2. Une nouvelle maison centrale (1971-2023)

Plan du chapitre

La construction d’une nouvelle maison centrale

Dès 1944, l’administration pénitentiaire se plaint que les maisons centrales de Fontevrault et de Clairvaux ne soient pas modernisables et présentent de graves problèmes de sécurité. Ces deux anciens monastères, convertis en maison centrale en 1804 et en 1808, sont constitués de bâtiments dont la construction remonte au XIIe jusqu’au XVIIIe siècle. Les salles sont de dimensions très variables et desservies par des couloirs et des corridors tantôt larges, tantôt étroits, faisant de nombreux détours, ce qui rend leur surveillance très difficile. Cette irrégularité ne permet pas leur modernisation, notamment la réalisation d’installations sanitaires. Il n’y a ainsi aucun système de chauffage central à Clairvaux, car tous les systèmes envisagés auraient risqué d’endommager irrémédiablement les bâtiments du grand cloître et auraient offert en outre un rendement très limité. L’établissement compte 12 dortoirs aménagés avec des cages à poules (405 places) et 12 dortoirs en commun (186 places). Les détenus dorment donc dans ces cages à poules qui deviennent glaciales l’hiver venu. Dans les dortoirs réservés aux détenus employés au service général et aux travaux de bâtiments, les brocs d’eau destinés à la toilette éclatent fréquemment lorsque les températures deviennent négatives…

Instaurer un régime progressif à Clairvaux

L’administration pénitentiaire souhaite donc désaffecter Clairvaux et Fontevrault afin d’en confier la gestion au ministère des Beaux-Arts. Mais il lui faut auparavant construire deux nouvelles maisons centrales pour pouvoir les remplacer. En 1951, la diminution des condamnés par des cours de justice entraîne leur évacuation de Clairvaux et leur remplacement par des condamnés de droit commun récidivistes. La question se pose alors de l’extension du régime progressif aux maisons centrales de régime dit classique. Institué à la Libération dans le cadre de la réforme impulsée par le directeur de l’administration pénitentiaire, Paul Amor, le régime progressif a été instauré dans les maisons centrales d’Haguenau (1946), Mulhouse (1946), Ensisheim (1947), Melun (1949) Caen (1952) et Toul (1954). Son extension est envisagée pour les cinq maisons centrales de régime dit classique (Clairvaux, Eysses, Nîmes, Poissy et Fontevrault). Mais pour pouvoir être appliqué, ce régime nécessite d’importantes adaptations architecturales. Il est effectivement constitué de quatre phases qui permettent aux détenus d’obtenir une amélioration progressive de leur régime carcéral en fonction de leur comportement. La première phase (dite d’observation) est strictement cellulaire. La seconde est de type auburnienne (les détenus travaillent en commun le jour et sont isolés dans des cellules la nuit). La troisième (dite d’amélioration) permet aux détenus de bénéficier d’activités sportives et culturelles (d’où la nécessité d’aménager des salles dédiées à la pratique de ces activités et des terrains de sport). La dernière phase (dite de confiance) permet au détenu de bénéficier d’un régime de semi-liberté ou d’un travail sur un chantier extérieur de l’administration pénitentiaire.

Un programme de modernisation de la maison centrale de Clairvaux est donc entrepris en 1954. L’objectif est d’étendre l’enceinte intérieure de l’établissement afin de pouvoir construire deux bâtiments cellulaires pour y appliquer un régime de type auburnien. Alors que Fontevrault ferme en 1966 et est remplacée par la nouvelle maison centrale de Muret située à plus de 400 kilomètres, la décision est prise de construire la nouvelle maison centrale à l’intérieur de l’enceinte même de Clairvaux. Cette décision s’explique par la configuration de l’établissement. Alors que beaucoup de maisons centrales sont enserrées dans des centres-villes (comme Poissy, Nîmes, Melun, etc.), ce qui est particulièrement préjudiciable à la santé et au moral des détenus, Clairvaux s’étend au contraire sur 30 hectares et offre des conditions d’incarcération intéressantes. Les 2/3 recouvrent la détention qui est constituée de bâtiments, de cours de promenade et d’espaces verts, dont un jardin potager cultivé par les détenus eux-mêmes. D’autre part, l’établissement dispose d’ateliers en régie directe modernes et bien organisés, d’une menuiserie qui fabrique des meubles en série, d’une cordonnerie mécanique et d’un atelier de tissage de coton avec un atelier de confection. Enfin, le domaine compte près de 100 logements pour le personnel.

Une nouvelle maison centrale

Plan du rez-de-chaussée des bâtiments cellulaires du centre pénitentiaire de Clairvaux, 26 février 1972

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Plan du premier étage des bâtiments cellulaires du centre pénitentiaire de Clairvaux, 26 février 1972

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Plan du deuxième étage des bâtiments cellulaires du centre pénitentiaire de Clairvaux, 26 février 1972

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Plan du troisième étage des bâtiments cellulaires du centre pénitentiaire de Clairvaux, 26 février 1972

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Plan d’ensemble de la maison centrale de Clairvaux, 6 janvier 1963

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Façade latérale est du bâtiment cellulaire n°2 de la maison centrale de Clairvaux, 23 novembre 1963

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Façade nord du bâtiment cellulaire n°2 de la maison centrale de Clairvaux, 12 novembre 1963

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Façade latérale ouest du bâtiment cellulaire n°2 de la maison centrale de Clairvaux, 25 novembre 1963

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Façade principale de la maison centrale de Clairvaux, 12 janvier 1966

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

Cuisine de la maison centrale de Clairvaux, 12 janvier 1967

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Source : Archives départementales de l’Aube, 1911W

En 1956, l’agrandissement de l’enceinte de Clairvaux entraîne un important travail de terrassement qui nécessite le déplacement de 16 000 m3 de terre. Ce travail achevé, la construction par la main-d’œuvre pénale du premier bâtiment cellulaire (dit bâtiment A) débute en 1961 et s’achève en 1966. Il comprend trois étages et 182 cellules. Le rez-de-chaussée dispose d’une salle de réunion qui fait office de cinéma-chapelle d’une contenance de 200 places et de huit salles de classe ou d’étude. Le second bâtiment cellulaire (dit bâtiment B) est achevé en 1967. Il comprend également trois étages et 153 cellules. Le troisième bâtiment cellulaire de Clairvaux est achevé en 1970. Il comprend au rez-de-chaussée les bureaux du surveillant-chef et des gradés, le poste central de garde, six salles de classe ou d’étude et des locaux sanitaires. Le premier étage accueille les services médicaux ainsi qu’une infirmerie. En parallèle, un quartier de fin de peine de 74 places entre en service en 1966 dans le petit cloître. Il destiné à recevoir des condamnés qui doivent préparer leur sortie. Il comprend au rez-de-chaussée six grandes salles avec des locaux sanitaires, 27 chambres au premier étage et 47 chambres au deuxième. Même si le régime progressif n’est pas encore en service à Clairvaux, cette innovation permet aux détenus classés au petit cloître de bénéficier d’un régime analogue à celui de la phase de confiance.

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux en construction, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux, cellules et coursives, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

Maison centrale de Clairvaux, cellules et coursives, années 1960

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Source : École nationale d’administration pénitentiaire

La nouvelle maison centrale de Clairvaux entre en service en 1971 et peut accueillir 400 détenus. Il faut néanmoins attendre un arrêté du 7 mars 1973 pour que le régime progressif y soit officiellement institué (bien qu’il ne soit pas réellement appliqué faute d’éducateurs pour pouvoir le mettre en œuvre). Les détenus qui atteignent la quatrième phase sont transférés au centre de semi-liberté de Beaune. Ce classement n’entraîne néanmoins aucune modification quant aux critères d’affectation des condamnés à Clairvaux qui continue d’héberger des « condamnés récidivistes dangereux ». Puis le décret du 23 mai 1975 décide l’abandon du régime progressif au profit des centres de détention (orientés vers la réinsertion sociale) et des maisons centrales (davantage axées sur la sécurité). Clairvaux est donc classée maison centrale. Enfin, le 14 janvier 1980, suite au classement du petit cloître en centre de détention, l’établissement prend officiellement l’appellation de « centre pénitentiaire de Clairvaux ».

Une décennie émaillée de drames

La spécialité de la maison centrale de Clairvaux est d’accueillir des détenus évalués comme les plus dangereux, bien souvent exclus d’autres établissements, comme en témoigne en 1958 le directeur régional des services pénitentiaires de Dijon : « Il existe un “problème CLAIRVAUX” […]. L’établissement occupe le dernier rang dans l’échelle de nos maisons centrales : c’est dire qu’on y envoie tous ceux dont on n’a pas voulu ailleurs, les irrécupérables, les durs, les exclus, bref le rebut ; c’est dire aussi que tous ceux qui s’y trouvent n’ont plus rien à perdre puisqu’ils ne risquent pas de recevoir une pire affectation. Aussi le régime est-il caractérisé par la rigueur de la discipline. » Le régime est effectivement très dur à Clairvaux. Dans les cages à poules, il n’y a rien hormis un lit : ni placard, ni porte-manteau, ni tabouret. Les détenus posent à même le sol leurs vêtements ainsi que le petit matériel autorisé (brosse à dents, savon, peigne, un ou deux livres, quelques photos, etc.). Il n’y a pas d’eau courante et ils disposent d’un broc et d’une cuvette pour faire leur toilette au lever. Les promenades s’effectuent en rang par deux en rond, au bruit des sabots. La seule activité culturelle proposée est à partir du mois de décembre 1951 une séance de cinéma hebdomadaire réservée aux détenus ayant observé un bon comportement. Il n’y a pas d’enseignement, pas de loisirs, ni d’activités culturelles ou sportives. Le droit de fumer n’est accordé que pendant la promenade et au réfectoire après le repas du soir. Tous les mouvements se font en ordre par ateliers, réfectoires et dortoirs et en file indienne. Les journées sont ainsi particulièrement austères :

6h30

Réveil

6h30-7h00

Pliage des couvertures, nettoyage des dortoirs et cellules

7h00-7h30

Petit déjeuner

7h20-7h30

Rassemblement et défilé

7h30-7h35

Change de vêtement

7h35-11h40

Travail

11h40-11h50

Toilette et change des effets

11h50-12h00

Déjeuner

12h30-13h30

Promenade

13h30-13h40

Rassemblement et défilé

13h40-13h45

Change de vêtements

13h45-17h40

Travail

17h40-17h50

Toilette et change des effets

17h50-18h00

Dîner

18h30

Coucher

19h00

Fermeture générale

Source : Inspection de la maison centrale de Clairvaux, 29 avril 1963, AN 19960148/52

Le personnel est essentiellement recruté sur place, ce qui entraîne des difficultés quant à la gestion des détenus comme le signale un rapport d’inspection en 1954 : « Le recrutement du personnel de surveillance soulève un gros problème. Ces agents sont depuis fort longtemps choisis dans la population locale en raison des difficultés que les candidats étrangers au pays éprouveraient pour se loger. La plupart d’entre eux exercent d’autres professions, beaucoup sont agriculteurs et considèrent leurs fonctions à la maison centrale de Clairvaux comme un service d’appoint… leurs qualités physiques dépassent de beaucoup certes leur valeur intellectuelle, aussi ne faut-il pas leur demander de contribuer à l’amélioration de l’état d’esprit qui règne dans la population pénale de Clairvaux, alors qu’ils sont parfaitement capables d’y maintenir la discipline par la force. »

Cet ensemble de facteurs entraîne à partir des années 1970 des dysfonctionnements importants dans la gestion de l’établissement qui engendrent une série de drames particulièrement violents.

La tentative d’évasion du 15 mai 1970

Le 21 novembre 1969, cinq détenus tentent de s’évader par le canal de dérivation de Clairvaux. Peu de temps après, le 17 avril 1970, un surveillant découvre un sac en plastique contenant deux pistolets, une mitraillette et des munitions à l’intérieur du mur d’enceinte. En réaction, trois détenus sont placés à l’isolement, ce qui entraîne une grève de la faim de la population pénale conduite du 20 au 25 avril. Le 27 avril suivant, deux détenus employés à la cuisine de l’établissement parviennent à s’évader en se dissimulant dans un camion venu livrer du lait. C’est dans ce contexte extrêmement tendu que se produit une nouvelle évasion au mois de mai 1970. Dans la nuit du 15 au 16 mai 1970, six détenus tentent de s’évader par le canal de dérivation. Alerté, le directeur donne l’ordre d’ouvrir les vannes afin de faire monter le niveau de l’eau. Craignant la noyade, les fuyards rebroussent chemin et se rendent sans résistance. Entravés, ils sont sortis un à un du conduit et réceptionnés par le directeur accompagné d’une trentaine de surveillants. D’après un rapport rédigé par le juge d’application des peines du tribunal de grande instance de Troyes reproduit dans le journal Le Monde du 28 septembre 1971, ils sont alors « enchaînés, roués de coups de poings, de matraques et de crosses et conduits au quartier [disciplinaire], couverts de sang. » Charlie Bauer, détenu qui a participé à cette évasion, relate cet épisode dans son ouvrage Fractures d’une vie : « Une pluie de coups s’abat sur moi. Des coups de pied, des coups de poing, des coups de matraques, des coups de crosses de fusil, des coups de câbles électriques. Je me tords à terre comme un ver que l’on écrase. Dans un tourbillon, j’aperçois deux haies de gardiens. […] A chaque coup reçu mes hurlements s’étouffent dans ma gorge sous la violence du choc. […] un gardien, se servant de son fusil comme d’une fourche, me soulève avec le canon de son arme fiché sous mon muscle pectoral gauche qui cède sous la traction. Je hurle tant la douleur est violente et je retombe anéanti sur le sol en vomissant du sang. »

Source : Hervé Colombani, Jean-Lucien Sanchez

Le procureur de la République de Troyes se rend sur place et adresse le 31 juillet un courrier particulièrement virulent au directeur de la maison centrale : « J’ai l’honneur de vous exprimer mon vif mécontentement pour les graves sévices exercés par des surveillants de la maison centrale de Clairvaux sur la personne de détenus qui avaient entrepris une tentative d’évasion dans la nuit du 15 au 16 mai 1970. Je vous prie de faire connaître avec fermeté, à l’ensemble du personnel de la maison centrale, que des poursuites seront immédiatement exercées si de nouvelles violences étaient constatées. »

Faute de preuves, le garde des Sceaux suit les recommandations du procureur qui conseille l’abandon des poursuites. Mais ces violences se sont produites au vu et au su des détenus du bâtiment B et ont entraîné d’après le juge d’application des peines de Troyes des conséquences désastreuses sur la détention : « Il aurait peut-être mieux valu, dans l’intérêt de la société, que les six détenus s’évadent, plutôt que de leur faire subir, au vu et au su de leurs autres camarades, le traitement qui leur a été infligé alors qu’ils étaient désarmés et sans défense. Nombreux sont les détenus de la centrale de Clairvaux, si déchus soient-ils, qui ont éprouvé devant ce “massacre” un sentiment de supériorité morale et de mépris pour certains surveillants et, à travers eux, pour la société qui tolère de tels agissements de la part des agents. »

Le directeur de Clairvaux, qui a également participé à ces brutalités, se voit contraint de dénoncer les surveillants qui se sont le plus illustrés. Ce qui conduit à la mutation de deux d’entre eux. D’après le directeur régional des services pénitentiaires de Dijon, ce directeur subit alors « une perte d’autorité morale » et son attitude a entraîné tout à la fois un « désintéressement du personnel au bon fonctionnement de l’établissement » et « une animosité accrue contre la population pénale ». Pour le directeur régional, ces multiples tentatives d’évasion à Clairvaux s’expliquent essentiellement par la « perte de l’espoir » à l’encontre de la population pénale qui a abouti à des solutions extrêmes caractérisées par un renforcement de la sécurité et la méconnaissance quasi totale des problèmes humains : absence de service social, insuffisance des grâces annuelles, suppression des corvées extérieures et des chantiers, insuffisance de la semi-liberté, limitation extrême de la libération conditionnelle et absence de « tous contacts humains ». Toujours d’après le directeur régional, les seuls contacts qu’entretient la direction avec les détenus ont lieu au prétoire disciplinaire… Comme les détenus sont considérés comme des irrécupérables, ils nourrissent peu d’espoir d’obtenir une amélioration de leur sort, ce qui les pousse à multiplier les tentatives d’évasion. Le laisser-faire du personnel après les incidents du 15 mai 1970 aggrave en outre « l’anarchie du régime » : mauvaise répartition des détenus dans les cellules, absence quasi-totale du contrôle des mouvements, méconnaissance des détenus qui facilite la mise en place dans les postes de confiance « des éléments les plus tarés » et possibilité laissée « aux plus endurcis d’asservir le reste de la population pénale ». L’importance accordée à la sécurité au détriment des contacts humains a abouti à la mise à l’écart systématique du juge de l’application des peines, de l’aumônier et des services médicaux, qui sont limités dans leurs actions et étroitement surveillés dans l’établissement.

Pour le directeur régional, la situation a commencé à se détériorer à Clairvaux à partir de 1964, c’est-à-dire avec l’arrivée de chefs d’établissement rapatriés d’Algérie qui y ont importé les pratiques en cours dans les prisons algériennes : « Sur un plan général, les services extérieurs de l’administration pénitentiaire ont dû s’adapter à des évolutions de doctrine considérables. De 1945 à 1946, l’action s’est orientée dans les maisons centrales vers l’instauration d’un climat de confiance, dont les résultats paraissent avoir été probants pour les maisons où avaient été implanté le régime progressif. De 1960 à 1970, nous sommes revenus à l’angoisse de la sécurité. Il semble, par voie de conséquence, que nous atteignions maintenant l’ère de la violence. Sur le plan spécifique de Clairvaux, il semble que le processus de dégradation se soit particulièrement manifesté à partir de 1964. Cette année est celle de l’intensification des mesures de sécurité et de la suppression des chantiers et corvées extérieurs. Cette année marque aussi le début du “règne” des directeurs venus d’Algérie qui, sans recyclage préalable, ont dirigé les établissements métropolitains. Il est regrettable que ces fonctionnaires, dont la valeur professionnelle n’est pas niable, n’ait rien appris, ni rien oublié. »

La mort de Nicole Comte et Guy Girardot

Des évènements dramatiques s’enchaînent par la suite. Le 9 février 1971, un détenu condamné à la réclusion criminelle à perpétuité s’immole par le feu et, le 20 avril, un détenu est assassiné par un autre. C’est dans ce contexte explosif qu’a lieu le 21 septembre de la même année la prise d’otages de l’infirmière, Nicole Comte et du surveillant, Guy Girardot. Alors qu’ils sont soignés à l’infirmerie, les détenus Claude Buffet et Roger Bontems prennent en otage l’infirmière et le surveillant en les menaçant avec des couteaux artisanaux. Ils s’enferment ensuite dans les locaux de l’infirmerie et réclament des armes, des munitions ainsi que deux véhicules pour pouvoir quitter librement l’établissement. Une négociation est engagée, mais elle ne donne aucun résultat. L’assaut est donné au cours de la nuit par les forces de l’ordre qui font sauter les deux grilles d’accès à l’infirmerie. Mais Guy Girardot, 28 ans, et Nicole Comte, 36 ans, tous deux mariés et parents de deux enfants, sont retrouvés morts, égorgés. Le procès des deux détenus a lieu à la cour d’assises de l’Aube du 26 au 29 juin 1972. Roger Bontems, défendu notamment par l’avocat et futur garde des Sceaux Robert Badinter, est jugé complice des deux meurtres commis par Claude Buffet. Tous les deux sont condamnés à la peine de mort et la sentence est exécutée à la maison d’arrêt de la Santé le 28 novembre 1972. Cette affaire marque le début du combat mené par Robert Badinter pour l’abolition de la peine de mort, qui est officiellement supprimée le 9 octobre 1981.

La mutinerie du 19 juillet 1974

Cet évènement tragique provoque un profond traumatisme chez les agents. Car peu de temps après, un autre surveillant est assassiné par un détenu le 27 juillet suivant à la maison d’arrêt de Lyon. D’après l’administration pénitentiaire, cette prise d’otages particulièrement violente à Clairvaux aurait également entraîné une prise de conscience de la population pénale de sa force face à un personnel de surveillance manquant d’encadrement. Et c’est ce qui expliquerait, en partie, la survenue d’une importante mutinerie à Clairvaux le 19 juillet 1974 au cours de laquelle les détenus se retrouvent maîtres de la détention pendant 12 heures. Ils parviennent à se rendre au magasin des vivres et à l’infirmerie où ils se procurent de l’alcool. Un incendie ravage totalement les ateliers d’ébénisterie et de cordonnerie ainsi que l’atelier de travaux sur plastique. Des mutins parviennent ensuite à gagner les toits de la détention d’où ils projettent des cocktails molotov, des bouteilles remplies d’acide et différents projectiles (hache, barre de fer, etc.). L’assaut est ensuite donné par les forces de l’ordre et entraîne la mort de deux détenus, vraisemblablement touchés par des coups de feu ou des grenades de désencerclement.

Pour l’administration pénitentiaire, les causes de cette mutinerie sont à rechercher du côté de l’attitude des agents. Profondément traumatisés par la prise d’otages de 1971, ils semblent désormais redouter l’agressivité des détenus, comme le souligne la capitaine de la compagnie de gendarmerie de Bar-sur-Aube : « Chez les surveillants, le moins que l’on puisse dire est que l’optimisme ne règne pas. […] Les surveillants sont désabusés, démoralisés. Lors de la mutinerie du 19 juillet, il a d’ailleurs été constaté que certains d’entre eux sont venus se rendre compte de ce qui se passait et ont regagné leurs pénates. C’est la première fois semble-t-il que ce comportement est observé. Il faut bien dire que leur position est très inconfortable. L’avantage psychologique dont ils disposaient face à des détenus que les pratiques anciennes contraignaient à un comportement individualiste (faire en sorte d’avoir le minimum d’ennuis et d’obtenir le maximum de petits avantages personnels), a complètement disparu et n’a pas été compensé. Le petit nombre de surveillants en service à un moment donné doit faire face à un bloc de détenus agressifs et arrogants qui peut, au moins le jour, se rendre maîtres à tout instant à l’intérieur de la détention. La peur est donc maintenant un élément important de leur situation : peur des vengeances, un surveillant au moins a reçu une lettre de menaces de mort ; peur des complications, toute tentative d’application des dispositions coercitives qui subsistent se traduit par une manœuvre de force. »

En détention règne notamment un « bon groupe de méridionaux » exclus d’autres établissements pour des raisons disciplinaires et qui exerce une influence délétère sur le reste de la population pénale. Les surveillants se plaignent du manque de respect observé par ces détenus envers eux, de la nécessité de les transférer régulièrement, notamment les « caïds » qui contrôlent le « casino » de Clairvaux, c’est-à-dire le préau des cours de promenade où les détenus s’adonnent au poker. Le personnel de surveillance, très préoccupé par sa sécurité, reste aussi distant que possible de la détention. Par exemple, la surveillance des cours de promenade et du terrain de sport s’effectue en dehors de ces enceintes, ce qui n’est pas pour favoriser « l’interpénétration entre le personnel et la population pénale » comme le regrette un rapport d’enquête de l’administration pénitentiaire en 1977. Clairvaux ne compte toujours aucun éducateur et les détenus ne disposent d’aucune activité culturelle. Malgré la construction d’un terrain de sport en 1973, ils ne disposent pas non plus d’activités sportives, faute de moniteurs présents. L’enseignement est pratiquement inexistant. En outre, environ 30% de l’effectif pénal est au chômage (notamment à la suite de l’incendie des ateliers en 1974) et il n’existe aucune formation professionnelle. La centrale est effectivement très excentrée et il est difficile d’y attirer des concessionnaires.

La prise d’otages du 28 janvier 1978

Cette décennie particulièrement violente s’achève par un dernier évènement dramatique. Le 28 janvier 1978, deux détenus condamnés à la réclusion criminelle à perpétuité, Christian Bergeot et André Fourcat, effectuent une tentative d’évasion avec prise d’otages. Armé d’un pistolet, ils menacent deux surveillants et leur substituent leurs uniformes. Parvenus à la porte d’entrée, un otage alerte ses collègues. En réaction, un des évadés lui tire dessus et le blesse très grièvement. Ils se saisissent ensuite du sous-directeur et d’un surveillant et, accompagnés du surveillant de la lingerie, s’installent dans le mirador n°5. Les détenus réclament un voiture pour pouvoir s’enfuir avec leurs otages. Mais deux tireurs d’élite du GIGN se positionnent et parviennent à les tuer sans qu’ils ne blessent leurs otages.

Ce nouveau drame provoque une réforme drastique de la détention. L’administration pénitentiaire organise entre le 1er février et le 24 février 1978 un transfert massif de détenus (près de 250), ce qui permet d’effectuer une fouille généralisée de l’établissement. Des aménagements matériels améliorent la situation, tant du côté des personnels (implantation de grilles, renforcement de la sécurité, etc.) que des détenus (les cellules sont repeintes et l’eau chaude y est installée, 11 salles d’activités et de 11 salles de télévision sont créées, etc.). L’extension des ateliers et l’installation de concessionnaires permettent de résorber le chômage. Enfin, le renforcement de la sécurité de l’établissement permet aux détenus de se sentir plus en sécurité, comme le souligne un rapport du directeur régional de Dijon : « Selon le service social, il apparaîtrait que 60% de la population pénale éprouve un sentiment de sécurité retrouvé par rapport à l’anarchie qui régnait antérieurement. Cette sécurité résulte incontestablement de l’aspect pavillonnaire que revêt l’actuelle vie de détention, renforcée par la fermeture systématique des portes de cellules qui met à l’abri tous ceux qui le souhaitent. Il faut en outre reconnaître que dans quelques cas, ce sont les détenus disposant d’une certaine “côte” qui vont à l’isolement et non ceux qui ont peur. C’est là une politique qu’il faudra encourager dans l’avenir. »

Protestants contre ce nouveau régime qu’ils estiment trop sévères, 46 détenus se tailladent collectivement les veines le 27 août 1978. Ils se plaignent des fouilles trop fréquentes, de la multiplication des sanctions disciplinaires, des portes des cellules maintenues fermées, des parloirs avec séparation, de la faiblesse des mandats, etc. Leur rancœur se porte surtout sur le nouveau directeur nommé à Clairvaux en janvier 1978 qui a conduit ces différentes réformes afin de contrarier le pouvoir exercé par certains détenus, comme en témoigne un rapport d’inspection de la maison centrale de Clairvaux : « Ma conclusion sera la suivante : il est très souhaitable de permettre à l’équipe de direction de continuer vers le but qu’elle s’est fixé. Il est certain que les meneurs réintégrés admettent difficilement d’avoir perdu le pouvoir. En fait c’est bien de cela qu’il s’agit. En les séparant de la majorité des détenus coopérants, M. G. [le directeur] les a en partie désarmés. En leur limitant les mandats au minimum réglementaire, il leur a supprimé le “nerf de la guerre”, c’est-à-dire le moyen de s’assurer le concours des “gros bras” et des “petites têtes” plus pauvres qu’eux. En fermant les portes de cellules à chaque réintégration, il ne leur permet plus d’agir sur les hésitants avec les moyens persuasifs que l’on sait ! »

La mort de Marc Dormont

Si cette reprise en main permet d’apaiser une détention particulièrement traumatisée par une décennie émaillée de drames violents, Clairvaux n’en demeure pas moins un établissement qui accueille un public très difficile. Et il lui reste encore une dernière tragédie à essuyer. Le 11 septembre 1992, neuf détenus (Philippe Fabre, Rémi Morard, François Payen, Roland Pettegola, Dominique Deguis, Jimmy Segura, André Gosset, Franck Weis et Michel Ghellam) prennent en otages 11 surveillants. Vers 15 heures, alors que des détenus du bâtiment B sont en activités sportives, Weiss braque un revolver sur un moniteur de sport qui lui remet un passe. De leur côté, Segura, Gosset, Ghellam et Payen parviennent à franchir le mur d’enceinte du terrain de sport. Là, ils prennent dix surveillants en otage et volent un camion de livraison. Arrivés à la porte n°2, l’un d’entre eux pose une charge explosive qu’il tente par trois fois, en vain, d’activer. Ils parviennent ensuite à enfoncer le portail avec le camion et à se diriger dans la cour d’honneur avec leurs otages. Là, ils se heurtent à quatre surveillants avec lesquels ils échangent des coups de feu. Morard fait face au surveillant Marc Dormont et lui tire dessus. Le surveillant réplique et touche le détenu à la tête, le tuant sur le coup. Mais le surveillant est blessé et décède peu de temps après.

Afin de stopper la fusillade, le sous-directeur de l’établissement donne l’ordre de faire ouvrir la porte n°1. Parvenus à l’extérieur, les fuyard s’emparent d’un véhicule et prennent un surveillant en otage avec eux. L’enquête révèle que les trois revolvers, les munitions et les explosifs des évadés ont été introduits en détention à l’intérieur d’un micro-ordinateur livré au détenu Segura. Au cours de leur cavale, les fuyards commettent un certain nombre de crimes et délits (vol de véhicule, vol à main armé, séquestration, etc.) et sont tous arrêtés, à l’exception de Dominique Deguis qui meurt au cours de son interpellation. Ils sont jugés par la cour d’assises de l’Aube pour homicide volontaire sur la personne d’un surveillant, pour tentative d’homicide sur quatre autres surveillants et pour les crimes et délits commis durant leur cavale. Le 10 novembre 1999, la cour d’assises condamne Michel Ghellam, reconnu complice du meurtre de Marc Dormont, à vingt ans de réclusion assortie d’une peine de quinze ans de sûreté. Les autres peines prononcées s’échelonnent de six à 17 ans de réclusion criminelle.

La mort de Marc Dormont succède à un autre assassinat, celle du surveillant Francis Caron survenue le 15 février 1992 à la maison d’arrêt de Rouen. Entré seul dans la cellule du détenu Stéphane Delabrière pour procéder à la vérification des barreaux de sa fenêtre à l’aide d’une barre de sondage, ce surveillant est frappé violemment dans le dos par le détenu qui est armé d’un couteau de fabrication artisanale. Saisissant la barre de sondage, il le frappe ensuite à la tête. Francis Caron meurt des suites de ses blessures le 17 août 1992. L’émotion suscitée par les meurtres de Marc Dormont et Francis Caron est immense et réactive à vingt ans d’intervalle le traumatisme de l’affaire Buffet/Bontemps. Ils entraînent un mouvement de grève inédit des surveillants qui touche près de 130 établissements sur un total de 182 et s’étend du 11 au 28 septembre 1992. Face à ce passé douloureux, la maison centrale de Clairvaux accueille tous les 22 septembre une cérémonie d’hommage aux personnels pénitentiaires décédés et blessés en mission.

Un patrimoine abbatial et carcéral

En 1966, le président du syndicat d’initiative de Bar-sur-Aube, le comte Armand, évoque la possibilité d’ouvrir à la visite le cellier des moines de Clairvaux dans le cadre d’une réunion de la commission de surveillance de la maison centrale. Ce bâtiment, le seul datant du XIIe siècle, connaît depuis 1965 des travaux de restauration conduits par les services des monuments historiques qui procèdent à la démolition d’un étage en briques édifié en 1928, à la place de la toiture d’origine ravagée par un incendie. Le directeur répond que ces visites ne peuvent être organisée que si un mur est édifié entre le chemin de ronde et le cellier des moines.

La création de l’Association Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux

Il faut attendre 1978 pour qu’un mur soit édifié entre la nouvelle maison centrale et le petit cloître d’avec le grand cloître, ce qui permet d’isoler totalement l’ancienne détention de la nouvelle. De ce fait, l’administration pénitentiaire consent à ce que le grand cloître puisse devenir un site touristique ouvert à la visite. Dans la foulée, la décision est prise de débuter des travaux de restauration de l’ancienne détention grâce à un financement tripartite assuré par les ministères de la Culture et de la Justice et le Conseil général de l’Aube. Ces travaux, notamment ceux du grand cloître, sont conduits par une équipe de 15 détenus encadrés par un instructeur technique et un charpentier.

Source : Hervé Colombani, Jean-Lucien Sanchez

En parallèle, l’Association Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux est créée en 1979 afin de fédérer toutes les « bonnes volontés et tous les concours avisés qui ne manqueront pas de se faire sentir à cette occasion ». Elle est présidée de 1983 jusqu’à sa mort en 2021 par Jean-François Leroux, qui a grandement œuvré à la valorisation et la connaissance du site. Ses guides-conférenciers accueillent le public tout au long de l’année et lui permettent de découvrir un patrimoine exceptionnel, notamment des graffitis carcéraux.

Le 4 février 1981, le directeur des affaires culturelles de Châlons-sur-Marne saisit le directeur de l’administration pénitentiaire pour lui demander le classement aux monuments historiques du grand cloître, du petit cloître, de l’ancien lavoir, de l’ancien réfectoire, du prieuré, des communs et du mur d’enceinte de l’ancienne abbaye. Le directeur donne son accord concernant la chapelle Sainte Anne, les bâtiments du XVIIIe siècle entourant la cour d’honneur, le grand cloître, l’ancien réfectoire, l’ancienne cuisine, l’ancien lavoir, la grange du XVe siècle, les communs situés à l’entrée du potager et la totalité du mur d’enceinte de l’abbaye. Un arrêté de protection et de classement est donc pris le 26 octobre 1981 pour la chapelle Sainte Anne et la salle attenante, l’aile de l’ancien réfectoire avec la cuisine, l’aile du lavoir, la grange, le cellier, les façades et la toiture, l’ancien prieuré et le portail d’entrée et les escaliers principaux, le grand et le petit cloître ainsi que le mur d’enceinte. Après des travaux de restauration et de sécurisation, la première visite de la partie historique de Clairvaux est organisée en 1985 par des membres de l’Association Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux qui sont habilités par la direction de l’établissement.

Le transfert de l’ancienne détention au ministère de la Culture

Le 18 octobre 1989, le directeur de l’administration pénitentiaire et le directeur du patrimoine du ministère de la Culture s’accordent sur le principe d’un changement d’affectation des bâtiments. Le 11 mars 1991, le garde des Sceaux Henri Nallet donne son accord au ministre de la Culture, Jack Lang, pour le transfert de propriété du grand cloître, du réfectoire des moines et du bâtiment des frères convers. Une commission interministérielle chargée d’examiner les conditions de transfert au ministère de la Culture et de la communication de divers bâtiments du centre pénitentiaire de Clairvaux est instituée en 1998 et désigne le grand cloître, le réfectoire des moines, le bâtiment des frères convers, la grange et le bâtiment agricole ainsi que l’hôtellerie des dames. Suite à sa rénovation en 1992, ce bâtiment est mis à la disposition en 1996 de l’Association Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux Sont exclus toutefois du transfert les nouvelles écuries dont le rez-de-chaussée sert d’entrepôt de matériel et les étages de logement pour le personnel et l’ancien lavoir utilisé comme mess pour le personnel. Moyennant des travaux de sécurisation du site (notamment l’édification d’une clôture grillagée entre le mur d’enceinte et le grand cloître), le transfert partiel du domaine au ministère de la Culture est effectué en 2002. Il permet la rénovation l’année suivante de l’ancien cellier des moines bernardins et des dortoirs et du réfectoire des frères convers. En 2015, l’ancien réfectoire des moines, transformé en chapelle des détenus, est également restauré ainsi que l’ancienne prison des enfants qui accueille une salle d’exposition.

En déplacement à l’École nationale d’administration pénitentiaire à Agen, le garde des Sceaux Jean-Jacques Urvoas annonce le 27 avril 2016 la fermeture prochaine de la maison centrale de Clairvaux, prétextant sa vétusté. L’année suivante, le bâtiment B est intégralement rasé et, le 23 mai 2023, la maison centrale est désaffectée (le centre de détention avait déjà été fermé en 2009).

L’État, en partenariat avec les collectivités territoriales, lance dès septembre 2022 un appel à manifestation d’intérêt pour la reconversion de l’ancienne abbaye de Clairvaux. L’objectif est de conduire le même type d’opération que celle menée à l’Abbaye royale de Fontevraud. Suite à sa transmission au ministère des Affaires culturelles en 1966, Jacques Duhamel et Jacques Rigaud élaborent en 1972 un nouveau projet de centres culturels de rencontre. À l’image des structures créées à la Saline royale d'Arc-et-Senans et à l'Abbaye royale de Royaumont, il s’agissait de créer des lieux culturels au sein de monuments historiques ayant perdu leur vocation d’origine. Le projet de Fontevraud est donc confié à la Caisse nationale des monuments historiques et des sites (aujourd’hui Centre des monuments nationaux). Après d’importants travaux de restauration conduits par le Conseil régional des Pays de la Loire, l’État fonde en 1975 le Centre culturel de l’Ouest (CCO) pour assurer l’animation culturelle et la promotion du site. Depuis 2010, la Société publique régionale de l’Abbaye Royale de Fontevraud (SOPRAF) est chargée de la gestion et de l’animation du site, de l’exploitation et de l’entretien des bâtiments ainsi que du développement touristique. Pour assurer les missions du CCO et de la SOPRAF, l’Abbaye Royale de Fontevraud emploie 40 salariés qui accueillent chaque année près de 300 000 visiteurs. Il reste désormais à Clairvaux à rejoindre à son tour ce réseau d’anciennes abbayes qui constituent des attractions touristiques majeures et qui contribuent depuis le XIIe siècle à l’enrichissement économique et humain des territoires sur lesquels elles sont implantées.

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