Une généralisation de l'encartement entre les deux guerres
Registre à souche des cartes délivrées aux élèves de l’école des Beaux-arts (Paris), 1906-1923
Paris, Archives nationales, AJ 52 929
Aux lendemains de la Grande Guerre, se faire photographier pour les besoins de l’administration ou pour obtenir la délivrance de papiers d’identité devient une habitude pour la plupart des Français. En plus du nombre croissant de permis de conduire les véhicules mécaniques ou de cartes d’identité d’étrangers, obligatoires à partir de 1917, l’après-guerre voit naître, avec la multitude des invalides, des mutilés, des pensionnés et des veuves de guerre, de nouvelles catégories de cartes d’identité qui attestent de droits ou de priorités, notamment en matière d’accès aux services publics.
D’abord réservée aux prestigieux « trombinoscopes » de quelques établissements de l’enseignement supérieur, la photographie envahit peu à peu les fichiers matricules du personnel des ministères, des services publics, des associations et des grandes entreprises. Le format de la photographie dite d’identité, inspiré du système Bertillon, s’impose progressivement et se banalise au point de figurer sur les documents administratifs les plus anodins. Les exigences de l’administration entraînent le développement d’un véritable marché de la photographie d’identité : studios professionnels et officines d’amateurs (souvent tenues par des étrangers) s’installent près des préfectures. La demande est telle que, dès 1926, les autorités tolèrent les photographies d’amateurs pour les différents papiers d’identité. Les premières cabines de prise de vue automatique apparaissent dès les années vingt dans les grandes villes et le « portrait Photomaton », d’abord simplement toléré par les autorités, devient un standard pour la photographie d’identité.
Témoignages de l’activité de Louis Clergeau, horloger-photographe à Pontlevoy (Loir-et-Cher). Cahier de commandes avec mention de l’usage des portraits, années 1920
Blois, archives départementales du Loir-et-Cher, 120 FiA
Les exigences nouvelles de l’administration entraînent la création d’une multitude d’ateliers de photographie sur tout le territoire, y compris dans les petites bourgades de province. Dans les régions à forte immigration, les étrangers eux-mêmes s’improvisent photographes et s’installent près du siège des préfectures, des sous-préfectures et des commissariats.
Témoignages de l’activité de Louis Clergeau, horloger-photographe à Pontlevoy (Loir-et-Cher). Cahier de commandes avec mention de l’usage des portraits, années 1920
Blois, archives départementales du Loir-et-Cher, 120 FiA
Témoignages de l’activité de Louis Clergeau, horloger-photographe à Pontlevoy (Loir-et-Cher). Cahier de commandes avec mention de l’usage des portraits, années 1920
Blois, archives départementales du Loir-et-Cher, 120 FiA
Témoignages de l’activité de Louis Clergeau, horloger-photographe à Pontlevoy (Loir-et-Cher). Cahier de commandes avec mention de l’usage des portraits, années 1920
Blois, archives départementales du Loir-et-Cher, 120 FiA
Fiches de situation des ouvriers des mines de Lens, extraites du fichier de l’agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, 1890-1930
Roubaix, Archives nationales du monde du travail, 2006 001
La société des mines de Lens est créée en 1852. La production et les effectifs augmentent à partir de 1860. En 1870, pour l’exploitation de quatre fosses, on compte 1538 mineurs et 566 ouvriers du jour. En 1883, les mines de Lens sont fortes de 6400 ouvriers et employés dont 870 enfants et 29 femmes. Ces effectifs sont en augmentation constante (16 319 ouvriers en 1914, 17000 en 1945). La société est nationalisée en 1944 et prend le nom de HNPC (Houillères nationales du Nord et du Pas de Calais). Dans les années soixante-dix, les puits ferment les uns après les autres ce qui amène la dissolution des HNPC en 1993.
Fiches de situation des ouvriers des mines de Lens, extraites du fichier de l’agence nationale pour la garantie des droits des mineurs, 1890-1930
Roubaix, Archives nationales du monde du travail, 2006 001
Registre à souche des cartes délivrées aux élèves de l’école des Beaux-arts (Paris), 1906-1923
Paris, Archives nationales, AJ 52 929
Longtemps réservée aux trombinoscopes d’établissements prestigieux comme l’école Polytechnique, la photographie commence à figurer sur les cartes d’étudiants des facultés parisiennes à la charnière des deux siècles. Au début du XXe siècle, aux Beaux-arts, l’administration de l’école se montre peu exigeante sur la qualité et le format des portraits.
Fédération française d’athlétisme et de basket-ball. Cartes annuelles de licences d’athlétisme, 1928-1932
Roubaix, Archives nationales du monde du travail, 2007 068 164
La Fédération Sportive et Culturelle de France est créée en 1898 sous le nom de l’Union des Sociétés de Gymnastique et d’Instruction Militaire des Patronages et des Œuvres de Jeunesse de France. Elle regroupe alors les sections sportives des patronages catholiques. Avec 350 000 membres à la fin des années trente, elle est la première fédération sportive de France. En favorisant l’accessibilité pour tous et à tous niveaux, elle a joué un rôle essentiel dans le développement et l’institutionnalisation du sport français. La licence nominative est créée en 1907.
Résistances
Photographie anthropométrique de Germaine Berton, 1923
Collection Jean Mairet
La généralisation du « bertillonage » a suscité critiques et résistances. Un consensus peut s’établir lorsqu’il s’agit de distinguer les bénéficiaires d’un statut ou d’identifier des délinquants. Mais la situation peut se renverser quand le fichage, en se généralisant, est vécu comme une extension aux « bons citoyens » de méthodes appliquées à l’origine aux criminels. Hommes politiques, gens de lettre, journalistes, artistes, simples citoyens, etc., ont été nombreux à dénoncer le caractère liberticide de la fiche d’identité. Pour ne citer qu’eux, les Surréalistes pratiquent sur la photographie d’identité une de leurs plus célèbres opérations de détournement. Mais, paradoxalement, la banalisation administrative de la photographie d’identité a eu des effets majeurs sur l’art du portrait photographique au xxe siècle. Tout contexte personnel ou historique est éliminé de l’image, désormais centrée sur l’essentiel : le visage humain.
Photographie anthropométrique de Germaine Berton, 1923
Collection Jean Mairet
Le premier numéro de la Révolution surréaliste, paru le 1er décembre 1924, présente un photomontage : le portrait anthropométrique de face de Germaine Berton qui a assassiné l’année précédente Marius Plateau, secrétaire de rédaction de L’Action française, est encadré par les visages de membres du groupe surréaliste et de plusieurs personnages auxquels ils se réfèrent, notamment Freud, Picasso et De Chirico. Le tout est accompagné d’une citation de Baudelaire : « la femme est l’être qui projette la plus grande ombre ou la plus grande lumière sur nos rêves ». Dans ce même numéro, Aragon fait l’éloge de Germaine Berton, « le plus grand défi [qu’il] connaisse à l’esclavage », et dont le portrait prend valeur d’icône.
Registres des passeports du consulat de France à Beyrouth, 1931
Nantes, Centre des Archives diplomatiques, HC 29, n° d’enregistrement 1079
En 1931, à Beyrouth, le chef de bataillon Charles de Gaulle et son épouse ne fournissent pas de photographie pour obtenir leur passeport. On ne connaît pas les raisons de cette omission : impossibilité matérielle de disposer d’une photographie, oubli de la part de l’employé chargé d’apposer ces documents dans le registre, ou plutôt, répugnance de l’officier supérieur devant fournir les preuves de son identité aux bureaucrates du consulat ? Peut-être Charles de Gaulle perpétue-t-il ainsi cet atavisme des officiers qui furent nombreux, dès le xviiie siècle, à s’opposer à ce qu’on leur applique les méthodes d’identification des soldats, et qui furent aussi les principales victimes, en 1904, de la retentissante « affaire des fiches » ?
Registres des passeports du consulat de France à Beyrouth, 1933
Nantes, Centre des Archives diplomatiques, HC 33, n° d’enregistrement 357 – 361
Les photographies apposées sur les cartes d’identité comme sur les passeports, réalisées en studio ou bien issues d’une simple cabine de Photomaton, ne suscitent pas de contestation particulière. Dans quelques rares cas, dans un contexte culturel particulier, cette exposition du visage peut cependant être refusée et les autorités paraissent disposées à laisser faire. Ainsi, en 1933, l’épouse de l’émir Khaled, petit-fils d’Abd el-Kader, ne fournit pas de photographie pour obtenir un passeport auprès du consulat de France à Beyrouth ; l’emplacement réservé à la photographie sur le registre porte la simple mention « dame musulmane ».
PLAN DE L'EXPO
- L’affaire. Lurs, 4 août 1952
- Crimes et rapines. Petites et grandes affaires de l’Est parisien (1880-1914)
- L’affaire Fualdès. Le sang et la rumeur
- Alphonse Bertillon et l'identification des personnes (1880-1914)
-
Fichés ? Photographie et identification du Second Empire aux années 60
- Identifier avant la photographie
- Premiers usages de la photographie
- Naissance de l'identité judiciaire
- Succès et limites du système Bertillon
- Une généralisation de l'encartement dans l'entre deux guerres
- Les conséquences de la Grande guerre et de la révolution d'Octobre
- Les fichiers locaux de la police judiciaire et de la police administrative
- Vers le fichier central
- Le fichier central de la sûreté nationale
- Vers la carte d'identité nationale obligatoire
- La guerre de 1939-45, Vichy, la Libération
- Les années 1950-1960
- Annexes. Repères chronologiques
- Crédits et remerciements
- La Révolution à la poursuite du crime !
- Les « vrais » Tontons flingueurs
- L'accusé et sa mise en image sous la Troisième République
- Détective, fabrique de crimes ?
- Crimes et châtiments en Normandie (1498-1939)
- Du gibet au palais. Les lieux de justice dans l'Ain
- Présumées coupables, du 14e au 20e siècle