5. Circulations de « fous indigènes » : institutions et compétences

Plan du chapitre

En dépit de l’attention que la France porte à la mise en place d’une organisation sanitaire outre-mer et des efforts prodigués pour endiguer les maladies contagieuses et endémiques, la construction de lieux de soin affectés à la prise en charge des patients psychiatriques tarde. Les premiers lieux préposés à l’accueil des personnes psychiquement atteintes voient le jour au début du XXe siècle. À Madagascar, dans le village d’Itaosy, surgit un premier asile remplacé en 1912 par celui d’Anjanamasina. En 1933, au Maroc, l’hôpital neuropsychiatrique de Berrechid ouvre ses portes et l’Algérie inaugure l’hôpital de Blida-Joinville en 1938. Dans la fédération de l’AOF, il faut attendre 1956 pour l’ouverture de la clinique neuropsychiatrique de Fann-Dakar. Au fur et à mesure que des structures préposées au soin des personnes psychiquement atteintes commencent à voir le jour en Afrique, les procédures de placement dans les nouveaux lieux de soin se mettent peu à peu en place et les circulations des « aliénés indigènes » entre les différentes institutions préposées à les accueillir se complexifient.

Aller-retour entre l’hôpital et la prison (Madagascar)

Relativement à la construction de structures dédiées à la prise en charge des patients psychiatriques aux colonies, le cas de Madagascar se révèle particulièrement intéressant. La colonie fondée à la fin du XIXe siècle, dispose dès le début du XXe siècle d’établissements psychiatriques. Un premier asile d’aliénés pour une capacité d’accueil d’une cinquantaine de lits ouvre à Itaosy en 1905, non loin de la capitale Tananarive, remplacé en 1912 par celui d’Anjanamasina. Situé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de la capitale, il est le premier asile d’aliénés dans les territoires africains occupés par la France à répondre de la loi du 30 juin 1838, en vigueur dans cette colonie, plaçant les « aliénés » sous la responsabilité de l’administration coloniale.

Sur l’île, si la situation est présentée comme fortement novatrice en matière de psychiatrie coloniale, celle-ci ne saurait masquer les grandes difficultés que vont connaître ces structures dédiées comme l’asile d’Anjanamasina. Les malades sont en effet très vite trop nombreux et cette pression implique qu’on agrandisse les lieux ou qu’on construise d’autres pavillons pour les aliénés au sein d’hôpitaux déjà existants.

C’est le cas par exemple pour l’hôpital militaire à Diego Suarez (Antsirane) dont un projet de 1920 propose la construction d’un pavillon pour aliénés, « placé à l’est de l’hôpital, entre le bâtiment J des contagieux et le bâtiment I (pharmacie de détails), [...] seul endroit qui convient à cette installation. » Le projet avait été amorcé à la demande du Gouverneur général en février 1915, puis abandonné en avril 1916 faute de budget. En octobre 1920, sous la plume du chef d’Esquadron, directeur d’artillerie, le projet d’un asile pour aliénés répond « à un besoin impérieux étant donné l’augmentation croissante de la population de Diego Suarez. La dépense s’élève alors à “68.000 francs”. Toutefois le projet présenté compte seulement « 4 cellules » et « il n’a pas paru nécessaire d’en proposer un plus grand nombre étant donné la moyenne des aliénés à hospitaliser. »

La prise en charge administrative et judiciaire des aliénés et la construction des asiles répondent bien souvent à une obsession sécuritaire. Une gestion policière coercitive et un enfermement non pénal priment bien souvent sur le suivi médical. Certains diagnostics sont élaborés in primis par les policiers qui se trouvent à observer, interroger et juger de l’état mental des personnes arrêtées dans la rue.
Une partie de la gestion de la folie se situe dans un rapport étroit avec la question de la criminalisation du « fou indigène ». Dans de nombreux cas, les aliénés sont systématiquement écartés de l’espace public en raison de comportements jugés violents, dangereux ou déplacés par les autorités coloniales. Dans ce cadre, l’asile d’Anjanamasina joue ainsi un rôle dans le maintien de l’ordre public et la contention des individus potentiellement dangereux, à côté des institutions carcérales et sanitaires d’autre nature. En effet, un imposant système carcéral se développe à Madagascar, le modèle de la prison étant déjà connu dans le cadre répressif local bien avant l’avènement de la colonisation.
Les individus condamnés circulent ainsi entre l’asile et la prison. Bien qu’il ne s’agisse pas d’une prérogative de l’asile d’Anjanamasina, ni du contexte colonial d’ailleurs, ces allers et retours sont fréquents. Certains prisonniers montrant une agitation particulière et occasionnant des troubles dans les institutions carcérales sont déplacés d’un espace à l’autre.
La grande porosité entre structures carcérale et médicale infléchit les rapports entre patients, médecins et administrateurs coloniaux. Certains cas montrent que le « fou » garde une marge d’action qui lui permet d’imposer sa subjectivité, en influençant les passages d’une institution à l’autre. Des internés semblent être en capacité de performer le calme et la sérénité exigés par les évaluations médicales et judiciaires afin de circuler à leur guise entre les différents espaces d’internement. Chacun des cas de circulations entre la prison et l’asile, bien qu'ils suivent des trajectoires particulières et ne puissent être réduits à une trajectoire unidirectionnelle, révèlent néanmoins un dénominateur commun : la revendication d’une marge de manœuvre dans la symptomatologie et face à leurs modalités d’enfermement.

L’Hôpital psychiatrique de Blida en Algérie

L’hôpital psychiatrique colonial de Blida-Joinville est la première structure médicale intégralement dédiée à l’assistance mentale d’Algérie. Le projet de construction de l’hôpital de Blida, introduit en 1923 par la Commission Mabille-Saliège, propose une structure initiale de 1000 lits et doit prendre place sur un terrain communal de 89 hectares offert en 1912 par la mairie de Blida. En 1927, sous l’impulsion du gouverneur général de l’époque, Maurice Violette, deux premiers pavillons d’une capacité de 100 lits sortent de terre.

Dès 1931 les travaux subissent de successifs retards et un an plus tard, les deux bâtiments restent encore inoccupés. S'ensuivent quatre années de travaux d’agrandissements après quoi l'hôpital est institué administrativement en mars 1933 et accueille ses premiers patients l’été de la même année.

L’Hôpital Psychiatrique Blida-Joinville sous sa forme aboutie est inauguré en présence du gouverneur Général Le Beau, le 8 avril 1938 à l’occasion du 42e Congrès des médecins aliénistes et neurologistes de France et de langue française.

Pour certains patients, l'internement à l’hôpital psychiatrique de Blida relève d’une mise à l’écart définitive de la société en raison de leur dangerosité potentielle. Le verdict médical des psychiatres de Blida vient souvent redoubler celui établi précédemment par un ou plusieurs confrères au cours des pérégrinations institutionnelles des patients. Certains de ces diagnostics tendent ainsi à rabattre le passif violent et délinquant sur le « déséquilibre mental », engendrant des va-et- et vient entre les milieux carcéral et psychiatrique. Les impressions rendues par les agents administratifs ou les forces de l’ordre demandant l’internement trouvent ainsi un écho dans le recours à une terminologie relevant de l’inadaptation sociale de la part des médecins.

Les lieux alternatifs non spécialisés : l’hôpital de Saint-Cyprien-des-Attafs

L’existence de structures ad hoc peut faire croire à une rationalisation et à un contrôle étroit des personnes définies comme « folles ». Or, en Algérie, certaines d’entre elles se trouvent internées au sein de structures non spécialisées. C’est ce qui se produit en Algérie dans les années 1930 avec la création de section(s) pour « enfants anormaux » dans des institutions missionnaires, appuyées par des financements publics. Si nous reviendrons sur cette catégorisation « d’enfants anormaux » et de « fillettes anormales » dans une autre partie de l’exposition. Il a clairement été établi que parmi ces « anormaux » figurent des personnes qui auraient dû être accueillies à l’hôpital de Blida-Joinville. Il est probable que cette pratique ait existé dans cet établissement de façon non officielle avant cette période.

Cette section des « fillettes anormales » va faire l’objet de multiples remaniements, en lien avec ses responsables et la direction de l’hôpital. Les traitements qui y sont suivis sont très différents de ceux de Blida dans la mesure où il n’y a aucun psychiatre ou même infirmière spécialisée. Il s’agit plutôt de soin et d’assistance venant des Sœurs et des « aides » (assistantes) allouées à la section, avec une perception de l’humanité de ces “enfants” très variable selon les personnalités. Le principal moteur des discriminations est la nature du handicap dans un contexte organisationnel et économique extrêmement tendu. Ainsi, le pavillon où est logée une partie de la section dépend du degré de conscience des individus. D’autres discriminations sont liées au genre.

Les circulations sont donc internes, entre pavillons, voire entre services. Elles sont également externes : quelques personnes dites « anormales » sont placées pour travailler ou sont confiées à l’assistance sociale pour une nouvelle destination que ne précisent pas toujours les archives. Dans les cas où ces personnes deviennent violentes, elles sont rendues à leur famille ou envoyées à l’hôpital de Blida-Joinville.
Combien « d’enfants » furent concernés ? Il est difficile de répondre à cette question car la section des « fillettes anormales » recouvrait des problématiques très diverses, qui ne rentraient pas uniquement dans le champ de la « folie », mais dans celui plus large des situations de handicap. Les données de flux sont malheureusement inexistantes, mais on peut évaluer les effectifs entre 15 et une quarantaine « d’enfants anormaux » par année, dont une poignée seulement est assimilée à des personnes relevant, à cette époque, de l’hôpital psychiatrique. Il reste à trouver, cartographier et enquêter sur d’autres lieux alternatifs potentiels pour évaluer plus précisément ces pratiques.

Les maristanes du Maroc

Au moment de l’instauration du Protectorat français au Maroc, avec le Traité du 30 mars 1912, des lieux d’accueil et de soin des personnes psychiquement atteintes, les maristanes*, continuent de fonctionner au Maroc. Régis par le droit islamique, les maristanes surgissent dans la plupart des cas à côté de la tombe d’un saint, en sorte que les malades qui y sont abrités puissent recouvrir la santé grâce à sa baraka (bénédiction). Au moment de leur construction, au XIIIe et XIVe siècles, ces structures sont des hôpitaux qui, à compter du XVIe siècle, commencent à devenir des asiles qui hébergent des « aliénés », des « démunis », des « indigents » et des « femmes de mœurs légères ».
Parmi les maristanes qui accueillent encore des « aliénés » au début du XXe siècle – dans les villes de Fès, Salé, Meknès, Rabat, Marrakech –, celui de Sidi Fredj (à Fès) retient davantage l’attention des autorités coloniales qui le désignent comme étant le « plus ancien, le plus important et le plus célèbre des maristanes de l’empire » chérifien (Luccioni, Les fondations pieuses habous, 1982).

Le maristane de Sidi Fredj à Fès fait couler beaucoup d’encre durant toute la première moitié du XXe siècle. Les conditions de vie déplorables de ses résidents suscitent les critiques les plus virulentes de la part des autorités françaises et des médecins européens (en particulier les docteurs Solomon Lwoff et Paul Sérieux) qui visitent ce lieu pour la première fois au début des années 1910. Les internements se font sans aucun contrôle médical, en l’absence de toute réglementation, à l’initiative du pacha ou de la famille du malade.

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* D’origine persane, le mots maristane se compose de deux mots : bimar = maladie, impotent, aliéné ; satane = lieu, maison (suivant la définition donnée par Joseph Luccioni).

L’auteur de l’article qui figure dans les documents d’archives à côté, datant de 1951, est Joseph Luccioni, docteur en droit à la longue carrière dans l’administration coloniale et, après l’indépendance du Maroc (2 mars 1956), conseiller des rois Mohamed V et Hassan II. Tout au long de l’exercice de sa fonction auprès du Service de contrôle des Habous, J. Luccioni consacre une attention particulière à la vie du maristane de Sidi Fredj, à son entretien de la part de l’administration des habous et à son statut juridique.
La dimension juridique est cruciale dans les évènements qui concernent les maristanes et les « aliénés indigènes » qui y sont accueillis durant la période du protectorat. Relevant du droit musulman, les maristanes sont soumis à un régime juridique très particulier qui touche à la sphère religieuse. Ils font en effet partie des œuvres pieuses du patrimoine des biens habous* (ou waqf). Ces derniers sont des biens de mainmorte (inaliénables, imprescriptibles et insaisissables) qui dans le droit islamique sont dévolus à des activités d’aide sociale telles que l’enseignement islamique, l’entretien des lieux de culte, la prise en charge des malades, la bienfaisance.

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[*] Étiologiquement le mot habous signifie « arrêter, emprisonner, immobiliser ». Il s’agit d’un acte juridique qui affecte un ou plusieurs biens à un service ou à une œuvre religieuse, sociale ou de bienfaisance.

Le traité de protectorat conclu le 30 mars 1912 engage la France à ne pas toucher aux institutions religieuses et, dans cette perspective, mentionne les habous de manière explicite. Dès le mois d’octobre de la même année, le pays protecteur enclenche néanmoins un processus de verticalisation des structures musulmanes préposées à la gestion des habous, en se réservant des pouvoirs de contrôle et de supervision, incarnés principalement par le Service du contrôle des habous. Les maristanes sont impliqués dans cette dynamique qui rend plus pressante l’intervention des autorités françaises dans la gestion des malades, du point de vue des conditions matérielles comme des soins.

Mobilisant une rhétorique de la « modernité », dès les années 1920, l’administration des Habous envisage que la gestion des lieux saints de soin passe dans la sphère de compétences de la Direction de la santé et de l’hygiène qui exerce les fonctions d’un ministère de la Santé. Ce souhait s’accompagne de la volonté de procéder à des réaménagements structuraux des maristanes suivant les indications de la psychiatrie occidentale et à l’introduction de traitements médicaux qui s’écartent des rituels de soin qui y sont traditionnellement pratiqués. Pour ces raisons, le Service du contrôle des habous œuvre pour faciliter les interventions des médecins français auprès des malades des maristanes, en les impliquant aussi dans le processus d’internement. Ce qui n’est pas sans provoquer la désapprobation du corps médical français installé au Maroc.

Parallèlement au réaménagement des maristanes, se dessine en effet un système de prise en charge des « aliénés » inspiré par les connaissances psychiatriques de l’époque. Dans les années 1920 démarre la construction du centre neuropsychiatrique de Berrechid qui est érigé en établissement public par Dahir du 8 mars 1931. Des services spéciaux consacrés à l’accueil provisoire des « aliénés » sont activés au sein des principaux centres hospitaliers du Maroc dont le plus important est celui de Casablanca, directement en lien avec celui de Berrechid.
L’encadrement normatif des hospitalisations psychiatriques est donné par deux circulaires de 1922 et de 1925 et s’inspire de la loi du 30 juin 1838 sur les aliénés qui n’est pas applicable au Maroc. Ces dispositions de facto prévues pour les seuls malades « européens » sont étendues aux « aliénés indigènes ».

L’administration française est soucieuse que toute intervention relative aux maristanes se fasse en douceur, sans froisser les autorités chérifiennes et la population marocaine. Le cas du maristane de Sidi Fredj à Fès est emblématique de cette démarche.

Malgré les améliorations que le Service du contrôle des habous déclare y avoir apporté, aux seuils des années 1940, l’édifice du maristane est vétuste et insalubre. Dans les bureaux de l’administration des habous l’idée de sa reconstruction dans un autre quartier de la ville se profile. La relocalisation géographique du maristane n’est pas sans dangers pour les autorités françaises qui, touchant aux préceptes de l’islam, craignent la réaction de la population marocaine. Le respect de la sacralité du lieu sur lequel le maristane est édifié impose l’implication des autorités religieuses de la ville de Fès qui, après des longues négociations et concertations, concluent que la baraka de Sidi Fredj peut être transportée dans un autre lieu, autorisant ainsi le service du contrôle des habous à donner suite au projet de reconstruction.

Le « nouveau maristane » de Sidi Fredj est ainsi édifié dans la localité d’Arsat ben Soltane, suivant le projet de l’architecte des habous, Lucien Giron, réalisé sur le modèle du centre neuropsychiatrique de Berrechid. La nouvelle structure aspire à conjuguer « tradition » et « modernité » dans les soins apportés aux « aliénés marocains ». Le déplacement géographique de l’ancien bâtiment s’accompagne du transfert des compétences, administratives et financières, du service des habous au Service d’hygiène, (arrêté viziriel du 15 septembre 1951), scellé par une « cérémonie privée » qui a lieu le 3 décembre 1951, en présence des autorités françaises et marocaines, du personnel médical de la médina de Fès et de l’architecte des habous.

L’hôpital de Fann-Dakar en AOF

Les « aliénés » originaires de la confédération de l’AOF circulent entre la rue, les villages, les postes de police, les prisons, les hôpitaux civils et militaires de la fédération, les écoles de rééducation pour les mineurs, l’hôpital marseillais (du moins jusqu’en 1918). En dehors de toute préoccupation à caractère sanitaire de la part de l’administration coloniale, leurs errances répondent plutôt à des impératifs d’ordre public et de protection des tiers. Une gestion policière domine ainsi face aux « fous dangereux » qui sont quasi-systématiquement isolés et qui ne reçoivent qu’un diagnostic approximatif, souvent inspirés par les premières observations effectuées par les forces de police. La gestion répressive des aliénés susceptibles de constituer un danger s’explique en grande partie par le fait qu’il faut attendre l'arrêté du 28 juin 1938, créant un service d’assistance psychiatrique dans la fédération, pour une réglementation de la prise en charge médicale. Avant cette date, les « aliénés indigènes » relèvent encore de l’ordonnance de 1840, qui octroie aux administrateurs coloniaux un pouvoir d’enfermement sur tout individu considéré comme dangereux pour l’ordre public. Cette procédure prévoit l’établissement d’un premier « diagnostic », bien souvent versé au dossier du patient.
Déjà à compter des années 1910, sous pression du corps médical, des propositions de construction d’un hôpital psychiatrique pour la fédération de l’AOF voient le jour, sans pour autant pouvoir aboutir en raison d’un manque de moyens logistiques et financiers. Entre les années 1920 et 1930, la logique de la décentralisation s’impose et aboutit plutôt à l’implémentation de pavillons dans les hôpitaux des différents chefs-lieux, consacrés à accueillir les « incurables » et les « dangereux ». Les archives de l’Inspection des travaux publics gardent une trace de certains de ces projets. Durant la première moitié des années 1920, le projet d’agrandissement du pavillon des aliénés de l’hôpital de Dakar, dressé le 30 mai 1922 et modifiant un projet approuvé le 9 octobre 1914, fait partie de l’ordre du jour du comité des travaux publics des colonies.

Au début des années 1930, le docteur Franck Cazanove, psychiatre et médecin de l’armée coloniale, note que la situation au Sénégal est restée au stade décrit dans le rapport de Tunis et dénonce une faiblesse diagnostique. Il va alors proposer de développer des centres locaux sans autonomie propre et à proximité des villes, s’articulant aux hôpitaux urbains et à un asile fédéral qui aurait dû voir le jour à Thiès.
L’idée de mettre fin aux errances des malades, de les prendre enfin en charge médicale est la hantise des médecins coloniaux exerçant en AOF qui. Ceux-ci reçoivent par ailleurs des sollicitations de la part des autorités de la fédération voisine de l’AEF concernant l’accueil des malades ayant commis des crimes et jugés pénalement irresponsables.
Au seuil des indépendances, des différents projets de structures hospitalières se suivent en AOF : à Saint-Louis, à Ziguinchor au Sénégal, ou à Atar en Mauritanie. Les archives des Services des travaux publics gardent les plans détaillés de l’hôpital psychiatrique du Sénégal et de la Mauritanie qui datent des années 1953-1954. Un nouveau « armement hospitalier neuro-psychiatrique pour le Sénégal et la Mauritanie » (ANOM, 2 TP 238) est prévu. Celui-ci se compose d’une part de la clinique-neuropsychiatrique qui doit être bâtie sur le terrain de Fann et d’autre part d’un hôpital psychiatrique du Sénégal et de la Mauritanie qui aurait devait être construit dans la presqu’île du Cap Vert.

Première structure psychiatrique fédérale, la clinique neurologique de Dakar-Fann voit le jour dans la banlieue de Dakar, dans la future cité hospitalière de Fann. À l’automne 1956, elle accueille ses premiers patients « mentaux » en provenance de l’ambulance du Cap Manuel, destinée essentiellement aux populations locales qui avait jusqu’à cette date fonctionnée comme hôpital psychiatrique et lieu de soins pour soin des malades contagieux.
A quelques années des indépendances, les errances géographiques et surtout institutionnelles des personnes psychiquement atteintes connaissent un point d’arrêt. Celles-ci peuvent quitter un système essentiellement voué au seul maintien de l’ordre public pour accéder à un lieu de soin où prévaut le souci médical.