Landmarks / Textes relatifs aux peines et aux prisons en France / De la Monarchie de Juillet à 1914 /

Instruction du 30 octobre 1841 (7/7)

Instruction sur le Règlement général pour les Prisons départementales.



CHAPITRE VI. DISPOSITIONS GÉNÉRALES.

Me voici arrivé, Monsieur le préfet, au dernier chapitre du Règlement. Les dispositions qu’il renferme s’expliquent d’elles-mêmes et ne me semblent exiger aucun développement. Toutefois, je dirai qu’en déclarant que le maire ne pourra déléguer qu'à un de ses adjoints l’exercice de son autorité dans la prison (art. 123), j’ai entendu exclure formellement l’intervention du commissaire de police. Les rapports fréquents qui doivent dorénavant s'établir entre le maire et les membres de la commission de surveillance, exigent que, lorsqu’il ne pourra agir lui-même, il se fasse représenter par un de ses adjoints. Ne perdons pas de vue, cependant, qu’une prison est un établissement d’intérêt général et non d’intérêt municipal, que l’autorité que le maire est appelé à y exercer participe essentiellement de l’administration centrale, et que c’est comme son délégué qu’il agit (art. 613 du Code d’instruction criminelle).

Votre premier soin, après vous être bien pénétré de toutes les dispositions du Règlement général, devra être de vous assurer si les prévisions du budget de 1842 permettront de pourvoir aux principales, si ce n’est à toutes les prescriptions relatives aux dépenses personnelles des détenus. S’il y avait insuffisance, vous me transmettriez un état indiquant, pour la nourriture, le vêtement et le coucher, les sommes qui peuvent y être affectées d’après le budget voté par le conseil général, et celles qu’il faudrait pour assurer cette partie du service, conformément au Règlement, à partir de 1842. Vous prendrez aussi en considération les dépenses de chauffage et d'éclairage.

Quant au personnel administratif et de sûreté, vous attendrez, pour me soumettre vos propositions, que la commission de surveillance vous ait donné son avis sur le nombre de gardiens et autres agents qu’il sera jugé nécessaire d’avoir dans chaque prison, ainsi que sur les traitements à attribuer à chaque emploi, en vous conformant sur ce point aux prescriptions du chapitre Ier. Ici encore vous aurez à faire ressortir, en regard du chiffre des traitements actuels, celui des traitements proposés.

Ces deux objets, Monsieur le préfet, doivent être réglés sans le moindre retard, puisque les modifications qu’il pourra y avoir lieu d’introduire dans l'état actuel du personnel administratif et des dépenses personnelles des détenus, doivent dater du 1er janvier prochain.
Viendront ensuite les améliorations, je ne dirai pas moins urgentes, mais qui ont besoin d'être préparées avec réflexion : telle est l’organisation du travail; telle est la préparation d’un Règlement particulier pour chaque prison départementale, en exécution de l’article 128. Invitez, je vous prie, les commissions de surveillance à s’occuper le plus tôt possible de ce règlement qui, après avoir été arrêté par vous, devra, avant son exécution, être soumis à mon approbation.
L’Instruction du 29 juin 1838 voulait que les commissions de surveillance fissent des rapports hebdomadaires à MM. les maires qui, de leur côté, étaient invités à en adresser de mensuels à MM. les sous-préfets, sur le service administratif et de surveillance de la prison. Tous les trois mois, vous deviez me rendre un compte sommaire de la situation de chaque prison, sous le rapport sanitaire, disciplinaire et moral. Enfin, il vous était recommandé de m’adresser, à la fin de chaque année, un rapport général dans lequel vous aviez à résumer vos rapports trimestriels, à consigner les observations que vous aviez faites dans le cours de vos visites, les améliorations obtenues, les abus persistants et vos vues sur les meilleurs moyens de les détruire.
Le Règlement général, après avoir rappelé, dans l’article 124, que les visites des préfets et des maires sont d’obligation légale, prescrit à MM. les sous-préfets de vous adresser des rapports mensuels. Ils s’empresseront, je n’en doute pas, de remplir celte obligation. Quant à vous, Monsieur le préfet, vous cesserez de m’envoyer des rapports trimestriels; j’ai reconnu qu’ils n'étaient que d’une utilité très secondaire pour mon administration. Mais je vous prie de m’adresser exactement, tous les ans, du 1er janvier au 1er mars pour tout délai, un rapport général sur toutes les prisons de votre département. Vous adopterez naturellement le cadre tracé par le Règlement général. Vous parlerez donc successivement du personnel administratif et de sûreté, du régime économique, du travail des détenus, du régime disciplinaire, et du régime moral et religieux. Vous me direz aussi quel est l'état des chambres de sûreté1 , des maisons de dépôt et de police municipale : ces prisons ont aussi leur importance (art. 125). Ne craignez pas d’entrer dans trop de détails ; ils auront pour moi un vif intérêt, si j’y trouve la preuve de progrès réels. Dans tous les cas, je suis sûr d’y trouver toujours de nouveaux témoignages de votre zèle et de votre entier dévouement à vos devoirs.

Il se peut que des personnes, quoique entièrement dévouées d’ailleurs à l'œuvre de la réforme des prisons, reprochent au nouveau Règlement d'être empreint d’une trop grande sévérité dans ses dispositions disciplinaires; mais la réflexion les aura bientôt éclairées. Elles comprendront sans peine que, puisqu’une discipline relâchée amène une corruption certaine, inévitable, il fallait absolument recourir à des règles sévères pour l’empêcher. Il n’y avait pas non plus d’autre moyen, je l’ai dit en commençant, de protéger la liberté morale de tous les détenus. C’est principalement ce double but que je me suis proposé : il sera atteint, Monsieur le préfet, si le règlement est exécuté avec suite, avec fermeté, avec une volonté qui ne recule devant aucun préjugé, devant aucune résistance. Si des doutes s'élevaient dans votre esprit sur quelque point, faites-les moi connaître, je m’empresserai de les dissiper. Il s’agit d’une grande mesure dont l’exécution est confiée à tous les fonctionnaires élevés de l’ordre administratif; aucun, j’en ai la confiance, ne fera défaut à la réforme que nous allons entreprendre, pour la première fois, d’une manière sérieuse et avec la ferme volonté de l’accomplir ; mais c’est par vous que l’impulsion doit être donnée. Je vous seconderai dans l’ordre de mes pouvoirs, par l’action et le contrôle des inspecteurs généraux des prisons du royaume, à qui seront remis vos rapports annuels. Leurs observations vous seront toujours communiquées ; ces fonctionnaires sont institués pour éclairer votre administration comme la mienne.
Ici finissent, Monsieur le préfet, les instructions que j’avais à vous donner; votre expérience suppléera à ce qu’elles peuvent avoir d’incomplet.
Des exemplaires de la présente Instruction, suivie du Règlement, vous seront adressés pour être remis par vous à MM. les sous-préfets, à MM. les maires des villes où sont situées les maisons d’arrêt, les maisons de justice et les maisons de correction, et aux commissions de surveillance, ainsi qu'à MM. les procureurs généraux et procureurs du roi, à titre de renseignement. Vous recevrez des exemplaires du Règlements sans l’Instruction, pour les préposés en chef des prisons. Recommandez-en, je vous prie, la conservation; il me serait impossible de les remplacer.

Recevez, Monsieur le préfet, etc.

Le ministre secrétaire d'État au département de l’intérieur,

Signé T. DUCHATEL.


Notes

1.

Une Circulaire de M. le ministre de l’intérieur, comte Chaptal, du 20 fructidor an XI (7 septembre 1803), porte ce qui suit : « D’après les dispositions de l’article 85 de la loi du 28 germinal an VI sur la gendarmerie, et par suite des mesures que le ministre de In guerre a prises pour régulariser le casernement de la gendarmerie, il a été reconnu qu’il était indispensable d'établir dos concierges, qui seraient seulement chargés de l’entretien et de la propreté des chambres de sûreté, ainsi que de la fourniture des effets qui y sont nécessaires ; mais, comme à cela seul doivent se borner 1es fonctions de ces concierges, vu les précautions qu’exigent tant le secret des opérations de la gendarmerie que la sûreté des prisonniers qu’elle conduit, je vous préviens que l’intention du gouvernement est, qu’ils ne logent point dans la caserne, qu’ils ne puissent même y entrer sans l’assentiment des sous-officiers ou de leurs représentants; qu’enfin, les clefs de la chambre de sûreté restent dans les mains des commandants de brigade, sous les ordres desquels les concierges doivent être placés relativement à leurs fonctions. Il ne s’agit donc plus, en établissant ces concierges, que de régler leur service et leur salaire suivant les modifications ci-dessus énoncées. Quant aux dépenses, la Circulaire les assimile à celles des dépôts de canton «sauf, ajoute-t-elle, au département de la guerre, à payer les frais de gîte et de geôlage des détenus militaires, ainsi que les fournitures auxquelles ils ont droit. »