4. Détective et ses lecteurs

Plan du chapitre

En quête des lecteurs de Détective…

Qui étaient les lecteurs de Détective ? Écoutons Georges Kessel en 1929 : « Public immense, [il regroupe] toutes les classes de la société, tous les milieux : hommes de science, techniciens, magistrats et avocats, foule curieuse, qu’attire le fait divers, ceux qui recherchent, ceux qui jugent, ceux qui défendent, ceux qui souffrent. » A défaut d’archives pour confirmer ses propos, les pages de l’hebdomadaire fournissent quelques pistes :

Son prix modeste de 1 Fr à sa création le rend accessible à tous (une baguette de pain à Paris vaut alors 0, 55 Fr, le salaire journalier moyen d’un ouvrier est 20 Fr). Il semble donc destiné à un lectorat issu des couches populaires.

Cependant les publicités reflètent un lecteur cible plutôt petit bourgeois : mobilier coquet et appareils modernes mais jamais luxueux (TSF, phonographe, appareil photo) indiquent un pouvoir d’achat moyen, quand les cours par correspondance et les ouvrages de vulgarisation semblent viser la catégorie grandissante des employés de bureau dont le niveau de vie est en hausse et qui aspire à une certaine culture.

Enfin la liste des heureux gagnants publiée pour chaque jeu indique un lectorat mixte, essentiellement urbain : on lit Détective depuis Paris et sa banlieue, dans quelques grandes villes de province, des colonies, et de Belgique.

« Voulez-vous jouer au détective ? »

Pendant ses douze années d’existence, Détective multiplie les dispositifs ludiques pour distraire ses lecteurs, allant du concours de vacances ou du simple mot croisé – dont les définitions et les contours évoquent le crime –, au référendum-concours permettant de mobiliser l’opinion sur des sujets sensibles comme la peine de mort ou le bagne. Ainsi de « Crime et châtiment » qui invite à voter pour le meilleur « châtiment suprême »… Certains jeux peuvent prendre la forme d’une énigme à résoudre. En 1930 Paul Bringuier expose ainsi dans ses « 13 dilemmes » un cas de conscience et termine chaque article par « et vous lecteur qu’auriez-vous fait ? » . En 1931 « le 13e juré » de Jean Fouquet propose d’anciens procès sans verdict : le gagnant est celui qui attribue la juste peine à l’accusé. En 1938 dans « Voulez-vous jouer au détective ? », les lecteurs ont une semaine pour deviner qui est le coupable grâce aux images d’un roman-photo. Ces pratiques sont immédiatement reprises par les concurrents de Détective comme Police Magazine avec le jeu du « puzzle des criminels » : de Landru, Bonnot ou Seznec, qui se cache derrière cette mosaïque de portraits à reconstituer ?!

Outre les jeux, Détective déploie de nombreuses initiatives marketing pour fidéliser son lectorat : demandes d’avis sur la maquette du journal (récompensées par des lots), offres promotionnelles sur des livres Gallimard et jusqu’à la création d’un mystérieux « Club » dont les lecteurs membres communiqueraient confidentiellement dans le corps du journal en langue chiffrée ». Cette offre de lancement qui a de quoi allécher les détectives en herbe disparaît pourtant dès mars 1929. Enfin pendant toute son existence, Détective favorise un rapport de proximité grâce à des rubriques consacrées à la correspondance des abonnés : en écrivant au « Professeur Bonheur », au « Courrier juridique », ou encore à « Détective vous parle », le lecteur s’épanche sur sa vie intime et fait de curieuses « Confidences », auxquelles les experts du magazine tentent de répondre.

Le grand référendum-concours sur le bagne

En 1928 Détective rouvre dix dossiers de bagnards qu’il juge trop sévèrement punis et propose aux lecteurs de voter pour celui qui mérite une révision et peut-être une grâce présidentielle. La forme du référendum-concours est un moyen de sensibiliser l’opinion publique mais aussi de fidéliser un lectorat nouveau. A gagner pour celui qui classera dans l’ordre le forçat « vainqueur » et les neuf autres – condamnés, eux, à rester enfermés à Cayenne ? Rien moins que 30 000 Fr !

Roussenq est le condamné élu : « Tel est l’homme dont nos lecteurs nous ont donné l’impérieuse mission de réclamer la liberté. A cette mission, nous ne faillirons pas. » Cinq mois plus tard, Détective annonce triomphalement : « Grâce à nos lecteurs, Roussenq est rendu à la vie, à l’espoir, à la tendresse maternelle… Il est libre ! […] Merci lecteurs ! ». Cette libération est présentée comme la conséquence directe du référendum. En réalité au moment de sa publication, de nombreuses actions sont déjà menées en faveur de Roussenq et sont proches d’aboutir. Ce que Détective se garde bien de raconter…

Sexe à la une

Très loin de la pornographie, Détective présente cependant de quoi nourrir les fantasmes – masculins – par petites touches constantes, depuis les pages de publicités suggestives (pour le tonifiant « Forsex », pour une belle poitrine, pour les livres d’éducation sexuelle etc.), en passant par la rubrique « Confidences » qui traite de sujets très intimes, jusqu’aux photos prétextes. Que ce soit dans les procès de correctionnelle, les grandes enquêtes sociales ou les faits divers criminels, le sexe est partout. À partir de 1935 de nouveaux sujets de reportage plus « people » – top modèles, stars de cinéma – permettent d’exposer des corps féminins dénudés.

Causes grasses et causes salées

Dans la veine des chroniques de Jules Moinaux de la Gazette des tribunaux au XIXe siècle ou des articles contemporains de Geo London dans Le Journal, un traitement comique est réservé aux petits procès. Les affaires de mœurs comme le racolage, l’adultère ou l’exhibitionnisme sont particulièrement prisées, donnant lieu à un rire de connivence avec le lecteur qui repose essentiellement sur des allusions grivoises. En effet, tout l’art du chroniqueur consiste à suggérer sans jamais explicitement dire l’acte ou la partie désigné, comme dans cette chronique où deux hommes sont accusés d’outrage à la pudeur :

N°453, PETITES CAUSES distractions de promenoir

« On ne pouvait reprocher aux deux cuisiniers d’avoir manqué de timidité dans l’expression de leurs sentiments réciproques. Rarement l’amitié – très grecque – s’exprima avec plus de franchise que dans cette rencontre, favorisée par l’obscurité du promenoir. Onnik était en pleine possession de ses forces viriles ; Georges lui tournait le dos. Mais ce n’était ni manque de courtoisie de sa part ni indifférence. Ce dos tourné, c’était précisément la porte ouverte au débordement de leur mutuelle sympathie. »

Les petits délits liés à l’homosexualité ou au travestissement, alors considérés comme des déviances, sont étonnamment nombreux et cherchent systématiquement à faire rire. Mais cette surreprésentations montre aussi une inquiétude face à des individus hors normes. Mêlés à des histoires de crime, travestis, lesbiennes, invertis, filles, drogués se transforment en une faune trouble et indistincte qui n’a plus rien d’amusant mais inquiète par ses mœurs étranges. Le discours devient moralisateur et condamne les tares de ces oiseaux des nuits montmartrois qui pervertissent la société par leurs « plaisirs dangereux ». À plusieurs reprises Détective appelle à légiférer pour faire de ce fléau un « délit nouveau », anticipant sur la loi du 6 juin 1942 établie par le régime de Vichy.

Les travailleurs du sexe

La prostitution est l’un des sujets les plus abordés par Détective. Qu’elle soit en maison close, irrégulière ou clandestine, à Paris, Marseille ou Rio de Janeiro, qu’elle soit pratiquée par des femmes, des hommes ou des enfants, l’hebdomadaire en dévoile tous les secrets. Les points de vue des journalistes oscillent entre réglementarisme et abolitionnisme, mais le plus souvent appellent au respect et à la pitié des prostituées, à la rigueur envers ceux qui transforment les femmes en bétail.

Les articles qui abordent les crimes sexuels comme le viol, l’inceste et la pédophilie recourent tous à une rhétorique de l’indignation. Des figures légendaires comme le vampire, l’ogre, le loup ou le monstre permettent de désigner les agresseurs et le nouveau criminel est immédiatement intégré à la liste tristement célèbre de ses prédécesseurs, les Vacher, Soleilland, Jack l’Éventreur. Aucun détail n’est épargné au lecteur : Détective lui fait revivre le martyr des victimes, suscitant terreur, dégoût et effroi. Chaque cas donne lieu à une étude criminologique : on essaie de repérer dans le regard fuyant, bovin ou sans vie les stigmates du dégénéré. Ses antécédents sont passés au crible : oisiveté, onanisme, timidité excessive, solitude sont des circonstances aggravantes au « viol simple, puis [au] viol avec brutalité, puis [au] viol avec assassinats et mutilations. C’est le cas à la fois tragique et banal de tous les grands sadiques. » Cependant, dépassant la simple dénonciation, Détective pose aussi la question plus complexe de la responsabilité du criminel. Assistant en 1939 au procès d’un homme attardé, violeur et assassin d’une jeune femme de 17 ans, Simone France fait part du malaise ressenti au jugement du « fou lubrique » que tout désigne comme un monstre : « j’entends bien que tous les criminels sont plus ou moins tarés, des malades, mais je n’en ai jamais vu qui m’ait donné autant une telle impression de la défaite de l’esprit, de la conscience. » La parole est aussi donnée à des spécialistes comme le Dr. Toulouse, ce dernier déplorant le retard de la France et prônant la création d’un centre de « sexuologie » pour lutter contre ce « germe ».

Francis Carco (1886-1958)

De 1886 à 1896, l'enfance de Carco se déroule en Nouvelle-Calédonie. De 1908 à 1910, il fréquente les bas-fonds de Grenoble, de Lyon, d'Agen et il arrive à Montmartre en 1910 où il découvre le Bateau-Lavoir. En 1912, il publie son premier recueil dze poésies, La Bohème et mon coeur. En 1914, édite au Mercure de France, Jésus-la-Caille, l'histoire d'un proxénète homosexuel et premier volume d'une série de romans apaches. Il passe ailleurs pour le romancier des souteneurs, de la pègre et des filles. En 1922, il obtient le GRand prix du roman de l'Académie française pour L'Homme traqué. Avec son ami Pierre Mac Orlan, il contribue régulièrement à Détective par de grandes enquêtes ("Les Rues secrètes", "Prisons de femmes") et des articles ponctuels. L'oeuvre de ces deux écrivains sert de répertoire et de référence aux reporters pour écrire les vrais apaches, la faune dangereuses ou les marges.

Pierre Mac Orlan (1882-1970)

Arrivé à Montmartre en 1899 avec l'idée de faire une carrière de peintre, Pierre Mac Orlan, né Pierre Dumarchey, vit alors au fameux Bateau-Lavoir où il se lie avec Apollinaire, Carco, Salmon, Dorgelès et avec de nombreux peintres. A l'époque de la pire misère, il vend tous ses meubles et couche sur une pile de vieux journaux. Il commence à écrire des contes humouristiques puis il rédige en sept mois son premier roman La Maison du retour écoeurant (1912). Le Chant de l'Equipage (1918), un roman d'aventures, est son premier grand succès. Il commence en même temps une carrière de grand reporter pour L'Intransigeant, Le Petit Journal, Paris-Midi. Dans les années 30, il connaît une grande notoriété avec les adaptations au cinéma de ses romans, notamment du Quai des brumes. Après-guerre, il publiera surtout des mémoires, des essais et des chansons interprétées par Germaine Montero et Juliette Gréco.

Ashelbé (1887-1963)

En 1928, Gallimard entend parler d'une petite feuille appelée Le Détective. Il prend alors contact avec son directeur, le détective Ashelbé alias Henri La Barthe. Celui-ci est un personnage pittoresque qui détient un cabinet de détective, "l'International détective company". Il a tenté de donner de la noblesse à son métier en le tirant vers la police scientifique et technique, et s'est notamment spécialisé dans l'étude des empreintes digitales. Depuis 1925, il dirige Le Détective, une feuille professionnelle emplie d'anecdotes, de cas pratiques mais aussi de nouvelles. L'homme a des aspirations à l'écriture - il effectue au début des années trente une spectaculaire reconversion comme romancier (Pépé le Moko, 1931 ; Dédée d'Anvers, 1931) et scénariste - et plutôt que de vendre simplement son titre au prestigieux éditeur, il négocie une participation et obtient ainsi le droit d'insérer des publicités et même des articles : en 1929, il signe notamment une série intitulée "Si vous voulez devenir un bon détective".

Paul Bringuier

Paul Bringuier est un rédacteur permanent de Détective. Mariuse Larique, l'un des deux directeurs de l'hebdomadaire avec Georges Kessel, a voulu en faire un grand journal d'enquête et de reportage en recrutant 28 reporters expérimentés dont Paul Bringuier du Journal. Ces reporters mêlent une authentique tentative d'investigation et de témoignage, sur le modèle d'Albert Londres, à une tendance certaine à la mystification et à la jobardise. Ils sont proches du Quai des Orfèvres, ils ont des amitiés dans le "milieu", fréquentent Montmartre la nuit et perfectionnent leur adresse au tir dans les bureaux exigus de la rédaction. En 1931 paraît son roman Au nom d ela loi dont Maurice Tourneur tirerar son film. Joseph Kessel en rédige la préface : "Il [Paul Bringuier] a beaucoup d'amis chez les autres, les hors la loi, les traqués, les clients habituels des cours d'assises. [...] il les aime comme ça, pour leur ingénuité, leur mépris de la faiblesse, leur simplicité de moeurs et d epsychologie. Mais surtout pour la vis tumultueuse, passionnée, constamment tenue aux limites de la mort qu'ils mènent."

Comme un roman

« Détective sera romancier : il vous fera participer à des épopées merveilleuses. Vous aurez votre film hebdomadaire à domicile et vous apercevrez que les inventions des conteurs ont souvent aiguillé la police vers des procédés nouveaux. C’est ainsi que la fiction ramène à la réalité. Vous serez au cœur de l’imagination. Et ce seront les romans, les nouvelles de Détective par les auteurs les plus ardents, les mieux connus, les mieux aimés ».  (Profession de foi de Détective, 1er novembre 1928).

L’attrait pour le roman policier.

Il existe une proximité évidente, à la fois historique et sociologique entre le roman policier et le fait divers qui se sont développés simultanément dans les mêmes journaux au XIXe siècle et sous la plume des mêmes auteurs. L’histoire policière, sous sa double forme, romanesque avec l’inspecteur Lecoq, fait-diversière avec l’affaire Troppmann, a coïncidé avec un moment spectaculaire d’expansion de la presse écrite à la fin des années 1860. Le succès de Détective en constitue d’abord une sorte de petit remake.

Les nouvelles

Dès le premier numéro Détective annonce la publication « chaque semaine, [en page 4], d’un conte ou une nouvelle des meilleurs écrivains : Conan Doyle, Georges d’Esparbès, Emmanuel Bove, Pierre Humbourg, Roger Allard, Louis Roubaud, etc… » Entre 1929 et 1930 « Georges Sim » mobilise aussi cette case avec des récits-problèmes qui impliquent le lecteur. Détective a le génie de matérialiser cette participation sous la forme de concours : un prix est offert à ceux qui trouvent la solution des « 13 mystères », des « 13 énigmes » et des « 13 coupables ». La thématique criminelle est bien sûr omniprésente.

Les feuilletons

Du côté des feuilletons à la dynamique plus rocambolesque, la première idée de Gallimard est d’associer son hebdomadaire à ses collections populaires. Plusieurs feuilletons publiés par Détective sont édités dans la collection « Les chefs-d’œuvre du roman d’aventure » en 1928. Puis Détective commande des romans policiers aux « maîtres de la littérature » et publie Ombres de Paris de Pierre Mac Orlan illustrée par des photographies de Germaine Krull.

Bandeau des romans de la collection « chefs d’œuvres d’aventure »  publiés dans Détective :

La Série sanglante de Van Dine à partir du 1er novembre 1928 ;

Les Quatre d’Edgar Wallace à partir du 18 avril 1929 ;

Étienne Grill la plaie en triangle à partir du 28 février 1929.

Mais peu à peu Détective renonce à la fiction littéraire explicite. Sans doute Détective a-t-il jugé que cette coexistence entre articles factuels et articles fictionnels, ce mélange réalité-fiction, était dommageable pour la crédibilité du fait divers. Cependant le brouillage ne disparaît pas, bien au contraire.

Brouillage réalité/fiction

En fait, Détective continue à publier des fictions mais il les annonce comme d’authentiques reportages : Cette étiquette constitue le laissez-passer pour leur accueil dans l’hebdomadaire : « Lire prochainement Notre-Dame des Ténèbres, un reportage sensationnel de Paul Bringuier sur le trafic et les ravages de la drogue ». Le reportage en question se passe pendant la première guerre mondiale, le reporter est inexistant, et l’intrigue est invraisemblable mais cela n’a guère d’importance. L’alibi journalistique permet l’insertion de cette fiction dans Détective, que chez Gallimard on appelle beaucoup plus lucidement « roman ». Paul Bringuier fournit plusieurs « reportages » romancés réédités en librairie (Au nom de la loi, Les Hors-la-loi et Notre-Dame-des Ténèbres) tout comme Henri Drouin (Angèle).

D’une manière plus générale, Détective n’hésite pas à raconter beaucoup de ses faits divers comme des romans, utilisant les modes de narration du récit classique réaliste pour mieux mettre les lecteurs dans l’ambiance du crime au détriment souvent de la vraisemblance. Marius Larique écrit avec lucidité en 1936 que Détective a inventé « le fait divers romancé ».

La fiction est donc bien présente mais sous une forme déguisée et donc problématique pour un journal qui entend dévoiler la vérité ! Dans le numéro 128 du 9 avril 1931, un reporter Luc Dornain prétend s’être embarqué comme aide-cuisinier sur le Lamartinière, bateau qui convoyait les bagnards vers la Guyane. Le récit fourmille d’anecdotes saisies sur le vif, de confidences de forçats et est authentifié par de magnifiques photographies. Le reportage déclenche un tel scandale que le ministère des colonies lance une grande enquête. La vérité au bout de quelques mois émerge : aucun journaliste n’est monté à bord et tout est invention, sauf les photographies prises par un sergent infirmier, et livrées à Détective « dans un but de lucre ».

Combien de reportages et de faits divers sont ainsi de pures fictions ?

Comme dans un film de gangsters

Aux États-Unis durant la Prohibition, les criminels comme John Dillinger deviennent rapidement des héros de cinéma : le genre du film de gangsters est né. En France, c’est ainsi que l’on découvre les images des bandits comme Al Capone dit « Al-le balafré » : hauts en couleurs, prompts à tirer leurs balles dum-dum, sans pitié dans les affaires mais sentimentaux. Détective reste fidèle à l’imaginaire des films de gangsters qu’il convoque dès son premier numéro, « Chicago, capitale du crime », faisant écho aux Nuits de Chicago de Sternberg sur les écrans français en 1928. D’abord restreint à l’actualité américaine, cet imaginaire contamine également le fait divers national. Les petites affaires sont présentées comme les « films de la semaine ». Le terme « gangster » se banalise et concurrence le « bandit » français. Depuis la lointaine rédaction parisienne, la ville de Marseille est transfigurée en une fantasmatique « capitale du crime en France, comme Chicago l’est en Amérique », même si l’actualité locale est loin de permettre un tel parallèle !

Confessions d’un homme dangereux

Les écrits de criminels depuis Lacenaire sont toujours une garantie de gros tirage, aussi les journaux rivalisent-ils pour les obtenir en exclusivité. En 1934 au moment du procès Nozière, Détective réussit un gros coup médiatique en publiant le journal que la parricide a tenu en prison. La même année il recueille l’exceptionnelle confession d’un meurtrier en cavale, Marc Goldmanovitch. Détective se présente comme le média digne de confiance élu par les bandits, mais en réalité ces tractations sont chèrement monnayées. L’hebdomadaire n’hésite pas non plus à écrire de fausses confidences. En 1930 le prince Youssoupoff exigera ainsi un démenti après un texte appelé « Comment j’ai tué Raspoutine » signé de son nom ! Le genre des confessions permet aussi des enquêtes sociales fictionnalisées. Procédant d’une prétendue « adaptation » par les rédacteurs, le journal donne à voir la réalité de la prison ou de la prostitution par les témoignages « authentiques » d’un geôlier, d’un placeur, d’un souteneur, ou d’une entôleuse.