Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
S’ils ont volé, tué, c’est pour ne pas mourir
Et le Bagne est venu couronner leur carrière
Lorsque le ruban rouge orne la boutonnière
D’assassins galonnés, d’élégants malfaiteurs,
Qu’on élève au pinacle et qu’on couvre d’honneurs.
Orphelins, qui n’ont eu que des soins mercenaires
Bâtards montrés du doigt, voués aux victimaires
Que creusent, sous leurs pas, les foyers désunis
Rejetons de la rue, éclos dans les garnis…
Tous ceux qui n’ont pas eu l’ombre d’une caresse,
Ou qui furent sevrés du lait de la tendresse,
S’en vont grossir le flot de ces irréguliers
Qui, de l’ordre moral, ébranlent les piliers.
Voulant avoir leur part de vitale récolte,
Leur étendard flottant au vent de la révolte,
Ils montrent à l’assaut de la Société
Dont ils ont ressenti toute la cruauté.
La misère et la faim les poussent vers le crime,
Ils y sont acculés pare qu’on les opprime.
Jusqu’à ce que se dresse, en un brumeux matin
Le sanglant échafaud promis par leur destin.
Lorsque le condamné, dans un sursaut intense,
Apprend sans coup férir la cruelle sentence,
Il se voit transporté loin, par-delà les mers,
Et son cerveau bouillonne en ces moments amers.
Il ébauche des plans qu’en silence il médite,
Qu’il lui tarde déjà d’exécuter bien vite ;
Sacrifié d’avance à la terre de mort,
Il conserve l’espoir qu’aisément on en sort.
Parce qu’il n’a pas vu l’épouvantable fresque,
Il ne peut pas savoir en quel enfer dantesque
Le sort va le jeter sans force et pantelant :
Il ne peut deviner le séjour accablant
Où l’homme ; dépouillant sa forme policée,
Se révèle soudain la brute sans pensée
Tel que le primitif au milieu des grands bois
Constamment aux aguets et sans cesse aux abois
Malgré l’illusion où son espoir s’accroche
Son destin est tracé : déjà l’heure s’approche
Un jour on aperçoit, surgissant au lointain,
Le lugubre transport ralliant Saint-Martin :
Et la foule accourue épie les visages
Des hôtes désignés pour les sinistres cages.
On les voit, accoutrés d’informes vêtements,
S’avancer deux par deux, s’embarquer lentement
Leur défilé prend fin – alors le noir navire
Mugit en levant l’ancre et sur lui-même vire.
Tout le long du trajet, les forçats anxieux
Ne savent que penser du plus mal ou du plus mieux ;
Mais sitôt débarqués ces êtres pitoyables
Ont le pressentiment de choses effroyables.
Pêle-mêle enfermés dans un triste local,
Ne pouvant s’affranchir des atteintes du mal