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Circulaire du 1er février 1946

Patronage des libérés.


LE GARDE DES SCEAUX, MINISTRE DE LA JUSTICE, à Messieurs les premiers présidents.

Depuis plus d’un siècle les pouvoirs publics n’ont cessé de se préoccuper de l’importante question du patronage des libérés et le titre même de la loi du 14 août 1885 témoigne de l’intérêt qu’a porté le législateur à des mesures d’assistance et de reclassement dans lesquelles il a pu voir un sûr moyen de prévenir la récidive.
En fait, cependant, un nombre insuffisant d’institutions de patronage a vu le jour au cours de cette période, en sorte que trop souvent le libéré est abandonné sur le seuil de la prison, à l’heure où il aurait le plus besoin d’aide.
Mais actuellement l’amendement des condamnés et le reclassement social des libérés constituent l’un des objectifs essentiels de l’administration pénitentiaire.

La création d’un réseau complet de sociétés destinées à faciliter la réadaptation à la vie libre, s’impose donc comme le complément indispensable des mesures internes appliquées pendant la durée de la peine.
Afin de suivre le libéré en quelque lieu qu’il se retire, il est nécessaire qu’existe dans tous les chefs-lieux d’arrondissements un groupement spécialisé.
La présente instruction a pour objet la création et l’organisation de ces groupements. Les dispositions qu’elle prévoit seraient toutefois, dès à présent, difficilement applicables à Paris et dans sa banlieue à raison de la densité de la population et de la dispersion des œuvres privées qu’il convient de rassembler. C’est pourquoi il m’a paru expédient de surseoir momentanément à la création de ces groupements dans le département de la Seine.
Il n’est pas question de substituer des organismes publics aux œuvres privées qui, dans un dessein très élevé, se préoccupent à des titres divers du condamné. Cependant, la diversité de ces œuvres, leurs divergences de buts et de moyens, rendent nécessaire, en vue d’une action efficace, la réunion de délégués des diverses associations existant dans chaque chef-lieu d’arrondissement en un organisme unique chargé de renforcer et de coordonner leur activité.
En raison du rôle que devra jouer cet organisme, il me paraît indispensable d’en confier la présidence à une personnalité locale dont l’autorité s’impose à tous. Nul ne m’a semblé mieux qualifié que le président du tribunal de première instance pour remplir cette délicate fonction avec la compétence nécessaire. Bien entendu, ce magistrat pourra, en cas d’empêchement, déléguer pour le remplacer un juge du siège, qu’il choisira en raison de l’intérêt que celui-ci porterait aux questions pénitentiaires et à l’assistance postpénale.

Dans les villes chefs-lieux d’un arrondissement qui ne sont pas le siège d’un tribunal de première instance, la présidence sera dévolue au juge de paix.
Toute personne majeure de l’un ou l’autre sexe pourra être agréée en qualité de membre du comité local d’assistance et de placement des libérés sur demande adressée au président du comité. Cette demande, établie sur papier libre et assortie de deux photographies d’identité, mentionnera notamment l'état civil et sera transmise avec son avis par le président au (ministère de la Justice (administration pénitentiaire - Bureau de l’Application des peines).
L’administration centrale délivrera une carte de délégué aux personnes dont la candidature aura été retenue. Les comités comprendront également des membres bienfaiteurs. Cette qualité sera directement attribuée par le président, sans qu’il ait à me consulter, aux personnes qui ne pourraient apporter qu’un concours financier.
Les comités d’assistance et de placement ont pour objet tant la surveillance des condamnés qui auront bénéficié d’une mesure de libération conditionnelle, que le parrainage des adultes des deux sexes libérés définitivement des établissements pénitentiaires. Mais à la différence des libérés conditionnels qui, jusqu'à la date d’expiration de leur peine, ne pourront pas s’affranchir de cette surveillance, les libérés définitifs ne seront assistés qu’avec leur consentement, même tacite.

En ce qui concerne les libérés conditionnels, les décisions seront portées à la connaissance du président du comité de l’arrondissement où l’intéressé aura décidé de fixer sa résidence. Le carnet de libération conditionnelle remis au libéré mentionnera que la mesure prise en sa faveur est subordonnée à sa bonne conduite et qu’un contrôle sera assuré par un délégué du comité local. Il appartiendra au président de désigner ce délégué.
En ce qui concerne les libérés définitifs, l’aide conservera le caractère officieux et privé qui est actuellement le sien.
Toutefois, les délégués se mettront en rapport avec les assistantes sociales et avec les visiteurs des établissements pénitentiaires de leur arrondissement qui leur indiqueront les noms des détenus prochainement libérables dont il conviendra de s’occuper.
La mission des délégués consistera dans tous les cas :

1er A trouver un gîte, s’il y a lieu, et un emploi pour le libéré 1 ;

A maintenir le contact avec le sujet. En effet, les délégués n’auront quelques chances de réussir dans leur tentative de reclassement que s’ils demeurent en étroite liaison avec les intéressés. Leur assistance devra conserver cependant ce caractère de discrétion sans lequel elle deviendrait intolérable.

A adresser trimestriellement au président du comité un rapport sur le comportement du libéré 2 . Si celui-ci est un libéré conditionnel et qu’en raison de son attitude il soit à craindre une récidive, le délégué le signalera immédiatement au président, lequel, après enquête, aura seul qualité pour saisir le parquet d’une demande de révocation de la décision de libération.
Le procureur de la République transmettra sans délai cette demande au ministère de la Justice en y joignant son avis ainsi que le prescrit l’article 3 de la loi du 14 août 1885 et fera procéder, s’il le juge utile, à l’arrestation du libéré dans les conditions prescrites par l’article 4 du même décret.

Il ne serait certainement pas judicieux de surcharger de besognes matérielles les personnes de bonne volonté qui auront répondu à l’appel du président. Toutefois, un groupement appelé à suivre de nombreux sujets, ne peut se passer d’un embryon de secrétariat administratif. J’estime notamment indispensable la création de deux fichiers alphabétiques des libérés assistés, l’un pour les libérés conditionnels, l’autre pour les libérés définitifs, Les fiches pourront être retirées de ces fichiers quand l’assistance prendra fin pour être classées dans les archives. D’autre part, les rapports trimestriels des délégués feront l’objet d’un classement spécial dans des dossiers individuels dont le numéro sera reproduit sur la fiche correspondant au même individu 3 .
Au cours du premier mois de chaque trimestre, il appartiendra au président de réunir le comité afin d’examiner en commun les rapports trimestriels et dl arrêter toutes mesures susceptibles d’apporter au service postpénal les améliorations jugées nécessaires. A la suite de cette réunion, un rapport d’ensemble sera adressé à l’administration centrale (bureau de l’application des peines (timbre 290 O. G.). Ce rapport dressé sous la responsabilité du président, comportera notamment les renseignements suivants :

Le nombre des délégués de l’arrondissement ;
Le nombre des libérés conditionnels assistés pendant le trimestre ;
Le nombre des libérés définitifs assistés pendant la même période ;
Les incidents survenus ;
L’avis du président sur Inactivité des délégués et le fonctionnement du service ;
Les perfectionnements susceptibles d’y être apportés.
L’administration pénitentiaire entend, dans l’avenir, faire admettre le principe d’une participation de l’Etat aux frais de gestion des comités. Mais attendre que satisfaction soit donnée sur ce point conduirait à reculer trop longtemps l’organisation systématique de l’assistance postpénale.

Il me paraît que les menues dépenses indispensables pourraient être couvertes, d’une part, par les cotisations et les dons des membres bienfaiteurs et, d’autre part, par l’aide des assemblées départementales et municipales qui ne manqueront pas de trouver dans le but des comités, la justification des subventions qu’elles voudraient bien leur accorder.
Il appartient aux présidents des tribunaux de votre ressort et aux juges de paix dans les villes chefs-lieux d’un arrondissement, dépourvues de tribunal de lre instance, de procéder immédiatement aux démarches nécessaires en vue de la création des comités con-formément aux instructions qui précèdent. A cette fin, ils voudront bien convoquer les représentants locaux des groupements portant intérêt aux détenus (Croix-Rouge française - Entr’aide française - Conférence de Saint-Vincent-de-Paul - Armée du Salut - Secours Quaker et toutes autres associations), ainsi que les personnalités de tout l’arrondissement connues pour leur activité sociale et désireuses de se consacrer à l’assistance postpénale, tant au chef-lieu d’arrondissement qu'éventuellement dans les chefs-lieux de canton ou même dans les communes. Les dossiers de candidature seront immédiatement transmis à mes services.

Avis me sera donné de la constitution du comité qui portera le nom de « Comité d’assistance et de placement des libérés de l’arrondissement de...».
La situation démographique de notre pays est grave. Il importe d’entreprendre avec énergie et persévérance la récupération de tout individu susceptible de reprendre une place utile dans la société.

En vous priant de bien vouloir porter la présente circulaire à la connaissance des magistrats de votre ressort, je vous demande de veiller personnellement à l’organisation de l’assistance postpénale à laquelle j’attache le plus grand intérêt.

Le Garde des Sceaux, Ministre de la Justice, PIERRE-HENRI TEITGEN


MODELE DE FICHE
ASSISTANCE POSTPENALE
Arrondissement de :
Libéré conditionnel n° N° du dossier :
Noms et prénoms :
Date et lieu de naissance :
Domicile :
Profession :
Nature du délit :
Condamnation (peine, date, juridiction) :
Date de la décision de libération conditionnelle :
Date de l’expiration de la peine :
Etablissement d’où le sujet a été libéré :
Nom du délégué :

 


Notes

1.

Je crois devoir vous signaler à ce sujet le mécanisme qui semble avoir fonctionné dans de bonnes conditions en Hollande antérieurement à la guerre. Les sociétés de patronage accréditaient dans chaque bourgade un représentant choisi autant que possible dans le monde du commerce, de l’industrie ou de l’agriculture dont le rôle était de prospecter chez les employeurs en vue de connaître les besoins en main-d'œuvre. Chez nous il serait sans doute judicieux d’appeler en qualité de délégué au Comité un membre qualifié des syndicats patronaux ou ouvriers.

2.

Selon modèle annexé à la présente circulaire.

3.

L’imprimerie administrative de Melun est en mesure de fournir gratuitement un certain nombre de fiches et de côtes des modèles joints, sur demande adressée à M. le Ministre de la Justice (Administration pénitentiaire - Application des peines - Timbre 290 O. G.)