1. Le fait divers : quelle histoire !

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Le fait divers : quelle histoire !

On qualifiait déjà l’ancêtre du fait divers de « canard » boiteux, d’histoire incroyable et de récit mensonger…Devenu une rubrique essentielle dans la presse à la fin du XIXe siècle, il reste le « fourre-tout de l’information » (Barthes), la « rubrique des chiens écrasés », le parent pauvre du journalisme. Taxé d’immoralité et de corruption des mœurs, le fait divers, petit crime ou grande affaire, n’en exerce pas moins une réelle fascination sur les hommes. La preuve en est : en 1928 la très sérieuse maison Gallimard décide de lui consacrer un hebdomadaire spécialisé…ce sera Détective. S’ensuivront de nombreux titres jusqu’à nos jours, où le fait divers se porte toujours bien, dans la presse (Paris Match, Le Nouveau Détective) comme à la télévision (En quête d’actualité, Faites entrer l’accusé).

Pourquoi un tel succès malgré une réputation de lecture honteuse ?

"Un but hardiment moral"

Revendiquant un « but hardiment moral », Détective caricature la mauvaise réputation du fait divers : dans le n°111 de Détective, une BD humoristique intitulée « sensibilité » présente deux bandits qui assomment un bourgeois au coin d’une rue : ils lui dérobent son journal mais le rejettent, dégoûtés, car c’est du fait divers !

Quoi de plus simple, pour se débarrasser d’un cadavre, que de le cacher dans une malle que l’on abandonne ensuite ? Parmi les thèmes récurrents du fait divers (crimes passionnels, accidents spectaculaires, arnaques rocambolesques) la « malle cercueil » figure en bonne place.

Le fait divers en cinq grandes affaires

1817-1818 : Affaire Fualdès, le crime de Rodez

Crime politique, sexuel ou crapuleux ? L’assassinat de l’ancien procureur impérial Fualdès, égorgé selon la rumeur sur fond de vielle pour étouffer ses cris, est la première grande affaire judiciaire couverte par la presse nationale et même européenne. Cette médiatisation moderne s’ajoute aux feuilles occasionnelles et aux complaintes qui chantent les péripéties des criminels depuis la nuit sanglante jusqu’à l’échafaud.

1835 : Affaire Lacenaire, l’assassin-poète

Beau garçon et beau parleur, Lacenaire devient héros de cours d’assises et déchaîne les passions. La Gazette des tribunaux publie de longs comptes rendus d’audience tandis qu’une rubrique « fait divers » apparaît timidement dans la presse quotidienne. Poète quand il n’est pas occupé à égorger des garçons de caisse et leur vieille mère, Lacenaire a inspiré de nombreuses fictions.

1869 : Affaire Troppmann, le crime de Pantin

Un jeune mécanicien de 22 ans, 9 victimes issues d’une même famille… En monopolisant la une du Petit Journal pendant plus de quatre mois avec un tirage dépassant les 500 000 exemplaires, cette « cause célèbre » marque un tournant dans la médiatisation de masse du fait divers. A la fin du XIXe siècle, il est devenu une rubrique incontournable de la presse quotidienne française.

1911-1912 : La bande à Bonnot

Le groupe d’anarchistes défie les forces de police au volant de leurs autos en multipliant les casses et les actes de violence. Leurs photos s’étalent dans les journaux, la chasse à l’homme fait les gros titres et se termine dans un bain de sang devant des milliers de curieux venus assister à l’agonie du « bandit tragique ».

1919-1921 : Landru, le Barbe Bleue de Gambais

Escroc séducteur, Landru attire onze femmes seules en leur promettant le mariage puis les fait disparaître dans sa cuisinière et empoche leurs économies. Les fanfaronnades du tueur en série lors de son procès sont racontées par de grandes plumes envoyées par leur journal pour faire la une.

Les autres journaux de faits divers

Antérieurs et contemporains à Détective

En 1928, Détective clame qu’il est le premier hebdomadaire de fait divers, à la fois journal et magazine. S’il est vrai que l’entreprise est novatrice, elle s’inscrit néanmoins dans une longue tradition qui remonte aux « canards », des publications occasionnelles, imprimées sur du mauvais papier à bas coût, qui racontent des crimes horribles à grand renfort de gros titres et de gravures. Tant que la presse reste chère, les canards restent très lus. Mais au cours du XIXe siècle celle-ci se démocratise. Le crime devient un sujet de prédilection, d’abord dans les rubriques judiciaires ou de faits divers des quotidiens, puis dans des publications spécialisées. Les canards disparaissent vers la fin du XIXe siècle.

Des suppléments illustrés…

…aux premiers hebdomadaires de faits divers

Au début du XXe siècle paraissent deux hebdomadaires illustrés spécialisés, Les Faits divers illustrés (1907) et L’Œil de la police (1908), tous deux créés par des éditeurs  de collections populaires (Rouff et Tallandier). Avec leurs couvertures aux couleurs vives rappelant les journaux-romans et leurs titres rocambolesques, ils ne se démarquent pas vraiment des suppléments illustrés et disparaissent avec la guerre.

Police Magazine

En 1928, Détective n’a pas de concurrent mais il fait vite des émules : un an plus tard, Police Magazine est créé. Cet hebdomadaire essaie de se positionner sur le même terrain que son aîné (le crime, le bagne, l’enfance maltraitée), mais les deux rédactions restent totalement hermétiques, à quelques exceptions près.