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L’affaire Fualdès. Le sang et la rumeur

Le commerce du crime

Louis Dupré, M. Fualdès, taille-douce au vernis mou, 23,7x17,8 cm, Paris, Dupré, 1817

Source : Collection particulière

L’iconographie du crime a été longtemps l’apanage de petits feuillets, les occasionnels, vendus à la criée ou par des colporteurs à une clientèle populaire. Dans les villes, ils prennent le nom de « canards » dès le début du XIXe siècle avant de décliner progressivement, concurrencés par les rotatives de la presse à un sou. L’image stéréotypée est produite par l’utilisation de bois gravés, lourdement encrés.

L’affaire Fualdès s’inscrit dans cette dynamique et connaît un immense succès populaire. Les premières lithographies et de multiples estampes accompagnent l’imaginaire des lecteurs. En province, les représentations théâtrales de rue fleurissent. Les mémoires de Clarisse Manzon connaissent sept éditions en moins de deux mois. D’autres protagonistes comme Rose Pierret (ou un sosie) sont littéralement livrés aux regards des curieux dans un café parisien où une foule ininterrompue défilera pendant plusieurs jours. Bousquier, sauvé de la guillotine par ses aveux mensongers, sera engagé dans un cabinet de cire reproduisant la scène de l’assassinat « au naturel » afin de répondre aux questions des curieux.

Jausion et Bastide, lithographie de Godefroy Engelman sur papier vergé, 29,8x21,8 cm, Paris, Martinet, 1818 (1817, premier tirage)

Source : Collection particulière

« On voit éclore par milliers des portraits de Bastide et de Jausion, on a dessiné la maison Bancal et le cortège nocturne ; les avocats et les trois cent quarante témoins se vendront bientôt sur les quais. Si cela continue, tout le département de l’Aveyron sera lithographié. » Journal des débats politiques et littéraires, 11 et 12 mai 1818. L’affaire Fualdès surgit au moment où l’on assiste aux premiers essais en France d’une nouvelle technique d’impression à plat : la lithographie. Par sa rapidité de mise en œuvre et son relatif faible coût, elle offre un espace original de liberté ; une réactivité nouvelle face à l’actualité. Le procédé ne nécessite pas de faire appel à un artisan spécialisé pour reproduire un dessin à la différence de la taille-douce (gravure en creux sur une plaque de métal).


Dès la fin du procès de Rodez, en septembre 1817, les premières images produites autour de l’affaire sont imprimées à Paris. Il s’agit d’un portrait de Clarisse Manzon et des principaux accusés. Les lithographies sont de Godefroy Engelmann, un des deux premiers introducteurs du procédé dans le pays. Très vite, les estampes se multiplient et les sujets se diversifient offrant avec un réalisme inédit les épisodes de l’effroyable nuit : Fualdès assassiné ou Le Convoi funèbre… Certaines images semblent rompre avec les normes morales de la bonne société et suscitent des interrogations, voire des réserves de la part des critiques : est-il sage de livrer au public de telles images ?

Mme E. Manson de Rhodez, lithographie sur papier vélin, 31x24,5 cm

Source : Collection particulière

L’affaire Fualdès marque une rupture dans l’iconographie du crime. L’abondance des images produites est sans équivalent. Face à l’immense effroi qui parcourt le pays, les gravures vont rassasier la curiosité du public en offrant dans un premier temps le visage des accusés, leur physionomie, leur caractère intime. Chacun cherche à voir le visage des multiples personnages. Le portrait est à la mode et se diffuse sur de multiples supports depuis la fin du XVIIIe siècle. L’idée d’associer un caractère à des traits physiques est alors très en vogue en ce début de XIXe siècle. Le regard porté sur ces visages dépasse la simple représentation galante. Le public curieux cherche à se confronter à de véritables portraits dessinés « d’après nature ». L’image offre cette rencontre, ce face-à-face avec le crime. Chacun peut ainsi décrypter ou rechercher les relations entre les traits des visages et l’atrocité des faits, voire questionner l’idée d’une éventuelle prédestination.

Clarisse Enjalran, épouse Manzon, est la fille du président de la cour prévôtale. À la suite de confidences faite à un officier (Clémendot), elle laisse entendre qu’elle était par hasard dans la cuisine des Bancal le soir du 19 mars. La justice compte sur son témoignage pour confondre les inculpés.

Jean-Pierre Sudré, Bastide-Gramont, Lithographie de Godefroy Engelmann sur papier vélin, 29,5x21,5 cm, Paris, Eymery, 1818

Source : Collection particulière

Bernard Charles Bastide-Gramont est un propriétaire terrien aisé qui vit à Gros près de Rodez, d’où il gère ses domaines agricoles. C’est l’ami intime de Fualdès. Il sera néanmoins désigné comme le chef du complot sans véritable raison. Bastide sera guillotiné à Albi en 1818.

Jean-Pierre Sudré, Jausion, Lithographie de Godefroy Engelmann sur papier vélin, 28,2x20,8 cm, Paris, Eymery, 1818

Source : Collection particulière

Issu d’un milieu aisé, Jean-Joseph Jausion exerce à Rodez l’activité lucrative d’agent de change. Comme Bastide dont il est le beau-frère, c’est un ami de Fualdès. Le lendemain du meurtre, il force le secrétaire de Fualdès. Accusé d’avoir volé de l’argent, Jausion subira le même sort que Bastide.

Jean-Pierre Sudré, Collard, Lithographie de Godefroy Engelmann sur papier vélin, 30x21,5 cm, Paris, Eymery, 1818

Source : Collection particulière

Collard ancien soldat du train des armées napoléoniennes en Espagne est originaire du nord de la France. Il vit en concubinage avec Anne Benoît et loge dans une chambre située à l’arrière de la maison Bancal. Bousquier le dénonce comme un des complices ayant aidé à transporter le corps de Fualdès. Il sera guillotiné à Albi.

Jean-Pierre Sudré, Bach, Lithographie de Godefroy Engelmann sur papier vélin, 28,6x21,3 cm, Paris, Eymery, 1818

Source : Collection particulière

Joseph Bach originaire du Sud Aveyron exerçait officiellement l’activité de roulier, en fait de contrebandier. Selon ses aveux, il propose à Bousquier de l’aider à transporter une balle de tabac de contrebande se trouvant chez Bancal. Celle-ci s’avère être le corps de Fualdès qu’il aide à descendre à l’Aveyron.

Jean-Pierre Sudré, Bousquier, Lithographie de Godefroy Engelmann sur papier vélin, 29,1x21,6 cm, Paris, Eymery, 1818

Source : Collection particulière

Déchu socialement, Bousquier, ancien percepteur des contributions, travaille aux haras comme portefaix. Il est le premier des accusés à avouer. Il révèle à la justice le nom des participants et le trajet emprunté pour descendre le corps. Il aura la peine la plus légère.

Joseph Roques, Bastide et Jausion, peinture à l’huile, 109x101cm

Source : Collection particulière

La peinture conserve toute son aura par sa capacité à retranscrire « la ressemblance du personnage, la vérité des traits, l’expression de la physionomie ». Certains artistes bénéficient même de libéralités de la part des autorités pour accéder aux prisons et peindre les prévenus. La large diffusion de ces portraits alimente l’effervescence générale et conforte le récit officiel sur l’assassinat.

Véritable complainte sur la mort de Fualdès, lithographie sur papier vélin, 28,1 x 19 cm, Paris, Chardon aîné

Source : Collection particulière

Le public populaire s’attache aux formes orales, aux récits des colporteurs, aux chansons illustrées par des images bon marché. L’affaire marquera durablement les esprits. La Complainte de Fualdès sera fredonnée jusqu’à la fin du XIXe siècle.

La médiatisation de l’affaire Fualdès sera assurée, tout au long des trois procès, par les « notices », comptes rendus au jour le jour des séances envoyés aux abonnés, auxquels pourront être joints des gravures, des plans des lieux, des portraits des inculpés et de nombreuses publications postérieures.