Prisons de Paris. De la Bastille à Fresnes

Cette galerie constitue la seconde partie de l'exposition virtuelle "Prisons de Paris. De la Bastille à Fresnes" (voir la première partie) Elle a été réalisée par Criminocorpus en partenariat avec le Musée Carnavalet-Histoire de Paris, la Direction de l'administration pénitentiaire, le Musée de l'Histoire vivante de Montreuil et la bibliothèque privée Philippe Zoummeroff.

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La prison de Clichy. Cour intérieure

Source : Dessin de Ryckebusch. Gravure de Boetzel. © Musée de l'Histoire vivante de Montreuil. Prison pour dette pour hommes et femmes (1834-1867). L'établissement était délimité au nord par la rue de Boulogne (actuelle rue Ballu, 9e arrondissement), au sud par la rue Moncey et à l'est par la rue Blanche. L'entrée se faisait en façade ouest, 54-58 rue de Clichy. La ville de Paris avait acheté en 1826 deux petits hôtels construits au XVIIIe siècle, 54 à 58 rue de Clichy, pour y aménager la prison dans laquelle les créanciers faisaient enfermer leurs débiteurs. L'opération visait à remplacer le quartier de la Dette de Sainte-Pélagie. Son coût fut de 392 000 francs. Inaugurée en décembre 1834, cette annexe de Sainte-Pélagie était aménagée avec des salles de jeux, un café, un débit de tabac, un cabinet de lecture, des chambres individuelles que le créancier payait pour son débiteur de cinq sous à deux francs par jour, suivant l’ameublement et la fréquence de l’échange des draps. L’emprisonnement pouvait atteindre trois ans, durée maximale de la contrainte par corps.

24 juillet 1867 : la prison de Clichy libère ses détenus

Source : "Les détenus pour dettes évacuent la prison de Clichy, le 24 juillet à minuit et demi". Dessin de A. Doudenarde (sdnl). © Musée de l'Histoire vivante de Montreuil. La prison de Clichy ne dura pas très longtemps. Elle fut supprimée le 24 juillet 1867, lors de l’abrogation de la contrainte par corps en matière civile et commerciale. Cette loi mit fin aussi aux « records », nom donné aux gardes du commerce chargés de l’arrestation des débiteurs. Désaffectée, la prison de Clichy fut démolie durant l’hiver 1872-1873.

La Grande Roquette : le "grand préau"

Source : Cour principale de l'établissement avec, au fond, la chapelle. Tirage sur papier albuminé. Hippolyte Auguste Collard (1875). © Collection privée Philippe Zoummeroff. Maison de dépôt des condamnés (1836-1898) aussi appelée « le petit Bicêtre » (1836-1898). Destinée à remplacer les bâtiments de détention de Bicêtre, la Grande Roquette fut construite en 1836 sur un terrain délimité par les rues Maillard, de la Vacquerie, de la Folie Regnault et de la Roquette, où se trouvait l'entrée, au 166, en face de la Petite Roquette. Cette prison était construite sur un plan traditionnel, autour de trois cours rectangulaires bordées de galeries. Les travaux furent menés sous la direction de l’architecte François Gau (1790-1854), élève d’Hippolyte Le Bas à l’école des Beaux-Arts puis architecte des prisons et hospices de Paris de 1831 à 1844. La Grande Roquette fonctionnait sur un régime mixte dit "auburnien", cellulaire la nuit, et commun le jour dans les ateliers, le chauffoir, les cours de promenade et la chapelle visible sur la photo (bâtiment à l'horloge flanquée de deux guérites). Cette dernière était une vaste salle éclairée de fenêtres hautes, débouchant sur un perron de pierre sous le préau face au guichet central. Elle avait été décorée grâce à des donations de personnalités parisiennes.

La Grande Roquette : cellule n° 1 des condamnés à mort

Source : Dessin de Montégut, d'après nature in A. Guillot, Paris qui souffre. Les prisons de Paris et les prisonniers, Paris, Dentu, 1890, p. 401. La vie des 500 détenus condamnés se déroulait en partie dans le grand préau bordé de galeries. La détention comprenait 297 cellules partagées en 6 divisions. Le surplus des détenus était rassemblé dans de grands dortoirs communs. Les condamnés à la réclusion, aux travaux forcés ou à la relégation ne passaient en principe au dépôt de Paris que quelques jours ou mois avant de subir leur peine en maison centrale, ou dans un bagne d'outre-mer... La prison de la Grande Roquette accueillit jusqu’en 1899 les condamnés à mort. Une petite clôture, la « grille des morts » séparait la chapelle du promenoir et des quatre cellules qui leur étaient spécialement affectés. De 1851 à 1899, la plupart des grands criminels du XIX° siècle (Orsini, Troppmann, Pranzini, Eyraud, Berland, Doré...), furent exécutés sur la place de la Grande Roquette. Aristide Bruant composa d'ailleurs une chanson sur ce thème
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La Grande Roquette : dessin d'un condamné à mort

Source : Dessin de Henry Meyer (1864-1885), quartier des condamnés à mort, 18 juillet 1885 (Musée national des prisons). © Direction de l'administration pénitentiaire. "Le dessin représente assez bien le mobilier sommaire d’une cellule de condamné à mort (le lit, une tablette avec trois chaises) ainsi que les personnes présentes habituellement : le condamné (à droite), le surveillant (debout, à gauche) et le soldat du poste de garde. On notera la présence de pipes accrochées au mur : chaque condamné en culotte une et la brise quand sa demande en grâce est rejetée. Le jeu de cartes est une des principales occupations des condamnés : il est souvent mentionné dans les procès-verbaux d’exécution quand ces derniers évoquent la dernière journée du condamné" (J-C. Farcy). Après la fermeture de la Grande Roquette en 1898, les condamnés à mort furent guillotinés à l’angle du boulevard Arago et de la rue de la Santé. De 1939 à 1974, les exécutions capitales eurent lieu dans l’enceinte même de la maison d'arrêt de la Santé.

La Grande Roquette : démolition

Source : Vue en contre-plongée, prise des bâtiments de la première cour. Démolition de la partie correspondant au bâtiment de détention en face de l'entrée. Henri Godefroy (1899). Gélatino-bromure © Musée Carnavalet - Histoire de Paris. Les événements de la Commune furent particulièrement dramatiques dans la prison. Le 24 mai 1871, l’archevêque de Paris, Monseigneur Darboy, l’abbé Deguerrey curé de la Madeleine, le président Bonjean et d’autres prisonniers y furent fusillés par les Fédérés. Le surlendemain, 52 autres otages, religieux et gendarmes, en furent extraits pour être fusillés rue Haxo à Belleville. Le 26 mai, 82 jeunes soldats et 10 prêtres, barricadés au second étage, furent sauvés par l’arrivée des Versaillais. À partir de 1889, on accueillit également à la prison des récidivistes condamnés à 15 jours ou un ou deux mois de détention, le trop plein des condamnés de Mazas, et des prévenus en appel. En 1892, l’administration pénitentiaire aménagea un quartier de forçats à la Santé, et la maison d’arrêt de la Grande Roquette cessa de fonctionner le 18 avril 1893, mais les travaux menés en 1897 à la Santé conduisirent à incarcérer à nouveau à la Roquette les condamnés aux longues peines, les forçats et les relégués. La prison fut démolie en 1900, et la rue de la Croix-Faubin percée en 1902 à son emplacement. L' "abbaye des cinq pierres" (le carré des dalles sur lesquelles était dressée la guillotine) y est encore visible.

Prison de la Petite Roquette

Source : Dessin. Hippolyte Louis Le Bas (1782-1867) : Prison de la Petite Roquette. Format : CE/ Inv : ARO1980-90. © RMN, Musée d'Orsay / RG. Ojeda. Maison d’éducation correctionnelle pour enfants (1836-1932) puis maison d’arrêt pour femmes (1932-1973). La prison de la Petite Roquette fut initialement conçue comme une maison de correction destinée aux femmes condamnées du département de la Seine (ce qu'elle ne fut jamais), ainsi que l'indique la légende de cette vue. Encadrée au nord (ouest) par la rue Duranti, à l'est par la rue Merlin, à l'ouest par la rue Servan et au sud (est) par la rue de la Roquette, son entrée était placée au 143, en face de la Grande Roquette. Construite à proximité du cimetière du Père-Lachaise, sur l’ancien terrain des Hospitalières de la Roquette, la prison occupait une superficie de 25 000 mètres carrés. La première pierre avait été posée en 1825, et l’ouverture avait eu lieu en 1836. L’architecte Louis-Hippolyte Lebas (1782-1867) avait privilégié un plan panoptique hexagonal symétrique pour six quartiers séparés par six couloirs en rayon, flanqués aux extrémités d’une tourelle en saillie, qui aboutissaient à un fossé central, au milieu duquel s’élevait une tour surmontée de la chapelle. Elle comprenait environ 500 cellules avec un réfectoire et une classe commune pouvant recevoir 250 personnes. Elle accueillit pendant près d'un siècle, des mineurs.

La Petite Roquette. Rez-de-chaussée, plan d'ensemble (1911)

Source : Plan extrait d'un Album de photographies métriques (1911). Don de M. Hennion, préfet de police © Musée Carnavalet - Histoire de Paris. Le 11 septembre 1836, la Petite Roquette reçoit ses premiers mineurs détenus et devient de ce fait « la Maison des jeunes détenus » de Paris. En 1840, le régime cellulaire strict (isolement de jour et de nuit) y fut appliqué, une chapelle cellulaire de 276 alvéoles fut même aménagée pour que les enfants suivent l’office sans voir leurs voisins. Environ 400 enfants y étaient incarcérés entre 1848 et 1850. Le 7 août 1865, à la suite d’une visite en juin de l’impératrice Eugénie, le système d’isolement individuel total fut abandonné, et les enfants dispersés dans les colonies pénitentiaires agricoles. La Petite Roquette devint un lieu de passage pour les prévenus des tribunaux de la Seine, enfants et adultes, tout en conservant un quartier de correction paternelle et se dégrada progressivement.

La Petite Roquette. Promenoirs cellulaires

Source : "Maison d'éducation des jeunes détenus. Promenoirs cellulaires" H. A. Collard (1878). © Collection privée Philippe Zoummeroff. « L’enfant déjà soustrait à sa famille est aussi séparé de ses camarades. Les promenades dans ces promenoirs individuels constituent l’unique sortie de la journée. Il y restera seul pendant moins d’une heure par jour. Les quatorze cases convergent vers un pavillon central élevé, où se tient un gardien surveillant, tandis qu’un autre gardien se promène en bas devant les portes. Dans chaque case se trouve un robinet que, du kiosque central, le gardien de service ouvre et ferme à volonté. À moins d’une température trop rigoureuse, les détenus se débarbouillent au promenoir. Ils prennent en passant leurs serviettes, pendues dans les corridors […]. » Géo Bonneron, Les Prisons de Paris, 1898.

La Petite Roquette : vue de l'un des deux bâtiments construits à la place des promenoirs celluaires (1929-1934)

Source : Gél. brom. Henri Manuel © Direction de l'administration pénitentiaire. « Établissement cellulaire acceptable avec sa disposition hexagonale facilitant la surveillance et la sélection ; avec les services généraux groupés dans un bâtiment au centre de l’hexagone […] mais ses 477 cellules ont un cube d’air insuffisant (17 mètres cubes au lieu des 30 mètres cubes réglementaires, en sorte qu’il serait nécessaire de faire de deux cellules une seule). D’autre part, le système de balnéation est insuffisant : pas de lavabos, pas de système de vidange, pas de chauffage suffisant, pas d’éclairage, sauf au pétrole. » A. Mossé, Les prisons de la Seine, Rapport de l’inspection générale, Melun, Imprimerie administrative, 1927.

La Petite Roquette : façade prise du chemin de ronde (1929-1934)

Source : Gél. brom. Henri Manuel © Direction de l'administration pénitentiaire. L'enquête menée en 1927 par le Conseil général de la Seine dénombrait, au 27 novembre, 345 jeunes détenus répartis comme suit : 98 jeunes prévenus de 13 à 18 ans; 95 prévenus de 18 à 21 ans, 28 détenus en appel de leur jugement, 119 condamnés à l'emprisonnement, 2 détenus par voie de correction paternelle et trois accusés.

La Petite Roquette : vue aérienne (1949)

Source : © Archives-Musée de la préfecture de police de Paris. Sur cette vue, les promenoirs cellulaires ont disparu et la prison, initialement entourée de champs, est maintenant située au coeur du tissu urbain. À partir de juillet 1932 (date de la fermeture de la prison de Saint-Lazare), la Petite Roquette devint une maison d'arrêt affectée aux femmes prévenues de Paris. En 1961, sa population était encore de 300 détenues. En 1973, date à laquelle la prison fut fermée, les cellules ne possédaient ni chauffage, ni eau, ni toilettes et le dernier étage était totalement abandonné. Les dernières détenues furent transférées à la maison des femmes de Fleury-Mérogis (Essonne), nouvellement mise en service. Malgré une ample pétition, la démolition des bâtiments débuta en mars 1974. Seul le portail d’entrée subsiste. Il est devenu l'entrée actuelle du square de la Petite Roquette. Une plaque commémorative rappelle la présence de plusieurs milliers de résistantes dans la prison parisienne entre 1940 et 1944.

La Petite Roquette : déchargement dans la cour d'honneur (1932)

Source : Le déménagement de Saint-Lazare par les détenues et les religieuses, juillet 1932. Gél. brom. H. Manuel © Direction de l'administration pénitentiaire. Parue dans Détective, le 4 août 1932, n° 197 (couverture), autre image proche dans Police Magazine du 7 août 1932, n° 89 avec la légende « De Saint-Lazare à la Petite Roquette, on déménage... Le mobilier de la vieille prison est aussi hétéroclite que branlant, il y a de tout... même des punaises, même des cafards. Et nous ne parlons pas de celui des condamnées…(H. M.) »

La Petite Roquette : le greffe (1932)

Source : Gél. brom. H. Manuel © Direction de l'administration pénitentiaire. Le greffe est présent dans tous les établissements pénitentiaires. C'est en ce lieu que sont réalisées les opérations liées à la gestion administratives des détenus (notamment les entrées et les sorties). C'est aussi dans cette pièce que sont conservés les documents attestant de la légalité de l'incarcération (les registres d'écrou). Cette photographie est parue très recadrée dans Détective, n° 197, 4 août 1932 avec la légende « Le greffe était déjà à peu près installé ».

La Petite Roquette : armoire aux chapeaux

Source : Gél. brom. H. Manuel © Ministère de la Justice (ENPJJ). Tout condamné incarcéré doit, avant de franchir la porte de la détention, déposer ses effets personnels à une consigne. Ceux-ci lui sont restitués lors de sa libération. Ici, l'armoire contient des chapeaux de détenues étiquetés au nom de leur propriétaire. Une étiquette porte la date "1934".

La Petite Roquette : entrée de la détention

Source : Gél. brom. H. Manuel (1929-1934) © Ministère de la Justice (ENPJJ). L'entrée de la détention constitue l'un des points névralgiques de toute prison. Ici, la photo est manifestement "posée". Les deux surveillants se sont placés de part et d'autre d'un poêle très probablement éteint. À droite, l'imposante porte (d'origine) de la détention, à gauche, la porte menant aux cachots. Sur un panneau, la devise "silence, obéissance, travail".

La Petite Roquette : cour intérieure

Source : Gél. brom. H. Manuel (1929-1934) © Ministère de la Justice (ENPJJ). Détenues dans la cour et entrée de la 6e division. Photographie parue recadrée dans Détective, 4 août 1932, avec cette légende "C'était comme la récréation des écolières".

La Petite Roquette : chemin de ronde intérieur

Source : Gél. brom. H. Manuel (1929-1934) © Ministère de la Justice (ENPJJ). Deux détenues portant une marmite se dirigent apparemment vers la sortie. En fait, elles empruntent ici le chemin de ronde intérieur pour redescendre dans les cuisines. Ces détenues appartiennent très probablement au service général de l'établissement. À la Petite-Roquette, ce service comprend comme dans tout établissement le ménage des parties communes, les cuisines, la buanderie, la bibliothèque mais aussi des travaux pour les personnels ayant leur logement dans l'établissement (ménage, jardinage...). Les détenues sont généralement choisies parmi les plus compétentes et/ou les indigentes. Cette fonction d'auxiliaire leur permet de toucher une rémunération et leur régime disciplinaire est assoupli. Les auxiliaires ont ainsi un statut à part dans les prisons. Proche des personnels, ils sont porteurs d'informations précieuses. Ils peuvent aussi être perçus par la population pénale (et recrutés par l'administration) comme « mouchards ».

La Petite Roquette : détenues près d'un poêle

Source : Gél. brom. H. Manuel (1929-1934) © Ministère de la Justice (ENPJJ). « Le chauffage et l’éclairage sont manifestement défectueux […] trois poêles sont placés dans les couloirs de chaque division. Avec un froid excessif, ce système est insuffisant, et c’est à grand peine que dans certaines cellules éloignées des poêles la température atteint 3 ou 4 degrés » Géo Bonneron, Les Prisons de Paris, 1898.

La Petite Roquette : parloirs (1)

Source : Gél. brom. H. Manuel (1932-1934) © Ministère de la Justice (ENPJJ). Deux détenues et deux visiteurs dans le parloir, séparé par un grillage. À droite, on remarque un appareil photo sur pied posé au sol. L'équipe des studios Manuel travaillait à la Petite Roquette avec deux opérateurs au minimum.

La Petite Roquette : parloirs (2)

Source : Gél. brom. H. Manuel (1929-1934) © Ministère de la Justice (ENPJJ). La surveillance des parloirs était assurée par une religieuse postée en surplomb.

La Petite Roquette en fête

Source : Gél. brom. H. Manuel (1929-1934) © Ministère de la Justice (ENPJJ). Trois femmes, un prêtre et une religieuse préparent la crèche de Noël. On distingue, à droite, les loges de la chapelle cellulaire.

La prison Mazas, dite aussi « La Nouvelle Force »

Source : Dessin de Félix Thorigny (1824-1870) © Musée Carnavalet – Histoire de Paris. Maison d’arrêt et de correction cellulaire pour hommes (1850-1898). Nord (est) : rue Beccaria (partie de l’avenue Daumesnil) et Legraverend. Sud : entrée 23-25 boulevard Mazas (actuel boulevard Diderot). Ouest : rue de Lyon. Nord (ouest) : rue Traversière. « On termine en ce moment rue Traversière-Saint-Antoine, la sombre et affreuse prison cellulaire modèle pour l’érection de laquelle la ville de Paris a dépensé 7 à 8 millions de francs. Cette prison, disposée en éventail, contient 1 250 cellules et une centaine de préaux parfaitement isolés pour les promenades. Elle est entièrement bâtie en pierre de liais ; elle a deux étages au-dessus du rez-de-chaussée. À droite et à gauche de longues galeries, s’ouvrent les cellules. Toutes ces galeries aboutissent à un centre commun, duquel un gardien verra tout ce qui se passera dans les galeries de chaque étage. L’entrée, tournée vers la rue Mazas, est une petite forteresse. MM.Gilbert et Lecointre sont les architectes qui ont construit cet édifice. Il sera occupé, par des prisonniers de la Force, au mois de janvier prochain. » La Semaine, 10 septembre 1848.

Mazas : vue générale

Source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris. Mazas est l'unique prison parisienne typique des théoriciens "doctrinaires", partisans de l'isolement complet des détenus, sans travail. Inaugurée le 29 mai 1850, la prison Mazas surnommée « l’hôtel des 1 200 couverts » ("Taz" en argot) formait un pentagone de 34 000 mètres carrés. La prison avait été construite de 1845 à 1850 par les architectes Jean-François-Joseph Lecointe (1783-1858) et Émile Gilbert (1793-1874). Les travaux d’appropriation furent achevés en mars 1853 pour un coût de 5 437 000 francs. À la suite de la loi du 5 juin 1875 sur le régime de l’emprisonnement individuel, qui stipulait que « les inculpés, prévenus et accusés, seront à l’avenir individuellement séparés le jour et la nuit », un arrêté de classement fut pris le 14 septembre 1875 pour Mazas, qui devint maison d’arrêt et de correction cellulaire. À cette date, 70 agents avaient la garde d’environ 1 200 hommes prévenus et condamnés à une courte peine de détention (moins de 3 mois). Il y avait 994 détenus en 1892. Le temps moyen d'incarcération était, en 1896, d'un mois. Le nombre anormalement élevé de suicides suscita très tôt la polémique sur le régime de Mazas. Pour lutter contre le suicide, le travail fut introduit en détention.

Mazas : promenoirs cellulaires

Source : H. A. Collard (1875. Papier albuminé © Collection privée Philippe Zoummeroff. « Le détenu, pendant la promenade, doit observer le plus grand silence ; il ne doit rien jeter par dessus le murs ni chercher à établir des intelligences par signes ou paroles avec d’autres détenus ou gens du dehors. Pendant la promenade, deux gardiens sont en faction. L’un au premier étage de la tourelle, tourne de droite à gauche, apercevant chaque prisonnier au moins quatre ou cinq fois par minute. Sur le pourtour extérieur du promenoir, autour de la grille, un autre gardien tourne de gauche à droite, faisant à peu près un tour par minute. » « Les prisons de Paris, Mazas » [ ?], n° 2006, 6 août 1881, p. 91.

Mazas : une cellule

Source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris. « La cellule est plus large, plus fraîche et plus claire souvent que n’était le logis de l’arrêté, et l’impression première n’est point trop douloureuse ; la porte ne grince pas en tournant sur ses gonds comme celle de la Bastille. Il y a une sonnette, il [le détenu] peut appeler ; un escabeau devant une table attachée au mur : il lui est permis de s’accouder, lire et écrire […] La femme et les enfants, au-dehors, ne sont peut-être pas si bien couchés [...] Aussi n’y a-t-il, pour commencer, que le chagrin de se sentir éloigné des siens, la peur de l’existence salie, la perspective de la condamnation ! Mais peu à peu l’effroi du silence vous prend [...]. Les heures tombent, les semaines se suivent; alors l'isolement fait sa lourde besogne de bourreau ». Jules Vallès, Le Tableau de Paris, Paris, Messidor, réédition 1989, p. 142.

Mazas : parloir de faveur

Source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris. « Mazas a un parloir de faveur et un parloir ordinaire. Le parloir de faveur est au premier étage […] le visiteur et le détenu entrent chacun d’un côté dans les cases et se trouvent séparés par des barreaux de fer revêtus d’un fort treillage métallique […] ils peuvent causer de tout près. Il existe en réalité non pas un mais cinq parloirs ordinaires, situés dans les angles des six divisions, autour de la rotonde centrale […]. Le parloir ordinaire est navrant dans sa sévérité. [Détenus et visiteurs] se retrouvent à environ soixante centimètres l’un de l’autre, enfermés chacun dans une cage […]. » Géo Bonneron, Les Prisons de Paris, 1898.

Mazas : parloir ordinaire

Source : Cahier de Paul Cochard (vers 1890) © Collection privée Philippe Zoummeroff. Vers 1890, Paul Cochard, détenu auxiliaire en charge de la bibliothèque, réalise neufs dessins en couleur de l'intérieur de la prison. Celui-ci représente le "parloir ordinaire".

Mazas : types de personnels

Source : Cahier de Paul Cochard (vers 1890) © Collection privée Philippe Zoummeroff. « L'immense développement des bâtiments rend le service de surveillance pénible, difficile, parfois incomplet. Il exige un personnel considérable de condamnés auxiliaires, dont le contact avec les détenus est constant et semble en contradiction avec le système. La même cause entraîne un usage regrettable : celui de donner des ordres à grands cris […] Cette habitude fait régner dans la prison, à certaines heures, une apparence de tumulte regrettable » R. Bérenger, Enquête parlementaire sur le régime des établissements pénitentiaires, 1872, t. III, p. 344-345.

Mazas : types de détenus

Source : Cahier de Paul Cochard (vers 1890) © Collection privée Philippe Zoummeroff. « On se demande si des êtres vivants respirent derrière les portes épaisses de ces cellules, on si on n'est pas plutôt dans une sorte de musée où seraient collectionnés et étiquetés dans des armoires les échantillons variés des douleurs et des vices de l'humanité. La personnalité du détenu disparaît et dans ces galeries on n'entend retentir que l'appel du numéro sous lequel il est inscrit » A. Guillot, Les prisons de Paris et les prisonniers, Paris, Dentu, 1889, p. 244.

Mazas : le mur d'enceinte

Source : Cahier de Paul Cochard (vers 1890) © Collection privée Philippe Zoummeroff. « La prison proprement dite est contenue dans une vaste enceinte formée par deux murailles parallèles entre lesquelles circule un chemin de ronde gardé nuit et jour par des sentinelles empruntées à un poste de soldats placés à l’entrée même de la prison. » Maxime Du Camp, Paris, ses organes, ses fonctions et sa vie dans la seconde moitié du XIXe siècle, 1883.

Mazas : (sur)vivre en cellule

Source : Cahier de Paul Cochard (vers 1890) © Collection privée Philippe Zoummeroff. Victor Hugo, enfermé à Mazas au lendemain du coup d’État du 2 décembre 1851, a laissé de sa cellule la description suivante : « Des murs blanchis à la chaux et verdis çà et là par des émanations diverses ; dans un coin un trou rond, garni de barreaux de fer et exhalant une odeur infecte ; dans un autre coin, une tablette tournant sur une charnière comme le strapontin des citadines et pouvant servir de table ; pas de lit, une chaise de paille. Sous les pieds, un carreau de brique ; la première impression, c’est l’ombre ; la seconde, c’est le froid. » (Histoire d'un crime, chap. XV, "Mazas"). « À Mazas pas plus qu’ailleurs, la vie de cellule n’est réjouissante, et les 14 000 détenus qui y passent au cours d’une année emportent d’un tel séjour un souvenir pénible. Si les prévenus ne travaillaient pas, s’ils n’avaient pour distraction que la morne promenade dans les préaux cellulaires, ils mourraient d’ennui. » . Paul Strauss, Paris ignoré, 1892.

Mazas en mars 1898

Source : Pierre Emonts (1831-1912). Papier albuminé. © Musée Carnavalet – Histoire de Paris. « Il est incontestable que le régime cellulaire a révélé des inconvénients graves qui ont déjà amené l’abandon partiel de ce mode d’incarcération […]. L’emprisonnement cellulaire est une barbarie d’une espèce particulière ; rien n’est aussi terrible que cette solitude affreuse […] ». (Le 19e siècle, 30 septembre 1892). Un rapport du Conseil général de la Seine en date du 30 novembre 1894 présenta des projets « relatifs aux lotissements des terrains occupés par les prisons Mazas, la Grande Roquette et Sainte-Pélagie prochainement désaffectées ». Ainsi programmée pour des raisons sanitaires, et aussi parce que la vue de la prison gâchait la perspective de la gare de Lyon au moment de l’Exposition universelle de 1900 à Paris, la démolition de la prison Mazas débuta en octobre 1897 et fut achevée deux ans plus tard. Les pierres de Mazas servirent à la reconstruction des égouts de la rue de Rivoli, déviés par le passage du métropolitain. À l’emplacement de la prison dont les matériaux de démolition furent vendus dès août 1898, une fête foraine fut tenue en février 1899 : « Ici l’on danse. »

La prison de la Santé dite aussi « Les nouvelles Madelonnettes »

Source : © Musée Carnavalet – Histoire de Paris. Maison d’arrêt et de correction pour hommes (1867 – partiellement en activité). Nord : boulevard Arago (ouvert en 1859). Est : rue de la Santé (conduisait à l’hôpital de la Santé – actuel hôpital Sainte-Anne). Sud : rue Humbolt (actuelle rue Jean Dolent). Ouest : rue Messier. Dans les années 1860-1862, la décision avait été prise de construire une nouvelle maison d'arrêt à Paris, en remplacement de la vieille prison des Madelonnettes dans le Marais. La ville de Paris possédait dans l’enclos de la Santé (ancien enclos de la Charbonnerie) un vaste îlot qu’elle céda en décembre 1861 au département en échange du terrain des Madelonnettes. L’architecte Émile Vaudremer (1829-1914) construisit pour la somme totale de 7 millions de francs une prison longtemps considérée comme un modèle d'architecture et de conception pénitentiaire. Sa superficie de 27 943 mètres carrés, devait recevoir 1 000 détenus, répartis en deux quartiers distincts de 500 individus chacun.

La Santé : vue d'ensemble du premier étage

Source : Planche 184 (détail), Le Moniteur des architectes, 1868 © Musée Carnavalet – Histoire de Paris. Face à l'entrée, le premier bâtiment rectangulaire est destiné à l'administration (vestibule, greffe, bureau du directeur...). La détention comprend deux quartiers distincts. Le « quartier bas » est formé de quatre ailes rayonnant autour d'un bâtiment hexagonal dans lequel se trouve un guichet de surveillance (au rez-de-chaussée) et l'autel de la chapelle (au premier) visible de toutes les cellules. Les préaux cellulaires sont logés entre les galeries cellulaires. Ce quartier était destiné aux prévenus isolés de jour comme de nuit dans leur cellule ainsi qu'aux jeunes et aux condamnés à moins d'un an qui en faisaient la demande pour bénéficier d'une réduction de peine (loi du 5 juin 1875). Au milieu du plan, l'infirmerie des condamnés (hôpital central des prisons de la Seine) appartient au « quartier haut ». La liaison avec le vestibule d'entrée est assurée par un souterrain. Réservé aux condamnés, ce « quartier haut » fonctionna initialement selon le régime d'Auburn. Les condamnés étaient isolés la nuit dans un dortoir cellulaire et rassemblés pour le travail en journée dans les ateliers du rez-de-chaussée. Les postes de surveillance étaient placés au quatre angles du bâtiment. Les préaux étaient découverts. Les cellules de 3,60 m sur 2 bénéficiaient d'un éclairage au gaz, d'un nouveau système de chauffage, d'égouts et d'évacuation des eaux usées par un « lavoir ».

La Santé : galerie cellulaire de la 2e division

Source : Tirage sur papier albuminé. Hippolyte Auguste Collard (1875). © Collection privée Philippe Zoummeroff. « La prison de la Santé est la plus moderne des prisons de Paris. C’est de beaucoup la mieux aménagée : elle a bénéficié de tous les progrès accomplis, de tous les essais précédemment faits. » Géo Bonneron, Les Prisons de Paris, 1898. La Santé, "prison modèle" encore, trente ans après son ouverture ? Le jugement mérite d'être nuancé. L'organisation initialement prévue fut peu à peu adaptée aux contraintes externes. Dans le quartier haut, des dortoirs provisoires furent aménagés en lieu et place d'ateliers. Dans le quartier bas, trois nouvelles divisions furent créées à partir de 1892 pour recevoir les forçats des régions nord et est en partance pour le bagne, les condamnés à mort et les politiques. Le quartier haut enfin, fut totalement réaménagé de 1894 à 1897 pour être en conformité avec le régime cellulaire. C'est aussi dans cette "prison modèle" que fut ouverte l'École pénitentiaire supérieure (décret du 19 août 1893).

La Santé : une cellule

Source : Aquarelle de Séguin (1898) in Géo Bonneron, Les prisons de Paris, 1898, p. 78. © Direction de l'administation pénitentiaire. « On a naturellement profité dans la construction de la maison de correction de la Santé, achevée seulement en août 1867, des données de l'expérience acquise à Mazas, pour le quartier cellulaire, et, dans les maisons en commun, pour le quartier consacré à l'emprisonnement collectif. C'est assurément pour la partie cellulaire une maison modèle. Les agencements nouveaux offrent tous les perfectionnements indiqués par la science. L'éclairage est mieux disposé. Moins élevées que celles de Mazas, les cellules ont en largeur et en longueur des dimensions un peu plus grandes. Le cube d'air est de près de 20 mètres. Les lits se relèvent pendant le jour de manière à laisser une plus grande liberté de mouvement aux détenus. Le sol est couvert d'un plancher poli artificiellement par un procédé ingénieux (le frottement avec un fond de bouteille). La propreté est absolue et donne à chaque cellule un air de bien-être que les détenus se gardent en général d'altérer. 500 cellules composent ce quartier ». R. Bérenger, Enquête parlementaire sur le régime des établissements pénitentiaires, 1872, t. III, p. 345-346) Incarcéré en septembre 1911, Guillaume Apollinaire livra dans "À la Santé" un témoignage moins enthousiaste (voir "Les prisons d'Apollinaire").

La Santé : atelier de menuiserie et de découpage

Source: Tirage sur papier albuminé. Hippolyte Auguste Collard (1875). © Collection privée Philippe Zoummeroff. « Les passagers et les condamnés de courtes peines des cellules de jour et de nuit sont astreints au travail, variable suivant les aptitudes et suivant les saisons. Les ateliers communs, assez vastes, sont particulièrement intéressants, surtout celui de la fabrication des poupées [...]. Les autres ateliers de la Santé sont ceux du raccommodage des sacs, du tissage des plumes, de l’arrachage des poils de lapin, etc. Un atelier commun, des plus variés, réunit dans la même salle, les effilocheurs d’étoupes, les gommeurs d’étiquettes, les cordonniers, les confectionneurs de béret campagnards, les fabricants de piège à rat et à moineaux. Ailleurs des malheureux déchiquètent les corsets, mettant de côté les œillets et les baleines et jetant le reste aux chiffons ; des vanniers font des paniers et des corbeilles ; des plumassiers coupent et tissent les plumes de coq, de dinde, de paon, pour boas et garnitures diverses, et plus d’une élégante se pare, sans s’en douter, des plumes de la Santé. » Paul Strauss, Paris ignoré, 1892.

La Santé : infirmerie centrale des prisons de la Seine

Source: Tirage sur papier albuminé. Hippolyte Auguste Collard (1878). © Collection privée Philippe Zoummeroff. L’hôpital des prisons de la Seine, situé au centre du bâtiment, accueillait les détenus malades de toutes les prisons de Paris. « L’infirmerie centrale, sur l’emplacement de laquelle doivent s’élever les nouveaux bâtiments, est déjà transférées à la Petite-Roquette. Elle n’y restera pas longtemps, puisqu’on doit l’installer définitivement à Fresnes. », Le Temps, 26 juillet 1896. Bien qu’une grande partie des prévenus parisiens ait été dirigée vers Fresnes en 1898 à la fermeture de Mazas, la surpopulation à la Santé fut difficile à endiguer. À la veille de la Première Guerre, l'administration pénitentiaire fut contrainte à un doublement des cellules et à l'installation de nouveaux dortoirs dans les ateliers pour accueillir 1 600 détenus gardés par 86 agents. En 1923, on aménagea un second corps de bâtiment de trois étages et 42 cellules de bonnes dimensions, décorées à volonté par les détenus qui disposaient d'un lit en fer, d'une table, de deux chaises, et d'un lavabo. Après la guerre, de gros travaux durent être réalisés pour remettre en état les bâtiments délabrés, travaux poursuivis dans les années 1960-1970. La prison a été souvent surpeuplée. En 1946, par exemple, elle reçoit 5 375 hommes, et en 1965, 3 391 hommes.

Les prisons de Fresnes : vue d'ensemble

Source : © Collection privée Christian Carlier. Conçu en remplacement des prisons de la Grande-Roquette, de Mazas et de Sainte-Pélagie, Fresnes est à son ouverture en 1898, un établissement modèle, comme le fut la Santé 30 ans plus tôt. La nouvelle maison de correction du département de la Seine marque toutefois un tournant dans l'histoire des prisons parisiennes : l'emplacement choisi pour sa construction se situe, pour la première fois, sur la commune d'un village agricole situé en dehors de la capitale, bien desservi par les transports. Inspiré par des prisons étrangères (Rome, Berlin, Londres), l'architecte Henri Poussin (1853-1905) y abandonne toute référence au modèle panoptique pour adopter une disposition générale en blocs séparés qui ressemble à un poteau télégraphique. Les établissements pénitentiaires de Fresnes marquent également le triomphe du système cellulaire, aménagé avec un confort relatif qui suscita bien des critiques. Les établissements pénitentiaires accueillent quatre catégories de population pénale : des condamnés (hommes et femmes) à de courtes peines d'emprisonnement, des condamnés en attente de transfert vers des maisons centrales ou au bagne, des mineures et les détenus malades des prisons du département de la Seine.

Fresnes : chaufferie et groupe électrique

Source : Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. Pouvant recevoir jusqu'à 2180 détenus, le domaine pénitentiaire concentre, si l'on y ajoute le personnel (environ 400 agents), une population deux fois plus importante que celle du village de Fresnes qui compte, jusqu'en 1911, moins de 1000 habitants. Bien que l'implantation des établissements pénitentiaires ait été marquée par l'opposition d'une partie de la population, la prison devint très vite le principal employeur de la ville. Les prisons de Fresnes ont fait l'objet d'une série de cartes postales dans le premier tiers du 20e siècle. On peut lire, au dos de l'une d'elle, envoyée le 16 février 1912 par un ouvrier à son frère et à sa sœur : « Je vous annonce que je suis rentré à la prison de Fresnes. Ne confondez pas c'est comme mécanicien, je suis donc à 5 minutes de la maison [...] je vous enverrai de temps en temps des vues de ma nouvelle usine, car je dois vous dire que c'est un petit pays, il y a actuellement 1800 détenus » (coll. privée Christian Carlier).

Fresnes : entrée du grand quartier

Source : Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. Les deuxième et troisième divisions du grand quartier de Fresnes ont été occupées dès 1898 par des condamnés correctionnels. Les premiers condamnés en attente de transfert (autrefois placés à la Grande-Roquette) sont arrivés en 1899. La première division (la plus proche de l'entrée) a été investie en 1900. Les premières femmes détenues ont été envoyées à Fresnes lors de la fermeture de la prison maison de correction de Nanterre (20 mai 1902). En 1906, Fresnes comptait 1240 hommes et 120 femmes et filles (prévenues ou détenues par voie de correction paternelle). Les détenus se lèvent à 6h 30 d'octobre à avril (coucher à 20h) puis à 5 heures de mai à septembre (coucher à 21h).

Fresnes : mouvement de détenus dans le grand quartier

Source : Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. En application strict du système de l'enfermement individuel, tout, ou presque se fait dans la cellule : la toilette (sauf le bain de pieds, tous les quinze jours ; et le bain de corps, une fois par mois), le travail (sauf pour les auxiliaires affectés au service général) et même les repas. La promenade est d'une heure par jour, dans les préaux cellulaires. Les parloirs, d'une demi-heure, se tiennent le jeudi ou le dimanche. Les conférences et les cours sont dispensés dans la chapelle cellulaire. Durant leurs déplacements, les détenus doivent (comme à la Petite-Roquette) porter une cagoule en étamine.

Fresnes : un détenu à l'anthropométrie

Source : Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. Toute personne incarcérée doit, avant d'entrer en détention, être soumise aux formalités du greffe. L'origine et le motif de l'incarcération sont recopiés par un agent pénitentiaire sur un registre d'écrou qui est ensuite visé par le détenu. Ce moment est aussi celui d'une première prise de renseignements sur la personne (date et lieu de naissance, profession, religion...). À la fin du XIXe siècle l'extension de l'anthropométrie a provoqué une modification du registre. La rubrique « signalement » fut alors enrichie de « renseignements anthropométriques » obtenus par une série de mesures prises sur la personne (taille, envergure, hauteur du buste, longueur et largeur de la tête, longueur de l’oreille droite, du pied gauche, du médius gauche et de la coudée gauche). Cette première série de mesures devait être complétée par des « renseignements descriptifs » : couleurs (yeux, barbe, cheveux), front (inclinaison, hauteur, largeur) et nez (racine, dos, base, dimensions); et les « principales marques particulières » (cicatrices, tatouages etc.). Toutes ces indications furent dans les faits plus ou moins précisément renseignées, suivant l'époque, le lieu et l'agent.

Fresnes : travail en cellule

Source : Travail en cellule (assemblage de poupées). Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. À Fresnes, le détenu passe l'essentiel de son temps dans sa cellule. « 6h lever, pliage de literie, il ouvre la fenêtre, il jette ses ordures, il pisse, il ramasse ce qu'il y a par terre, il balaye, il époussette, il se débarbouille, il se regarde dans la glace, il efface une journée sur son calendrier, il se coupe un morceau de pain qu'il mange, il met son quart sur la tablette pour la tisane, il se met au travail, dès qu'il entend la voiture de la soupe il se lève et coupe son pain en petits morceaux et il attend son arrivée puis il mange, et jour quelques coups de tambour au 37 pour qu'il lui fiche la paix, il fait sa vaisselle, il se remet au travail d'où il se lève de temps en temps pour faire la chasse aux mouches auxquelles il attache un morceau de fil au cul. Le soir il mange et il se rend au travail jusqu'à ce qu'on vienne fermer la porte. Il joue soit aux billes soit aux dominos puis la nuit il baisse son lit et rentre en conversation avec M. [son voisin de cellule] jusqu'à son sommeil puis il dort puis il rêve » Témoignage anonyme (début 20e siècle) cité par Christian Carlier, Histoire de Fresnes, prison « moderne », Paris, Syros, 1998, p. 227.

Fresnes : le repas

Source : Distribution du repas sur la coursive, par le guichet de la porte de la cellule. Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. « Le nombre des repas est de deux par jour. En toute saison, le repas du matin a lieu à neuf heures, et celui du soir à quatre heures. Le repas du matin se compose d'une soupe aux légumes ; le repas du soir de trois décilitres de haricots, lentilles ou riz, soit au beurre, soit à la graisse de saindoux. Le dimanche, ce repas est de 100 grammes de viande désossée, avec des pommes de terre. Les individus soumis au régime cellulaire, qui est considéré comme affaiblissant, ont en outre une même quantité de viande le jeudi. Tous les détenus font aussi un repas gras aux fêtes de l'Ascension, l'Assomption, la Toussaint, Noël, 1er janvier, lundi de Pâques et 14 juillet. La ration journalière de pain est de 850 grammes pour les hommes et 800 grammes pour les femmes » Extrait du Règlement intérieur des prisons de Paris (1885, art. 50) cité par C. Carlier, ibid., p. 226.

Fresnes : prétoire

Source : Détenus mis en attente devant la porte du prétoire. Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. Obligation du silence, de la propreté et de l'obéissance : les motifs de punition sont nombreux. Instance disciplinaire interne à l'établissement, le prétoire est présidé par le directeur d'établissement. Reconnu coupable, le détenu encourt une sanction qui peut aller d'une réprimande à la mise en cellule de punition. Certains détenus ont du mal à s'adapter aux règles du nouvel établissement : « … Mes amis, j’ai fait Mazas et La Santé, j’ai l’expérience du vieux lutteur, eh bien je déclare que Fresnes est abominable. Nulle part je n’ai tant souffert. Ils ont inventé là-bas un supplice nouveau, le supplice de la propreté. Il faut frotter, astiquer sans cesse et l’entretien du luxe vous mange vos rares heures de repos [...] Il faut d’abord relever son lit, plier ses draps et ses couvertures, réglementairement, en six plis apparents comme au régiment, puis balayer le parquet ensuite le cirer. Or ne croyez pas qu’on vous donne de la cire pour cette opération. Pas du tout c’est en frottant avec le fond d’une bouteille que l’on doit transformer le plancher de Fresnes en glace à miroir… Pour un parquet mal ciré on est mis au pain et à l’eau, privé de lecture le dimanche, menacé de fers… ». Témoignage de l'anarchiste Libertad, 20 novembre 1901, Journal de Saint-Quentin et de l’Aisne (cité par C. Carlier, ibid., p. 229-230). Louée en 1872 par R. Bérenger, la pratique du cirage au "cul de bouteille" fut abandonnée dans les années 50.

Fresnes : la chapelle cellulaire

Source : Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. « On nous conduit à la messe ou à la conférence. Moi, j'ai déclaré être sans religion, on m'a envoyé à la conférence. L'orateur que personne ne voit et qui ne voit personne, puisqu'à Fresnes le système de l'isolement est complet, nous a fait un cours de moralité qui m'a profondément ennuyé ». Témoignage de Libertad sur la chapelle-école (Cité par C. Carlier, ibid., p. 172) Expression la plus étonnante de la volonté d'isolement des détenus, la chapelle cellulaire de Fresnes fut largement représentée, dans la presse ou sur carte postale. L'impossibilité de communication – d'ailleurs illusoire – devait permettre d'éviter la « contagion du crime » si souvent reprochée à la peine d'emprisonnement. Cette chapelle-école comprenait 250 alvéoles. Elle servait à l'exercice des cultes comme à l'enseignement des instituteurs et des conférences d'hygiène, sur les méfaits de l'alcoolisme notamment, qui touchait fortement la population pénale.

La pouponnière de Fresnes

Source : Henri Manuel, ENAP-CRHCP

Le règlement autorise les femmes détenues (prévenues ou condamnées) à conserver leur enfant jusqu'à l'âge de quatre ans. A Paris, il existait à la prison de Saint-Lazare un "quartier des nourrices". Ce quartier spécial fut transféré à Fresnes où il prit le nom de "pouponnière". Il est souvent décrit comme un lieu privilégié par rapport aux autres quartiers. Il fait aussi l'objet dans l'Entre-deux-guerres de visites médiatisées.

« Les jeunes détenus de la prison de Fresnes ont fêté Noël en présence du garde des sceaux Renouvelant le geste que son prédécesseur [Marc Rucart] avait fait pour la première fois l'an passé, M. Vincent Auriol, garde des sceaux, a rendu visite, hier après-midi, aux enfants de la Maison correctionnelle de Fresnes qui y fêtaient Noël. Vincent Auriol s'est rendu à la pouponnière où sont soignés dix-huit enfants, âgés de moins de quatre ans, que la loi permet aux mères condamnées de garder près d'elles et où un arbre de Noël garni de jouets avait été dressé »

Le Matin, 26 décembre 1937, p. 6

Prison nouvelle, "Prison-Eden" ?

Source : Détenu dans un préau cellulaire. Photo prise de la coursive de surveillance. Henri Manuel (1929-1931). © Direction de l'administration pénitentiaire. Chaque ouverture de prison est accompagnée d'un débat sur des conditions de détention faites aux détenus. Fresnes n'y échappa pas. En 1907, la Société générale des prisons échangea des arguments sur Fresnes. Elle est, pour l'avocat Passez, une « prison Eden » où les détenus sont mieux lotis que beaucoup de gens. Or pour Passez, la prison doit conserver une dimension d'expiation, « une certaine dureté, une certaine sévérité ; il ne faut pas en rendre le séjour très agréable et très confortable ». A. Rivière lui répond : « Quand on y vient en promenade ou au cours d'un congrès, on ne regarde que la transparence du ripolin et on dit : il y a beaucoup d'ouvriers qui n'en ont pas autant. C'est vrai ; mais l'ouvrier n'est guère chez lui que pour dormir. Au contraire, lorsqu'il s'agit de passer 24 heures par jour dans une cellule, il faut des conditions autres que celles réservées à l'ouvrier qui est toujours dehors, qui marche, qui respire librement, qui communique avec ses semblables et n'est pas constamment en tête à tête avec ses quatre murs. Au détenu il faut des conditions d'hygiène physique et morale particulières. Sans elles, nous le rendons à la vie libre déprimé et incapable de reprendre sa place dans le monde honnête. Il redeviendra un danger pour la société ». (cité par C. Carlier, ibid., p. 241-243). Débat éternel ? Assurément, un débat toujours ouvert.