Législation / Textes relatifs aux peines et aux prisons en France / De la Monarchie de Juillet à 1914 /

Circulaire du 24 avril 1840

Circulaire sur l’instruction primaire.

Monsieur le préfet, des écoles primaires sont maintenant organisées dans toutes les maisons centrales de force et de correction. Dans toutes également des instituteurs libres ont remplacé les détenus qui, dès l’origine, avaient été chargés de donner les leçons de lecture et d'écriture. C'était, en effet, une économie que réprouvaient les convenances et la raison. La dignité du maître est nécessaire à cette direction morale et religieuse qui doit, avant tout, être donnée à l’instruction même élémentaire.
Jusqu'à présent l’administration ne s’est occupée de l’instruction des condamnés que d’une manière accessoire, et seulement sous un point de vue d’utilité pratique, pour l'époque de la libération. Il convient qu’elle prenne désormais une place plus élevée et plus étendue dans le régime de nos prisons pour peine, et le gouvernement du roi est décidé à l’employer comme moyen de réforme morale. Il ne faut pas, tandis que l’Etat, les départements et les communes s’occupent avec tant de sollicitude de l'éducation de l’enfance et de la jeunesse dans nos écoles publiques, que ces graves intérêts soient négligés dans les grands établissements peuplés de ceux que la loi pénale laisse à la tutelle de l’administration.

Je me propose de tracer ici, Monsieur le préfet, les règles qui doivent présider à l’instruction primaire des condamnés.

D’abord, cet enseignement ne doit pas être donné à tous les détenus indistinctement. S’ils sont mineurs, le doute n’est pas permis ; ils doivent participer aux bienfaits de l’enseignement. Mais les adultes sont, à cet égard, dans une position différente. Il est vivement à désirer, il est même du plus grand intérêt pour la société que les enfants captifs reçoivent tous les éléments premiers de l’instruction intellectuelle ; car cette instruction peut toujours leur être profitable et devenir ainsi un gage de sécurité de plus pour la société à laquelle ils seront rendus. Il y a, au contraire, un choix judicieux à faire parmi les adultes. S’il peut être utile de donner l’enseignement élémentaire à ceux d’un âge peu avancé qui se conduisent d’une manière satisfaisante, et qui témoignent le désir de s’instruire, il faut le refuser aux condamnés qui, par leurs mœurs entièrement dépravées ou par leurs dispositions perverses ; se rendent indignes de toute bienveillance. Il faut, en un mot, que l’instruction primaire, dans les maisons centrales, soit le prix de la bonne conduite et de l’assiduité au travail.

C’est donc principalement à titre de récompense que les condamnés adultes doivent être admis à l'école. Mais il ne suffit pas que l’instruction soit littéraire, dans les limites de l’article 1er de la loi du 28 juin 1833 ; c’est encore la volonté expresse de cette loi que l’enseignement soit moral et religieux. Ne perdons pas de vue, d’ailleurs, que l’enseignement, dans les prisons pour peine, est une pure libéralité du gouvernement, et que, dès lors, les dépenses qu’il exige ne peuvent suffisamment se justifier qu’autant qu’il peut servir à l’amendement des condamnés.
Il suit de là que, pour donner à cet enseignement le caractère moral et religieux qui lui est nécessaire, le concours de l’aumônier est indispensable, quelque confiance que puisse inspirer l’instituteur, par son caractère et par ses mœurs.

Vous devrez donc, Monsieur le préfet, inviter directement l’aumônier à donner son attention particulière à l’instruction élémentaire. J’ai la confiance qu’il s’empressera de concourir de tous ses efforts à une œuvre dont il comprendra certainement toute la moralité, et qu’il voudra, dès lors, assister fréquemment, tous les jours même, s’il est possible, aux leçons de l’instituteur. Ce que je dis de l’aumônier catholique s’applique naturellement aux ministres des autres communions. Mais la mission de l’aumônier, je dirai même son devoir, ne doit pas se borner à une intervention muette ; il ne suffit pas qu’il veille, de concert avec l’instituteur, au maintien de l’ordre et de la décence. Pour donner à l’instruction des condamnés pouvoir sur la conscience, il faut encore que la voix de l’aumônier se fasse entendre ; que ses conseils et ses exhortations les appellent et les encouragent dans les voies de l’honnêteté ; que sa parole s’efforce de faire pénétrer dans leurs âmes tous les sentiments dont l’absence ou l’oublie les entraîna dans le sentier du crime. A cette condition seulement l’enseignement élémentaire, dans nos prisons, peut atteindre le but qu’il doit principalement se proposer.

La lecture de bons livres, soit en commun, soit isolément, est également de nature à améliorer les mœurs des détenus. Je mettrai à votre disposition ceux que vous me demanderez, d’accord avec l’aumônier, et après avoir pris l’avis du directeur. Les livres de piété, et, le premier de tous, l’Evangile, pourront être mis dans leurs mains.

Aux termes de l'article 1er de la loi du 28 juin 1833, l’enseignement primaire doit comprendre la lecture, l'écriture, les éléments de la langue française et du calcul, et le système légal des poids et mesures. Comme il s’agit ici principalement d’adultes, vous aurez à examiner s’il peut convenir de lui donner plus de développement, sous la réserve de mon autorisation.

Aucune méthode n’ayant été prescrite ou conseillée par l’administration centrale, l’enseignement mutuel a été adopté dans quelques maisons : dans d’autres, la préférence a été donnée à l’enseignement simultané. Vous maintiendrez la méthode en ce moment pratiquée dans la maison centrale de votre département, à moins que vous n’ayez des motifs pour m’en proposer la modification. Seulement, ce que je viens de dire sur la nécessité de proposer un but de correction morale, m’amène naturellement à vous faire remarquer qu’on n’opèrerait pas le bien qu’il est permis d’espérer, si l’enseignement purement intellectuel était donné avec trop de précipitation. Aussi, me paraîtrait-il utile d’employer la moitié du temps des classes aux instructions morales, toutes les fois qu’il serait possible à l’aumônier d’y assister.

Je n’ai pas besoin d’ajouter que le directeur et l’inspecteur devront, l’un ou l’autre, visiter l'école chaque jour pour y donner tous les ordres qu’ils pourront juger convenables.

En général, la durée des classes est de deux heures. Ce temps me paraît suffisant ; mais si l'école n'était pas assez vaste pour recevoir à la fois tous les élèves, il faudrait faire chaque jour deux classes, à des heures différentes. Je me plais à croire que l’entrepreneur du service, loin de mettre le moindre obstacle aux mesures que vous pourriez avoir à prescrire pour une meilleure organisation de l'école, s’empressera, au contraire, de seconder l’administration. S’il en était autrement, la disposition du cahier des charges que vous réserve expressément le droit de régler les heures de travail, vous donnerait le moyen de vaincre sa résistance.

Désormais l’instituteur sera, dans toutes les maisons, employé interne, et, à ce titre, il pourra obtenir une pension sous les conditions de l’Ordonnance royale du 8 septembre 1831. Il prendra rang dans l’administration de la maison après le greffier-comptable, et il concourra, avec celui-ci, pour l’avancement. Il devra employer aux fonctions actives de l’administration, ou au travail du greffe, sous les ordres du directeur, le temps que n’exigeront pas ses fonctions spéciales et les études préparatoires qu’elles demandent. Il pourrait, notamment, devenir l’auxiliaire le plus utile de l’inspecteur, pour surveiller l’exécution de l'Arrêté du 10 mai (accès à cet arrêté) dans ses dispositions morales ou disciplinaires.

A l’avenir, les instituteurs des maisons centrales ne pourront être choisis que parmi les candidats qui justifieront des conditions de capacité et de moralité exigées par la loi du 28 juin 1833 sur l’instruction primaire. La justification du baccalauréat es lettres pourra cependant tenir lieu de brevet de capacité. Mais il faut d’autres conditions encore pour exercer un juste ascendant sur les condamnés. Aussi mettrai-je tous mes soins à ne confier les fonctions d’instituteur qu'à des hommes bien élevés, d’un caractère honorable et profondément pénétrés de l’importance de leur mission. La perspective de l’avancement promis à leurs services dans l’enseignement, nous rendra facile, j’ose l’espérer, le choix d’instituteurs à la hauteur de leurs devoirs.

Jusqu'à présent, dans presque toutes les maisons qui renferment les deux sexes, l’instruction primaire a été donnée aux femmes comme aux hommes par l’instituteur. Des motifs de convenance sur lesquels il serait inutile d’insister, exigent que l’enseignement des femmes soit exclusivement confié à des institutrices. Si des femmes laïques ou des sœurs d’un ordre religieux ont déjà été appelées dans l'établissement, il est naturel qu’elles soient chargées de la tenue de l'école.

Il sera essentiel, Monsieur le préfet, que vous régliez sur la proposition du directeur, qui devra se concerter préalablement avec l’aumônier et l’instituteur, les heures et la durée des classes, ainsi que la police de l'établissement ; je me réserve d’approuver l’arrêté que vous aurez pris à cet effet. Comme je tiens à connaître les résultats des mesures que je viens de prescrire, vous demanderez au directeur, pour m'être transmis avec vos observations, des rapports trimestriels sur les mouvements de la population de l'école et sur les effets religieux et moraux qui auront été signalés par l’aumônier et l’instituteur, ou qu’il aura lui-même reconnus.

Quant aux dépenses de l'école, elles continueront à faire l’objet d’un article séparé au budget et au compte annuel des dépenses ordinaires de la maison centrale, et à figurer au chapitre premier du compte (frais d’administration). Un état particulier, qui devra m'être transmis dans le cours du mois de janvier, fera connaître :

  • 1° Les dépenses de toutes sortes faites pour l'école pendant l’année ;
  • 2° Le mouvement général des entrées et des sorties ;
  • 3° La situation numérique de l'école au 31 décembre.

A la suite et dans un tableau supplémentaire, on indiquera :

  • 1° Le nombre des condamnés sortis de l'école pendant l’année, après y avoir reçu l’instruction complète ;
  • 2° Ceux qui savaient lire et à qui on aura enseigné l'écriture et les autres parties de l’enseignement primaire ;
  • 3° Ceux qui auront appris à lire seulement ;
  • 4° Ceux qui auront été renvoyés de l'école pour inconduite, inaptitude ou inapplication ;
  • 5° Ceux qui en seront sortis pour toute autre cause avant d’avoir complété leur instruction.

Enfin un dernier tableau subdivisera la population totale de la maison :

  • 1° En condamnés sachant seulement lire ;
  • 2° En condamnés sachant lire et écrire ;
  • 3° En condamnés ayant appris à lire dans les maisons depuis que l'école existe ;
  • 4° En condamnés ayant appris à lire et à écrire depuis la même époque ;
  • 5° En condamnés ayant reçu une instruction supérieure ;
  • 6° En condamnés ne sachant ni lire ni écrire.

Je vous remets ci-joint, Monsieur le préfet, plusieurs exemplaires de la présente Instruction pour les besoins de l’administration de la maison centrale ; je vous prie de m’en accuser la réception. Deux de ces exemplaires sont destinés à l’aumônier et à l’instituteur.
Recevez, Monsieur le préfet, etc.

Le ministre secrétaire d’Etat de l’intérieur.

Ch. Rémusat.