaux stagnantes et une vanne à crémaillère est installée pour réguler les remontées des eaux du fleuve. Un perré de pierres sèches est établi tout au long de son cours en 1897.

Tout d'abord constitué d'une passerelle en bois, un pont en maçonnerie de trois mètres d'ouverture est édifié sur la crique Saint-Jean de 1892 à 1896. Il permet notamment à la ligne de chemin de fer qui le traverse de relier Saint-Laurent au village de Saint-Jean.

Les relégués musiciens disposent de deux cases à part au sein du camp central qu'ils partagent avec les relégués coiffeurs. Selon les époques, ils reçoivent une allocation supplémentaire portée à leur pécule par journée de répétition ou une simple gratification hebdomadaire de deux quarts de vin. Les musiciens donnent des concerts pour le personnel administratif le dimanche sous le kiosque à musique et jouent le jeudi pour les relégués. Ils se produisent également en première partie des deux représentations de théâtre données chaque mois par les relégués. Ils peuvent également se produire pour des évènements exceptionnels : lors des célébrations du 14 juillet par exemple, qui ont lieu dans le jardin de la villa du commandant supérieur de la relégation. Ils se produisent également lors du bal mensuel organisé par le personnel administratif au sein de leur cercle. Ce soir là, les relégués musiciens peuvent prendre quelques libertés avec leur uniforme pénal et les surveillants veillent à ce qu'ils soient correctement approvisionnés en nourriture et en boisson.

La ligne de chemin de fer qui relie Saint-Laurent à Saint-Jean est construite de 1887 à 1897. Cette voie Decauville de 60 cm de large et 16 km 500 de long (20 km. 401 de voie en tout) fonctionne en va-et-vient. Son ballast, de 3 à 5 mètres de largeur selon les endroits, est constitué de sable ou de gravier et près de 35 ponts sont jetés tout au long de son tracé. Le plus important, celui de Saint-Louis, est achevé en 1893 : il est de système Eiffel, mesure 60 mètres de long et enjambe la crique Balaté. La voie est doublée d'une route de plus de 5 mètres de largeur, d'un sentier permettant le passage des piétons, d'une ligne télégraphique et d'un fossé. Les travaux nécessaires à la construction de cette ligne sont gigantesques : ils nécessitent l'abattage de 30 hectares d'arbres et les travaux de terrassement conduisent au déplacement de 180 000 mètres cubes de terre.
La ligne de chemin de fer qui relie Saint-Laurent à Saint-Jean est construite de 1887 à 1897. Cette voie Decauville de 60 cm de large et 16 km 500 de long (20 km. 401 de voie en tout) fonctionne en va-et-vient. Son ballast, de 3 à 5 mètres de largeur selon les endroits, est constitué de sable ou de gravier et près de 35 ponts sont jetés tout au long de son tracé. Le plus important, celui de Saint-Louis, est achevé en 1893 : il est de système Eiffel, mesure 60 mètres de long et enjambe la crique Balaté. La voie est doublée d'une route de plus de 5 mètres de largeur, d'un sentier permettant le passage des piétons, d'une ligne télégraphique et d'un fossé. Les travaux nécessaires à la construction de cette ligne sont gigantesques : ils nécessitent l'abattage de 30 hectares d'arbres et les travaux de terrassement conduisent au déplacement de 180 000 mètres cubes de terre.

Mais l'usure et l'obsolescence de la ligne entraînent de nombreux déraillements et, de 35 minutes à vide, les parcours du train atteignent en moyenne plusieurs heures. Comme en témoignage le surveillant Henri Pierre Marie Berryer dans Sept Mois au bagne :

"Un chemin de fer en Guyane ? Cela semble bien extraordinaire et presque invraisemblable. Pourtant il y a un chemin de fer. Mais hélas ! On est vite déçu. Sur une voie de 0m 60 mal établie et vieille d’au moins vingt ans circule un matériel tout à fait cocasse; Le parcours de cet affreux tortillard est de dix-huit kilomètres de Saint-Laurent à Saint-Jean-du-Maroni qui est le camp de la relégation. Il lui faut environ près de cinq heures pour couvrir ce court espace, et encore s’il ne lui arrive pas d’avarie en cours de route car il va sans dire qu’il lui prend bien souvent la fantaisie de dérailler. Mais ici, les voyageurs sont patients et il le faut bien. La gare se compose d’un vaste hangar tout à fait bancal recouvert en tôles ondulées qui abrite des wagons à voyageurs, sorte de grandes plates-formes couvertes montées sur boggies et munies de banquettes transversales. Par temps de pluie, on y est copieusement arrosé malgré les bâches loqueteuses disposées de chaque côté des wagons pour soi-disant protéger les occupants. Combien de surveillants se payent ce voyage de luxe pour aller voir avec des copains à Saint-Jean le rayon des pieds de biche, et y perdent leur beau complet blanc dans ces véhicules préhistoriques où pénètrent à l’intérieur, par les ouvertures béantes, les courants d’air et les flammèches embrasées de la machine qui ont vite fait de laisser des traces de brûlures sur les vêtements."

Bien que la ligne ait aujourd'hui totalement disparue (recouverte par la route départementale n° 11), il demeure des vestiges des wagons à l'entrée du village de Saint-Jean, au niveau du magasin du matériel et des vivres.

Lors de l'arrivée d'un convoi de relégués à Saint-Laurent, ces derniers sont dirigés vers la gare. Ce bâtiment était initialement un hangar pour buffles édifié en 1876. Démonté, il est reconstruit en 1890 tout près du débarcadère de Saint-Laurent et fait office de gare. Les relégués, acheminés à Saint-Jean par voie fluviale avant la construction de la ligne de chemin de fer, atteignent leur ultime destination au bout d'une heure de traversée : « Pendant que les surveillants font l'appel, un petit train Decauville s'est avancé et les relégués s'installent sur les « plateaux », jambes pendantes, quarante par wagonnet; un surveillant armé se tient à l'extrémité de chaque voiture. [...] Un coup de sifflet fait démarrer le train de la « relègue » à destination de Saint-Jean; les essieux grincent, la petite locomotive souffle et sue; péniblement elle sort du quai, les curieux et curieuses s'écartent, les enfants rient au passage du sinistre convoi. » (Charles Péan, Le salut des parias, Paris, Gallimard, 1935, pp. 26 et 28).

Les transports par "pousse" ou "pousse famille" permettent d'emprunter la voie de chemin de fer en dehors des horaires de passage du train. Ces "pousses" sont des boggies constitués de quatre roues de wagon sur lesquels sont fixés une plateforme en bois surmontée d'un banc à dossier (Jean Simola, Le bagne de mon père, Ajaccio, Editions DCL, 1999, p. 41). Ils sont propulsés à la force des bras par deux relégués aidés de perches.

Le terminus du train se situait à l'entrée du village de Saint-Jean. Mais un réseau de chemin de fer assez dense traversait le pénitencier dans toute sa longueur. Les locomotives, lorsqu'elles étaient inemployées, étaient stockées dans un hangar spécialement affecté à cet effet au sein de l'atelier des travaux.