La question des prisonniers est absolument centrale dans les trois conflits périphériques. Des politiques répressives volontaires, particulièrement en Irlande du Nord et en Euskadi, ont abouti à l’incarcération sous des statuts parfois dérogatoires, de plusieurs milliers d’activistes proches de l’ETA, de l’IRA ou des formations paramilitaires loyalistes. En Espagne certains de ces prisonniers ont été condamnés à plusieurs milliers d’années de prison pour éviter toute possibilité de remise de peines. En Irlande du Nord, les conditions de répression particulièrement dures ont conduit les militants républicains à des actions de résistance très médiatisées. Ainsi, la double grève de la faim et de l’hygiène (le dirty protest) aboutira, en 1981, à la mort de Bobby Sands et de neuf autres militants de l’IRA. En Corse, une grosse centaine d’activistes du FLNC seront incarcérés, même s’ils bénéficieront par deux fois d’une amnistie présidentielle, permettant dans les deux cas de relancer des campagnes d’attentats sur le terrain.
Pour les organisations combattantes, les prisonniers incarnent la preuve du caractère répressif de l’État colonial qu’ils combattent. Les termes de « génocides » ou de « massacres » peuvent parfois être utilisés pour stigmatiser la répression de pouvoirs publics dont on refuse de reconnaître la légitimité. Les récits de torture dans les commissariats ou les postes militaires, les accusations d’enlèvements ou de mises à mort de militants par des forces occultes (les barbouzes en Corse, les GAL en Espagne ou les services du MI5 en Grande Bretagne) participent de la construction d’une « communauté de la peur » qui voue aux martyrs de la cause un véritable culte. Yvan Colonna, assassin reconnu par la justice du préfet Erignac, Bobby Sands, mort dans la prison de Maze ou Jon Antza, disparu avant d’être retrouvé mort, sont autant de symboles de la production d’une justice dite « répressive » et « aveugle aux souffrances des peuples en lutte ».
La construction de ces figures du martyr présente plusieurs intérêts. Elle donne à voir, selon les nationalistes radicaux, le « vrai visage » des démocraties dominantes, implacables lorsqu’il s’agit de faire taire les voix rebelles. Mais au-delà, elle assure une visibilité au combat nationaliste en soudant la communauté victimaire dans une souffrance partagée. Ce faisant, elle promet aux mouvements armés une sympathie naturelle : celle que l’on accorde à la victime innocente et faible face au bourreau visible et puissant ! Soutenir les mouvements de lutte armée devient une obligation morale pour les jeunes natifs de ces régions, soupçonnés sinon de vouloir participer, par leur indifférence, à la politique pénale de l’État « colonial ». La réalité répressive, exagérée et mise en scène à dessein, permet également de continuer à parler d’un « problème » corse, basque ou irlandais en scénarisant sur les murs des villes la souffrance partagée du faible David militant contre l’impitoyable Goliath étatique. Le problème demeurant, la violence reste légitime assurent les nationalistes. Enfin, certains épisodes de la répression fonctionnent comme d’efficaces ressorts mémoriels des luttes nationalistes et finissent par s’ancrer durablement dans les mémoires militantes jusqu’à devenir partie de la culture régionale : la mort de Bobby Sands, le « massacre » du Bloody Sunday, le procès de Burgos ou l’épisode des GAL, le meurtre de Guy Orsoni ou celui de Jean Baptiste Acquaviva… Autant d’épisodes permettant de souder dans une même empreinte victimaire ce que Max Weber appelait des « communauté émotionnelles » souffrantes.
Corse
LIBERTA PA YVAN
LIBERTÉ POUR YVAN
C’est une contestation de la parole d’État que rendent concrète et visible les écrits sauvages sur les murs de la Corse. On retrouve cette ambition subversive dans l’affichage du soutien à la geste assassine d’Yvan Colonna. Ce soutien le plus souvent inscrit sous la forme d’un « gloria a te Yvan » peut être lu de deux façons. D’une part, comme la défense d’un homme dont la culpabilité serait douteuse car établie par un État dont la légitimité est contestée. D’autre part, comme la défense d’un acte : celui d’un criminel/militant coupable du meurtre/exécution du plus haut représentant local de l’État qui, à ce titre, doit être considéré comme un « modèle national ». Dans les deux cas l’opinion rendue publique s’oppose frontalement à celle promue par la légalité républicaine, soit qu’elle conteste la parole judiciaire, soit qu’elle approuve un assassinat politique.
Corse
FRANCIA : A NOSTRA RESISTENZA
SERA SEMPRE PIU
FORTE CHI A TU
RIPRESSIONE
FRANCE : NOTRE RÉSISTANCE
SERA TOUJOURS PLUS
FORTE QUE TA
RÉPRESSION
Corse
LIBERTA PER SANTONI
LIBERTÉ POUR SANTONI
Message faisant certainement référence à Charles Santoni, militant nationaliste ayant été condamné en 1999 à 28 ans de prison pour avoir assassiné trois ans plus tôt un membre du RAID à Ajaccio.
Corse
IN MEMORIA G-B ACQUAVIVA
23 ANNI D’INGHJUSTIZIA!
EN MÉMOIRE DE G-B ACQUAVIVA
23 ANNÉES D’INJUSTICE !
Ghjuvan Battista Acquaviva : militant du FLNC tué en novembre 1987 près de Bastia par Ferdinand Roussel, un agriculteur Pied Noir, alors qu’il organisait une opération commando dans sa villa.
Corse
PETRU MORTU PER A SO TARRA
SEMPRE VIVU
PIERRE MORT POUR SA TERRE
TOUJOURS VIVANT
Corse
PETRU
SEMPRE VIVU
PIERRE
TOUJOURS VIVANT
Messages certainement à la mémoire de Pierre Albertini, membre de l’exécutif du MPA (Mouvement Pour l’Autodétemination) assassiné en août 1995 à Bastia.
Pays Basque
KONPONBIDE DEMOKRATA
EUSKAL PRESOAK HERRIRAT !
SOLUTION DÉMOCRATIQUE
RAPPROCHEMENT DES PRISONNIERS POLITIQUES BASQUES !
Irlande du Nord
EVERYONE
REPUBLICAN
OR OTHERWISE
HAS THEIR OWN
PARTICULAR
ROLE TO PLAY
OUR REVENGE
WILL BE THE LAUGHTER
OF OUR CHILDREN
BOBBY SANDS MP
CHACUN,
RÉPUBLICAIN
OU AUTRE,
A SON PROPRE ROLE
À JOUER.
NOTRE REVANCHE
SERA LE RIRE
DE NOS ENFANTS.
BOBBY SANDS, DEPUTÉ
Boby Sands a été élu député au parlement britannique au cours de sa grève de la faim en 1981, quelques semaines avant de mourir.
Irlande du Nord
SPRINGHILL
WESTROCK
MASSACRE
BELFAST’S BLOODY SUNDAY
ON SUNDAY THE 9 TH JULY 1972
THE BRITISH ARMY MURDERED 5 IRISH CITIZENS
AND SEVERELY WOUNDED 2 OTHERS
IT IS TIME FOR THE TRUTH
SPRINGHILL
WESTROCK
MASSACRE
LE BLOODY SUNDAY DE BELFAST
LE DIMANCHE 9 JUILLET 1972
L’ARMEE BRITANNIQUE A ASSASSINÉ 5 CITOYENS IRLANDAIS
ET EN A GRAVEMENT BLESSÉ 2 AUTRES
L’HEURE DE VÉRITÉ A SONNÉ
Irlande du Nord
I.R.S.P I.N.L.A
Kevin Lynch
I.R.S.P (Irish Republican Socialist Party), scission du official Sinn Fein lorsqu’il décida d’intégrer la vie politique en 1974 (création du Workers Party).
I.N.L.A (Irish National Liberation Army) : branche armée de cette organisation partisane.
Irlande du Nord
LT COL WILLIAM BUCKY MC CULLOUGH
1949-1981
IN LOVING MEMORY
OF ALL OUR FALLEN COMRADES
FROM A COY B COY C COY
2ND BATT UFF WEST BELFAST BRIGADE
MURDERED BY THE
ENEMIES OF ULSTER
ALWAYS REMEMBERED
QUIS SEPARABIT
LIEUTENANT COLONEL WILLIAM BUCKY MC CULLOUGH
1949-1981
À LA MEMOIRE
DE TOUS NOS CAMARADES TOMBÉS AU COMBAT
DE LA COMPAGNIE A, COMPAGNIE B, COMPAGNIE C [TERMES MILITAIRES UK ET LOYALISTES]
BRIGADE 2EME BATAILLON DE L’UFF DE BELFAST OUEST
ASSASSINES PAR LES ENNEMIS D’ULSTER
VOTRE SOUVENIR EST ÉTERNEL
QUIS SEPARABIT
Irlande du Nord
IN LOVING MEMORY
OF ALL OUR DEAD
LET OUR REVENGE BE
LAUGHTER OF OUR CHILDREN
LET THERE BE NO BITTERNESS
ON MY BEHALF TO ACHIEVE A
UNITED IRELAND
À LA MEMOIRE
DE TOUS NOS MORTS
QUE NOTRE REVANCHE
SOIT LE RIRE DE NOS ENFANTS
QUE JE NE LAISSE AUCUNE AMERTUME
POUR CONSTRUIRE UNE
IRLANDE UNIFIÉE
[CITATION DE BOBBY SANDS]
Irlande du Nord
FREE THE POWS
LIBÉREZ LES “POWS”
“POWs” signifie “Prisoners Of War”: “Prisonniers de guerre”.
Irlande du Nord
CONSOLIDATE-THE-PEACE
WE FORGOT THEM NOT
RELEASE EAST –BELFAST’S
LOYALIST PRISONERS
CONSOLIDEZ LA PAIX
NOUS NE LES OUBLIONS PAS
LIBÉREZ LES PRISONNIERS LOYALISTES DE BELFAST-EST.
Irlande du Nord
SUPPORT THE FIVE DEMANDS
NO PRISON UNIFORM
NO PRISON WORK
FREE ASSOCIATION
POLITICAL STATUS
NOW
SOUTENEZ LES CINQ REVENDICATIONS
PAS D’UNIFORME DE DROIT COMMUN
PAS DE TRAVAIL EN PRISON
LIBERTÉ D’ASSOCIATION
STATUT DE PRISONNIER POLITIQUE
MAINTENANT