L’empoisonnement est aujourd’hui incriminé à l’art. 221-5 CP, qui le définit comme « le fait d'attenter à la vie d'autrui par l'emploi ou l'administration de substances de nature à entraîner la mort ». Le crime d’empoisonnement se distingue ainsi du meurtre par deux aspects. Premièrement, alors que le meurtre nécessite que la mort d’autrui soit effectivement survenue pour être consommé (atteinte à la vie), l’empoisonnement est constitué dès l’administration des substances mortelles, peu importe que le décès de la victime survienne ou non (attentat à la vie). Deuxièmement, à la différence du meurtre qui peut être commis par tous moyens, le crime d’empoisonnement repose seulement sur un comportement spécial consistant dans l’administration d’une substance mortelle.
Élément matériel |
Élément moral |
Répression |
L’élément matériel de l’empoisonnement repose sur le seul comportement, la survenance d’un résultat n’étant pas requise au titre de la constitution de l’infraction.
L’empoisonnement est avant tout une infraction de commission, qui nécessite la preuve d’un acte positif. Mais ici, à la différence du meurtre, l’acte positif exigé est précisément décrit par le législateur : il doit consister en un acte « d’emploi ou d’administration de substances de nature à entraîner la mort » |
L’empoisonnement est une infraction intentionnelle, dont l’élément coupable repose non seulement sur un dol général, mais aussi sur un dol spécial. Le dol général suppose la connaissance de la nature mortelle de la substance, et son administration volontaire. Il n'y a donc pas empoisonnement en cas d'ignorance du caractère mortifère d’une substance par ailleurs administrée volontairement. Ainsi, dans l’affaire du sang contaminé, la Cour de cassation a considéré que la preuve de la connaissance, par les médecins prescripteurs, du caractère nécessairement mortifère des lots du CNTS n'a pas été rapportée, au motif que des incertitudes régnaient à l'époque des faits dans les milieux médicaux quant au caractère mortel du virus du SIDA (Crim. 18 juin 2003). Mais le dol général ne suffit pas à caractériser l’élément moral de l’empoisonnement. Après bien des hésitations, la jurisprudence exige en effet désormais que l’intention de tuer, le dol spécial, soit également démontrée pour conclure à la constitution du crime d’empoisonnement.
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Peines et circonstances aggravantes Depuis l’entrée en vigueur du nouveau Code pénal, à l'état simple, l'empoisonnement est puni de trente ans de réclusion criminelle, soit la même peine principale que pour le meurtre simple. Au contraire, l'ancien Code pénal, dans son article 302, punissait l'empoisonneur de mort, tout comme le coupable d'assassinat ou de parricide. Après l'abolition de la peine capitale par la loi du 9 octobre 1981, et jusqu’en 1994, l’empoisonnement s’est trouvé réprimé par la réclusion criminelle à perpétuité. Bien que la peine encourue du chef d’empoisonnement soit aujourd’hui identique à celle prévue au titre du meurtre, la répression de l’empoisonnement conserve tout de même une spécificité par rapport à celle du meurtre simple : les deux premiers alinéas de l'article 132-23 du Code pénal relatif à la période de sûreté obligatoire sont applicables à tout empoisonnement, qu'il soit simple ou aggravé, alors que la période de sûreté n'intervient de plein droit que s’agissant du meurtre aggravé. Plusieurs circonstances aggravantes sont susceptibles de s'appliquer, portant la peine à la réclusion criminelle à perpétuité. Quant à la définition de ces circonstances aggravantes, l'art. 221-5 CP se contente de renvoyer aux dispositions relatives au meurtre.
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L’article 221-5 CP définit l'empoisonnement comme le fait « d’attenter à la vie d’autrui ». La référence ainsi faite à l’« attentat » plutôt qu’à l’« atteinte » nous indique qu’il s’agit d’une infraction formelle, réprimée indépendamment de son résultat éventuel. Bien que le comportement tende à produire un résultat, l’infraction est réputée consommée en l’absence de production de ce résultat. Le législateur incrimine donc en quelque sorte une tentative à titre principal. La notion d’attentat permet de considérer l’infraction d’empoisonnement consommée dès l’absorption de la substance, peu importe que la victime décède ou survive. Puisque ce n’est pas le décès de la victime mais l’absorption du poison qui consomme l’infraction, le commencement d’exécution constitutif de tentative intervient plus tôt sur l’iter criminis que s’agissant des infractions matérielles. C’est pourquoi, par exemple, la chambre criminelle de la Cour de cassation a pu considérer, dans un arrêt du 5 février 1958, que le fait de jeter du poison dans un puits, constitue une tentative d’empoisonnement, alors même que la victime ne boit pas l’eau du puits. |
En savoir plus
- Un acte d’emploi ou d’administration : l'article 221-5 du nouveau code pénal, exige que soit caractérisé un acte d’emploi ou d’administration. La généralité de ces termes permet d'appréhender tous les procédés imaginables d'emploi ou d'administration. Il pourra par exemple s'agir d'ingestion, d’inhalation, d’injection, ou encore de radiation.
- de substances : la notion de substances s’avère également très large, si bien qu’elle ouvre la voie à toutes sortes d’hypothèses. Par exemple, la substance visée par l'article 221-5 CP peut consister en un bacille ou un virus (Crim. 18 juill. 1952), ou encore en des radiations émises par des objets radioactifs déposés près de la victime.
- de nature à entraîner la mort : en exigeant que les substances employées ou administrées soient « de nature à entraîner la mort », le législateur n’impose pas que leur absorption conduise inévitablement à la mort, mais simplement qu’elles soient susceptibles de parvenir à ce résultat. Il faut donc inclure dans le champ de l’infraction toutes les substances dont l’absorption présente un danger pour la vie de l’individu. Tel sera le cas, non seulement de l'emploi d'une dose unique d'un produit dont l'efficacité est redoutable, mais aussi de l’administration de doses successives d'une substance dont l’emploi unique est insuffisant à provoquer la mort (Crim. 5 févr. 1958).
Pour un crime d’empoisonnement, faut-il l’intention de donner la mort, un long débat
La question s’est longtemps posée de savoir si le dol général suffit à caractériser l’élément moral du crime d’empoisonnement, ou s’il faut aussi rapporter la preuve d’un dol spécial, consistant dans l’intention de donner la mort. Selon une doctrine traditionnelle, en ce qu’il constitue un « attentat à la vie » (considéré classiquement comme une tentative de meurtre), l'empoisonnement implique nécessairement de son auteur l'intention de procurer la mort (Guyot, Garraud, Rassat, Mayer, Mazeaud). Une doctrine plus moderne, contemporaine du nouveau Code pénal, estime que l'article 221-5 n'implique pas la volonté de donner la mort de la victime, puisque la survenance de ce résultat est par définition indifférente (Pradel, Danti-Juan, Conte, Prothais). La chambre criminelle est quant à elle longtemps restée peu explicite à l’égard de l’exigence d’un dol spécial. Néanmoins, on déduisait de ses décisions l’exigence de la preuve d’un dol spécial consistant dans l’intention de donner la mort (Crim. 18 juill. 1952). La question a été tranchée de manière nette par la Haute Cour à l’occasion de l’affaire du sang contaminé. Dans cette affaire, des poursuites pour empoisonnement ont été engagées contre les responsables du CNTS pour avoir sciemment, et pour des raisons mercantiles, laissé sur le marché des lots de sang non chauffés et contaminés par le virus du SIDA. Ces manœuvres ont abouti à la contamination de plus d’un millier de personnes et au décès de la plupart d’entre elles. Le problème s’est posé alors de savoir si l’empoisonnement comporte comme dol spécial l’intention de tuer, ou s’il suffit d’établir que son auteur a conscience que les produits qu’il administre sont de nature à donner la mort. Dans un arrêt du 22 juin 1994, la chambre criminelle, tout en validant les procédures engagées du chef de tromperie sur la qualité de la marchandise, n’exclut pas que des condamnations puissent également être prononcées pour empoisonnement en retenant « que ce crime suppose une intention coupable essentiellement différente de celle du délit de tromperie dont avait été seul saisi le tribunal ». De nouvelles poursuites sont donc engagées à la suite de cet arrêt sous la qualification d’empoisonnement, contre les mêmes personnes déjà condamnées pour tromperie. Parallèlement, dans une autre affaire de contamination par le virus du SIDA, la chambre criminelle rend un arrêt le 2 juillet 1998 selon lequel : « l’empoisonnement exige une intention homicide que ne suffit pas à caractériser la seule connaissance du pouvoir mortel de la substance administrée ». Saisie de la qualification d’empoisonnement, dans l’affaire du sang contaminé, la chambre d’accusation conclut au non-lieu du fait de l’inexistence, en la personne des médecins, d’un dol spécial. Un pourvoi en cassation est alors formé par les victimes contre cet arrêt. Ce pourvoi aboutit à l’arrêt de la Chambre criminelle du 18 juin 2003 : « le crime d’empoisonnement ne peut être caractérisé que si l’auteur a agi avec l’intention de donner la mort, élément moral commun à l’empoisonnement et aux autres crimes d’atteintes volontaires à la vie de la personne ». Dès lors, il est certain que l’empoisonnement nécessite la preuve d’un dol spécial. La Cour de cassation a ainsi mis fin aux poursuites contre les protagonistes de l’affaire du sang contaminé.
La même solution attend vraisemblablement d’autres affaires catastrophiques comme celle de l'amiante et de l'hormone de croissance. Bien qu’elle soit souvent dénoncée comme injuste, cette solution s’explique par la structure même des infractions formelles de nature criminelle : c’est précisément parce que l’élément matériel de ces infractions aux très lourdes conséquences pénales est inconsistant, qu’il convient de renforcer les exigences relatives à l’élément moral. La position inverse conduirait à élargir démesurément le champ de l’incrimination, et rendrait par exemple possibles des poursuites exercées de ce chef contre un buraliste ou un industriel pollueur. Elle met donc en lumière l’inadaptation de la qualification d’empoisonnement aux formes modernes d’emploi ou d’administration de substances que l’on sait mortifères. Ainsi, comme nous l’évoquions à l’occasion de l’étude de l’élément matériel de l’infraction, pour les infractions formelles, l’exigence d’un résultat recherché, tend à pallier les inconvénients de l’indifférence au résultat survenu.
Affaire du sang contaminé Cour de cassation 16 juin 1994
Affaire du sang contaminé Cour de cassation 22 juin 1994
L’empoisonnement objet de correctionnalisations
Inadapté aux formes modernes d’administration de substances mortifères, l’empoisonnement fait parfois l’objet de correctionnalisations déguisées. C’est dans ce cas la qualification d’administration de substances nuisibles de l’art. 222-15 CP qui fait office d’infraction-relais. De telles correctionnalisations sont rendues possibles par la porosité de la frontière séparant l’empoisonnement de l’administration de substances nuisibles. Comment en effet distinguer clairement les « substances de nature à entraîner la mort » de l’art. 221-5, des substances nuisibles de l’art. 222-15 ? Selon la doctrine la plus autorisée, l’art. 222-15 CP viserait les produits de nature à provoquer un dommage corporel, à l'exclusion de ceux qui pourraient entraîner la mort lesquels relèveraient de la qualification d’empoisonnement (M. Véron). Ainsi formulée, la distinction paraît claire. Pourtant, un arrêt du 10 janvier 2006 a semé le trouble. La Cour de cassation y approuve en effet la condamnation du chef d’administration de substances nuisibles d’un individu qui avait volontairement transmis à sa partenaire le virus du SIDA. Pour expliquer pareille solution, D. Mayer fait valoir que les substances à risque mortel relèveraient de l’administration de substances nuisibles, tandis que les substances forcément mortelles relèveraient de l’empoisonnement. Or, à l'heure actuelle, la constance des progrès de la recherche dans le traitement du sida augure de réels espoirs de guérison des malades. On pourrait donc penser que la qualification de substance nuisible est finalement plus appropriée que celle de substance mortifère. Toutefois, comme le souligne A. Prothais, « une substance ne change pas de nature si un traitement, un vaccin ou un antidote vient à en atténuer ou supprimer les effets. Le venin du serpent demeure un poison même depuis que l'on a découvert le contrepoison. Le VIH demeure donc en soi une substance de nature à entraîner la mort et le demeurera lorsque l'on aura mis au point le vaccin ou le remède pour l'anéantir ». La qualification retenue d’administration de substances nuisibles semble ainsi bien moins appropriée que celle d’empoisonnement. Nous sommes donc en présence « d'une volonté manifeste de correctionnalisation par minoration délibérée d'un élément constitutif de l'infraction ».
Marie Besnard : Retrospective de l'affaire dans Cinq colonnes à la une