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07. Présentation et organisation de la justice coloniale

- Présentation du thème





Tableau de l’organisation judiciaire dans les colonies lors de l’Exposition universelle de 1900


La justice coloniale présente des traits originaux et variés qui la différencient de la justice métropolitaine. Si celle-ci reste le modèle de référence dans le cadre d’une politique d’assimilation, l'éloignement de la métropole, la pénurie de personnel judiciaire, la grande diversité des territoires et de leur peuplement - selon la présence plus ou moins importante de l'élément européen - comme la domination et l’exploitation qu’implique toute colonisation dessinent les contours d’une justice originale, placée sous le contrôle des gouverneurs, préservant tout en les contrôlant les tribunaux indigènes, s’efforçant d'établir des tribunaux à l’image de ceux de la France pour les colons, mais avec des juges peu nombreux, rendant souvent seuls la justice dans des tribunaux à vaste ressort. Cette justice, notamment en intervenant dans les rapports entre colons et indigènes, participe à l’oeuvre de colonisation et sera naturellement emportée quand les peuples colonisés deviendront indépendants dans les années 1960.
Il est difficile de dresser le tableau très coloré de toutes les institutions judiciaires de l’Empire colonial à son apogée, de la Belle Époque au premier 20e siècle. Périodiquement, cependant, les fonctionnaires du ministère des Colonies en font l’essai, notamment lors des expositions coloniales quand il faut présenter à l’opinion française l’oeuvre “civilisatrice” réalisée par la France dans les territoires outre-mer. Le document cité présente ainsi, à l’occasion de l’exposition universelle de 1900 à Paris, quelques extraits d’un tableau administratif, judiciaire et politique des colonies françaises réalisé par deux inspecteurs des colonies. Relatifs aux “principes généraux” de l’organisation judiciaire” , ils montrent la grande diversité de la justice coloniale, opposant les “anciennes colonies” aux plus récentes - distinction très visible au niveau de la justice criminelle et de l’organisation de l’appel. Ils soulignent, également, son intégration à la politique de colonisation et les difficultés de son exercice avec un personnel judiciaire dépendant des gouverneurs.


Le document

Titre II. Organisation judiciaire et législation coloniale.

Chapitre Ier. Organisation judiciaire.

Section 1re. Principes généraux


Avant d’aborder l'étude des modifications successives, apportées au cours du XIXe siècle à l’organisation judiciaire de nos établissements d’outre-mer, il convient de dégager les caractères généraux qui ont toujours distingué cette organisation des institutions en vigueur dans la métropole.
C’est d’abord, l’amovibilité des magistrats coloniaux. La garantie d’indépendance résultant pour les juges de l’impossibilité où se trouve le pouvoir politique de les déplacer ou de les révoquer a paru moins essentielle dans une organisation judiciaire qui comporte fréquemment l’extension de compétence des juges de paix, magistrats amovibles même en France, et l’intervention dans l’administration de fonctionnaires administratifs, soit en vertu de leurs attributions, soit par suite d’une délégation spéciale. Il a pourtant été question à diverses reprises d’accorder aux magistrats et aux justiciables des colonies, les garanties que seule peut leur donner l’inamovibilité de la magistrature assise.
D’autre part, tandis qu’en France la loi réglemente avec minutie le nombre des juges qui doivent prendre part au jugement des procès, nombre qui n’est jamais inférieur à trois, aux colonies les affaires sont souvent dévolues à des tribunaux composés d’un seul magistrat. En vue de donner satisfaction aux nécessités qui imposaient parfois l’installation d’un tribunal dans des centres éloignés alors que le nombre et l’importance des litiges ne justifiaient pas la présence d’un personnel aussi complet et aussi coûteux que celui d’un tribunal de première instance proprement dit, on a été en effet, amené à essayer deux systèmes, celui de l’unicité de juge en première instance, et celui de la justice de paix à compétence étendue...
Au point de vie de l’Administration de la justice criminelle, il y a lieu de remarquer que celle-ci, confiée au jury aux Antilles et à la Réunion, est dans la plupart des autres établissements entre les mains de conseils mixtes composés, d’une part, de magistrats et, d’autre part, d’assesseurs qui sont parfois des fonctionnaires, et, le plus souvent des notables européens ou indigènes.
Comme on pouvait s’y attendre, il s’est rencontré dans l’histoire judiciaire des colonies, des créations spontanées de juridictions, là où le pouvoir n’avait pas pris en temps utile les mesures nécessaires pour permettre aux justiciables le recours devant les tribunaux réguliers; on verra, en Océanie, un exemple de ce genre. On trouvera aussi en ce qui concerne les indigènes non seulement des tribunaux civils spéciaux, mais aussi, une juridiction administrative spéciale, à savoir la répression disciplinaire des infractions aux arrêtés du Gouverneur....
Il n’est pas inutile de rappeler qu’aux colonies, le chef du service judiciaire est, dans la plupart des cas, le magistrat le plus élevé du ministère public, et qu’il n’existe pas de premier président dans les cours coloniales. Le chef du service judiciaire participe, comme membre du conseil privé, à l’administration générale de la colonie, et ces fonctions cadrent mieux avec le caractère de la magistrature debout qu’avec celui de la magistrature assise...
Le gouverneur qui a le devoir et le pouvoir de tenir la main à l’exécution des décisions des tribunaux, ne prend aucune part à l’administration de la justice, sauf dans le cas où s’ajoute à ses fonctions de gouverneur celle de président d’un tribunal (Conseil d’appel). Il ne peut même pas enjoindre au ministère public d’exercer des poursuites, à moins qu’il ne s’agisse d’une action à intenter au nom et dans l’intérêt de l’Etat.
Ici, comme en toute autre matière, se retrouve la séparation des colonies en deux groupes : le premier, comprenant la Martinique, la Guadeloupe et la Réunion; le second, englobant toutes les autres possessions. Dans les anciennes colonies, l’organisation judiciaire est, à peu de choses près, celle de la métropole. Partout ailleurs, elle repose sur des bases variables d’une possession à une autre, et souvent étrangères aux principes qui sont en France, de l’essence même de la constitution des tribunaux. Il faut pourtant, dans cette seconde catégorie, faire une place à part aux colonies qui, comme la Guyane, l’Inde française, le Sénégal, l’Indo-Chine, la Nouvelle-Calédonie et Madagascar, possèdent une Cour d’appel.


Source : Arnaud (A.), Méray (H.), Inspecteurs des Colonies. Les colonies françaises. Organisation administrative, judiciaire, politique et financière, Paris, A. Challamel, 1900 [Exposition universelle de 1900, Publications de la Commission chargée de préparer la participation du Ministère des colonies] Extraits, p. 101-104.


Suggestion de plan

Une grande diversité, reflet de l’histoire de la colonisation
Les “anciennes colonies” et les autres
L’exemple de la justice criminelle : jury et “conseils mixtes”
L’exemple de l’appel : Cours d’appel et conseils d’appel
Une justice au service de la colonisation
Les pouvoirs du Gouverneur
La justice indigène
Justice administrative et répression disciplinaire
Le personnel judiciaire
Une magistrature amovible
Des tribunaux à juge unique
Le poids des fonctionnaires

Bibliographie

Durand (Bernard). Observer la justice coloniale sous la IIIe République, in Royer (Jean-Pierre) (dir.). La justice d’un siècle à l’autre, Paris, PUF, coll. Droit et justice, 2003, p. 55-81.
Durand (Bernard), Fabre (Martine) (dir.). Le juge et l’outre-mer. Les roches bleues de l’Empire colonial, Lille, Centre d’histoire judiciaire, 2004-2005, 2 vol., 306 et 479 p.
Durand (Bernard). Un dogme soumis "à la force des choses" : l’inamovibilité des magistrats Outre-Mer, Revue historique de droit français et étranger, 2004, vol. 82, n° 2, p. 241-262.
Durand (Bernard). Les magistrats coloniaux et les lotophages sous la Troisième République, in Deperchin (Annie), Derasse (Nicolas), Dubois (Bruno) (dir.). Figures de justice. Études en l’honneur de Jean-Pierre Royer, Lille, Centre d’histoire judiciaire, 2004, p. 41-62.