En 1115, le futur Saint Bernard, envoyé par Cîteaux, arriva à Clairvaux avec la mission d’y fonder une abbaye cistercienne. Ce prospère établissement rayonna dans toute l’Europe tout au long du Moyen-âge. Au début du 18ème siècle, la communauté cistercienne de Clairvaux décida de reconstruire l’abbaye selon les canons de l’architecture classique à l’emplacement même de celle de Saint Bernard, provoquant la disparition de nombreux bâtiments médiévaux (seuls l’église abbatiale et le bâtiment des convers subsistèrent). Malheureusement pour les moines du 18ème siècle, les événements révolutionnaires ne leur permirent pas d’en profiter autant qu’ils l’auraient souhaité. Le départ des moines en 1791 mit fin à sept siècles d’enfermement volontaire.
Les bâtiments monastiques attirèrent rapidement des industriels lors de ventes aux enchères en 1792, notamment un verrier et un papetier, séduits à la fois par la topographie du site (présence de matières premières) et par la superficie monumentale du bâti. Cependant l’entretien des bâtiments représentant une charge considérable par rapport à l’activité industrielle, les entrepreneurs quittèrent progressivement les lieux jusqu’en 1808, année où le dernier industriel, Pierre Antoine Rousseau rétrocéda l’abbaye à l’Etat Napoléonien. C’est alors une autre destinée qui attend les bâtiments monastiques. Dès 1809, sous la direction de Rousseau, un dépôt de mendicité, alors établit dans ce qui était autrefois l’Hostellerie des Hommes, reçoit ses premiers occupants qui ne sont autres que les mendiants du département de l’Aube. Ce n’était toutefois pas l’unique projet pour Clairvaux puisque, quelques années plus tard (1814), les premiers condamnés correctionnels et criminels de l’Aube et d’autres départements limitrophes franchirent les portes de ce qui était désormais la Maison Centrale de Clairvaux !
Au 19ème siècle la Maison Centrale s’organisait de la façon suivante. La détention des mineurs de justice avait été aménagée dans les anciennes écuries du 18ème siècle. La détention des femmes dans le bâtiment des Convers du 12ème siècle. La détention des hommes dans le cloitre du 18ème siècle (un jardin bordé de quatre bâtiments à l’architecture monumentale). Tout au long du siècle de la révolution industrielle, la centrale évolua pour répondre aux exigences des entrepreneurs généraux qui en firent une grosse manufacture carcérale et en fonction de l’évolution des politiques carcérales. Les femmes condamnées furent transférées en 1856 dans une prison nouvellement aménagée à Auberive en Haute-Marne. Les mineurs furent dans un premier temps éparpillés entre deux colonies agricoles dépendantes de Clairvaux, les fermes de La Borde et de La Bretonnière, puis transférés vers d’autres colonies telle que Sainte Anne sur l’ile du Levant dans le Var. La détention des hommes - installée dans le Grand Cloitre du 18ème siècle - fut la plus touchée par les différents aménagements nécessaires à son bon fonctionnement. En effet, même si le bâtiment originel offrait de nombreux avantages à l’établissement d’une prison, il fallut y aménager les dortoirs et autres éléments utiles à une prison du 19ème siècle. Les travaux réalisés provoquèrent la disparition de l’abbatiale en 1812 dont la pierre fut réemployée ici et là au sein de la Centrale. De 1814 à 1898, la détention masculine s’organisait de la façon suivante : le premier niveau, composé de deux galeries, comportait un couloir (ancienne galerie du cloitre) et des ateliers, le deuxième niveau – un entresol entièrement construit par les architectes de la prison – et le troisième niveau étaient dotés de dortoirs communs (de superficie inégale) desservis par une large coursive. En 1898, la Maison Centrale de Clairvaux mit en application la loi cellulaire de 1875. C’est alors que les dortoirs communs du troisième niveau reçurent un nombre conséquent de « cages à poules » (environ 500), ces boxes de bois qui isolaient la nuit les détenus les un des autres. En 1971, les conditions de détention évoluèrent considérablement puisque les détenus furent transférés du cloitre du 18ème siècle vers de nouveaux bâtiments, érigés quelques mètres plus loin sur les fondations de l’abbatiale.
En 2002, le Ministère de La Justice rétrocédait une partie de ces bâtiments historiques au Ministère de la Culture rendant ainsi possible la découverte de ce haut-lieu d’Enfermement par le biais de visites guidées proposées quotidiennement par l’Association Renaissance de l’Abbaye de Clairvaux. Les prisonniers de droit commun furent les hôtes de prédilection de cette maison centrale : condamnés correctionnels à plus d’une année d’emprisonnement, condamnés criminels à la réclusion ou aux travaux forcés lorsqu’ils étaient trop vieux pour rejoindre les bagnes. Des condamnés militaires vécurent aussi dans cette maison de force, principalement aux lendemains de la première guerre mondiale. Le plus célèbre d’entre eux, André Marty, a laissé un précieux témoignage publié à la Librairie de l’Humanité en 1924, Dans les prisons de la République. Les insurgés républicains du XIXème siècle y bénéficièrent d’un régime spécifique au sein d’un quartier politique. Blanqui, Kropotkine y séjournèrent. Plus tard des résistants, des condamnés pour faits de collaboration, des FLN, des OAS…. Aujourd’hui, bien que les bâtiments historiques soient désaffectés, nous ressentons encore la présence des milliers de condamnés qui y sont passés. Les murs – exutoires, défouloirs, confidents et moyens de communication – sont imprégnés de divers messages aux sujets plus ou moins redondants : le temps qui passe, l’attente de la libération « la quille bordel », les manques aussi bien affectifs que sexuels, la haine envers ceux qui sont à l’origine de l’incarcération, « Mort aux vaches », «A bas les SS » et bien d’autres.