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Déposition des témoins

Pendant 17 jours, 70 témoins à charge et à décharge vinrent à la barre de la première chambre de la cour d’appel de Paris. La disparition de la République entre juin et juillet 1940 était au cœur de l’accusation. Les premiers témoins à charge furent donc ces hommes politiques de la IIIe République, Paul Reynaud, Edouard Daladier, Léon Blum (emprisonnés au fort du Portalet par le chef de l’État français), mais aussi Albert Lebrun, Jules Jeanneney…

Les témoins défilaient à la barre, le procès s’enlisait, l’impatience se manifestait… Pourtant, certaines prises de parole marquèrent les nombreux journalistes présents aux audiences. Léon Werth comparait son expérience des Assises et les débats de la Haute Cour. « Parfois, aux assises, par-delà le cérémonial de la justice, par-delà les pauvres réponses d’un banal criminel de droit commun, naît soudainement une minute pathétique. Pour qu’elle apparaisse, il suffit d’un mot, d’un mot qui vient du fond de l’homme ; d’un mot qui révèle l’atrocité du crime ou la misère du criminel. Un étrange silence se fait alors dans la salle, un silence tantôt d’angoisse et tantôt de libération. Un souffle humain a passé. Nous eûmes une belle minute. Rien ne laissait prévoir qu’elle allait naître. [...] D’une voix presque inquiète il [Léon Blum] dit :

- Je ne connais pas le Maréchal. Ce fut un grand silence dans la salle. [...]

- Le maréchal, continua Blum, est un mystère que je ne comprends pas. Je ne puis saisir les vrais mobiles de ses actes : ambition, mobiles personnels, desseins depuis longtemps prémédités ou soudain conçus dans le désastre de la patrie ? ... » (Léon Werth, Impression d'audience, Paris, Viviane Hamy, 1995 p. 51-52.)

Dans Le Monde du 30 juillet, Léon Blum à la barre. « Sa présence dans la salle d’audience de la Haute Cour de justice produit une sensation profonde. Il évoque la vie du parti socialiste depuis l’autre guerre, le Front populaire, puis, après la catastrophe, les odieuses mesures d’exception et leurs conséquences atroces. On pense à tous ceux qui, autour de lui, amis et fidèles, ont disparu. Lui, par miracle, est sorti vivant des mains des Allemands. En dépit de ce qu’il a souffert et des années – il a 73 ans – sa silhouette élégante est restée étonnamment jeune. Sa haute taille ne s’est pas courbée. Son visage grave sait encore sourire. Il parle sans haine mais avec une émotion difficilement réprimée. »

Quelques jours plus tard c’est l’arrivée et la déposition-monologue de Pierre Laval qui focalisa l’attention. Joseph Kessel s’interrogeait dans les colonnes de France Soir le 4 août. « Le grand sorcier va t-il sortir ses sortilèges ? « Il apparait dans la petite salle plus peuplée encore qu’à l’ordinaire et plus étouffante. Un silence se fait. La curiosité de centaines et de centaines de regards colle comme de la glue au visage de l’homme qui entre. [...] Il a maigri, il a le teint hâlé, presque brique. Son cou s’agite dans un col de chemise trop large. La cravate blanche est là. » Et le 5 août, il notait « il a déployé toutes ses ressources et tous ses personnages. Il a été éloquent. Il a été drôle. Il a tempêté. Il a pleuré ».