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Loos, de la Libération aux événements de 1974

Christian Carlier

 

Maison centrale de Loos. Réhabilitation de la nef
Maison centrale de Loos. Réhabilitation de la nef

En janvier 1946, lors de la réunion du Conseil supérieur de l’administration pénitentiaire (réorganisé par décret du 22 novembre 1944), Paul Amor avait déclaré : « La réforme pénitentiaire, plus que toute autre est nécessaire et urgente mais plus que toute autre aussi, elle s’avère difficile à réaliser. Elle doit s’appliquer à la fois aux méthodes, aux bâtiments et à l’équipement, au personnel et à l’organisation du travail […] Or, pourquoi se le dissimuler, la situation de nos prisons est défavorable. Dans ce domaine, notre pays est bien loin d’occuper une place seulement honorable parmi les nations. »
La situation se présentait comme suit en 1946 : 

  • 11 maisons centrales anciennes, pour beaucoup endommagées par faits de guerre (Caen, Loos, Nîmes, Poissy), toutes en commun, presque toutes sans aménagements sanitaires et surpeuplées ; 
  • 232 maisons d’arrêt dont 52 seulement cellulaires dans lesquelles vivait une population pénale trois fois trop nombreuse, dans l’oisiveté et la promiscuité, et avec des installations sanitaires pour le moins déficientes.

Le tout abritant 66 000 détenus au 1er janvier 1946, au lieu de 18 500 au 1er janvier 1939.
Le personnel comprenait 8 000 agents (au lieu de 2 700 en 1939).

Passé la Libération, la préoccupation immédiate des autorités pénitentiaires fut de réparer les dégâts provoqués par la guerre. à Loos, ils étaient considérables. Tous les bâtiments avaient été touchés peu ou prou, plutôt prou que peu, la maison centrale en particulier, l’une des deux avec celle de Caen a avoir été quasiment détruite. Le domaine de Loos va devenir pendant longtemps, car les crédits sont parcimonieux et distillés au compte-gouttes, un chantier, avec les effets positifs (occupation de détenus) et négatifs (insurmontables problèmes de sécurité) qu’une telle situation implique.
Ce contexte bâtisseur explique que la réforme Amor mit du temps à s’apprivoiser à Loos, sans compter que les établissements « réformés » ont été en priorité ceux situés dans les départements d’Alsace et d’une partie de la Lorraine confisqués par les Allemands. Cependant, Loos n’a pas été à l’écart de la réforme, tant au point de vue psychiatrique qu’en matière de traitement des relégués. Avant que la maison centrale devînt un établissement pour jeunes détenus, et l’un des fleurons, quoique tardif, de la grande réforme d’après-guerre.

La reconstruction de la maison centrale

Au sortir de la guerre, Loos dispose toujours de ses trois prisons : la maison centrale, inutilisable, la prison cellulaire pour les hommes et son annexe de Saint-Bernard pour les femmes. Est venu s’y ajouter un « centre pénitentiaire », installé au fort de Seclin1 .
Deux maisons centrales avaient été détruites ou gravement endommagées pendant la guerre, Caen et Loos. Les travaux commencèrent à Loos dès 1946. Fut construit un pavillon (servant de poste de garde et de logements pour le surveillant-chef et un surveillant) et aménagée l’aile gauche du bâtiment principal, qui fut découpée en cellules. L’étude de l’entière reconstruction de la maison centrale se poursuivait, l’aile droite devant devenir à son tour cellulaire2 . L’inspecteur général Petit, dans un rapport de 1950, signale qu’après la remise en service en 1949 du « quartier principal » de la maison d’arrêt d’Amiens, la reconstruction de Caen et Loos constituait la deuxième phase du programme de reconstruction.

En novembre 1951, cependant qu’à Seclin s’entassaient 292 condamnés, 90 % étant au travail, l’aile gauche de la maison centrale accueillait 293 condamnés (pour l’essentiel, outre les relégués, des criminels de guerre et des militaires allemands), dont 91 % étaient au travail ; la prison cellulaire détenait 270 prévenus et 119 condamnés (23 % des condamnés travaillaient, 1 % des prévenus) et l’annexe de Saint-Bernard 20 prévenues (16 travaillaient), 
81 condamnées (76 travaillaient).

Les travaux reprirent à la maison centrale fin 1952. L’aile droite, détruite sur la moitié de sa longueur dans le bombardement de 1944, devait être aménagée pour sa partie détruite en un bâtiment de 200 cellules, les travaux de couverture étant prévus pour fin 1953. à cette date, le gros œuvre n’était pas complètement achevé, l’aménagement intérieur venait de commencer. L’autre moitié venait d’être démolie (à l’exception de deux murs qui furent conservés) et la construction de cette seconde partie du dortoir cellulaire (200 cellules de plus) devait s’achever en 1954. Avait été prévu dans ce bâtiment un vaste sous-sol dans lequel pourraient être installés les services (cuisine, magasins, buanderie, lingerie, chaufferie centrale).
En 1954, la reconstruction de la seconde moitié de l’aile droite était en bonne voie : gros œuvre achevé, aménagements intérieurs en cours. Cependant, les travaux étant considérables, son ouverture avait été reportée à 1956. Avait commencé la reconstruction de l’aile centrale, qui devait comporter trois étages « pouvant constituer de vastes ateliers » et un sous-sol où était prévue une installation de douches.

En 1955, les aménagements intérieurs de l’aile droite, « entièrement reconstruite par la main d’œuvre pénale » au dire du directeur de l’administration pénitentiaire, étaient presque achevés. L’aile centrale avait été reconstruite, l’installation des égouts était en cours. Se posait le problème de l’eau, dont la pression était trop faible. La société concessionnaire de la distribution des eaux de la ville de Loos, qui alimentait les prisons, estima qu’il fallait poser une nouvelle conduite de 30 cm de diamètre qui aurait coûté plus de 10 millions à l’administration pénitentiaire. Fut alors décidé de construire un château d’eau de 45 mètres de hauteur, qui fut lui aussi exécuté entièrement par la main d’œuvre pénale. Il devait être mis en service à la fin de 19563 .
En 1956, l’installation des services généraux (cuisine, buanderie, etc.) dans le sous-sol de l’aile droite était presque terminée, ainsi que la transformation de l’aile nord : elle comportait en demi-sous-sol un petit quartier de punition, ainsi qu’une infirmerie, au rez-de-chaussée et au premier étage, orientée vers le sud, et à l’étage supérieur une chapelle. était entreprise la reconstruction de l’aile sud, qui devait comporter au sous-sol des magasins, au rez-de-chaussée les bureaux de la direction et un parloir pour la visite des familles des détenus, au premier étage des chambres pour les agents célibataires, au deuxième étage un mess pour le personnel, enfin au troisième étage une grande salle reliée au bâtiment de détention pouvant servir de salle de cinéma ou de spectacle. Un nouvel escalier avait été construit pour desservir les locaux de l’aile est, aile où les travaux devaient se continuer l’année suivante.
L’aile est fut achevée en décembre 1957, grâce en particulier à l’affection par le CNO de 33 détenus spécialement sélectionnés pour les travaux du bâtiment. La reconstruction de l’aile sud était en bonne voie, le bâtiment devait être mis en service en 1958.

Entre 1949 et 1960, les travaux à la maison centrale de Loos avaient coûté environ 3,5 millions de francs, plus que dans toute autre maison centrale.

L’application de la réforme Amor

La réforme Amor, reprenant en partie les idées des criminologues italiens (Lombroso, Ferri et Garofalo), pose comme principe essentiel que la prison, plutôt qu’un lieu de punition, doit devenir un lieu de traitement. Principe subsidiaire, au moins aussi essentiel : le « traitement » doit se faire prioritairement en « milieu ouvert » (les futurs comité « post-pénaux » puis de probation), la prison, réduite à une peau de chagrin, doit devenir une « infirmerie du crime », mieux encore elle doit se décliner sous la forme (inspirée du modèle médical) d’établissements spécialisés dotés, outre un personnel pénitentiaire mieux formé et plus diversifié, d’intervenants extérieurs adaptés au type de traitement spécifique à l’établissement. La réforme Amor s’inspire très largement de la réforme belge mise en branle par le ministre Émile Vandervelde aussitôt la première guerre mondiale. Toujours la Belgique, la voisine immédiate du département du Nord.

La réforme est tournée en priorité vers les établissements pour peine, là où le traitement peut être mis en œuvre. Or, la maison centrale de Loos, on vient de le voir, est en reconstruction. Mais Loos n’échappe pas complètement à la réforme, loin s’en faut. Après celle de Toulouse, inaugurée le 16 juin 1947, une annexe psychiatrique fut ouverte à la maison d’arrêt de Loos dès le 2 juillet 1947. 
3 000 prévenus furent ainsi détectés par 8 médecins de la région de Lille. Au début du mois d’avril 1950, y furent affectés 2 surveillants spécialisés par des stages dans un hôpital psychiatrique (Armentières). Les surveillants effectuaient un tri préalable : entre avril et septembre 1950, sur les 751 détenus choisis par le directeur parmi les arrivants, 92 furent sélectionnés par les deux surveillants pour être examinés par deux psychiatres, 34 d’entre eux firent l’objet de demandes d’expertises mentales auprès des parquets intéressés, lesquelles aboutirent à 13 internements et à 21 responsabilités atténuées. Les 58 autres examens permirent la délivrance de certificats aux intéressés concluant, soit à leur désintoxication, soit à leur placement dans des hospices par l’intermédiaire de l’assistante sociale4 .

La réforme Amor consiste, appliquée sur le terrain, principalement dans des opérations de tri. Le procès pénal a effectué un premier tri, mais il juge un fait criminel. Les « acteurs » de la réforme s’occupent des personnes a posteriori, encore que le père de la défense sociale Marc Ancel eût souhaité qu’après le premier tri, un deuxième intervînt dès le stade du procès. à défaut d’être transcrit dans un texte législatif, ce tri va se faire au sein même des prisons. D’une prison en particulier, le centre de triage de Fresnes (bientôt rebaptisé CNO), chargé d’affecter dans des établissements réformés adaptés les condamnés à une peine de plus d’un an après les avoir observés : le CNO est d’abord centre d’observation avant de procéder à l’orientation. Mais le tri s’effectue aussi au sein des établissements, où les détenus sont de nouveau observés avant d’être inclus dans une phase ou une autre d’un régime progressif (de plus en plus d’avantages et de « libertés » sont accordés aux détenus en fonction des « progrès » réalisés au sein de la prison dans leur façon de se conduire, en vertu aussi de l’augmentation des « gages » de réinsertion sociale qu’ils peuvent présenter).
La réforme Amor est inspirée des criminologues italiens, elle ne l’est pas moins de ce que les évangiles recèlent de foi dans la capacité de l’homme à s’amender. On va voir cependant qu’il y a à cette belle philosophie quelques limites. Concernant en particulier les relégués.

Les relégués

La relégation est une mesure consistant, depuis la loi « scélérate » du 27 mai 1885 (lire le texte sur criminocorpus), à l’envoi en Guyane des multirécidivistes ayant été condamnés (je simplifie) à au moins quatre condamnations à plus de trois mois d’emprisonnement5 . La mesure d’éloignement des relégués du territoire métropolitain avait été suspendue en 1942 (alors que la transportation des condamnés aux travaux forcés avait été interrompue dès 1938). Mais la loi subsistait, les relégués, en plus de leur peine principale, restaient emprisonnés pendant pas moins de trois années avant de pouvoir espérer une mesure de libération conditionnelle (la libération conditionnelle des adultes ayant été l’objet d’une loi en quelque sorte de compensation, inspirée par Bérenger, le 14 août 1885 : Lire le texte).

Les « mousquetaires » de la réforme Amor (Cannat, Pinatel, Gilquin et Ancel) décidèrent d’affecter les relégués dans des prisons particulières en vue de les trier. La maison centrale de Loos fut l’un de ces centres de triage avec les maisons d’arrêt de Rouen, Saint-Étienne et Besançon.
Depuis le 1er avril 1946, à Saint-Martin-de-Ré, cependant que 550 condamnés « politiques » des cours de justice étaient détenus à la caserne Toiras, 400 relégués subissaient, à la Citadelle, un régime progressif, 30 à 40 étant placés en chantiers extérieurs (une pétition des maires de l’île interrompit cette expérience en août 1947). Il était projeté dès 1940 d’aménager la Caserne et la Citadelle pour 700 relégués, compte tenu de leur nombre sans cesse croissant. Parmi ces relégués, le projet naquit de « choisir parmi eux les candidats à la vie libre donnant le maximum de chances de ne pas s’y noyer ». Loos fut choisi « non seulement parce que la maison centrale de Loos disposait d’un quartier cellulaire, mais en raison des possibilités d’embauche qu’offre son marché du travail, et de l’anonymat dont peut y jouir l’ex-détenu ». Le texte de base de la « réforme des relégués », si l’on peut dire, fut le règlement du garde des Sceaux du 10 mars 1948. Un régime de progressivité rapide échelonné sur un an et décomposé en trois phases fut instauré : 

  • isolement absolu (6 mois) ; 
  • sorties-promenades individuelles (3 mois) ; 
  • placement en semi-liberté.

A Loos, le premier contingent de 42 relégués venant de Saint-Martin-de-Ré arriva le 16 avril 1948, les premières libérations conditionnelles étant prévues pour le 1er avril 1949. Une aile de la prison venait d’être achevée : « Il fallait aussi que, dès l’arrivée, l’impression générale soit “le neuf”. Neuf donc était le costume différent du droguet pénal, neuve la cellule aux commodités et aménagements inconnus des habitués des prisons, neufs le cadre, l’attitude du personnel, le régime. »

Le principal obstacle résida dans la mise des relégués au travail. Il était plus difficile à l’administration d’organiser un travail effectué en cellules individuelles et suffisamment rémunérateur. Effectivement, les tâches manquaient d’attrait : filets de pêche, articles en fil de fer, montage d’épingles à linge. Les relégués se révélèrent cependant bons ouvriers dans l’ensemble. Le chômage sévit pendant l’été de 1948, en octobre, les pécules variaient entre 5 et 15 000 F.
Chaque relégué était visité en moyenne tous les deux jours par l’un ou l’autre fonctionnaire (sous-directeur, surveillant-chef, éducateur, assistante sociale) ; à ces visites s’ajoutaient celles du magistrat de la commission de classement (le président Vienne), des médecins, du psychotechnicien. Le premier contingent comprenait, on l’a dit, 42 relégués. âge moyen : 40 ans (28 à 61 ans). 7 seulement étaient issus d’une « famille normale », un quart étaient illettrés, 4 étaient des criminels, les 38 autres de petits voleurs. Ils avaient, jugeait l’inspecteur général Petit, « le niveau mental d’un enfant de 10 ans ». Les spécialistes étaient unanimes pour constater que « l’empreinte pénitentiaire » dont les sujet étaient marqués était quasiment indélébile et que les relégués n’étaient pas conscients d’être « insociables ».
En phase 2, les relégués pouvaient bénéficier de sorties-permissions de 3 heures. Ils devaient signer l’engagement de revenir à l’heure. « Ils ne sont pas dangereux. Ils ne commettent aucun méfait. Ils ne s’évadent même pas. Mais ces malades de la volonté se conduisent comme des “autres” », écrivait joliment l’inspecteur Petit, qui poursuivait : « Ils achètent des objets de demi-luxe, sans utilité pour eux. Ils se désintéressent du monde, ils restent “étrangers”. Pas un seul n’achètera un quotidien. Certains, trop habitués à ce qu’on pense pour eux, demanderont l’assistance d’un membre du personnel pour effectuer leurs achats. » Lors de la première sortie, tous étaient de retour à l’heure, à la deuxième, quelques-uns étaient en retard et dissimulaient difficilement leur état d’ivresse. Il ne fut cependant à déplorer, parmi la promotion des 42 pionniers, qu’une seule fugue. Sur les 42, 39 sujets furent placés en semi-liberté en janvier 1949. L’expérience trouva là ses limites : dès le mois de février, les retards furent sans nombre et la boisson exerçait une terrible emprise, il fallut procéder à pas moins de 14 révocations.

La deuxième expérience se déroula du 1er juillet au 31 décembre 1949. 70 relégués arrivèrent à la maison centrale : 29 de Saint-Martin-de-Ré, 20 des Hauts-Clos dans l’Aube, 16 de la maison centrale de Nîmes, 1 de la maison centrale d’Ensisheim, mais aussi 3 de la maison d’arrêt d’Arras et 1 de la maison d’arrêt de Loos. à leur égard, était intervenu le règlement du garde des Sceaux du 1er juillet 1949 : l’observation durait 2 mois en cellule, la semi-liberté pouvait être accordée après 3 mois de présence, la libération conditionnelle au bout du 4e mois. Parmi les 70, 19, qui n’avaient pas accompli leurs trois années de relégation, ne pouvaient pas bénéficier d’une libération conditionnelle et 13 autres furent « éliminés » comme « inaptes à l’état de liberté ». Sur les 51 restants, 44 furent placés en semi-liberté. Un nouveau contingent de 71 relégués était en place au 1er janvier 1950.

En 1950, l’inspecteur général Petit tirait les premiers enseignements de l’expérience de Loos. Au 1er août 1950, 14 du premier contingent étaient encore en libération conditionnelle, 25 du deuxième et 35 des 71 du troisième6 .

A partir de 1950, le centre de triage des relégués de Loos reçut deux « promotions » de 72 relégués par semestre7 . Les relégués devaient être cette fois dans les conditions de pouvoir obtenir une libération conditionnelle. Ils étaient observés (Loos était « centre d’observation et de triage ») et s’il était décidé qu’ils n’étaient pas « dignes » de bénéficier de cette mesure, ils étaient classés en trois catégories : asociaux, rééducables et antisociaux. Les « asociaux » étaient envoyés à la prison-asile Pélissier de Clermont-Ferrand et les « antisociaux » à la prison de Gannat. Vis-à-vis des antisociaux, s’achevait la marge de tolérance des réformateurs. Charles Germain, le successeur et disciple de Paul Amor à la tête de l’administration pénitentiaire, écrit dans le rapport de 1950 : « Il n’y aurait évidemment aucun inconvénient à reprendre la transportation pour cette catégorie de multirécidivistes, car on ne peut guère plus rien espérer de ceux-là », mais ni la Réunion, ni la Guadeloupe, ni la Guyane, ni la Martinique n’étaient prêtes à les recevoir.
Restaient donc à Loos les rééducables. Ils faisaient l’objet d’un traitement dit d’occupational therapy, sous la direction du médecin-chef de l’asile psychiatrique d’Armentières, le docteur Vullien.

En 1951, Loos reçut 144 relégués en deux contingents en mars et septembre. Depuis avril 1948, 319 relégués avaient été examinés, 178 avaient bénéficié d’une libération conditionnelle, mesure qui avait été révoquée dans 57 cas. Parmi les 141 restés en prison et les 57 révoqués, 15 avaient été jugés « rééducables » et placés dans un quartier spécial de la maison centrale de Loos et confiés au docteur Vullien.

Début 1952, un deuxième centre de triage d’une cinquantaine de places ouvrait à la maison d’arrêt de Rouen et un troisième était prévu pour 1953 à celle de Besançon. Charles Germain écrit dans le rapport annuel pour 1952 : « L’ensemble des résultats de Loos est suffisamment bon pour nous engager à persévérer. Mais le chômage qui commence à sévir dans la région lilloise fait que nous soyons de ce fait obligés de suspendre provisoirement tout nouvel envoi sur Loos. »8

Le 14 octobre 1952, Charles Germain faisait un exposé devant les membres de la Société internationale de criminologie sur « La classification des délinquants en France ». Il y dressait le bilan de l’expérience de Loos. Bilan catastrophique sur un point particulier : « Contrairement à ce qu’il était logiquement possible de penser, c’est pour la catégorie des rééducables que l’Administration a rencontré les plus grandes difficultés. Le médecin psychiatre du centre de triage de Loos, qui est en même temps médecin-chef d’un asile d’aliénés, avait estimé pouvoir les traiter dans un quartier spécial de la maison centrale de Loos, avec les méthodes qu’il utilise à l’égard de certains de ces autres désadaptés que sont les malades mentaux, en les soumettant plus spécialement au traitement dit de “occupational therapy” et qui consiste en fait à occuper les intéressés tout le long du jour pour qu’ils n’aient pratiquement plus le temps de penser à leur sort, c’est-à-dire en organisant des journées de longue durée très fournies en activités diverses. Ce système a fonctionné pendant plus d’un an mais n’a pas donné les résultats escomptés parce qu’il n’a pas été possible de créer parmi les internés l’atmosphère de détente indispensable à la réussite de ce traitement. La question va être reprise au début de 1953 sur de nouvelles bases et il est envisagé de stimuler le moral des intéressés par l’octroi de “tickets de liberté” en vue de la mise en libération conditionnelle. »

Le classement en trois groupes des relégués (antisociaux, asociaux et rééducables) et les méthodes du docteur Vullien avaient été très violemment critiqués par le docteur Giscard dans un article de la Revue Médicale de France intitulé « Le service médical et psychiatrique des prisons ». Giscard y parlait de « dictature psychiatrique »9 . Germain réagit, mais mollement, dans le rapport annuel de 1952  : « Il ne semble pas cependant que les artisans de l’expérience de Loos méritent ce reproche et soient atteints de “ l’horrible manie de la certitude”. Ils ont d’ailleurs admis dès le début qu’il ne fallait pas établir une étanchéité absolue d’un groupe à l’autre. »10

Dans le rapport annuel de 195411 , un bilan du centre de triage de Loos était à nouveau dressé, pour une période de sept ans. 516 relégués avaient été détenus à Loos, parmi lesquels 301 avaient bénéficié d’une libération conditionnelle. Sur ces 301, on comptait 133 rechutes et 7 décès. 101 étaient libérés depuis plus de cinq ans. Grosso modo, on comptait un quart de réinsertions, résultat « des plus encourageants » aux yeux du directeur de l’administration pénitentiaire. Deux prisons-asiles pour les « asociaux » avaient été ouvertes cette année-là : le centre Pierre Giscard à Clermont-Ferrand pour les urbains, le centre Pescayre à Saint-Sulpice-du-Tarn pour les ruraux, où les réussites étaient évaluées à 10 %. Enfin, à destination des irréductibles, les « antisociaux », à la prison de Gannat était venue s’ajouter celle de Lure (ouverte dans l’été 1954).

Pierre Cannat, directeur général adjoint de l’administration pénitentiaire et solide « fil rouge » de la réforme Amor, faisait le point sur « La rééducation des délinquants récidivistes en 1955 »12 . Il évoquait les essais de psychothérapie du docteur Vullien à Loos sous forme d’occupationnal therapy, y trouvait le « double mérite de l’originalité et de l’audace ». L’échec, selon Cannat, tenait au comportement des relégués eux-mêmes : 
« Chacun d’eux y a pris d’emblée ce qui améliorait matériellement son sort et n’a mis qu’en veilleuse sa rancune généralisée contre l’ordre social. On a vu renaître cette hargne dès que la progression des avantages a paru trop lente, ou plus simplement dès que les intéressés se sont fatigués les uns des autres. Un inconvénient majeur de la méthode tient en effet à ce que les assujettis doivent vivre en milieu clos. » Le docteur Vullien attribuait pour sa part la principale cause de l’échec à un choix défectueux des sujets : dans les deux années ayant suivi la fermeture du centre d’essai, Vullien examina 154 relégués, il n’en retint que 17 pouvant faire l’objet d’une nouvelle tentative, un trop faible nombre pour que l’expérience fût renouvelée : « Il est en effet admis à Loos que l’occupationnal therapy n’interviendra que comme ultimum remedium, à défaut d’un reclassement acquis par voie de libération conditionnelle. Or, sur les 17 relégués classés “rééducables” c’est-à-dire, pratiquement susceptibles de relever de l’occupationnal-therapy, 15 ont réussi à se noyer dans le milieu libre. » à titre de comparaison, le docteur Giscard menait auprès des asociaux de Clermont-Ferrand une expérience beaucoup plus prudente : pour leur donner confiance, il organisait des promenades en groupes de 5 ou 6, leur faisait pratiquer le sport, leur projetait des films, poussait l’audace jusqu’à les accompagner dans les cafés, mais à condition qu’ils ne boivent pas d’alcool13 .

Autre point sensible : la faiblesse du pourcentage des relégués ayant de véritables connaissances professionnelles (110 sur 432 examinés au Centre de Loos, d’avril 1948 à décembre 1952, soit 25 % environ), et un pourcentage de 10 % d’illettrés (contre 3 % à l’extérieur). Mais le bilan n’était pas négligeable : de 1949 à 1954, 126 récidivistes sur 280 relégués de Loos avaient été admis en libération conditionnelle. Vienne, vice-président du tribunal de Lille et président de commission de classement, s’était livré à sa petite enquête (qualitative) personnelle : parmi les 20 relégués « les mieux réinsérés », 15 étaient restés chez l’employeur de leur semi-liberté, 14 avaient progressé professionnellement, 19 s’en étaient sortis grâce à une femme. Le président Vienne était un subtil analyste de la nature humaine quand il notait, très pince-sans-rire : « La femme demeure le grand balancier de cet équilibriste inquiétant qu’est l’homme. » Il ressort de divers documents (rapports annuels, Revue pénitentiaireStatistique pénitentiaire, rapports d’inspection générale) que parmi les 432 relégués examinés à Loos d’avril 1948 à décembre 1952, 12 % étaient des enfants naturels, moins de la moitié étant issus d’un milieu familial « normal » (71 avaient été élevés par des parents alcooliques, 48 par des parents ayant commis sur eux des « actes d’immoralité »).
En 1959, le directeur de la maison centrale, Georges Divisia, dressait un nouveau bilan des activités du Centre d’observation de relégués de Loos14 . 764 relégués avaient été observés en 15 séries, 430 avaient bénéficié d’une libération conditionnelle, qui avait été révoquée pour 183 d’entre eux. Le taux de réussite, selon Divisia, était de 30 %. Parmi les 764 relégués, 33,5 % avaient fait l’objet d’une première condamnation avant l’âge de 18 ans, 38 % étaient alcooliques, 0,3 % toxicomanes. 89,6 % étaient des enfants légitimes, qui avaient été élevés dans 50,6 % des cas dans un milieu familial non dissocié, 28,3 % étaient orphelins de père ou de mère. 20,1 % des parents étaient alcooliques, 12,7 % « immoraux ». 12,8 % avaient été des enfants de l’Assistance publique, 14,9 % avaient connu un établissement de rééducation pour mineurs délinquants. 9,7 % étaient des illettrés complets, 9,6 % savaient lire, 55,7 % lire et écrire, 23,1 % avaient obtenu leur certificat d’études primaires, 2,2 % avaient un niveau supérieur. 17 % étaient des professionnels qualifiés, 32,3 % n’avaient pas de métier, 50,7 % étaient instables sur le plan professionnel. 48,9 % étaient célibataires, 9,5 % vivaient en concubinage durable, 12,2 % étaient mariés, 24,7 % divorcés et 4,6 % veufs. 35,2 % avaient des enfants. 20,5 % avaient été réformés du service militaire, 10,2 % avaient déserté, 58,5 % avaient accompli un service normal, 5,5 % étaient d’anciens légionnaires. Sur ces 764, 50 seulement avaient été considérés comme rééducables, mais parmi les 478 asociaux, 265 avaient bénéficié d’une libération conditionnelle et 126 étaient toujours en liberté.

Évolution des prisons de Loos (années 1950 et 60)
Au 1er janvier 1954, la maison centrale accueillait 260 hommes (contre 281 un an plus tôt) : 40 relégués, 10 condamnés aux travaux forcés à perpétuité, 129 aux travaux forcés à temps, 77 « longues peines », 3 « courtes peines » et 1 « divers ». La population moyenne avait été, en 1953, de 279 détenus : 241 étaient au travail, parmi lesquels 60 travaillaient à reconstruire la centrale, 96 pour des concessionnaires et 3 en travail extérieur concédé. En 1954, la population moyenne diminue (232), dix détenus supplémentaires travaillent à la reconstruction, ils sont 18 à travailler à l’extérieur, mais le chômage s’est installé dans l’établissement : seulement 23 détenus travaillent pour des concessionnaires.

La maison cellulaire végète. Quand en 1955 est lancé un grand « programme de modernisation des maisons d’arrêt », Loos ne figure pas parmi les 25 maisons d’arrêt (sur 163) retenues, alors qu’Amiens et Douai sont dans le lot. Le programme était ambitieux : organisation systématique d’un dépistage mental et d’un dépistage social qui s’ajoutaient aux examens anti-vénériens et anti-tuberculeux traditionnels, installation de la radiophonie (avec parfois un appareil de diffusion dans chaque cellule), institution de cours scolaires aux illettrés, de conférences et de séances de cinéma, création d’un terrain de sport où ont lieu des cours d’éducation physique et des parties de volley-ball ou de basket-ball, aménagement enfin d’un parloir où les interlocuteurs sont séparés par une table et non plus par un double grillage. « Pour qu’une maison d’arrêt bénéficie d’un tel régime, il faut qu’elle se prête à un emprisonnement individuel effectif, ce qui suppose non seulement qu’elle soit cellulaire, mais encore que tous ses détenus sans exception puissent être isolés chacun dans une cellule où ils seront chauffés en hiver et où ils auront toujours la faculté de travailler. » La maison d’arrêt de Loos, quoique cellulaire, ne répondait pas à ce type de critères.

1955 est l’année où s’ouvre un quatrième centre de triage de relégués à Saint-étienne. L’année surtout où est ouvert, le 1er juin, à Beaune, dans une maison d’arrêt cellulaire désaffectée depuis 1952, le premier « QHS » (en plein âge d’or de la réforme Amor), destiné « à recevoir les condamnés difficiles qui, en raison de leur agressivité, paraissent justiciables pendant un temps d’un régime de stricte discipline et qui ont été préalablement examinés au CNO […] auquel il appartient de vérifier qu’il ne s’agit pas de malades mentaux. Le nombre des intéressés doit toutefois demeurer peu élevé pour que leur réunion n’entraîne pas de trop grands risques », précise le directeur général Touren. à la maison d’arrêt de Loos, 1955 est marquée par de nouvelles installations de chauffage central qui doivent être mises en service au cours de l’hiver 1955-1956 avant la période des grands froids. Elle était jusque là dotée d’un chauffage central « à vapeur basse pression hors d’usage et qui ne fonctionnait plus ou très mal, de sorte que pendant l’hiver la température dans les cellules était très basse et difficilement supportable pour des hommes privés d’exercice ». Travail de titan, car la chaufferie ancienne n’étant plus utilisable, une nouvelle chaufferie doit être créée au sous-sol du bâtiment central, ce qui entraîne la disparition de la cuisine qui doit être réinstallée provisoirement dans un local exigu et peu adapté à cet usage. D’où un projet de nouvelle cuisine en même temps que celui d’une buanderie, inexistante jusque là dans l’établissement. Le rapport annuel pour 1955 spécifie : « Ces deux services trouveront place dans un bâtiment nouveau actuellement en cours de construction qui devrait pouvoir recevoir ses installations dans le courant de l’année 1956. »15

En 1955, l’effectif moyen de la maison centrale est de 192, dont 190 occupés (77 aux travaux de construction), la population chutant à 146 détenus le dernier jour de l’année. La maison d’arrêt en abrite 355 (dont 35 relégués), 384 un an plus tard (13 relégués, 8 condamnés aux travaux forcés et 44 à des longues peines en désencombrement de la centrale, 112 courtes peines, 193 prévenus, 8 dettiers et 6 divers).

1956 constitue un tournant : s’interrompt la baisse de la population pénale, constante depuis dix ans. Les événements d’Algérie ont à voir dans ce changement de perspective. Au ministère, se tiennent deux réunions importantes, où sont faits les bilans de dix années de réformes. L’une le 9 mars, où, autour du directeur Robert Lhez, magistrats, chefs d’établissement et psychiatres s’intéressent aux relégués. L’autre les 22 et 23 novembre, à laquelle sont conviés les directeurs des établissements à régime progressif : Caen, Melun, Ensisheim, Haguenau, Mulhouse et Toul, Doullens, Oermingen, écrouves et le CNO de Fresnes. Loos n’est pas comprise dans la liste, les travaux ne sont pas achevés.

Par contre, à la maison d’arrêt, le nouveau bâtiment où doivent être réinstallées la cuisine et la buanderie est terminé. Les aménagements intérieurs sont en cours. Le matériel de ces deux services est commandé et doit arriver incessamment. Un autre projet est à l’étude concernant la réutilisation de l’ancien quartier des femmes. Ce quartier, pourtant cellulaire, était inutilisé, les femmes continuant d’être logées à l’annexe dite de Saint-Bernard. Le projet consistait à l’agrandir pour doubler le nombre de ses cellules de façon à pouvoir appliquer le régime de l’isolement individuel et supprimer l’actuel quartier en commun des femmes de la prison Saint-Bernard. Les travaux commencèrent dès 1956.

En 1957, le directeur Lhez était très inquiet : les détenus nord-africains ne supportaient pas le cellulaire et posaient des problèmes sans fin de sécurité (la plupart des circulaires de cette année-là portent sur la sécurité des établissements). Les réformes nouvelles étaient suspendues, le risque existait que les « méthodes modernes qui ont placé notre pays à un rang particulièrement flatteur dans le domaine de la politique pénitentiaire » fussent suspendues. La population était passée de 20 000 à 23 000 détenus16 .
Afin de faire face à l’accroissement de la population pénale, et spécialement à l’augmentation du nombre des détenus nord-africains, l’administration dut reconsidérer entièrement l’utilisation traditionnellement donnée à ses établissements. Elle eut à gérer en particulier l’incarcération en métropole de 700 relégués ou condamnés aux travaux forcés pour crimes de droit commun provenant d’Algérie. Conséquence pour la maison centrale de Loos : l’application d’un système progressif comportant le concours d’un magistrat et d’éducateurs était suspendue. Il était prévu en effet que grâce aux nouveaux bâtiments serait institué un régime analogue dans ses principes à celui en vigueur dans les maisons centrales de Mulhouse, Ensisheim, Melun et Caen. Or, lorsque les nouveaux bâtiments furent mis en service, en décembre 1957, ils durent être immédiatement occupés par des condamnés qui ne firent l’objet d’aucune sélection préalable, et la réforme projetée ne put être réalisée à la maison d’arrêt, où les cellules avaient été triplées (l’effectif passe de 399 à 611 détenus), la nouvelle cuisine et la nouvelle buanderie furent mises en service à la fin de l’année 1957. Un atelier d’entretien du linge fut installé au voisinage de la buanderie, permettant la surveillance de l’ensemble par un seul agent. On envisageait l’installation des magasins à vivres au voisinage de la cuisine. La transformation et l’agrandissement de l’ancien quartier des femmes étaient en cours de réalisation. On avait renoncé à doubler la largeur du bâtiment. Profitant de la grande hauteur (4,50 m) du rez-de-chaussée et de l’étage, on avait décidé de diviser le bâtiment en trois plans, le nombre de cellules ainsi obtenu devant être suffisant pour pouvoir appliquer le régime de l’isolement individuel à toutes les détenues.

En 1958, la population pénale s’éleva, en France métropolitaine, de 23 000 à 28 000 détenus. On comptait 888 détenus nord-africains en 1955, 5 741 au 1er janvier 1958, 9 628 un an plus tard. En juin 1958, fut rouverte la maison centrale de Riom, qui fut immédiatement affectée à la détention des condamnés musulmans nord-africains, au même titre que la caserne Thoiras de la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré et... la maison centrale de Loos. Le rapport annuel de 1958 donne quelques détails supplémentaires : « à contrecœur, [l’administration] a dû renoncer à réaliser dans l’immédiat certains des projets qu’elle avait conçus, concernant notamment l’introduction d’un régime progressif de courte durée à la maison centrale de Loos », les Nord-africains occupant « la majeure partie de la maison centrale après la mise en service, en décembre 1958, de ses nouveaux bâtiments »17 .

A la fin de l’année 1957, était institué à la direction centrale de l’administration pénitentiaire un « bureau d’études et de documentation » qui devait publier en 1959 le premier numéro d’études pénitentiaires. Il y était longuement question de Loos. à la maison d’arrêt, en cette année 1959, le quartier des femmes était sur le point d’ouvrir : « Outre 30 cellules individuelles dotées d’un WC, d’un lavabo, d’un lit relevable et d’une table rabattable, d’un tabouret et d’un placard mural, [il comprend] 9 pièces plus grandes, dont les unes serviront de dortoirs de désencombrement et les autres seront affectées à des usages divers : office, buanderie, douches, etc. Une cour assez grande, attenante au bâtiment, sera aménagée pour la promenade des détenues. » Un nouveau bâtiment était à l’étude, dans le prolongement de la cuisine et de la buanderie, où seraient installés les magasins à vivres et les ateliers d’entretien (menuiserie et forge), « afin de regrouper, dans un espace limité autour d’une cour et auquel les camions venant de l’extérieur auront facilement accès, tous les services de l’établissement, actuellement dispersés »18 . à la maison centrale, les nouveaux locaux de l’aile sud avaient été mis en service à la fin de l’année 1958 : « Les bureaux de la direction ont été installés au rez-de-chaussée de ce bâtiment ; dans les étages, ont été aménagés une vingtaine de chambres pour les agents célibataires, le mess et une grande salle de cinéma pour les détenus, accessible seulement de la détention. » Une extension de l’enceinte était en cours, « sur l’emplacement d’un ancien bâtiment servant autrefois d’infirmerie et qui, menaçant ruine, a été démoli ». Ainsi disparut la merveilleuse église des moines, sur laquelle allait être aménagé le terrain de sports. Tout un symbole. Il était enfin prévu de construire un ou deux bâtiments offrant au total 15 à 20 logements pour le personnel de l’ensemble des prisons de Loos, mais ces constructions étaient conditionnées par la fixation définitive du tracé de l’autoroute ouest de Lille, qui devait passer près de la prison19 .
En 1958, l’effectif de la maison d’arrêt était de 575 hommes et 58 femmes, celui de la maison centrale de 286 détenus (dont 38 relégués) parmi lesquels 216 étaient au travail (dont 55 aux travaux du bâtiment).
Le 28 février 1959, le Code de procédure pénale remplaçait le Code d’instruction criminelle, il « légalisait » les principes d’une réforme menée jusque là de manière prétorienne. Le nouveau directeur de l’administration pénitentiaire, Pierre Orvain, prenait soin d’affirmer en introduction de son rapport annuel : « Le souci d’une humanisation toujours plus grande des conditions de détention, l’application de traitements adaptés aux condamnés et la recherche de leur reclassement social, sont demeurés pour l’administration pénitentiaire des principes irréversibles. » Il se réjouissait d’une chute des effectifs, de 28 386 à 26 795 détenus, les Nord-africains passant de 9 628 à 9 502.

47 % des détenus nord-africains étaient incarcérés dans des établissements de la direction régionale de Lille. Le rapport de l’inspecteur général Philibert contient de précieuses indications sur leur régime de détention : « à la maison centrale de Loos, six détenus, depuis mai 1959, enseignent le français et l’arabe, le calcul élémentaire et les leçons de choses, à 225 détenus environ qui les suivent régulièrement depuis fin juillet 1959. Les cours ont lieu, pour les détenus inoccupés, cinq jours par semaine et, pour les détenus classés, le samedi et le dimanche. Il y a chaque jour, trois tranches d’une heure et demie à deux heures d’enseignement ; chaque cours comprend deux classes de 25 élèves chacune. »20

1959 est pour l’historien de Saint-Bernard que je suis une année capitale : l’ancienne colonie Saint-Bernard, devenue après bien des péripéties, une annexe de la maison d’arrêt pour les femmes, ferme cette fois définitivement. Elle est presque immédiatement détruite, afin d’étendre et mettre au carré l’enceinte de la maison centrale et de permettre le passage de l’autoroute ouest de Lille, dont le tracé était définitivement établi. Le nouveau quartier des femmes est en service, « il est remarquablement propre et clair », et le grand bâtiment au rez-de-chaussée construit en prolongement de la cuisine et de la buanderie de l’établissement, pour y installer les magasins à vivres (y compris la préparation des ventes en cantine) et les ateliers d’entretien, menuiserie, serrurerie, électricité et dépôt de matériaux, a été inauguré. Des cabines de douches alimentées en eau chaude tous les jours de la semaine ont été aménagées dans chaque division et à chaque étage. L’administration étudie la remise en état des cellules des divisions, et notamment de leurs installations sanitaires, très dégradées. Projet qui devait être retardé de quelques années, faute de crédits suffisants. Il est vrai qu’au milieu de l’année 1959, les crédits étaient absorbés par le chantier de construction de la nouvelle maison d’arrêt de Valenciennes (Gillet et Charpentier architectes, Gillet allait être l’architecte de Fleury-Mérogis), la main d’œuvre pénale était occupée à en construire le mur d’enceinte.
à la maison centrale, dans l’aile est, étaient aménagés de grands ateliers. L’effectif de l’établissement tourne alors autour de 350 prisonniers, dont 27 relégués, il est de 450 à la maison d’arrêt, dont 47 % de Nord-Africains.

En 1960, cependant que la population pénale remontait de 28 386 à 28 677 détenus, dont 41,6 % dans la direction régionale de Lille, l’incarcération des Algériens appartenant à la catégorie A continuait de poser de nombreux problèmes à l’administration. Edmond Michelet, garde des Sceaux depuis le 8 janvier 1959, avait accordé par décret du 24 août 1960, suite à d’incessantes grèves de la faim des militants indépendantistes algériens incarcérés en particulier à Fresnes, à défaut d’un régime politique, d’immenses avantages aux prisonniers nord-africains, en dérogation des articles D. 90 à D. 96 du CPP : dispense du travail, possibilité pour le condamné de faire venir à ses frais du dehors des livres et des journaux d’actualité préalablement agréés, « et, dans toute la mesure du possible, la séparation des détentionnaires des détenus appartenant à d’autres catégories et leur placement en cellule ou chambre individuelle ». Cette dernière mesure était impossible à appliquer à Loos, aussi bien à la centrale qu’à la maison d’arrêt. D’où des grèves de la faim et des incidents en permanence. Malgré cela, à la maison centrale, « 15 Nord-africains ont assuré le fonctionnement des classes réservées à leurs 200 coreligionnaires (5 000 heures) »21 .
En 1960, la maison centrale accueille 340 détenus, dont 41 relégués, la maison d’arrêt 502 prisonniers, dont 27 femmes. Dans la direction régionale de Lille, le pourcentage de détenus nord-africains a baissé vertigineusement, il n’est plus que de 24 %.

Loos, prison pour jeunes détenus

L’arrivée du magistrat Robert Schmelck à la tête de l’administration pénitentiaire en 1961 coïncide avec l’élaboration d’un « Plan de rénovation de l’équipement pénitentiaire ». Le plan prend en compte les problèmes que suscite l’augmentation du nombre de jeunes délinquants en détention. Le 22 mai 1961, se réunit à Belgrade le VIe congrès international de défense sociale qui tente d’apporter une réponse à la question : « Dans quelle mesure se justifient des différences dans le statut légal et le traitement des mineurs, des jeunes adultes et des adultes délinquants ? » Y participent le sous-directeur de l’administration pénitentiaire Perdriau, qui a remplacé Pierre Cannat, ainsi que deux piliers de la réforme Amor, Jean Pinatel et Marc Ancel. Les trois hommes proposent un « Statut pour les jeunes adultes de moins de 25 ans ». Pendant ce temps, l’administration centrale réfléchit sur les moyens d’améliorer « les conditions de détention des mineurs de 21 ans »22 . Deux expériences vont être menées : aux prisons de Rouen, où un bâtiment de 55 cellules devient centre régional des jeunes détenus pour la Normandie et la région parisienne ; il offre des locaux scolaires et un terrain de sports et est animé par un éducateur ; à Fresnes, où le centre d’observation de l’éducation surveillée accueille les prévenus de moins de 18 ans et des majeurs pénaux de moins de 21 ans dans 150 cellules, sous la direction là aussi d’un éducateur.

Jean Malbec, le chef du bureau des constructions nouvelles, a déjà son idée, quant à la récupération de la maison centrale de Loos - où trois grands ateliers ont fini d’être aménagés dans la moitié sud de l’aile est - pour en faire un centre de jeunes détenus. Les Nord-africains émigrent, à partir du mois de novembre, pour le camp militaire de Thol dans l’Ain, ouvert le mois précédent. Un quartier pour jeunes détenus est ouvert provisoirement à la maison d’arrêt.

En 1962, un groupe de travail23  réfléchit à la chancellerie sur le traitement des jeunes détenus : « La promiscuité et l’oisiveté sont encore plus redoutables pour les jeunes détenus qui constituent une importante partie de l’effectif. à cet égard, la poussée démographique attendue dans les prochaines années ne manquera pas d’avoir les plus graves répercussions si l’administration pénitentiaire ne dispose pas des bâtiments et du personnel nécessaires […] Le rajeunissement de la population pénale est un fait constant. Plus de la moitié de l’effectif actuel n’atteint pas en moyenne l’âge de 30 ans […] En mars 1962, 2 567 détenus âgés de 18 à 21 ans étaient incarcérés dans les établissements pénitentiaires, 430 mineurs se trouvaient dans la même situation. Un tiers d’entre eux environ pouvait bénéficier d’une cellule individuelle, de cours scolaires, d’un enseignement professionnel ou d’un terrain de sport […] Les effectifs donnés ci-dessus constituent un minimum correspondant à la baisse de la natalité pendant les années de guerre, puisque les jeunes détenus qu’ils concernent sont nés de 1939 à 1945. Cette situation se maintiendra en 1962 et en 1963 pour s’accroître ensuite d’une manière très sensible […] En 1970, le nombre des garçons de 21 à 25 ans, condamnés, dépassera de 2 000 l’effectif de 1959. Le problème de leur détention va donc devenir rapidement angoissant. »

Une étude réalisée par la direction de l’éducation surveillée propose les projections suivantes : 3 854 jeunes de 18-25 ans incarcérés en 1961, 3 833 en 1962, 3 825 en 1963, 5 407 en 197024 . Le groupe de travail, s’appuyant sur ces chiffres, propose, pour les mineurs considérés comme majeurs dès lors qu’ils ont commis leurs méfaits passé l’âge de 18 ans, de les réunir dans des établissements spécifiques organisés autour de deux grands principes : 

  • traitement en groupes de 10 à 15 jeunes, 20 en cas de pénurie de personnel ; isolement nocturne, activités diurnes ; isolement d’un mois ; 
  • activités en permanence, tant scolaires, que professionnelles, éducatives et culturelles, et sportives.

Il s’agit de distinguer les prévenus et courtes peines (incarcérés à Fresnes, Rouen, à la prison désaffectée de Rambouillet et à la maison d’arrêt de Loos) des longues peines, qui pourront être affectés à la prison-école ouverte d’Oermingen, ou, « s’ils sont plus difficiles ou récidivistes », au quartier cellulaire d’Écrouves ainsi que dans « une maison centrale à régime progressif si leur peine est très longue ». Cette maison centrale, on l’aura déjà compris, va être celle de Loos.

En 1962, compte tenu d’une crise de recrutement particulièrement aiguë des éducateurs, l’administration décide de confier à des surveillants, « jugés particulièrement dignes », des fonctions d’éducateur adjoint. Des moniteurs techniques sont recrutés sur contrat pour les ateliers de formation professionnelle ainsi que des moniteurs sportifs sur contrat ou à la vacation, et des instituteurs sont détachés par l’éducation nationale. La maison centrale de Loos va bénéficier de l’apport de tous ces nouveaux agents. On y aménage en 1962 un nouveau terrain de sports avec piste d’athlétisme et gymnase à l’endroit où se trouvait la belle église des moines.

Cette même année 1962, sont libérés 5 451 détenus nord-africains (décret du 22 mars 1962, décret de grâces collectives du 27 mars, ordonnance du 14 avril), les libérations sont achevées le 18 mai. Mais ont été incarcérés la même année 1 688 « activistes », OAS pour la plupart.

A Loos, l’année 1962 marque un tournant capital. La maison centrale devient « prison-école fermée », à côté de la « prison-école ouverte » d’Oermingen et d’un petit quartier de jeunes condamnés de la maison centrale d’Ensisheim : « La libération des condamnés algériens d’obédience FLN ayant rendu disponible la maison centrale de Loos, qui comporte 340 cellules, cet établissement a été immédiatement retenu pour constituer la seconde prison-école. »

Entre 1962 et 1974, quand la maison centrale va être dévastée par une mutinerie, elle était organisée de la manière suivante : Les locaux. Le choix de l’administration s’était porté sur la maison centrale de Loos, parce que l’établissement était devenu cellulaire et qu’il comprenait de nombreux et vastes ateliers, ainsi que des espaces libres ou temporairement occupés par des constructions ruinées. De plus, sa position géographique le situait au centre d’une riche région industrielle et auprès d’une université. L’architecture de la nouvelle prison-école était cependant mal adaptée à sa destination. Ancienne abbaye, la maison centrale offrait en un seul tenant une grande nef cellulaire et des bâtiments à usage d’ateliers ou destinés à l’administration. Elle ne répondait donc pas aux normes du système pavillonnaire pratiqué à la prison-école ouverte d’Oermingen. La démolition des bâtiments en ruines fut alors entreprise. Deux pavillons, respectivement destinés aux phases d’amélioration et de semi-liberté, furent construits cependant, on l’a dit, qu’un terrain de sport puis une salle de gymnastique étaient aménagés.
Le régime. Le régime pénitentiaire mis en œuvre à Loos comprenait trois phases : 

  • une phase d’observation ; 
  • une phase suivie au sein d’un pavillon d’amélioration ; 
  • une phase de semi-liberté. L’effort de l’administration porta essentiellement sur « l’occupation » des jeunes condamnés : 
  • dix classes fonctionnaient dès 1962, depuis le cours préparatoire jusqu’à celui du BEPC ; 
  • du travail pénal était fourni à de nombreux détenus, malgré les difficultés rencontrées dans la recherche des confectionnaires ; 
  • enfin fut constituée une section de FPA (formation professionnelle des adultes). Les loisirs organisés et la pratique des sports complétaient ce régime.

Le fonctionnement. Pour assurer le bon fonctionnement d’un établissement de ce genre, il convenait de le doter d’un personnel qualifié et en nombre suffisant. Au 1er janvier 1963, les éducateurs étaient en nombre notoirement insuffisant. Quatre seulement étaient en fonction, ce qui, évidemment, rendait impossible la division par groupes pourtant recommandée pour cette catégorie de détenus. D’où le recours à des instituteurs détachés de l’éducation nationale, la prison-école étant dès lors reconnue comme centre scolaire.

Les premières années de la prison-école

La prison-école fermée de Loos commença à recevoir, dès le mois de juin 1962, des jeunes condamnés en provenance des maisons d’arrêt et de correction, et principalement de celles situées dans la région parisienne.

La maison centrale de Fontevrault était désaffectée le 1er juillet 1963. à Loos, au cours du second semestre de cette année-là, étaient construits trois pavillons de six logements. La maison centrale accueillait 303 jeunes condamnés, 300 étaient reconnus aptes au travail, mais 157 seulement étaient occupés. L’administration pénitentiaire se démenait pourtant. 
Sans beaucoup de résultats : « Les efforts activement poursuivis n’ont pas permis, jusqu’à la fin de l’année 1962, de trouver des confectionnaires en nombre suffisant pour occuper la totalité de la population pénale. »25

En 1963, Robert Schmelck dresse un terrible bilan : « Sur 181 établissements qui constituent à l’heure présente l’arsenal pénitentiaire, 60 seulement (46 maisons d’arrêt et 14 maisons centrales) pouvaient être classés dans la catégorie des établissements à conserver après rénovation ou agrandissement. C’est à dire que 121 prisons sont à considérer comme inutilisables. » Le directeur considérait que 67 établissements étaient à construire. Il ébauchait un programme pharaonique de reconstruction : 

  • la construction en métropole de 48 maisons d’arrêt et de correction, de 10 centres de jeunes détenus et de 9 maisons centrales ; 
  • « des travaux d’agrandissement et de modernisation dans 57 établissements dont la capacité sera portée à 13 500 places cellulaires environ ».

Il imaginait aussi, innovation capitale, que le régime progressif devait s’appliquer dorénavant non plus au sein du même établissement, mais d’un établissement à l’autre26 . Une réforme qui devait être celle de… 1975, quand furent créés les centres de détention par le garde des Sceaux Jean Lecanuet.

Cette même année 1963 marquait un grand tournant dans la politique suivie par l’administration pénitentiaire. Robert Schmelck restait cependant prudent : « La prise de conscience des buts sociaux de la peine, la profonde transformation des méthodes de détention qui en a été la conséquence ne vont pas sans quelque inconvénient pour la sécurité des établissements et l’obligation de garde qui continue d’incomber au premier chef à l’administration pénitentiaire. Elles accroissent incontestablement les risques. Ces risques inéluctables, il faut bien les admettre dans une certaine mesure. Mais dans une certaine mesure seulement. »27  Et de préconiser un « établissement particulier pour criminels particulièrement dangereux » : là encore, est annoncée la réforme Lecanuet qui devait mettre aussi en place les trop célèbres « QHS ». était envisagée encore la création d’une autre prison-école ainsi que des centres régionaux pour jeunes adultes prévenus ou courtes peines.

A Loos28 , les résultats étaient « particulièrement encourageants ». Pourtant, la prison-école recevait des jeunes condamnés presque tous récidivistes, posant, sur le plan individuel, des problèmes délicats. Le personnel de l’établissement s’était efforcé de créer avant tout une ambiance de confiance : « Il est encourageant de constater que les jeunes se montrent sensibles aux efforts qui ont été faits en leur faveur. » Beaucoup de problèmes restaient cependant à résoudre : construction d’un pavillon de confiance et de semi-liberté, du gymnase qui était resté en projet ; organisation de sections d’apprentissage, etc. Le plus grave était la pénurie d’éducateurs, « sans lesquels tout système rééducatif demeure en léthargie ».

La maison centrale accueillait, au 31 décembre 1963, 333 jeunes condamnés, 14 de moins de 18 ans, 166 de 18 à 21 ans, 105 de 21 à 25 ans et 48 de plus de 25 ans. Elle recevait aussi quelques condamnés adultes pour assurer certains services spécialisés : instructeurs, ouvriers professionnels du bâtiment, ouvriers spécialisés dans certains travaux (chaufferie, cuisines, entretien des cabines électriques, etc.).

Revenons sur le régime de l’établissement. Il était fondé, répétons-le, sur le régime cellulaire de nuit, les activités étant menées en commun dans la journée. La journée d’un jeune détenu comprenait 14 heures d’activité et s’organisait suivant le schéma suivant, le lever s’effectuant à 7 heures et la rentrée dans les cellules à 21 heures :

Jours de semaine (journées scolaires) : 

  • hygiène corporelle, entretien des cellules, repas, repos entre deux activités : 3 heures ; 
  • travail : 6 à 8 heures, suivant les emplois ; 
  • cours scolaires : 3 à 6 heures, suivant le niveau des cours ; 
  • promenades, sports : 1 à 2 heures. Le jeudi et le samedi soir (après 17 heures) : activités à caractère culturel ou distrayant, à la place des cours scolaires. Le dimanche : activités sportives, cinéma, théâtre.

La grande difficulté continua d’être celle du travail : « Les industries du Nord sont toutes très mécanisées. Il a donc été difficile de trouver des travaux répondant aux besoins d’une maison centrale de jeunes, c’est-à-dire des travaux à caractère manuel ou artisanal, présentant un aspect éducatif et suffisant pour occuper tous les détenus. » 48 jeunes détenus étaient employés sur les chantiers de bâtiment, 55 dans les services généraux, 125 dans des ateliers de travail pénal concédé, soit un total de 228. à partir du printemps 1964, fut organisé un atelier d’apprentissage de motoristes et de réparateurs d’automobiles, où étaient formés deux groupes de 12 apprentis.

7 classes fonctionnent régulièrement tous les soirs, entre 16 heures et 21 heures, sous la direction de 2 instituteurs détachés de l’éducation nationale, d’un professeur de lycée, des éducateurs et de 3 instructeurs détenus : 

  • 1 cours préparatoire ; 
  • 1 cours élémentaire ; 
  • 1 cours moyen ; 
  • 1 cours de préparation au CEP ; 
  • 1 classe de perfectionnement ; 
  • 1 classe de 4e (type : classe d’accueil) ; 
  • 1 classe de 3e (préparation au BEPC). De nombreux détenus étaient inscrits par ailleurs à des cours par correspondance.

Des moyens pédagogiques modernes étaient mis à disposition des enseignants par l’académie de Lille : télévision, radio, appareils de projection, électrophone. Les cours étaient suivis par environ 160 élèves sur 280 jeunes, soit 60 % de l’effectif. Aucune obligation de fréquentation scolaire n’était imposée.

En 1963, sept candidats sur dix furent reçus au CEP, sept sur sept au BEPC, un fut reçu à propédeutique et 1 autre à l’examen de technicien supérieur de comptabilité.
Les activités sportives étaient développées « en priorité et au maximum pour tenir compte des grands besoins de dépense d’énergie ressentis par ces adolescents détenus ». Elles étaient dirigées par 3 surveillants moniteurs et un détenu instructeur.

200 détenus, tous volontaires, pratiquaient les sports suivants : athlétisme, courses et cross, handball, basket-ball, volley-ball. Des matches avaient lieu périodiquement dans chacune de ces disciplines, chaque atelier constituant ses équipes. Des coupes étaient mises en compétition chaque trimestre. Quelques matches furent organisés avec des équipes de l’extérieur. Une pièce fut aménagée en salle de culturisme, une trentaine de détenus la fréquentaient avec assiduité. En octobre 1963, une session d’examen du brevet sportif populaire fut organisée par le commissariat à la Jeunesse et aux Sports. Les 35 détenus retenus obtinrent tous le brevet sportif.

Outre la bibliothèque, les détenus disposaient de la radio. Chaque cellule était équipée d’un haut-parleur relié à une cabine d’émission. Chaque jour, des émissions de radio étaient diffusées de 11 h 15 à 12 h 15, et de 21 à 22 heures (musique moderne, musique classique, théâtre, etc.). Une séance de cinéma avait lieu, en principe, tous les quinze jours, le dimanche après-midi. Dans le courant de l’été 1963, le Théâtre populaire des Flandres et plusieurs chorales régionales vinrent présenter gratuitement leurs programmes aux jeunes détenus. Existait aussi un cercle de lecture, un cercle de musique classique, un cercle de musique de jazz (disques achetés par cotisation des détenus), une activité « bricolage » (confection de petits objets d’art et de maquettes, peinture, sculpture sur bois, pyrogravure…), un cercle de jeux dits « intellectuels » (échecs, lexicon, mots croisés), un cercle d’électronique réservé par priorité aux détenus inscrits à des cours d’électricité par correspondance ; un cercle de détenus ayant un bon niveau scolaire et qui acceptaient, à titre bénévole, d’enregistrer sur bandes magnétiques des romans ou des cours destinés à des étudiants aveugles.
Fin 1963, commença la construction d’un bâtiment destiné au logement des détenus admis à la semi-liberté, comprenant 67 chambres, 2 grandes salles communes et les installations sanitaires nécessaires. Les travaux furent exécutés entièrement par une équipe de jeunes détenus. C’est également une équipe de jeunes adultes qui avait mis en état le grand terrain de sports, démoli l’ancien et très vétuste bâtiment disciplinaire, situé sur une partie de ce terrain.
Alors Loos prison-modèle, où les détenus bénéficiaient, pour l’époque, de locaux et d’un régime particulièrement remarquables ? Les événements de 1974 devaient démontrer que, même moderne, même bénéficiant d’un personnel diversifié, compétent et humain, une prison demeure une prison, toujours insupportable pour ceux qui s’y trouvent enfermés.

Notes

1.

Le centre pénitentiaire de Seclin fut désaffecté le 1er octobre 1953.

2.

Rapport annuel de l’administration pénitentiaire (RAAP ensuite), 1950, p. 15 et 20.

3.

RAAP, 1955, p. 71.

4.

Ibid., p. 88-90.

5.

Pour en savoir plus sur cette loi, voir l’article sur ce site de Jean-Lucien Sanchez, La relégation (loi du 28 mai 1885), 2005, URL :http://www.criminocorpus.cnrs.fr/ar...)

6.

Ibid., rapport Petit, p. 142.

7.

Ibid., p. 40.

8.

RAAP, 1952, p. 48.

9.

Revue Médicale de France, 1951, p. 471.

10.

RAAP, 1952, p. 155.

11.

RAAP, 1954, p. 50-51.

12.

Revue Pénitentiaire et de Droit Pénal, 7-9, juillet - septembre 1955.

13.

Revue Pénitentiaire et de Droit Pénal, 1953, p. 350 sq.

14.

RAAP, 1959, p. 229 sq.

15.

RAAP, 1955, p. 69-70.

16.

RAPP, 1958, p. 12-14.

17.

Ibid., p. 19. La maison centrale devait faire l’objet de plusieurs reportages sur le FLN à Loos.

18.

Études pénitentiaires, n° 1, p. 96.

19.

Ibid., p. 99.

20.

RAPP, 1959, p. 92-93.

21.

RAPP, 1960, p. 90.

22.

RAPP, 1961, p. 34.

23.

Groupe de travail comprenant des membres du cabinet du garde des Sceaux, le directeur de l’administration pénitentiaire, le directeur de l’éducation surveillée, des magistrats de l’administration pénitentiaire centrale, de la cour d’appel de Paris et du tribunal de la Seine, un aumônier et un directeur d’établissement.

24.

Étude numérique des classes d’âge de 18 à 25 ans sur la période de 1959 à 1970. Perspectives criminologiques, Melun, 1961, 171 p.

25.

RAAP, 1962, p. 233.

26.

RAAP, 1963, p. 9 sq.

27.

Ibid., p. 31.

28.

Ibid., p. 65-70.