4. Quartier des condamnés à mort

Plan du chapitre

À la Roquette

La porte des condamnés à mort

La prison de « La Roquette » est destinée aux jeunes détenus. Elle est construite au 143, rue de la Roquette, près du cimetière du Père Lachaise. Elle est de forme hexagonale et a été inaugurée en septembre 1830. Elle prend le nom de « Petite Roquette » quand s’ouvre à la fin de 1836 le Dépôt des condamnés adultes construit sur un terrain en face d’elle. Celui-ci est composé d’un bâtiment carré, percé d’une cour centrale et entouré d’un mur d’enceinte. Ce dépôt est aussitôt surnommé « La Grande Roquette », où séjournent pour une courte durée les condamnés aux assises avant leur transfert au bagne et les condamnés à mort en attendant leur exécution, après épuisement des voies de recours. Ces derniers séjournent dans le quartier des condamnés à mort composé de trois cellules.
« L’entrée des trois cellules donne sur un étroit corridor qui n’a rien des apparences terrifiantes que l’on s’imagine pour un pareil lieu. Cependant, la nudité, la lumière qui le remplissent sont aussi désespérantes que la nuit des anciens cachots… La nuit, c’est la pudeur du crime ; c’est encore un refuge offert au désespoir et à la douleur. Ce jour impitoyable qui inonde l’antichambre et les cellules des condamnés à mort doit être pour eux un martyre de plus. Des trois cellules, une seule d’ordinaire est occupée. Il n’y a eu que pendant l’affaire d’Orsini que les trois cellules ne sont pas restées vacantes, occupées qu’elles étaient, avec le lieutenant réfractaire d’Orsini, par Pieri et Rudio. » Extrait des Mémoires de Monsieur Claude, chef de la police de sûreté sous le Second Empire, présentés par Sylvain Goudemare, Paris, Arléa, 1999, chap. XVIII. Les trois cellules de la Roquette, p. 170-180.
Le Verascope, fabriqué par Jules Richard en 1893, est le premier appareil photographique stéréoscopique rechargeable en plein jour.

Pour en savoir plus : Bibliographie sur les prisons de La Roquette sur le site Criminocorpus

Le promenoir et une cellule

« Derrière la chapelle est le préau. Sa cour, la troisième, regarde les bâtiments de l’infirmerie ; elle est ornée d’un jardin ; c’est là que le condamné à mort sort de sa cellule pour voir fleurir les premiers bourgeons ou voir tomber les dernières feuilles avant de monter à l’échafaud. Cette cour, disposée en arcades, rappelle l’architecture d’un couvent moderne, calquée sur le style uniforme des arcades de la rue de Rivoli, architecture romane, rajeunie et rendue à sa plus simple expression. À droite de ces arcades, s’ouvre une porte ronde, d’aspect sinistre, ferrée d’énormes verrous, et peinte en jaune. Cette porte frappe les regards, effraye l’imagination la moins accessible aux sensations. Elle parle d’elle-même cette grande porte jaune ; elle intrigue par son aspect, elle repousse par sa couleur : c’est la porte des trois cellules, la porte des condamnés à mort » – Ibid., p. 170-180.

Le dessin représente assez bien le mobilier sommaire d’une cellule de condamné à mort – le lit, une tablette avec trois chaises – ainsi que les personnes présentes habituellement : le condamné – à droite –, le surveillant – debout, à gauche – et le soldat du poste de garde. On notera la présence de pipes accrochées au mur : chaque condamné en culotte une et la brise quand sa demande en grâce est rejetée. Le jeu de cartes est une des principales occupations des condamnés : il est souvent mentionné dans les procès-verbaux d’exécution quand ces derniers évoquent la dernière journée du condamné.

Extrait des Mémoires de Monsieur Claude, chef de la police de sûreté sous le Second Empire

« Des trois cellules, une seule d’ordinaire est occupée. Il n’y a eu que pendant l’affaire d’Orsini que les trois cellules ne sont pas restées vacantes, occupées qu’elles étaient, avec le lieutenant réfractaire d’Orsini, par Pieri et Rudio.

D’ordinaire, c’est la cellule de gauche qui s’ouvre pour le condamné à mort. C’est une chambre fort propre, très spacieuse, prenant jour par une fenêtre large, carrée, pratiquée dans le haut de la muraille du fond. Au-dessous de la fenêtre qui n’a pas moins d’un mètre de hauteur, on voit une table de bois, en regard de la fenêtre ; contre la porte, un lit en fer ; de l’autre côté, un poêle en fonte, trois chaises et une tablette. Les parois de cette pièce mesurent onze pieds de longueur sur sept de largeur.

Sur les trois chaises s’assoient le condamné, le surveillant de la prison et le soldat du poste. Le soldat, de même que le surveillant, est relevé toutes les deux heures ; le soldat ne porte ni arme ni fourniment ; on lui enlève, en vertu du règlement, jusqu’à son couteau de poche. Quant au condamné, une fois son arrêt prononcé, il ne quitte pas la camisole de force. Elle consiste en un sac de toile jusqu’à mi-corps. Chaque manche est lacée à l’extrémité pour empêcher les mains de sortir. Des cordes passent sous les cuisses et se rattachent aux épaules, collant les bras au corps et les mettant dans l’impossibilité de faire un mouvement. La camisole de force réduit le condamné à l’état d’automate. Il ne peut agir sans la volonté et l’aide de ses surveillants. Le libre exercice de ses facultés ne lui appartient plus.

Il en est ainsi pour le condamné à mort depuis que la voiture cellulaire l’a transporté à la Roquette, depuis qu’elle a roulé sur les cinq dalles de l’échafaud, en attendant qu’il y retourne à pied, accompagné de l’aumônier et du bourreau. Ainsi ont passé Verger, Collignon, La Pommerais, Orsini, Pieri, Lemaire, Avinain, Troppmann et tant d’autres, que j’ai accompagnés en constatant que tous ont été plus ou moins abattus par leur condamnation, tués par cette captivité : prologue terrible qui, de jour en jour, d’heure en heure, ne s’abrège que dans la perspective de l’échafaud.

L’échafaud ! Cette pensée de tous les instants, qui torture le patient, endormi ou éveillé, le jour, la nuit, qui lui martèle le cerveau et qui le paralyse bien autrement que la camisole de force. Par tolérance, on apporte quelques adoucissements à la rigueur administrative. À l’heure des repas, la manche droite de la camisole de force est desserrée pour permettre au détenu de manger à l’aide d’une cuiller de bois, et de porter à la bouche des aliments qu’on lui a coupés d’avance. Ces aliments se composent de la double ration ; tandis que les autres de la Roquette n’ont de viande et de vin que le jeudi et le dimanche, le condamné à mort, par un privilège qui n’est envié d’aucun, a droit à un cinquième de vin par jour et à du bœuf rôti tous les jours. Il peut, en outre, écrire s’il le demande, et fumer à loisir.

Une sonnette, placée dans l’embrasure de la porte, fait connaître, par l’entremise des gardiens, les désirs des condamnés. Dans sa cellule, le condamné à mort commande, et ses gardiens agissent. Ils ont l’ordre formel de ne jamais le contrarier dans les conversations qu’ils ont avec lui, depuis le moment où ils le lèvent jusqu’au moment où ils le couchent et le déshabillent comme un enfant. La cellule du condamné à mort ne s’ouvre que pour les plus proches parents. En revanche, l’aumônier visite le patient tous les jours ; il a la clef des trois cellules, ce qui lui permet d’y pénétrer à toute heure.… »

Source : Extrait des Mémoires de Monsieur Claude, chef de la police de sûreté sous le Second Empire, présentés par Sylvain Goudemare, Paris, Arléa, 1999, chap. XVIII, « Les trois cellules de la Roquette », p. 170-175.

Les rapports avec les gardiens

Outre la présence du surveillant et du soldat, le condamné reçoit fréquemment dans sa cellule un policier – service de la sûreté – qui, ayant participé à son arrestation et instruit ou non son dossier, a pour mission occulte d’obtenir des aveux complémentaires sur des complicités éventuelles.
Une familiarité entre le condamné et les hommes qui l’entourent naît d’autant plus facilement que la conscience de vivre ses derniers jours conduit à apprécier intensément le moindre lien social, et à écarter une solitude pouvant conduire au suicide, la présence du surveillant et du soldat ayant d’ailleurs pour objectif d’éviter ce dernier, alors qu’on a supprimé la camisole de force en 1870.
Ici, Meyer apprécie particulièrement son « vieil ami », son « consolateur » l’agent de sûreté Pierre Roger à qui il dédie son petit opuscule de mémoires. Il n’est pas rare, également, que parmi les dernières paroles prononcées sur le chemin conduisant à la guillotine, le condamné remercie ses gardiens.

Dessins et écrits de condamnés

Dessins du condamné Gamahut : évasion

Adolphe-Tiburce Gamahut dit Champion a été condamné à mort par les assises de la Seine le 11 mars 1885 pour assassinat et vol qualifié. Né le 14 décembre 1861 à Épernay, il est élevé par sa tante qui le place à l’âge de 14 ans à l’abbaye de la Grande Trappe à Soligny – Orne –, puis au petit séminaire de Châlons. Adolphe Gamahut refuse la vie religieuse qu’on lui impose, ne garde de son court passage comme oblat que le nom de baptême religieux de Tiburce et devient saltimbanque, allant de cabarets en lieux publics pour présenter des tours de force avec des poids. C’est d’ailleurs pour sa stature d’athlète qu’il est sollicité par une bande de quatre malfaiteurs parisiens pour aller cambrioler le 27 novembre 1884 la maison de la veuve Ballerich, au 145, rue de Grenelle.

 

Dessins du condamné Gamahut : souvenirs d’école et d'empire

L’évasion, c’est aussi le retour sur le passé, les souvenirs d’école, comme cette illustration de la fable de La Fontaine Le Petit chaperon rouge, avec la mère qui sauve son enfant de la séduction du « grand méchant loup ».

Parmi les souvenirs, il y a également quelques figures de l’histoire nationale, retenues au gré des affinités politiques du milieu d’origine. Ici, la gloire du premier Empire à travers la figure d’Antoine Drouot, général d'Empire ayant accompagné Napoléon pendant son exil à l'île d'Elbe, est esquissée sous le crayon de Gamahut qui associe son enfermement et sa mort prochaine au destin de Napoléon et à son fidèle serviteur.

Écrits du condamné Gamahut : dictionnaire d’argot

Sur un cahier d’écolier, avec sa publicité pour les œuvres classiques couronnées par l’Académie française, Gamahut rédige – humour involontaire ? – quelques pages d’un dictionnaire d’argot, pratique courante chez les détenus. On imagine aisément que la présence de l’agent de sûreté dans sa cellule a sinon suscité cette rédaction du moins l’a grandement facilitée, les policiers étant de fins connaisseurs de la langue des voyous.
On remarquera la précision de Roger appréciant la marche au supplice sans faiblesse de « son » condamné : « il a marché bravement comme il l’avait toujours dit à ses gardiens ».
La dernière page de ce cahier est datée du 19 mars 1885 et le dictionnaire s’achève par la traduction en argot des expressions et mots suivants : « tu vole cette nuit », « écoute l’homme qui parle », « j’ai mal aux yeux », « chaude pisse », « il a peur », « couteau », « mouchoir ».
Résultat d’une rédaction non planifiée qui répare des oublis après une relecture ? Ou termes plus significatifs d’une pensée intérieure tourmentée par les derniers instants à venir ?

Écrits et dessins du condamné Meyer : mémoires

Henry Meyer (1864-1885) a été condamné aux assises de la Seine le 20 juin 1885 pour assassinat : selon ses « mémoires », il a participé, au début de l’année, à un vol chez un « vieux », un fabricant de malles de la rue d’Angoulême, qui a été tué à coup de poing américain par l’un de ses complices, pour un maigre butin dépassant à peine une centaine de francs. La rédaction de « mémoires » est une pratique courante chez les détenus, contraints à un retour naturel vers leur passé par la perspective d’une mort proche, encouragée par les surveillants de la prison qui veulent occuper l’esprit du condamné afin de soutenir son moral. Elle est également développée par les criminologues désireux d’explorer le processus criminel, ainsi qu’en donne l’exemple Alexandre Lacassagne, titulaire de la chaire de médecine légale de Lyon, un des fondateurs de l’anthropologie criminelle.

Écrits et dessins du condamné Meyer : gloire nationale, misère et blason

Dans ses Mémoires, Henry Meyer rappelle que son père a été lieutenant dans la Garde nationale au moment de la guerre de 1870 et de la Commune, et que lui-même s’est embauché comme garçon cantinier au 129e régiment d’infanterie, qu’il appréciait cette place mais qu’il l’a quittée rapidement sans en préciser les motifs. De cette éducation et de ces expériences, il a sans doute gardé le goût d’une certaine gloire nationale – en accord alors avec le sentiment nationaliste se développant en réaction à la défaite de 1870 –, goût qui l’amène à dessiner, à différentes reprises, les symboles de la République en forme de blason national. Le dessin exprime aussi, peut-être inconsciemment, la nostalgie d’une patrie qui va l’éliminer.

Outre le dessin d’un autre blason républicain, celui sur l’aveugle dans Paris rappelle l’épisode le plus douloureux de la jeunesse de Meyer, quand, à la suite du divorce de ses parents en 1873, il vit seul avec son père et « rôde dans Paris » avec lui. Très discret sur ces cinq années, il laisse entendre que le père vivait d’expédients voire de mendicité, et qu’il était souvent laissé à l’abandon, puisque le Consistoire de Paris finira par le recueillir et le placer dans un foyer israélite.

Poèmes du condamné Joseph Albert : confession du crime

Antoine-Joseph Albert, journalier parisien âgé de 25 ans, a été condamné à la peine capitale le 27 septembre 1877 par la cour d’assises de la Seine pour avoir assassiné le 24 août 1876, à La Tour Malakoff – Vanves – Mme Lepelletier dont il avait jeté le cadavre dans un puits proche, le Puits-d'Amour. Le crime reste un mystère pendant plusieurs mois ; il se dénonce lui-même suite à un différend avec sa maîtresse.

Poèmes de Joseph Albert : rêves d’un condamné à mort

Ce rêve d’un condamné à mort, peut-être écrit le jour même de son exécution, quand il apprend le rejet de sa grâce à son réveil, est de la même veine que le poème précédent. Condensé des derniers moments, il réunit remords du crime et accusation contre l’amante, remerciements aux gardes et au prêtre consolateur, avec l’espérance chrétienne du passage dans l’autre monde.
« Rêves d’un Condamné à la peine de Mort Pendant les dernières heures de son existence. Où suis-je ! hélas !… dans une sombre cellule !… Où tant de fois, le malheur ! l’infortune ! Vînt y gémir ! et mourir... ... que d’affreux souvenirs !! Gardes, Inspecteurs, Sentinelles !!... En m’égayant adoucissent mes peines… Par leurs discours et leurs sages propos... Me donnent l’espérance ! mon âme est en repos. Un digne prêtre encore, consciencieux et patient, Console l’infortune, jusqu’au dernier moment. Dans égarement, stupide et audacieux !! Une âme à la fois infâme ! et odieuse !! Ternit mon existence, me rendait malheureux ! La Justice si sage punissait les ingrats. L’un au glaive est conduit ! l’autre devint forçat ! L’éternel de retour qui remplit d’indulgence Prendra-t-elle en pitié ! quelle est leur pénitence ? De ces deux êtres ingrats ! indignes de clémence. Cependant oh ! mon Dieu !! En seul j’espère, En remontant vers toi ! en quittant la terre Où dans mon digne transport, je vais rejoindre ma mère Albert. »

Lacenaire, le fiancé de la guillotine

Pierre-François Lacenaire (1800-1836) est l’auteur, avec ses complices Victor Avril et François Martin, de vols nombreux et de plusieurs assassinats. Petit bourgeois déclassé et lettré, il scandalise l’opinion en subvertissant tous les rôles que l’on attend du criminel à son procès et lors de son exécution, et cela d’autant plus qu’il est issu du monde de la bourgeoisie, laquelle semble découvrir alors qu’elle peut enfanter des monstres.
À son procès, il refait l’instruction et conduit les débats au même titre que le président des assises. Le scandale de son attitude le rend rapidement célèbre et nombre de personnalités viennent le voir dans sa prison, la Conciergerie, où il entretient une correspondance avec journalistes et « admirateurs » et des écrits qu’il répand sur sa vie et ses crimes. Il rédige Mémoires, Révélations et écrit des poèmes.
Il est exécuté le 9 janvier 1836. Son Dernier chant est un hymne à la guillotine, la « belle fiancée » dans les bras de laquelle l’expiation se confond avec l’extase.
À l’opposé du remords et de la légitimation de la peine que l’on attend du condamné, il revendique le choix de sa mort et un autre de ses textes s’interroge ainsi sur la meilleure façon de mourir : « L’eau ? Non, on doit trop souffrir. Le poison ? Je ne veux pas qu’on me voit souffrir. Le fer ? Oui, cela doit être la mort la plus douce. Dès lors ma vie devint un long suicide, je ne fus plus rien, j’appartenais au fer. Au lieu de couteau ou de rasoir, je choisis la grande hache de la guillotine. Mais je voulais que ce ne fût qu’une revanche. La société aura mon sang, mais j’aurai le sang de la société ! »

Lacenaire, Le dernier chant

En expirant, le cygne chante encor,
Ah laissez-moi chanter mon chant de mort !...

Ah laissez-moi chanter, moi qui sans agonie
Vais vous quitter dans peu d'instants,
Qui ne regrette de la vie
Que quelques jours de mon printemps
Et quelques baisers d'une amie
Qui m'ont charmé jusqu'à vingt ans !...

Salut à toi, ma belle fiancée,
Qui dans tes bras vas m'enlacer bientôt !
A toi ma dernière pensée,
Je fus à toi dès le berceau.
Salut ô guillotine ! expiation sublime,
Dernier article de la loi,
Qui soustrais l'homme à l'homme et le rends pur de crime
Dans le sein du néant, mon espoir et ma foi.

Je vais mourir... le jour est-il plus sombre ?
Dans les cieux l'éclair a-t-il lui ?
Sur moi vois-je s'étendre une ombre
Qui présage une horrible nuit ?
Non, rien n'a troublé la nature.
Tout est riant autour de moi,
Mon âme est calme et sans murmure,
Mon cœur sans crainte et sans effroi
Comme une vierge chaste et pure.

Sur des songes d'amour je m'appuie et m'endors,
Me direz-vous ce que c'est qu'un remords ?

Vertu, tu n'es qu'un mot, car partout sur la terre
Ainsi que Dieu je t'ai cherchée en vain !
Dieu ! Vertu ! paraissez, montrez-moi la lumière !
Mon cœur va devant vous s'humilier soudain.
Dieu ! mais c'est en son nom qu'on maudit, qu'on torture
Celui qui l'a conçu plus sublime et plus grand ?
La vertu !... n'est-ce pas une longue imposture
Qui dérobe le riche au fer de l'indigent ?
On n'en demande pas à l'opulence altière,
On en dispense le pouvoir,
Le pauvre seul est tenu d'en avoir.
Pauvre à toi la vertu ! Pauvre à toi la misère.

A nous le vice et la vie à plein verre !
Vous ! mourez sans vous plaindre : est-ce pas votre sort ?
Mourez sans nous troubler ou vous êtes infâmes.
J'ai saisi mon poignard et j'ai dit, moi : de l'or !...
De l'or avec du sang... de l'or et puis des femmes
Qu'on achète et qu'on paye avec cet or sanglant.
Des femmes et du vin... un instant je veux vivre...
Du sang... du vin... l'ivresse... attendez un instant
Et puis à votre loi tout entier je me livre...
Que voulez-vous de moi ? vous parlez d'échafaud ?
Me voici... j'ai vécu... j'attendais le bourreau.

La Conciergerie, 28 novembre

Source : Lacenaire, Le dernier chant, 1836

Pour en savoir plus : Voir la bibliographie sur le site de Criminocorpus

L’attente d’une grâce hypothétique

Il est d’usage pour le condamné à mort de la Grande Roquette d’avoir une pipe qui est brisée lorsqu’il apprend que sa grâce a été rejetée. Dans le tableau, une seule reste entière : le condamné a été gracié. Pour toutes les autres, un petit message accompagne les deux morceaux : « pile culottée par moi… condamné à mort » suivi de la date de l’exécution – exemple de Henry Meyer. Le plus fréquemment le texte est écrit par le surveillant : « pipe culottée par l’assassin… » – exemple de Gamahut. En langage populaire, culotter une pipe signifie lui donner, à force de fumer, un enduit dans le bas de fourneau ce qui rend son usage plus agréable. La pratique évoque l’expression « casser sa pipe », en usage, semble-t-il, depuis les guerres napoléoniennes pendant lesquelles les chirurgiens, à défaut d'anesthésie, donnaient aux blessés une pipe en terre cuite qu’ils devaient tenir serrée entre leurs dents pour éviter les cris de douleur des patients : quand ces derniers succombaient, ils lâchaient alors la pipe qui se brisait en tombant.