Roussenq (Paul) — L'enfer du bagne
Avançant pas à pas jusqu’au bord de l’abîme,
Presqu’inconsciemment il est venu sombrer
Vers le Bagne maudit, pour souffrir et pleurer.
Enfant ! que le Destin a jeté loin de l’âtre,
Quand la société, ta cruelle marâtre,
De sa griffe d’acier te marque pour toujours,
Empoisonnant ainsi le restant de tes jours.
Avait-elle songé que des brutes cyniques,
Dans le débordement des instincts érotiques
Viendraient te harceler, dans tes nuits sans sommeil,
Que l’orgie et l’horreur, te tenant en éveil,
Dans un accouplement monstrueux et sauvage
Se liguant contre toi pour consomme l’outrage ;
Surgiraient à tes yeux sous les traits d’un bagnard,
La menace à la bouche, à la main un poignard,
Et que terrorise, succombant d’impuissance,
Immolé sur l’autel de la concupiscence,
Point de mire constant des désirs sensuels,
Tu serais le jouet de ses appétits charnels…
Et toi, que fais-tu là, condamné militaire
Qu’a frappé durement un code sanguinaire ?
En fuyant la rigueur d’un régime de fer
Pour venir échouer au fond de cet enfer –
Où plus amer encore est le pain qu’on y mange
Ayant troqué tes maux sans rien gagner au change
Tu souffres sans répit en espérant en vain,
Victime de l’armée et du sol africain !
… D’autres ont les faveurs, ainsi que les sourires ;
Notés bons condamnés, ce sont pourtant les pires :
Ils furent des bandits, des criminels fameux _
Tu brûlas ta paillasse, et tu pèses moins qu’eux ?
Le forçat face à face avec sa déchéance,
N’ayant plus de ressort, se livre à l’ambiance ;
Happé par le remous, entraîné par le flux,
Il perd son libre-arbitre et ne s’appartient plus.
Paria rejeté de l’enceinte du monde,
Nul ne saurait sonder sa misère profonde
Et c’est parce qu’il voit son horizon si noir
Qu’il ne tressaille plus au souffle de l’espoir
Assis sur un rocher de la terre maudite,
Les yeux vers l’Océan, un jeune homme médite ;
Son regard va se perdre en un rêve lointain,
Ephémère rayon de l’Idéal humain.
Il songe aux jours sereins de son adolescence
Où la sève de vie, en toute sa puissance,
Influait dans son sang le doux germe d’amour,
Comme l’aurore monte et se fond dans le jour.
Son âme s’ouvrait toute, en ce printemps suave ;
Elle se répandait comme un torrent de lave,
Fiévreuse d’action, de bruit, de mouvement,
Elle prenait son essor vers l’éternel aimant…
Il entrait dans la vie, il en goûtait les charmes