Instruction sur le Règlement général pour les Prisons départementales.
CHAPITRE IV. RÉGIME DISCIPLINAIRE ET DE POLICE.
J’arrive, Monsieur le préfet, à l’un des chapitres les plus importants du Règlement général; c’est celui qui traite de la police. Il détermine, dans ses cinq paragraphes, les obligations des diverses classes de détenus. Ces obligations tendent toutes, les unes directement, les autres d’une manière indirecte, d’abord, à faire régner l’ordre dans toutes les parties de la maison et à mettre obstacle à la corruption mutuelle des détenus; ensuite, à assurer la liberté morale du prévenu ; enfin, à soumettre le condamné à une discipline répressive sans inhumanité, ainsi que le veut la loi.
Chacun des paragraphes de ce chapitre m’a semblé exiger quelques explications.
§ 1er. -Règles communes aux diverses classes de détenus.
C’est la volonté expresse de la loi que les prévenus et les accusés soient entièrement séparés des condamnés. Lorsqu’il ne sera pas possible de leur affecter des locaux distincts, le Règlement particulier de la prison devra déterminer les heures du jour auxquelles les prisonniers de la même catégorie pourront se promener ensemble dans le même préau. Il doit être possible partout d’avoir des dortoirs et des ateliers séparés, les uns pour les prévenus et les autres pour les condamnés.
Après avoir rappelé la nécessité d’une séparation sérieuse et non interrompue, le Règlement s’explique sur les mesures d’ordre auxquelles les prévenus, comme les condamnés, devront être soumis. Ainsi, il veut que les uns comme les autres ne puissent communiquer qu’au parloir avec leurs parents et amis, a moins d’autorisation spéciale accordée par l’autorité supérieure (art. 92). Il défend aux visiteurs de boire et de manger avec les prisonniers ; c'était le seul moyen de mettre un terme à de véritables orgies. Il interdit l’entrée de la prison et du parloir aux repris de justice, à moins qu’ils n’aient à voir une personne de leur famille (art. 93). Il prescrit l’obéissance aux ordres du directeur et des gardiens, chargés de l’exécution des règlements (art. 95). Il exige que chaque prisonnier fasse son lit, et que chacun d’eux, à tour de rôle, fasse le service de propreté (art. 96). Il prononce l’interdiction de toutes sortes de jeux (art. 98). Il prohibe les chants et les cris, toute conversation à voix haute et toute réunion bruyante (art. 100) : j’ai déjà dit que la liberté de parler et d’agir constituait, dans les prisons, un état d’oppression pour le plus grand nombre. Gomme toute infraction doit être réprimée dans l’intérêt de l’ordre intérieur et de la protection de tous, le Règlement détermine les punitions qui seront infligées, suivant la gravité des infractions, le tout, ajoute le Règlement, sans préjudice de lu réparation pécuniaire des dégâts et dommages causés, s’il y a lieu (art. 101). Et j’entends parler ici, Monsieur le préfet, non seulement de la destruction volontaire d’objets mobiliers, mais de toute dégradation aux murs et autres parties de la prison, qui devraient être réparés aux frais du département, c’est-à-dire des contribuables, si les détenus n'étaient pas astreints à en payer le prix.
Toutes les prescriptions de ce paragraphe devront être observées par tous les prisonniers, quelle que soit leur position légale.
§ 2. - Règles particulières aux prévenus et aux accusés.
Toutes les communications et autres facilités compatibles avec le bon ordre d’une prison et la responsabilité des gardiens, devront être accordées aux prévenus et aux accusés (art. 102). Il eût été difficile de dire, dans le Règlement, en quoi devront consister ces facilités ; elles dépendront naturellement, sous la réserve des prescriptions restrictives du premier paragraphe, du caractère du détenu, de ses précédents, de ses mœurs connues, de la nature du crime ou du délit qui a motivé son arrestation, .de la moralité des personnes qui demanderont la permission de le voir, circonstances dont l’appréciation doit être laissée à l’autorité locale. J’ai juge utile de limiter à cinq francs la somme qu’un prévenu ou un accusé pourra avoir en sa possession : le surplus devra être déposé au greffe. Plusieurs considérations que vous apprécierez sans peine, sans que j’aie besoin de les développer, m’ont déterminé à prescrire cette mesure.
Dans ce paragraphe se trouve l’ordre de faire afficher dans la maison d’arrêt et dans la maison de justice, ou dans les quartiers de la prison qui ont cette destination, le tableau des avocats et des avoués de la localité. L’article 41 défend aux gardiens, sous peine de punition, et même de destitution en cas de récidive, d’influencer directement ou indirectement les prévenus et les accusés sur le choix de leurs défenseurs. Je vous recommande, Monsieur le préfet, de tenir la main à l’exécution de l’une et l’autre disposition ; elles importent à la dignité de mon administration et de la vôtre. Si j’en crois certaines révélations, les conseils donnés à ce sujet par les gardiens ne sont pas même toujours désintéressés, et alors ils se rendent coupables de concussion.
§ 3. - Règles particulières aux condamnés.
Si l’administration doit se montrer bienveillante pour les prévenus et les accusés, si elle doit leur adoucir la captivité autant que peuvent le permettre l’ordre et la conservation des bonnes mœurs, elle doit imposer aux condamnés des privations propres à leur faire sérieusement sentir leur position, et à produire au dehors une impression salutaire. Déjà, le Règlement leur a défendu l’usage de toute boisson fermentée et du tabac (art. 62) ; il leur a imposé l’obligation de revêtir le costume pénal de la maison (art. 65) ; il leur a interdit, quelle que soit leur fortune, l’habitation des chambres réservées et connues sous le nom de pistole. Il leur défend, de plus, d’avoir de l’argent en leur possession (art. 105); il n’accorde qu’aux plus proches parents du condamné et à son tuteur le droit de le visiter, à moins que le préfet ou le sous-préfet, pour des motifs qu’il leur appartient d’apprécier, ne jugent nécessaire de délivrer des permissions à d’autres personnes (art. 106); et il est déclaré et expliqué que, hors les cas prévus, aucune dérogation quelconque ne pourra être apportée à l’uniformité de la règle à laquelle les condamnés doivent être généralement et indistinctement soumis (art. 107). C’est la volonté de la loi que des hommes frappés de la même peine la subissent de la même manière.
Cependant, Monsieur le préfet, je comprends que, dans les prisons départementales, où s’accomplit l’emprisonnement correctionnel de six jours à un an, où sont retenus plus ou moins longtemps d’autres condamnés qui attendent leur transfèrement aux bagnes on aux maisons centrales ; je comprends, dis-je, qu’il puisse se présenter tel cas où des motifs, puisés dans de graves considérations de moralité, permettent d’user de quelque indulgence. Dans ces cas, vous pourriez me proposer d’adoucir la sévérité des prescriptions du Règlement, et m’indiquer, sur l’avis de la commission de surveillance, les modifications qu’il vous paraîtrait convenable d’admettre 1 .
§§ 4 et 5. - Règles particulières aux jeunes détenus.
J’ai peu de chose à dire ici au sujet des jeunes détenus arrêtés, ou déjà jugés par application des articles 66, 67 et 69 du Code pénal. Je me bornerai à vous rappeler celte recommandation de mon Instruction du 7 décembre 1840, qu’il faut entièrement séparer ces enfants des prisonniers adultes, sous peine de les voir exposés aux séductions les plus perverses, sous peine de voir leur avenir compromis. Veillez donc avec un soin particulier à ce qu’ils soient, dans les prisons départementales, l’objet d’une surveillance attentive, et à ce qu’ils ne puissent avoir aucune relation avec les autres détenus. Occupez-vous avec le même soin de l'éducation morale, religieuse et professionnelle des enfants des deux sexes, dont les frais sont imputables sur les ressources du budget départemental.
J’appelle aussi tout votre intérêt, toute votre sollicitude sur les enfants détenus par voie de correction paternelle; ceux-ci devront être soumis au régime cellulaire de jour et de nuit. Il ne doit y avoir rien de commun entre eux et les autres détenus (art. 112). Quoique, d’après le Code civil, les familles soient tenues de payer les dépenses de nourriture et d’entretien de ces enfants, il y sera pourvu, en cas d’indigence, sur le fonds des dépenses ordinaires de la maison. Je n’ai pas craint d’engager ma responsabilité sur ce point, afin de mettre à la disposition des familles pauvres un moyen de correction qui, employé avec ménagement, mais sans faiblesse, suffirait souvent pour ramener leurs enfants à des sentiments d’honneur, de décence et de probité. Vous verrez que le Règlement veut qu’il ne reste dans la prison aucune trace écrite de leur incarcération (art. 113); c’est une conséquence de l’article 378 du Code civil.
§ 6. - Règles particulières aux détenus pour dettes.
Comme c’est la première fois, Monsieur le préfet, que mon administration porte son attention particulière sur cette branche du service des prisons départementales, je dirai ici pourquoi il m’a semblé que les détenus pour dettes devaient, presque en tous points, être assimilés, sous le rapport de la discipline, aux prévenus, cependant sans qu’ils puissent jamais être confondus avec eux dans la maison d’arrêt où ils sont renfermés, à défaut de maisons spéciales, ainsi que le rappelle l’article 115 du Règlement.
Dans un intérêt d’ordre, le Règlement général défend au prévenu l’usage de l’eau-de-vie et des autres liqueurs spiritueuses : il ne peut même se procurer qu’une quantité déterminée de vin (art. 59). Quant aux aliments, il ne peut non plus en faire venir du dehors que dans les limites axées par le Règlement de la maison (art. 58). S’il lui est permis d’améliorer son coucher, cette faculté est encore soumise à des restrictions (art. 70). Cependant le prévenu jouit de tous ses droits de citoyen, et il a l’entière disposition de ses biens; mais un intérêt plus puissant que le sien commande de mettre des limites à ses dépen-ses, comme à ses relations avec sa famille. À quel titre le détenu pour dettes pourrait-il réclamer l’exercice de droits plus étendus ? Il n’y en a aucun de sérieux, Monsieur le préfet, aucun qui puisse satisfaire l’administration, dont le premier devoir est d’empêcher tout désordre, tout scandale dans les prisons. La tolérance de l’administration, dans certaines localités, est allée cependant jusqu'à ne mettre aucune limite aux dépenses de table de cette classe de détenus, et à leur permettre toutes sortes de jeux. Quelquefois même on m’a signalé d’autres désordres plus graves encore. Des considérations d’une haute moralité exigeaient, Monsieur le préfet, que les détenus pour dettes fussent soumis, comme les autres prisonniers, à des règles fixes et bien définies ; j’y ai pourvu, en ce qui me concerne, par plusieurs articles du Règlement général.
A l’avenir, des limites convenables seront mises à leurs dépenses de nourriture (art. 60) ; il en sera de même pour les effets de coucher (art. 73). Mais j’ai pensé que l’appréciation de ces restrictions, qui ne doivent être prises que dans un intérêt d’ordre, pouvait être laissée à la commission de surveillance et à votre décision. En conséquence, elles devront être déterminées par le Règlement particulier de chaque prison (art. 116). La disposition de l’article 19, qui défend au gardien-chef de recevoir les détenus dans son logement, doit s’entendre des détenus pour dettes comme des autres détenus. Le Règlement n’a pas voulu supposer qu’il fût nécessaire de faire les mêmes défenses à un directeur ; il a gardé le silence à son égard.
Ce que je viens de dire s’applique principalement aux débiteurs envers des particuliers ; mais les prisons départementales renferment aussi des débiteurs du trésor, par suite de condamnations pour crimes, délits ou contraventions. D’après un Avis du conseil d'État du 15 novembre 1832, ces débiteurs doivent subir la contrainte par corps dans la maison d’arrêt de l’arrondissement, ou dans la maison d’arrêt la plus voisine de la maison de force ou de la maison de correction dans laquelle a été subi l’emprisonnement pénal. La loi, sous ce rapport, ne fait aucune distinction entre eux et les débiteurs incarcérés pour des créances privées. Mais il est expliqué, dans l’article 84 du Règlement, que les détenus recommandés par l’administration de l’enregistrement, pour le recouvrement d’amendes et autres condamnations pécuniaires, sont soumis à la règle commune de la maison, pour ce qui concerne le régime alimentaire, en exécution des lois sur la matière. Le Règlement particulier déterminera également les règles disciplinaires auxquelles ils devront être soumis.
C’est ici le lieu de répondre à diverses réclamations qui m’ont été adressées par plusieurs préfets, au sujet de détenus en assez grand nombre, recommandés à la suite de condamnations pour délits forestiers ou de douanes, que mon administration n’a point à connaître de ces sortes de réclamations. Aux termes de l’Avis précité du conseil d’Etat, le droit de recommandation appartenant, sans partage, à l’administration des domaines, sous l’autorité de M. le ministre des finances, elle seule également peut faire cesser la contrainte par corps avant le terme fixé par la loi, mais sans qu’elle puisse y être astreinte par la remise de certificats d’indigence et d’insolvabilité. Elle ne doit se déterminer que par des considérations d’intérêt public et d’utilité générale qu’il lui appartient d’apprécier.
Notes
1. | Une circulaire du ministre de l’intérieur du 30 août 1806, porte : « Je suis informe que, dans quelques départements, l’autorité administrante a fait transférer des condamnes à l’emprisonnement correctionnel dans d’autres prisons que celles du chef-lieu de l’arrondissement, pour qu’ils fussent à portée do leur famille; qu’on a même permis que des condamnés sortissent do jour ou de nuit de la maison où ils étaient détenus. La loi et l’ordre public s’opposent à ces abus. Veuillez prendre des mesures pour qu’ils ne se commettent pas dans votre département » Signé : DE CHAMPAGNY. |