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Le camp de la transportation de Saint-Laurent-du-Maroni

La mémoire des pierres

Marie Bourdeau, Michel Pierre

Débarquement d’un convoi de relégués à Saint-Laurent-du-Maroni, années 1930

Source : Collection privée Jean-Pierre Fournier

Aux origines de la ville

Après avoir décidé en 1852 de faire désormais appliquer la peine des travaux forcés en Guyane française, Louis-Napoléon Bonaparte instaure la fin des bagnes portuaires (Brest, Rochefort, Toulon) au profit des bagnes coloniaux. Il en résulte l’exil des condamnés en cours de peine et la transportation des nouveaux condamnés vers la « France équinoxiale ». Pendant un siècle, à travers nombre de lois et décrets, au gré de plusieurs régimes politiques (Second Empire, IIIe République, Etat Français, IVe République) la Guyane devient une terre d’expiation pour des dizaines de milliers de bagnards. Plus de 52 000 transportés et 17 000 relégués y sont débarqués. Et ce n’est qu’en 1953, après une suppression en plusieurs étapes, que sont rapatriés en France les derniers forçats.

Transportés effectuant leur lessive, années 1930

Source : Collection privée Raymond Méjat

A la suite de l’échec de plusieurs implantations dans l’est de la Guyane, c’est sur la rive française du fleuve  Maroni qu’a été édifiée en 1857 la première construction de ce qui deviendra le Camp de la Transportation. Il regroupe, à partir de 1901,  une quinzaine de bâtiments et un quartier disciplinaire. Cette immense « caserne » pénitentiaire reçoit presque chaque année son contingent de 500 à 600 condamnés aux travaux forcés. Saint-Laurent-du-Maroni devient alors la capitale du bagne avec ses bagnards en cours de peine (atteignant parfois près de 2000 personnes), ses libérés astreints à résidence (plusieurs centaines), son personnel de l’Administration Pénitentiaire et une population libre dont l’activité est entièrement tournée vers cette « usine à malheur » comme la dénomme Albert Londres dans l’un de ses célèbres reportages. Aujourd’hui, après et avec l’épisode du bagne, c’est une perspective plus large qui doit devenir primordiale, celle qui concerne une ville promise à un bel essor et une région en pleine effervescence.

Transportés dans la cour du camp de la transportation, années 1930

Source : Collection privée Raymond Méjat

Si l’histoire de la commune de Saint-Laurent-du-Maroni est marquée par le sceau de l’administration pénitentiaire, elle ne remonte pas au temps du bagne, ni même à celui de la colonisation. Les premières occupations, attestées par de  récentes recherches archéologiques sont datées de 7 000 ans av. J.-C et les sites archéologiques précolombiens, comme les roches gravées ou les champs surélevés, marquent le paysage. L’importance naturelle des espaces liés à la forêt amazonienne doit être prise en compte ainsi que les richesses culturelles des communautés anciennement présentes (amérindiennes, bonis).

Photographie anthropométrique de forçat, années 1940 (?)

Source : Collection privée Emile Demaret/Thierry Cantonnet

Avant la création du bagne,  le territoire est peuplé d’Amérindiens Kalina et Lokono (famille arawak) et par des Noirs-marrons, descendants d’esclaves enfuis des grandes plantations de Guyane hollandaise (actuel Suriname), en lutte contre les autorités de Paramaribo puis autorisés à s'installer sur la rive droite du Maroni en tant que peuple libre après avoir signé des traités avec le royaume de France et des Pays-Bas en 1860.

Photographie anthropométrique de forçat, années 1940 (?)

Source : Collection privée Emile Demaret/Thierry Cantonnet

L’histoire du peuplement créole issu des Caraïbes est, pour sa part,  lié à la découverte de l’or à partir de 1850. Mais aussi aux catastrophes climatiques aux Antilles qui participent aux mouvements migratoires vers la Guyane (telle la meurtrière éruption du volcan de la Montagne Pelée de la Martinique le 8 mai 1902). Ces vagues de peuplement sont, bien entendu, complétées par les migrations forcées et organisées par l’administration pénitentiaire de bagnards métropolitains et coloniaux essentiellement originaires d’Algérie mais aussi d’Afrique noire, d’Indochine, de Madagascar et des Antilles.  Ces différentes étapes de peuplement ont enrichi Saint-Laurent-du-Maroni d’un patrimoine matériel et immatériel perceptible dans la vie quotidienne de la cité : danses, contes, musiques. Ce patrimoine est au cœur des enjeux présents et futurs de la cité et de la construction identitaire saint-laurentaise.

Photographie anthropométrique de forçat, années 1940 (?)

Source : Collection privée Emile Demaret/Thierry Cantonnet

Le temps du bagne

Le projet scientifique et culturel du Camp de la Transportation tient compte de la complexité et de la richesse de ces identités et histoires plurielles dans une ville en pleine expansion. Construit à partir de la fin du 19e siècle, l’ensemble  se compose de deux cases à l’entrée du Camp destinées à l’administration pénitentiaire ; de douze cases destinées aux transportés de 1ère, 2ème et 3ème classes, dont certaines à étage, chaque dortoir pénitentiaire pouvant accueillir 50 condamnés ; d’un quartier disciplinaire composé d’une prison collective, de cellules individuelles et de quatre blockhaus.  Ce dernier espace de répression, dont la construction débute en 1888, comprend  des cellules destinées à des condamnés ayant enfreint le règlement par des infractions légères et jugés, en général à de courtes peines, par une commission disciplinaire. Il s’y ajoute un bâtiment pour les gardiens et d’autres espaces de détention (cellules et blockhaus) pour les prévenus relevant du Tribunal Maritime Spécial (TMS). Cette juridiction d’exception jugeait des crimes et délits les plus graves (meurtres, assassinats, évasions, voies de fait sur les surveillants, etc.) et tenait session deux fois par an. De plus, quelques cellules (« quartier spécial ») étaient destinées aux condamnés à mort dans l’attente de leur exécution, la guillotine étant alors dressée dans ce quartier disciplinaire.

Vue du camp de la transportation

Source : Collection CIAP de Saint-Laurent-du-Maroni

Les cases du quartier de la Transportation sont quant à elles construites à partir de 1901. Leur architecture est similaire à celle du quartier officiel et colonial et reprend les grands principes en usage dans l’espace colonial français des tropiques : surélévation sur un soubassement en pierre, structure métallique importée de métropole et montée sur place, remplissage en brique, toiture en tôle. Délaissé par l’administration coloniale, qui n’en a plus l’usage après le rapatriement des derniers forçats, habité de 1953 à 1990 par des populations migrantes venues principalement de l’arc caribéen et du Haut-Maroni, le site est classé en 1992 au titre des Monuments historiques. S’ensuit un important travail de restauration et d’aménagement. Tout d’abord des cases dites simples en rez-de-chaussée, destinées aux transportés de 3ème classe (les moins bien notés, astreints aux travaux les plus pénibles et à une surveillance particulière) puis des cases dites doubles, à étage, destinées aux transportés de 1ère et 2nde classe. De même,le quartier disciplinaire fait l’objet d’un programme d’entretien et de misehors d’eau des cellules individuelles et des galeries attenantes.

Transportés effectuant leur lessive, années 1930

Source : Collection privée Jean-Pierre Fournier

Quelle fonction redonner à ce lieu destiné initialement à « surveiller et punir » ? C’est le choix du Vivre ensemble qui a été fait par l’équipe municipale de Saint-Laurent-du-Maroni en accueillant au sein de l’ancien bagne une compagnie de théâtre et centre de formation aux métiers du spectacle vivant, une bibliothèque municipale, une annexe de l'ESPE de Cayenne, un Fab-Lab, une association de promotion et de formation aux métiers de l’image et du documentaire, et plus récemment un Centre d’Interprétation de l’Architecture et du Patrimoine. Le Camp de la Transportation devient donc aujourd’hui en opposition à sa fonction première un lieu d’échanges et de rencontres autour d’un projet culturel ambitieux.