Joseph Kessel au soir de sa vie brode allègrement sur l’épisode de fondation : « Un jour, j’ai reçu la visite d’un homme qui s’appelait Ashelbé et qui dirigeait une petite agence de détective privé. […] il m’a apporté une feuille qui s’appelait Détective, qu’il dirigeait, et dans laquelle il publiait un certain nombre d’histoires tirées de ses expériences personnelles […] Or comme j’adorais les romans policiers, et qu’il n’y avait aucune concurrence dans ce domaine à l’époque (la Série noire n’existait pas), j’ai pensé qu’un hebdomadaire axé sur ce sujet pourrait avoir un succès considérable. J’allais immédiatement proposer l’idée à Gaston Gallimard qui l’a approuvée et qui deux jours plus tard a acheté Détective à Ashelbé. »
Or les archives révèlent que l’initiative n’est pas venue de l’écrivain mais bien de son ami Gaston Gallimard, le plus légitime des éditeurs. Ce dernier a compris qu’il lui fallait compenser l’édition de livres exigeants soutenus par la prestigieuse Nouvelle Revue française par une politique éditoriale plus commerciale. Il a aussi constaté que les nouveaux hebdomadaires comme Candide créé en 1924 s’attachaient les meilleurs écrivains en leur offrant de mirobolants cachets pour des nouvelles ou des feuilletons. Une nouvelle rubrique de faits divers développée par André Gide à partir de 1926 dans la Nouvelle Revue française lui donne l’idée d’un journal à grand tirage sur le crime et les faits divers. Il prend alors lui-même contact avec le privé Ashelbé, alias Henri La Barthe (HLB sont ses initiales), dans l’idée de lui racheter sa feuille professionnelle restée jusque-là confidentielle.
Mais le détective HLB, spécialiste des empreintes digitales, a aussi des aspirations à l’écriture – il effectuera au début des années trente une spectaculaire reconversion comme romancier (Pépé le Moko, 1931 ; Dédée d’Anvers, 1937) et scénariste. Plutôt que de vendre simplement son titre au prestigieux éditeur, il négocie aussi le droit d’insérer des publicités et même des articles dans l’hebdomadaire.