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Réquisition

Le 11 août 1945 le procureur général Mornet prononça son réquisitoire.

« Après le démarrage décevant de l’acte d’accusation, les reculades et le désordre des audiences, le réquisitoire est somme toute meilleur que ce à quoi on aurait pu s’attendre. Il est long mais demeure proportionné à l’enjeu du procès et adopte un style relativement sobre, duquel ce procureur très donneur de leçons n’est pas toujours coutumier.» (Bénédicte Vergez-Chaignon)

« Et d'abord, messieurs, définissons de quel genre de trahison il s'agit ici. Loin de moi la pensée d'assimiler les faits reprochés au Maréchal à ces marchés brutalement cyniques où délibérément l'on vend sa patrie pour satisfaire une rancune ou un intérêt inavouable. Mais, comme le dit La Rochefoucauld, la trahison joue toutes sortes de personnages, même  celui de serviteur loyal et désintéressé du pays.

Or, parmi les formes qu'elle peut revêtir, la plus grave est celle que je définirais une atteinte portée aux intérêts sacrés de la Patrie dans des circonstances et dans des conditions telles que les mobiles auxquels obéit l'auteur paralysent le réflexe national et lui font perdre la notion de certaines choses qu'aucune nation ne peut pardonner à ceux qui lui infligent la honte.

Or, ce qu'une nation ne peut pardonner à ceux qui la représentent, c'est de la condamner à accepter définitivement sa défaite, de lui dire : « Tu es définitivement vaincue, ne songe pas à te relever dans les rapports avec ton vainqueur ; résigne-toi à prendre place derrière lui dans l'ordre d'une Europe germanisée. »

En second lieu, ce qu'une nation ne peut pas pardonner à un homme, c'est de l'humilier à la face du monde, c'est de l'asservir à son vainqueur ,et l'asservir à ce vainqueur, au point de le prendre pour modèle, d'adopter ses lois, ses préjugés jusqu'à ses haines.

Enfin, une troisième chose qu'une nation ne peut pas pardonner à ceux qui prétendent la représenter, c'est, sous couvert d'une neutralité hypocrite, au mépris des engagements pris envers ses compagnons d'armes de la veille, faire une guerre sournoise, d'apporter à l’ennemi commun une aide à peine camouflée. Une nation, en effet, ne peut pas pardonner ce qui la déshonore. » (Compte-rendu d’audience, réquisitoire du procureur Mornet, p. 894)