Décret portant règlement d’administration publique pour l’application de la loi du 27 mai 1885 sur la relégation des récidivistes du 26 novembre 1885.
Le Président de la République française [...] décrète :
Titre premier.
- Article premier. La relégation est individuelle ou collective.
- Art. 2. La relégation individuelle consiste dans l’internement, en telle colonie ou possession française déterminée, des relégués admis à y résider en état de liberté, à la charge de se conformer aux mesures d’ordre et de surveillance qui seront prescrites en exécution de l’article premier de la loi du 27 mai 1885. Ces relégués sont soumis dans les colonies au régime du droit commun et aux juridictions ordinaires.
- Art. 3 : La relégation collective consiste dans l’internement, sur un territoire déterminé, des relégués qui n’ont pas été, soit avant, soit après leur envoi hors de France, reconnus aptes à bénéficier de la relégation individuelle.
- Art. 4 : La relégation individuelle sera subie dans les diverses colonies ou possessions françaises.
- Art. 5 : Les mêmes établissements et les mêmes circonscriptions territoriales ne doivent, en aucun cas, être affectés concurremment à la relégation collective et à la transportation.
- Art. 6 : Il est procédé pour l’admission au bénéfice de la relégation individuelle de la manière suivante :
- Art. 7 : La commission de classement est constituée par décret sur le rapport du Ministre de l’intérieur, après entente avec ses collègues de la justice et de la marine et des colonies.
- Art. 8 : En ce qui concerne les condamnés dont la peine a été subie dans une colonie, il est statué définitivement par décision du Ministre de la marine et des colonies, après avis du Gouverneur et du conseil de santé, sur les propositions d’une commission de classement nommée par le Gouverneur. Cette commission est composée : d’un magistrat, président, et de deux membres chargés de représenter, l’un la direction de l’intérieur, et l’autre les services pénitentiaires.
- Art. 9 : Lorsqu’un relégué, subissant la relégation collective se trouve dans les conditions énoncées dans l’article 2 du présent décret, il peut demander à être admis au bénéfice de la relégation individuelle. Cette demande est soumise au Ministre de la marine et des colonies qui statue définitivement. Cette décision est portée à la connaissance du Ministre de la justice et du Ministre de l’intérieur.
- Art. 10 : Le bénéfice de la relégation individuelle peut être retiré au relégué :
- Art. 11 : Avant le départ des relégués, le Ministre de l’intérieur peut, en cas d’urgence et à titre provisoire, les dispenser de la relégation, pour cause de maladie ou d’infirmité, sur le rapport du directeur de l'établissement ou de la circonscription pénitentiaire et après avis des médecins chargés du service de santé. La dispense, conférée à titre provisoire, ne peut durer plus d’une année. Elle ne peut être renouvelée qu’après avis de la commission de classement instituée par l’article 7. La dispense ne peut être accordée à titre définitif qu’après l’instruction spéciale prévue à l’article 6 sur avis conforme de la commission de classement.
Titre II. Mesures d’exécution en France.
- Art. 12 : Il est statué par le ministre de l’intérieur, après avis du Ministre de la justice, sur la situation des relégables avant qu’ils soient envoyés hors de France, notamment en ce qui concerne le placement dans les pénitenciers spéciaux créés en vertu de l’article 12 de la loi du 27 mai 1885.
- Art. 13 : Les individus condamnés à la relégation qui sont maintenus pendant tout ou partie de la durée des peines à subir avant leur envoi hors de France, dans les divers établissements pénitentiaires normalement destinés à l’exécution de ces peines, doivent être séparés des détenus non soumis à la relégation.
- Art. 14 : Les mesures d’ordre à prescrire dans les divers établissements pénitentiaires ordinaires pour préparer les condamnés à la relégation sont déterminés par décisions ministérielles.
- Art. 15 : Les relégables, qui subissent tout ou partie de leur peine dans les pénitenciers spéciaux créés en vertu de l’article 12 de la loi du 27 mai 1885, y sont préparés à la vie coloniale. Ils sont soumis au travail dans les ateliers ou chantiers organisés, autant que possible, en vue d’un apprentissage industriel et agricole.
- Art. 16 : La création et l’installation de chacun de ces établissements, l’affectation des emplacements, des bâtiments, des domaines et terrains nécessaires sont ordonnés par décrets, après avis du Conseil supérieur des prisons.
- Art. 17 : La répartition et le classement des relégables dans les pénitenciers sont effectués d’après leur conduite, leurs antécédents, leurs aptitudes et leur destination éventuelle.
- Art. 18 : Les relégables ayant accompli la durée des peines à subir avant la relégation peuvent être maintenus en dépôt dans les établissements pénitentiaires ou dans les pénitenciers spéciaux jusqu'à leur départ pour les lieux de la relégation, notamment pendant l’instruction sur les causes de dispense et pendant la durée des dispenses accordées à titre provisoire.
- Art 19 : Les relégables maintenus en dépôt sont astreints aux conditions de discipline et de travail arrêtées pour chaque établissement, mais avec les différences de régime que comporte leur situation comparée à celle des condamnés relégables en cours de peine.
- Art. 20 : Il sera organisé, comme pénitenciers spéciaux de relégation pour les femmes, des établissements ou quartiers distincts, dans lesquels la discipline, le régime et les travaux seront appropriés à leur situation, d’après les règles générales édictées au présent décret.
- Art. 21 : Les décrets et arrêtés réglementaires nécessaires à l’exécution des articles 14, 15, 19 et 20 ne seront rendus qu’après avis du Conseil supérieur des prisons.
- Art. 22 : Le transfèrement des relégables aux colonies avant l’expiration des peines à subir en France, conformément à l’article 12 de la loi du 27 mai 1885, est autorisé par le Ministre de l’intérieur, après avis du Ministre de la justice et du Ministre de la marine et des colonies.
- Art. 23 : Dans tous les cas où il y a lieu d’effectuer le transfèrement des relégables hors de France, les décisions dont ils ont été l’objet sont transmises au Ministre de la marine et des colonies.
- Art. 24 : Les décisions du Ministre de la marine et des colonies et du Ministre de l’intérieur sont notifiées aux condamnés. Ceux qui sont admis à la relégation individuelle reçoivent, en outre, notification des mesures d’ordre et de surveillance qui feront l’objet d’un règlement ultérieur, conformément à l’article premier de la loi du 27 mai 1885.
- Art. 25 : Les opérations et les époques d’embarquement des relégables sont arrêtées de concert entre les Ministres chargés de l’exécution de la loi.
- Art. 26 : Le Ministre de la marine et des colonies fournit tous les six mois au Ministre de l’intérieur, pour chacune des colonies ou possessions françaises, des renseignements et documents permettant d'établir les offres et les besoins de travail qui se produisent, ainsi que le nombre et les catégories de relégables qui peuvent trouver emploi dans les services, ateliers, exploitations ou chantiers, soit publics, soit particuliers.
Titre III. Mesures d’exécution aux colonies.
- Art. 27 : Après les embarquements et jusqu'à leur arrivée au lieu de relégation, les relégables sont maintenus en état de dépôt. Ils sont, en outre, soumis aux conditions d’ordre et de règles disciplinaires déterminées par le Ministre de la marine et des colonies.
- Art. 28 : À leur arrivée ou durant leur séjour dans la colonie, les femmes envoyées en relégation individuelle peuvent, soit sur leur demande, soit sur d’office, lorsque des moyens honorables d’existence leur font défaut, être placées dans des maisons d’assistance et de travail où il est pourvu à leurs besoins.
- Art. 30 : Les femmes qui ont été envoyées en relégation collective peuvent obtenir des facilités et avantages ci-dessus, lorsqu’elles justifient d’une bonne conduite et d’aptitudes suffisantes.
- Art. 31 : Il sera organisé, sur les territoires affectés à la relégation collective, des dépôts d’arrivée et de préparation où seront reçus et provisoirement maintenus les relégués à titre collectif.
- Art. 32 : Les relégués qui n’ont pas été admis à la relégation individuelle soit avant leur départ de France, soit pendant leur séjour dans les dépôts de préparation, sont envoyés dans des établissements de travail.
- Art. 33 : Sur autorisation du Gouverneur et sous les conditions fixées par lui dans les règlements transmis immédiatement au Ministre de la marine et des colonies et communiqués aux Ministres de la justice et de l’intérieur, des établissements, exploitations et domaines particuliers peuvent être assimilés aux établissements publics que mentionne le précédent article, pour fournir du travail et des moyens de subsistance aux condamnés soumis à la relégation collective.
- Art. 34 : Les relégués qui, sans avoir perdu le bénéfice de la relégation individuelle, en vertu de l’article 10 du présent décret, se trouvent dans l’impossibilité de pourvoir à leur subsistance, peuvent, sur leur demande, être temporairement employés par les soins de l’Administration dans les exploitations, ateliers ou chantiers.
- Art. 35 : Les relégués qui sont employés dans des établissements affectés à la relégation collective sont rémunérés en raison de leur travail, sous réserve d’une retenue à opérer pour la dispense occasionnée par chacun d’eux, notamment pour les frais d’entretien. Cette retenue ne peut excéder le tiers du produit de la rémunération.
- Art. 36 : Les relégués placés dans un de ces mêmes établissements peuvent recevoir du dehors des offres d’occupation et d’emploi et justifier d’engagements de travail ou de service pour être autorisés à quitter l'établissement.
- Art. 37 : Les peines de la réclusion et de l’emprisonnement prononcées contre les relégués pour crimes et délits, par quelque juridiction que ce soit, doivent être subies sans délai, à défaut de prisons proprement dites, dans des locaux fermés, spécialement destinés à cet effet, sans réunion ou au contact des condamnés, ni avec la population libre, ni avec les relégués non condamnés.
- Art. 38 : Les châtiments corporels sont et demeurent interdits à l'égard des relégués.
- Art. 39 : Les commissions de classement, instituées par les articles 7 et 8 du présent décret, sont appelées à donner leur avis avant qu’il soit statué sur la situation des relégués et sur les mesures qui les concernent, spécialement aux cas prévus par les articles 31 et 35.
- Art. 40 : Les relégués ont toujours le droit d’adresser leurs demandes et réclamations par plis fermés, soit aux autorités administratives ou judiciaires de la colonie où ils sont internés, soit aux ministres de la marine et des colonies et de la justice.
- Art. 41 : Les Ministres de la justice, de l’intérieur, de la marine et des colonies sont chargés, chacun en ce qui le concerne, de l’exécution du présent décret, qui sera inséré au Bulletin des lois, au Bulletin officiel de la marine et aux journaux officiels de la métropole et des colonies.
Fait à Paris, le 26 novembre 1885.
Par le président de la République : Jules Grévy. Le président du Conseil, Garde des sceaux, Ministre de la justice : Henri Brisson. Le Ministre de la marine et des colonies : Galiber. Le Ministre de l’intérieur : Allain-Targé.