Le siècle des Lumières a vu germer et s’enfler tout un courant de critiques contre la justice : enchevêtrement des juridictions, complexité des compétences, lenteur et coût des procès, secret de la procédure, absence de défenseur, sévices corporels... À la fin du 18e siècle une réorganisation s’impose. Les réformes tentées en 1771 par le chancelier Maupeou sous Louis XV et en 1788 par le garde des sceaux Lamoignon sous Louis XVI se heurtent à la résistance des parlementaires.
En 1789, tout un siècle de maturation des idées trouve très vite son aboutissement dans les décisions de la Constituante. Des principes fondamentaux, qui perdurent presque tous, sont affirmés : indépendance de la magistrature (séparation des trois pouvoirs, élection des juges), protection de la personne (présomption d’innocence, égalité devant la justice, gratuité de la justice, assistance d’un « conseil », suppression des sévices corporels, publicité des débats, légalité des infractions et des peines, motivation des décisions). Les juridictions d’Ancien Régime sont vouées à disparition tandis que toute une réorganisation judiciaire se prépare.
La réorganisation judiciaire distinguera désormais les juridictions civiles (juges de paix, tribunaux de district) des juridictions pénales (tribunal de police municipale, tribunal de police correctionnelle, tribunal criminel départemental) avec au sommet le Tribunal de cassation. Elle simplifiera et uniformisera la carte judiciaire. Elle unifiera aussi les règles de droit par la rédaction du premier Code pénal (25 septembre-6 octobre 1791) et l’instauration d’une nouvelle procédure, publique et accusatoire (non plus secrète, inquisitoire et entièrement écrite) mise en place par le décret des 29 septembre?21 octobre 1791.
En attendant, l’enthousiasme révolutionnaire qui anime les Constituants dans leur tâche de réorganisation ne leur enlève ni la conscience des réalités ni le souci de l’ordre public : les juridictions d’Ancien Régime vont cesser leurs activités sans avoir pour autant réglé toutes les procédures en cours (les scellés sont apposés au Parlement de Paris le 15 octobre 1790, au Châtelet de Paris le 24 janvier 1791), alors que les prisons regorgent de détenus en attente de jugement et qu’à Paris comme ailleurs, le crime ne s’arrête jamais !
D’où la mise en place d’un système de transition qui permet une jonction presque parfaite entre l’ancien et le nouvel ordre judiciaire. Des juridictions pénales provisoires sont créées : Tribunal des dix puis tribunaux criminels provisoires, une compétence criminelle est attribuée provisoirement à des tribunaux civils, les tribunaux d’arrondissement, et, ponctuellement, à une juridiction politique d’exception le Tribunal du 17 août 1792.
Ainsi la Révolution poursuit-elle le crime !
La période transitoire 1790-1792
Transitoires sont les juridictions pénales de cette période, transitoire aussi la procédure (l’ordonnance de 1670 reste en vigueur, seulement aménagée par les décrets des 8-9 octobre 1789) d’abord parce que les nouveaux textes ne sont pas encore en place, ensuite parce que l’arriéré d’Ancien Régime continuera d’être traité sans le recours aux jurys et avec la possibilité d’un appel circulaire.
Cette période est marquée par des errements et des incertitudes liés aux bouleversements dans la réorganisation : flottement dans la transmission des affaires des tribunaux d’arrondissement aux tribunaux criminels provisoires ; affaires portées devant les juridictions alors que les infractions ont disparu du Code pénal (cas des duels) ; hésitations des juges qui n’appliquent pas toujours les peines prévues au Code pénal parce qu’ils constatent une disproportion entre certains délits et les peines correspondantes, souvent alourdies par des circonstances aggravantes, ou parce que la distinction ancienne entre grand et petit criminel ne correspond pas toujours avec la délimitation entre justice criminelle et police correctionnelle (les juges appliquent alors la loi de police correctionnelle) ; articles différents du Code pénal invoqués pour des délits identiques par des tribunaux différents ; erreur probable dans le nombre des jurés qui composent un jury d’accusation du Tribunal du 17 août ; persistance, jusqu’en janvier 1792 où le Code pénal est rendu obligatoire, de peines anciennes comme la flétrissure ; etc.
L’exposition : La Révolution à la poursuite du crime !
Ce sont les fonds du Tribunal des dix et des six tribunaux criminels provisoires, constituant la sous-série Z3 des Archives nationales, qui sont l’objet de cette exposition ; exposition qui est possible parce que les archives de ces juridictions, entrées dès 1847 aux Archives nationales, ont ainsi échappé en mai 1871 à l’incendie du palais de justice de Paris qui détruisit les fonds des tribunaux d’arrondissement, du tribunal criminel du département de Paris, comme du tribunal civil de la Seine. Ces archives demeurent donc les seules sources pour l’étude de la criminalité parisienne de cette époque.
L’exposition concerne Paris, dans les années 1790 à 1792. La période considérée commence lors de l’apposition de scellés sur les salles et greffes des juridictions d’Ancien Régime supprimées (le 15 octobre 1790 au Parlement de Paris, le 24 janvier 1791 au Châtelet de Paris) mais dépasse la date de la mise en place de la nouvelle organisation (le 15 février 1792, le Tribunal criminel du département de Paris s’installe), parce que l’arriéré d’Ancien Régime continue pendant des années d’être traité par des juridictions provisoirement compétentes au criminel. La disparition des archives de ces tribunaux dans les incendies de la Commune limite cependant l’exposition aux seules années 1790-1792.
Cette période correspond majoritairement à la mise en place d’une monarchie constitutionnelle et à son échec. Les grands événements apparaissent en filigrane : nuit du 4 août 1789, formation d’une commune insurrectionnelle, suspension du roi, massacres de septembre... Des noms connus émergent : Fouquier-Tinville, Guillotin, Sanson, Hubert Robert, et même Terrasse, chef de la section judiciaire des Archives du royaume.
Le parcours présente la particularité de proposer, à côté de documents originaux, un nombre important de menus objets dont la puissance d’évocation nous projette plus de deux siècles en arrière et qui proviennent aussi des collections des Archives nationales. Les fonds judiciaires présentent en effet parfois la particularité de contenir, à côté des dossiers de procédures, des objets saisis au cours de l’enquête et conservés aux greffes pour étayer une accusation. Ces produits de larcins comme les amoncellements de portefeuilles - ceux de l’affiche (d’ailleurs vidés de toute valeur, billets à ordre ou assignats !) - jouxtent la panoplie du cambrioleur ou celle du faussaire et côtoient de menus objets émouvants comme un nécessaire de couture ou un chapelet dans son étui.
L’exposition virtuelle vous propose de découvrir une partie des pièces exposées du 18 novembre 2009 au 15 février 2010 au Musée de l’Histoire de France...