Murs rebelles. Iconographie nationaliste contestataire : Corse, Euskadi, Irlande du Nord
Cette exposition, conçue et réalisée par Xavier Crettiez et Pierre Piazza, s’inscrit dans le prolongement d’un travail de recherche universitaire initié par ces deux chercheurs sur l’iconographie politique contestataire. Les photographies de graffs, pochoirs, tags et fresques murales de type nationaliste ici visibles ont été prises en Corse et au Pays Basque nord entre 2011 et 2012. Elles sont complétées par des clichés réalisés sensiblement à la même période en Irlande du Nord et au Pays-Basque sud par Pascal Pragnère.
Un même phénomène peut être observé sur les territoires de la Corse, de l’Irlande du Nord et de l’Euskadi : la présence d’une multitude de messages, de sigles, de représentations aux formes variées qui, relevant d’un nationalisme de type violent, participent localement d’un même processus de colonisation de l’espace public. N’ayant jamais fait l’objet d’une étude systématique dans une perspective comparative, ce matériau apparaît pourtant extrêmement précieux afin d’enrichir, au moins d’un triple point de vue, les connaissances sur les luttes armées à l’œuvre dans ces régions. Il offre la possibilité d’analyser sous un angle original les acteurs au cœur de ces luttes, leurs logiques d’action et leurs référentiels doctrinaux sans en passer par les éléments de langage des organisations partisanes. Il offre ainsi le « texte caché » des nationalismes, dans toute sa brutalité. Il permet aussi de saisir les mutations des conflits régionaux à travers un regard non censuré sur l’expression libre des colères, rancœurs, espérances exprimées « par le bas ». Il renseigne enfin sur la force que peut revêtir un « nationalisme banal » parvenant à s’enraciner profondément dans la quotidienneté du vécu de chacun.
Afin de faciliter le parcours du visiteur, un premier encadré lui rappelle brièvement les réalités auxquelles renvoient les trois terrains où certains groupes privilégient le recours à la violence comme moyen d’action politique. Huit autres encadrés se succèdent ensuite qui, pour chacun d’eux, expose une thématique particulière utile au classement et à la compréhension des photographies exposées.
Cette exposition a été réalisée grâce au soutien financier du CESDIP (Centre de recherches sociologiques sur le Droit et les Institutions pénales, CNRS, UMR 8183,) du LEJEP (Laboratoire d’Études juridiques et politiques, Université de Cergy-Pontoise), de la CASQY (Communauté d’Agglomération de Saint-Quentin-en-Yvelines) et du VIP (Laboratoire Versailles Saint Quentin Institutions publiques).
Edition en ligne : Jean-Lucien Sanchez
Les luttes armées en Corse, Euskadi et Irlande du Nord
Parler de luttes armées dans ces trois régions revient à amalgamer des réalités en fait très différentes. Si la situation nord-irlandaise évoque plutôt une guerre civile de basse intensité, la situation basque relève d’un usage de la violence politique aux frontières du terrorisme alors que la Corse va voir se développer une pratique violente de la politique instaurée par des groupes (autonomistes puis nationalistes) en quête de visibilité publique. Pour autant ces trois régions partagent une même expérience d’espaces publics dominés par des groupes armés qui pèsent sur l’agenda politique local et même national.
En Corse, la violence du FLNC apparaît au milieu des années 1970 pour trois raisons distinctes. L’indépendance de l’Algérie tout d’abord qui apporte sur la côte orientale de l’île plusieurs milliers de pieds noirs disposant d’une solide expérience agricole et qui se verront remettre des terres destinées à l’origine aux paysans insulaires, suscitant une colère expressive. C’est ensuite un vif sentiment de dédain, de la part d’un État peu soucieux du bien être des Corses, qui se développe lorsque les pouvoirs publics multiplient des décisions contraires à l’intérêt perçu des habitants (affaire des boues rouges, volonté de suppression du train corse, rapport Hudson sur l’aménagement massif du sud de l’île, etc.). Enfin, la violence sourd d’un refus du système clanique tout puissant en Corse qui interdit aux exclus des grandes familles de l’île – grâce au clientélisme et à la fraude électorale - de s’imposer sur la scène publique. La violence devient dès lors un habile moyen de porter ses vues politiques à la face des pouvoirs publics et de l’opinion. En presque quarante ans, le FLNC et ses nombreux épigones, vont commettre plus de 8 000 attentats essentiellement à l’explosif et une centaine d’assassinats principalement dans les rangs mêmes des acteurs nationalistes. La lutte pour les ressources rares de la Corse, pour obtenir la reconnaissance d’un État parfois ouvert à la négociation, pour affaiblir un rival menaçant ou pour s’afficher comme l’héritier d’un nationalisme historique mythifié, aboutit à de véritables purges au sein de la « famille » nationaliste, longtemps incapable de présenter un front uni.
En Euskadi, la lutte armée prend racine sous le franquisme puisque l’ETA émerge, en 1959, des rangs de la jeunesse nationaliste et catholique du Parti Nationaliste Basque (PNV) en exil en France. Peu activiste à ses débuts, l’ETA commet son premier assassinat en 1968 avant de se lancer dans une campagne de violence meurtrière vis-à-vis des forces de l’ordre espagnoles. À partir de 1986, suite à une série de scissions et à l’offensive d’un contre-terrorisme illégal (les GAL), l’ETA radicalise sa position et change son comportement militaire en usant de moyens d’action violente indiscriminée (les voitures piégées). Le statut des victimes évolue et le nombre de civils devient dominant parmi les tués, orientant l’organisation séparatiste vers la voie du terrorisme pur. Acculée par une répression d’envergure des deux côtés de la frontière ainsi que par une pression en interne de la part des collectifs de prisonniers et des organisations partisanes de soutien à la lutte armée, sous pression du pouvoir judiciaire espagnol, l’ETA s’affaiblit dès les années 2000. La contestation radicale change de visage. Aux attentats d’envergure succèdent les actions plus économes en moyens et vies humaines alors que les jeunes radicaux mettent en place le phénomène de la kale boroka (la guérilla des rues) dans les grandes villes basques. Le 20 octobre 2011, l’ETA annonce la fin définitive de ses opérations armées après avoir tué plus de 820 personnes. 700 prisonniers basques demeurent incarcérés alors que s’ouvrent en 2012 et 2013 des « négociations pour la paix » sous l’égide d’associations et des partis nationalistes, au pouvoir au Pays basque sud depuis octobre 2012.
En Irlande du Nord, après les assauts violents et la répression dont fut victime le mouvement pacifique pour les droits civiques de la minorité catholique en 1968-69, l’Irish Republican Army (IRA) se remobilisa. Face à la répression et la partialité de l’armée britannique en faveur des loyalistes protestants, le rôle initial de l’IRA de défense des quartiers catholiques évolua rapidement en une action offensive nationaliste destinée à chasser l’armée « coloniale » d’Irlande du Nord et à réunifier l’île divisée en 1921. Suite à des évènements symboliques comme le Bloody Sunday (31 janvier 1972) où 14 manifestants pacifiques furent tués par des snipers de commandos anglais à Derry, la campagne d’attentats s’intensifia. L’autonomie de la province fut suspendue, et une législation d’exception introduite. Plus de 500 personnes furent tuées en 1972, plus de 3 000 entre 1969 et 1998. Le conflit vit s’opposer les républicains irlandais non seulement aux forces de sécurité britanniques, mais aussi aux loyalistes protestants qui souhaitent conserver leur place au sein du Royaume-Uni. Plusieurs tentatives de résolution, puis des conversations secrètes, aboutirent à l’implication des gouvernements britannique et irlandais dans un processus de paix. Un cessez-le-feu intervint en 1994, qui ouvrit la voie à la signature des accords du Vendredi Saint (Good Friday Agreement) en 1998, au désarmement de l’IRA en 2005 et à l’accord de Saint Andrews en 2006. Ces accords ont restauré une assemblée et un gouvernement autonome en Irlande du Nord, mis en place sur la base du partage du pouvoir entre les deux communautés. Si la pacification par le haut a réussi, la pérennité des affrontements inter-communautaires montre que les accords de paix n’ont pas définitivement tenu la violence en échec.
L'ouvrage Murs rebelles de Xavier Crettiez et Pierre Piazza est disponible aux éditions Karthala.
Affiche de l'exposition en français 567,1 Kio Affiche de l'exposition en portugais 1,3 Mio Affiche de l'exposition en espagnol 591,1 Kio