Législation / Textes relatifs aux peines et aux prisons en France / De la Monarchie de Juillet à 1914 /

Circulaire du 22 mai 1841

Circulaire concernant le service des Sœurs dans les Maisons centrales


Monsieur le préfet, aux termes d’une décision ministérielle du 6 avril 1839, la surveillance des femmes condamnés et détenues dans les maisons centrales de force et de correction doit être exclusivement exercée par des personnes de leur sexe. Cette mesure si morale a trouvé sa place dans le projet de loi sur l’administration générale des prisons présenté à la chambre des députés et il n’est point douteux qu’elle ne reçoive la sanction du législateur. L’administration a pensé que l’un des moyens les plus efficaces pour hâter l’exécution de cette heureuse innovation serait de rechercher le concours des sœurs de charité. Cette institution, si précieuse pour nos établissements de bienfaisance, ne paraissait pas devoir être moins utile à nos établissements de répression, en offrant à la discipline ses deux plus grandes garanties, l’empire de la vocation et l’autorité de l’exemple.
C’est dans ce but que MM. les inspecteurs généraux des prisons du royaume reçurent, il y a deux ans, des instructions particulières qui le invitaient à s’informer, dans le cours de leurs tournées, si des sœurs d’un ordre religieux ne consentiraient pas à se charger du service de la surveillance des femmes condamnées, et à quelles conditions.
Plusieurs ordres religieux ont offert leur concours, et, en vertu de traités approuvés par mes prédécesseurs et par moi-même, des sœurs ont successivement remplacé les gardiens dans nos quatre maisons centrales de force et de correction exclusivement consacrées aux femmes condamnées, ainsi que dans plusieurs des quartiers spéciaux que les femmes occupent séparément dans les maisons centrales affectées aux condamnées des deux sexes. Dans ces divers, traités, l’administration s’est attachée à concilier les égards que méritent les sœurs par leur caractère, avec les nécessités de la position que leur faisait l’autorité administrative dont elles devaient relever pour leur service. Toutefois, en prescrivant, dans tous les traités, que les sœurs seraient tenues de se conformer aux dispositions des règlements existants sur le service des gardiens qu’elles venaient remplacer, on ne pouvait méconnaître la nécessité d’apporter des modifications à ces règlements. Il fut donc stipulé qu’un règlement spécial contiendrait ces modifications et déterminerait les attributions des sœurs.
Avant de tracer ce règlement, il importait de laisser aux sœurs le temps de s’initier à l’intelligence et aux exigences de la discipline intérieure de nos prisons pour peines, et de se mettre à la fois en rapport avec les choses et avec les personnes, afin de permettre à l’administration d’apprécier quelles pouvaient être l'étendue et l’utilité de leur concours.
Aujourd’hui, l’expérience a parlé, et j’ai été heureux d’en invoquer le témoignage, Monsieur le préfet, en vous exprimant, dans ma circulaire du 14 avril dernier, avec quelle satisfaction j’avais vu qu’aucune collision ne s'était élevée, et que désormais la réforme des prisons devait trouver, dans la piété et le dévouement des sœurs, une puissante coopération.
Le moment est donc venu d’utiliser les conseils, et, pour ainsi dire, de sanctionner les résultats de l’expérience, en conférant définitivement aux sœurs les attributions qu’elles ont mérité de conserver par la manière dont elles ont généralement su les comprendre et les remplir.
Tel est l’objet, Monsieur le préfet, du Règlement ci-joint, dont je vais brièvement indiquer les motifs et retracer l’esprit.
Après avoir indiqué, dans les trois premiers articles, les attributions des sœurs, relatives à la surveillance intérieure qu’elles exercent à la place des gardiens, le Règlement, dans l’article 4, commence la série des nouvelles attributions qui leur sont conférées. Il est important qu’on ne méprenne pas sur cet article. En principe, les sœurs n’ont jamais à contrôler les services de l’entreprise. Ce contrôle n’appartient qu'à l’administration, et les sœurs ne sont point appelées à remplir des fonctions administratives ; mais l’inspecteur, plus spécialement chargé de veiller à l’exécution du cahier des charges, devra trouver naturellement dans la surveillance des sœurs sur les services de la cuisine, de la buanderie, du séchoir et de la lingerie, un concours dont il s’estimera heureux de recueillir et d’utiliser les indications.
L’article 5 charge les sœurs du service de l’infirmerie, sous la surveillance du médecin et sous le contrôle du pharmacien, s’il y en a un qui soit attaché à l'établissement.
Après avoir ainsi tracé les attributions des sœurs pour l’assistance à donner aux condamnées, les articles suivants déterminent ce qu’on peut appeler l’assistance spirituelle, d’abord en les chargeant de l’enseignement élémentaire et de la tenue de l'école, des récompenses à y décerner et des punitions à y infliger ; ensuite, en les appelant à concourir avec l’aumônier à l’instruction morale et religieuse des condamnées, et à diriger leurs exercices de piété, tels qu’ils auront été réglés de concert avec l’administration qui connaît toutes les exigences des divers services, et qui est seul appelée à déterminer et répartir l’emploi du temps des condamnées.
Il résulte de l’ensemble des articles que je viens d’indiquer, une série d’attributions nouvelles qui, en dehors du service intérieur de surveillance proprement dit, ouvrent aux sœurs une belle et pieuse mission, celle d’assister à la fois le corpus et l'âme : l’un par les soins à donner aux malades, l’autre par l’enseignement élémentaire, moral et religieux, et surtout par l’autorité du plus puissant de tous les préceptes, celui de l’exemple.
L’article 9 autorise les sœurs à envoyer immédiatement au cachot les condamnées qui se sont mises dans le cas d’encourir cette punition, sauf à rendre compte dans le jour à la sœur supérieure. Cette attribution avait, d’abord, éveillé les scrupules de quelques sœurs qui pensaient que les devoirs de la répression pouvaient quelquefois contrarier ceux de la charité. Mais la réflexion et l’expérience les ont promptement convaincues que la charité la plus efficace à exercer envers les condamner, c'était de travailler, par l’austérité de la discipline, à leur imprimer la crainte salutaire du châtiment. Elles ont compris qu'épargner aux condamnées des punitions justes et nécessaires, ce serait souvent les exposer, par une funeste indulgence, à encourir plus tard de nouvelles condamnations judiciaires et les abandonner aux périls de la récidive. Aussi, aux premiers élans d’une pitié irréfléchie, a-t-on vu succéder une charité mieux inspirée, qui n’a fait qu’ajouter à l’ascendant des sœurs, qui sont aujourd’hui généralement convaincues que les punitions méritées sont dans l’intérêt, non seulement de la discipline intérieure, mais de l’amendement des femmes confiées à leur surveillance. Cet ascendant est tel que la mise au cachot n’exige plus, que dans des cas très rares, l’emploi de la force : la voix seule de la sœur qui ordonne la punition suffit pour commander l’obéissance et la résignation.
L’article 10, relatif aux absences de la maison, étend naturellement aux sœurs une disposition à laquelle tous les employés de l'établissement doivent être soumis.
Les dispositions suivantes concernent plus spécialement les attributions de la supérieure.
L’article 11, en exigeant que la supérieur ou une sœur déléguée par elle assiste à l’arrivée et la remise des condamnées, doit faire sentir à la supérieure combien il est important de voir et d’entretenir la condamnée dès le moment de son entrée à la maison, afin de savoir ses précédents, et d’y puiser immédiatement les conseils qu’il convient de lui donner.
En regard de ce moment si important de l’entrée à la prison, l’article 12 vient placer l'époque non moins importante et plus critique de la sortie. Cet article est un jalon qui prépare l’organisation du patronage appliqué aux femmes condamnées. C’est un bienfait de plus que l’introduction des sœurs dans les maisons centrales de femmes doit permettre de réaliser un jour.
Les articles 13, 14, 15 règlent les rapports habituels et journaliers de la sœur supérieure avec le directeur.
Si l’intérêt de l’ordre et de la discipline exige que le pouvoir de l’administration soit toujours reconnu et respecté, il n’importe pas moins que l’autorité que la supérieure doit exercer sur les sœurs conserve toute sa légitime et salutaire influence. C’est dans ce but que la supérieure est appelée à répartir entre les sœurs les différents services (art ; 16), sauf l’approbation du directeur, qui devra prendre l’avis de l’inspecteur. C’est dans ce but encore que l’article 17 statue que les rapports de l’administration avec les sœurs doivent avoir lieu par l’intermédiaire de la supérieure, et que, sauf le cas d’urgence, c’est à elle que les ordres doivent être donnés, et par elle qu’ils doivent être transmis aux sœurs. C’est dans ce but enfin que, pour des causes peu graves, le directeur fait avertir, quand il y a lieu, les sœurs par la mère supérieure (art. 19).
Les deux articles 21 et 22 ne sont que la reproduction textuelle des dispositions stipulées dans les différents traités qui ont été successivement passés avec les soeurs des divers ordres religieux introduits jusqu’ici dans les maisons centrales ou quartiers de maisons centrales de force et de correction, affectées aux femmes condamnées. Ces dispositions témoignent de la manière dont on a su, dès le principe, concilier l’exécution des règlements, l’autorité de l’administration et les besoins du service, avec la liberté que les sœurs devaient avoir de vivre selon l’esprit de leur institut, et sous la conduite et la dépendance de leurs supérieurs généraux.

J’ai terminé, Monsieur le préfet, les instructions que j’avais à vous donner sur le Règlement des sœurs. S’il a été rédigé dans la supposition du concours de sœurs appartenant à des congrégations religieuses, je n’ai pas eu, cependant, la pensée de repousser les services des dames laïques qui voudraient se dévouer à l'œuvre de la réforme des prisons, par esprit de religion et de charité.
L’article 23 du Règlement déclare, en conséquence, que les attributions de ces dames seraient absolument les mêmes que celles des sœurs.

Vous recevrez, Monsieur le préfet, un nombre suffisant d’exemplaires du Règlement et de la présente Instruction, pour que vous puissiez en faire remettre un à chaque sœur. Afin de leur donner une connaissance plus compète encore de leurs devoirs et de leur position dans la maison, j’ai fait imprimer, à la suite du Règlement qui les concerne, un extrait du Règlement du 5 octobre 1831, en ce qui concerne les attributions du directeur et celles de l’inspecteur, et un autre extrait du règlement du 30 avril 1822, sur le service des gardiens. J’y ai joint également l’Arrêté disciplinaire du 10 mai 1839 et l’Instruction qui l’accompagne.
Recevez, Monsieur le préfet, etc.

Le ministre secrétaire d’Etat de l’intérieur,

T DUCHATEL