Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
A CEUX QUI COMME MOI DE CHIMÈRES GRISES
CONTEMPLENT LE CERCUEIL DE LEURS ESPOIRS BRISÉS.
P.R.
L’ENFER DU BAGNE
Quand, dans le froid décor des austères prétoires,
L’ombre du Châtiment escompte ses victoires
Alors qu’en cet instant la vindicte des lois
Exerce sans pitié ses terribles exploits
Les juges sentent-ils un frisson qui les gagne ?
En évoquant l’horreur des misères du Bagne...
Se penchent-ils au bord de l’abîme entr’ouvert
Sous les pas de celui qu’ils ont chargé de fus ?
Hélas, ils ne sauraient lever le voile infâme,
Sans se sentir troublés, jusqu’au fond de leur âme ;
Hésitant davantage à frapper sans retour,
Ils seraient indulgents pour la faute d’un jour.
« Qu’il doive m’en coûter, comme juge et partie,
Sans que la vérité se trouve travestie,
Cet optique rideau je vais le soulever
Et nul considérant ne viendra m’entraver. »
Le Bagne est un enfer, une énigme troublante ;
Il faudrait le génie et le pinceau de Dante,
Pour mettre en relief ses recoins ténébreux
Et le décrire tout, sous ses aspects nombreux.
Le système adopté, loin de relever l’homme
Le descend au niveau de la bête de somme ;
Celui qui vient au Bagne avec un peu de cœur,
On le laisse corrompre avec indifférence
Et, des pouvoirs publics, le coupable carence
Ne permettant jamais le moindre amendement
On ne peut espérer qu’il en soit autrement
Pour tout observateur qui le scrute et le sonde,
Le Bagne est en petit ce qu’en grand est le monde
Mais la pudeur n’est point, en ce milieu pervers
Où se montrent à nu le vice et les travers ;
Le chancre social, infâme pourriture
Qui ronge sourdement l’œuvre de la nature ;
Les tares, les noirceurs et les expédients
Forfaits, méfaits inconscients
Tout ce qui dégénère et tout ce qui
Comme en pays conquis cyniquement s’étale.
Mais si cela s’applique aux hôtes de ces lieux,
Combien, en liberté, qui ne valent pas mieux
Ils se sont mesurés dans l’inégale lutte,
Aux affres de la faim ils se trouvaient en butte
La plupart n’avaient pas de toit pour les couvrir