Au printemps et durant l'été 2009, des graffitis d'internés sont mis au jour à la cité de la Muette à Drancy, principal camp de concentration et de transit des Juifs de France d’août 1941 à août 1944. Cette découverte apporte un très riche et inattendu complément aux graffitis déjà connus, conservés au sein de la cité ou photographiés en marge des premières commémorations du souvenir en 1946 et 1947.

La cité et le camp

Construite entre 1931 et 1935 par l’office public d’habitations à bon marché (OPHBM) de la Seine, la cité de la Muette est un ensemble de logements sociaux conçu par les architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods. « Les premiers gratte-ciel de la région parisienne » bénéficient rapidement d’une reconnaissance internationale. C’est notamment là que, pour la première fois, sont mises en œuvre à grande échelle les techniques de préfabrication. La cité comprend cinq tours de quatorze étages, démolies en 1976, associées à des bâtiments bas en « peignes » ou en « redents », et à une construction de quatre étages en U, restée inachevée. Sa construction est, en effet, fortement perturbée par la crise économique. Dans ce contexte, les loyers de la cité sont trop chers. L’office d’HBM du département de la Seine, se résout, à l’automne 1938, à louer la partie achevée de la cité au ministère de la Défense pour y loger une légion de gendarmes, des gardes républicains mobiles, et leurs familles.

En juin 1940, c’est dans cet ensemble en U que les autorités allemandes installent un premier camp, le Frontstalag 111, où transitent des prisonniers de guerre français puis britanniques. En décembre 1940, il est ensuite transformé en annexe du camp d’internement de la caserne des Suisses de Saint-Denis, le Frontstalag 120. Celui-ci est destiné depuis août 1940 à l’internement de civils « ressortissants de puissance ennemie du Reich » issus de Grande-Bretagne et du Commonwealth. Le camp de Drancy accueille jusqu’en juillet 1941 des britanniques et notamment des canadiens. Le site devient camp d’internement des juifs à partir du 20 août 1941. Il reçoit alors plus de 4 200 juifs raflés à Paris. Ces hommes, pour la plupart étrangers, sont placés sous la surveillance de gendarmes français, habitant les tours de la cité depuis 1938. Ils sont vite rejoints par des juifs français, raflés les jours suivants puis en décembre 1941. C’est alors avant tout un camp de représailles contre les attentats « judéo-bolchéviques » et une réserve d’otages. Au cours de l’été 1942, après la rafle du Vél’ d’Hiv’, femmes et enfants y sont également internés. La Muette devient alors le principal camp pour les juifs en France occupée : 63 000 des 76 000 juifs déportés de France sont partis de Drancy, essentiellement vers Auschwitz-Birkenau (Pologne) 1 .

À la Libération, en août 1944, les suspects de collaboration y sont détenus jusqu'au début de l’année 1946. Après des travaux de réaménagement, l’office d’HBM de la Seine réaffecte le U au logement social en 1949.

Les photographies d’après-guerre

Premier corpus constitué, les photographies de graffitis furent prises en marge des premières cérémonies commémoratives en 1946 et 1947 une fois le camp / cité définitivement libéré de toute affectation d’internement. Très rares, elles sont l’œuvre de survivants ou des familles de disparus. Les graffitis se situaient, semble-t-il, dans les chambrées mais aussi dans les cages d'escalier et le rez-de-chaussée de la cité transformé en camp. Ces photographies nous donnent à voir le foisonnement et la concentration de graffiti sur certains murs, malheureusement non localisés. S’y côtoient des dessins (portraits, nus féminins, dessins politiques ou humoristiques, enfin un dessin d’adieu mêlant texte et image), des slogans (« Vive la France », « On les aura », « mort aux vaches ») et des noms et prénoms, le plus souvent associé à une date. Jour d’arrivée, de départ, ou les deux, ces graffiti sont ceux des « déportables » ajoutant des formules tels que « bon moral », « destination inconnue », souvent reprises, ou des propos plus personnels, témoignant de leur foi : « gonflé à bloc », ou de leur désespoir : « merci quand même à la France ». Certains sont très courts et laconiques quand d’autres sont au contraire très précis, comme celui de Maurice Friebourg qui détaille depuis Metz, son parcours et les dates de ses internements successifs jusqu’à Drancy. Un seul graffiti photographié témoigne de la libération du camp, celui de Marie Masson « libérée le 17 août 1944, échappée belle ! ». Sur ces photographies aucun graffiti de « suspects de collaboration avec l’ennemi », seule une photographie témoigne de la courte incarcération de soldats allemands qui ont reproduit la pratique des « déportables » : « Erfurt Friedel arrêté 20.8.44 / déporté ? ».

À la faveur des dons des familles de victimes (en cours de traitement ou à venir), il est probable que de nouveaux clichés de graffitis de cette période apparaissent prochainement. Ces photographies sont principalement conservées au Mémorial de la Shoah, le Centre de Documentation Juive Contemporaine, créé dans la clandestinité à Grenoble en 1943. Quelques-unes sont conservées au Musée d’art et d’histoire du Judaïsme, héritier du Musée d’Art juif de la rue des Saules, Paris 18e, créé en 1948 et devenu en 1998 le Musée d’art et d’histoire du Judaïsme 2 . Enfin, de rares photographies sont conservées en Israël, à Yad Vashem et dans les Archives des Combattants du Ghetto. Elles sont pour la première fois réunis dans l’ouvrage publié en 2014 3 .

 

Les graffitis du conduit de cheminée et des « caves prisons »

Découverts fortuitement en 1989, au cours de travaux de rénovation de logements, les graffitis dits du conduit de cheminée ont été déposés et conservés au sein du Conservatoire historique du camp de Drancy. Structure associative soutenue par la municipalité de Drancy, le Conservatoire est créé en 1990, notamment pour mener un travail de médiation en direction des scolaires. Ces graffiti sont majoritairement l’œuvre de « suspects de collaboration avec l’ennemi » internés de la fin août 1944 jusqu’au début de l’année 1946. Seuls deux graffiti ont pour auteurs des internés juifs.

Les graffitis des « caves prisons » ont, eux, été photographiés par l’américain William Betsch en 1999. Photographe professionnel, ce dernier a exposé ces clichés sous le titre Graffitis (Vive la France !) en 2000. Il est l’un des initiateurs de la protection au titre des Monuments historiques en 2001. William Betsch a finalement publié ses photographies en 2010 sous le titre Drancy ou le travail d’oubli 4 . Comme pour les graffitis du conduit de cheminée, des graffitis de Juifs de France côtoient ceux de suspects de collaboration. Ces derniers témoignent à leur tour de leur internement en inscrivant leur nom et prénom, la date de leur détention (au crayon, à la craie) sur les structures en béton et les briques des caves prisons. Quels qu’en soient les auteurs, ces lieux de détention font l’objet de classiques calendriers décomptant les jours ou précisant la durée de celle-ci, « 15 jours ». La libération mouvementée du camp fin août 1944 est également lisible avec des références explicites aux Forces françaises de l’Intérieur (« FFI »). Enfin, quelques graffiti de Juifs de France ont pu être documentés, comme celui de Victor Benbassa, qui se fait passer pour « BERNARDINI / CORSE », cette fausse identité lui permet d’échapper à la déportation. Ce n’est pas le cas de Louis Carniol qui précise qu’il est originaire d’Ardèche. Autre graffiti révélateur, celui d’Henri Poznanski qui revendique en février 1944 ses « 30 mois d’internement » depuis août 1941. Époux d’une « non juive », il est libéré en août 1944 après trois années passées au camp. Les archives du Mémorial de la Shoah, centre de documentation juive contemporaine, et du Service historique de la Défense (BAVCC de Caen) nous ont permis de restituer son parcours lié à son statut de « conjoint d’aryenne ». Outre Drancy, il est transféré à Beaune-la-Rolande, puis de nouveau à Drancy et s’évade alors qu’il doit être déporté vers l’île d’Aurigny en raison de son statut. Repris, il est à nouveau interné à Drancy.

Les graffitis sur carreaux de plâtre

Après plusieurs demandes en 1998 / 1999, le classement au titre des Monuments historiques de la cité de la Muette est finalement obtenu le 25 mai 2001. Désormais, la Direction régionale des affaires culturelles d’Île-de-France encadre l’ensemble des  travaux concernant le site, menés par son propriétaire, l’Office Public de l’Habitat Seine-Saint-Denis. La cité de la Muette est protégée en tant que « réalisation architecturale et urbanistique majeure du XXe siècle […] et en raison également de son utilisation durant la Seconde guerre mondiale […] qui en fait aujourd'hui un haut lieu de la mémoire nationale ».

C’est lors du changement d’une partie des huisseries conçues par Jean Prouvé que de nouveaux graffiti ont été découverts. Envisagés dès 2007, ces travaux ont été retardés mais, dès cette période, sous l'égide du Comité de pilotage autour de l’avenir de la cité de la Muette et de la gare de Bobigny porté par le Préfet de Région puis le Préfet de Seine-Saint-Denis, une cellule de veille a été constituée dans l'éventualité de la découverte de graffiti à l'occasion de ces travaux. Réunissant l'ensemble des partenaires concernés, cette cellule a été activée dès la première découverte sur le revers d'un mur de façade puis, très rapidement, les ouvriers sensibilisés ont alerté sur des graffiti inscrits sur des carreaux de plâtre servant de contre-cloison. Ces derniers ont été déposés soigneusement et stockés par leur propriétaire, l’Office Public de l’Habitat Seine-Saint-Denis puis restaurés en 2011 sous la responsabilité scientifique du service du Patrimoine culturel du Département de la Seine-Saint-Denis, avec le soutien de la DRAC d'Île-de-France. Enfin, ils ont été photographiés grâce à un partenariat avec la Région Île-de-France.

Cette campagne photographique a volontairement été étendue à l'ensemble des graffiti du camp de Drancy déjà connus. En 2012, les graffitis sur carreaux de plâtre ont été officiellement cédés par l'Office Public de l'Habitat Seine-Saint-Denis aux Archives nationales  et sont désormais conservés dans le Centre des Archives nationales de Pierrefitte-sur-Seine. Treize d'entre eux ont été présentés dans l'exposition intitulée Des noms sur des murs. Les graffitis du camp de Drancy, 1941-1944 au Mémorial de la Shoah à Paris puis aux Archives départementales à Bobigny en 2012 et 2013. Jusqu’en juillet 2014, ils sont visibles au nouveau Mémorial de la Shoah de Drancy. Enfin, du 13 mai au 10 juillet 2014, dans le cadre de l’exposition Traces. Les graffitis du camp de Drancy, 1941-1944 aux Archives nationales, à Pierrefitte-sur-Seine, d’autres graffiti seront pour la première fois présentés au public.

Par leur nombre, leur forte représentativité de l’histoire du camp (août 1941 / août 1944), les graffitis sur carreaux de plâtre complètent un corpus jusqu’alors trop partiel. Enfants, femmes et hommes seuls, familles, tous ont voulu laisser une trace personnelle, leur nom, un poème, un dessin « pour mémoire ». À travers leurs parcours particuliers et souvent exemplaires, c’est la singularité mais aussi la diversité des 63 000 victimes déportées depuis le camp de Drancy qui sont ici restitués, à rebours du projet nazi qui voulait leur extermination et l’oubli même de leur existence.

Systématisé, le travail de recherche historique croisant les archives disponibles a permis de restituer un nom, parfois une photographie (de famille, d’identité) mais aussi l’itinéraire, « des bribes de la vie broyée » de ces auteur-e-s  venant de toute la France occupée (zones nord, sud, « italienne », « interdite » et annexée). Complété de quelques témoignages d’auteurs de graffiti ayant survécu, qui nous éclairent sur ce rituel du départ, ce corpus constituait dès lors une introduction sensible, une invitation à des allers retours entre « micro » et « grande » histoire, pour  connaître et comprendre ce que fut la persécution des Juifs en France durant la Seconde guerre mondiale.

Carte postale de la cité de la Muette à Drancy

Source : édition J. Godneff / Collection Archives départementales de la Seine-Saint-Denis (49 Fi /5861)

Carte postale de la cité de la Muette, légendée : « les premiers gratte-ciel de la région parisienne ». Datant de 1933 environ, elle est une des rares donnant à voir le U ou Fer à cheval, bâtiment de 4 étages construit en dernier après les gratte-ciel, les « peignes » et les « redents ». Inachevé, cet ensemble formant une grande cour est transformé en juin 1940 en Frontstalag 111 pour assurer la détention de prisonniers de guerre français et britanniques en vue de leurs transferts vers les stalags et oflags. Après-guerre, des photographies identiques sont utilisées par les éditeurs de cartes postales qui ne modifient que la légende : « Les gratte-ciel. Camp de concentration tristement célèbre de 1940 à 1944 ».

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« M. Band Mle 555 / [IN]TERNE le 21.8.[19]41 »

Manes Band est né le 1er mai 1922 à Szydlowice (Pologne). Apprenti tailleur, il habitait au 28, rue de Pali Kao Paris 20e avec sa famille. Son père Moses, né le 8 avril 1890, à Szydlowice (Pologne), était tailleur. Sa mère Dwoyra, est née Brogtman en 1892 à Szydlowice (Pologne). Manes a deux sœurs, Anna et Louise.

Manes est raflé dans Paris et interné à Drancy le 21 août 1941 sous le matricule n°2954. Ses parents sont arrêtés le 16 juillet 1942 lors de la rafle du Vél’ d’Hiv’, à laquelle échappent leurs filles. Manes est déporté le 22 juin 1942, par le convoi n°3 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Moses et Dwoyra sont déportés le 22 juillet 1942 par le convoi n°9 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne), Manes y meurt le 9 août 1942 (JO RF). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Moses et Dwoyra Band.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

En haut à gauche :
« [nom illisible] / Hélène [graffiti raturés] / [illisible] et Illa / [nom illisible] I / IX »
Il peut s’agir de la même date (I/IX) que le graffiti qui suit.

À droite :

« Départ
Je m'en vais vers l'inconnu
En suivant mon destin
Et en laissant tristement ici
Mon bonheur et mes chagrins

La vie fut belle en ce pays
Ou je n'ai plus le droit de rester
[...] chose trop jolie
Doit une fois cesser

Adieu, oh pays de ma jeunesse
Non, laisse moi crier Au Revoir
[...] moi j'ai fait une promesse
Je veux garder tout mon espoir

WS. / 1er sept. 1942 »

Cette personne a très vraisemblablement été déportée le 2 septembre 1942 par le convoi n°27 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Dans ce convoi sept personnes ont ces initiales, il nous a donc été impossible d’identifier l’auteur de ce graffiti.

« [croix gammée] »

Graffiti par incision.

Crédit :

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« FAMILLE / SETION / DU 5 / 11 / [19]42 / au / 9 / 11 / [19]42 [encadré]/ DESTINATION » «[illisible]» graffiti se superposant au précédent.

Ida Sétion est née Hassid le 28 février 1904 à Salonique (Grèce). Elle habitait au 43, rue de la Folie Méricourt Paris 11e avec son mari, Sabitaille ou Maurice Sétion, né en 1904 à Constantinople (Istanbul, Turquie), et leurs quatre enfants. Elie est né le 27 septembre 1928 à Paris. Eliane est née le 4 décembre 1933 à Mers-les-Bains (Somme). Monique est née le 9 avril 1936 à Paris comme Jacqueline, née le 9 mai 1938. À la déclaration de guerre, Maurice Sétion s’est engagé volontaire dans la Légion étrangère dans l’un des régiments de marche des Volontaires étrangers.

Ida et ses quatre enfants sont arrêtés le 2 novembre 1942 à leur domicile. Ils sont déportés le 9 novembre 1942 par le convoi n°44 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Ils y meurent le 14 novembre 1942 (JO RF).

En haut, à gauche :

 « ---- pluches / ---- pain 10 ½ »

Ce graffiti a vraisemblablement trait au quotidien des internés du camp : les « pluches » pour les épluchures de légumes, en cuisine, et le « pain » pour le partage de la ration quotidienne, évoqué par de nombreux témoignages, notamment Nissim ou Noël Calef, Drancy 1941. Camp de représailles. Drancy la faim, écrit en 1942-1943, édité en italien en 1945, traduit en français, réédité et préfacé en 1991 par Serge Klarsfeld.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« Lonker Otton / Lonker Mindel / déportés le 11 février 1943 / destination inconnue / Vive la France » 

Otton Lonker est né le 20 janvier 1903 à Lwow (Ukraine). Tanneur, il habitait 1 côte Courbet à Graulhet (Tarn) avec son épouse Mindel Lonker, née Berger le 24 juin 1906 à Mannheim (Allemagne) et leurs trois enfants, Rachel, Myriam et Daniel.

Otton et Mindel Lonker sont arrêtés alors qu’ils tentaient de passer la frontière espagnole le 20 janvier 1943. Ils sont internés à la Citadelle de Perpignan (Pyrénées Orientales) puis transférés à Drancy, le 3 février 1943. Ils sont déportés le 11 février 1943 par le convoi n°47 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne) où Mindel meurt le 16 février 1943 et Otton en mars 1943 (JO RF). Cachés, leurs trois enfants ont survécu.

« Kein [illisible]/ Sedan / parti le / [illisible] »

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« RODOLPHE / Szmidt / 5 mars / 1943 »

Rodolphe ou Riwen Szmidt est né le 19 mai 1922 à Mlawa (Pologne). Tailleur, il habitait au 6, rue Mazelle à Metz (Moselle). Il se réfugie avec sa famille à Saint-Antoine-Cumond (Dordogne) en mai 1940. Son père Jankiel est né le 4 décembre 1891 à Ciechanów (Pologne), il était cordonnier. Sa mère, Sura est née Berenbaum le 6 janvier 1895 à Mlawa (Pologne). Ses frères, Paul, Yvon et Isidore, ou Israël, sont nés respectivement les 11 novembre 1914, 17 mai 1915 et 28 février 1930, ses sœurs Paulette, ou Paula, et Régine, sont nées les 22 novembre 1924 et 31 juillet 1938.
Rodolphe est arrêté le 23 juillet 1942 pour avoir tenté de franchir la ligne de démarcation près de Ribérac (Dordogne) et envoyé dans un Groupement de travailleurs Étrangers de Dordogne.
Ses parents et son jeune frère, Isidore, sont raflés par les gendarmes le 8 ou le 9 octobre 1942 à Saint-Antoine-Cumond. Ses autres frères et sœurs échappent à la rafle. Comme les Prochownik, Jankiel, Sura et Isidore Szmidt sont internés à Saint-Aulaye (Dordogne), transitent par Angoulême (Charente) avant d’être transférés à Drancy d’où ils sont déportés le 4 novembre 1942 par le convoi n°40 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne).
Rodolphe est à nouveau arrêté le 27 février 1943 au sein du groupement de travailleurs étrangers de Dordogne. Il est interné au camp de Nexon, puis à celui de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) avant de rejoindre Drancy le 4 mars 1943. Il est déporté le 6 mars 1943 par le convoi n°51 vers Maïdanek puis Sobibor (Pologne).
Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Rodolphe, Isidore, Jankiel et Sura Szmidt, malgré les démarches d’Yvon Szmidt.
Les Groupements de travailleurs Étrangers (GTE) sont créés en France par le gouvernement de Vichy. La loi du 27 septembre 1940 sur « les étrangers en surnombre dans l’économie nationale » crée ces camps d’internement où les étrangers sont obligés de travailler. Elle s’inscrit dans une logique de contrôle et d’exclusion des étrangers. Les GTE succèdent aux compagnies de travailleurs Étrangers (CTE) créées par la IIIe République (décret du 13 janvier 1940). Les GTE sont placés sous l’autorité du ministère de la Production industrielle et du Travail. Afin de rendre cette exclusion moins coûteuse, les internés sont utilisés comme main-d’œuvre dans des travaux de gros œuvre (mines, grands travaux, agriculture et forestage).

« Bernard Szejwac / 5 Mars / 1943 »

Bernard ou Bert Szejwac est né le 26 février 1919 à Mogielnica (Pologne). Tailleur, il habitait au 33, rue des Tourelles Paris 20e. Il fait partie d’un Groupement de travailleurs Étrangers situé dans la Creuse. Il est ensuite interné au camp de Nexon, puis à celui de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) avant de rejoindre Drancy. Il est déporté le 6 mars 1943 par le convoi n°51 vers Maïdanek pour aboutir à Sobibor (Pologne). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Bernard Szejwac.

« Sonia Popiolek / Victor Popiolek 5 / B. Gerszanowitz 194[3], [Ger]szanowitz […] »

Sonia Popiolek est née Gerszanowitz le 23 mars 1914 à Szeszana (Pologne). Son fils, Victor Popiolek, est né le 8 janvier 1939 à Merlebach (Moselle). Son père, Jean ou Juma Gerszanowitz, tailleur, est né le 14 juin 1885 à Tomaszów (Pologne). Sa mère, Blima est née Alembik le 10 janvier 1894 à Szezercow (Pologne). Réfugiés de Moselle, ils demeuraient tous à Civray (Vienne) chez Odette Texereau. Ils sont arrêtés le 8 octobre 1942, internés au camp de Poitiers (Vienne) avant d’être transférés à Drancy le 15 octobre. Ils sont déportés le 6 novembre 1942 par le convoi n°42 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne) où Jean et Blima Gerszanowitz meurent le 11 novembre 1942 (JO RF). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Sonia et Victor Popiolek.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« ICI A DORMI LE JUIF / ALBERT ALTERMANN / DRANCY LE 11 - 12 - [19]43 / DEPART LE 16 -12 [19]43 / ARRIVE LE 8 - 12 - [19]43 / BON MORAL [dessin très schématique d’une femme nue] »

Albert Altermann est né le 2 décembre 1924 à Paris. Tapissier, il habitait au 8, cité Lesage Bullourde (aujourd’hui passage Bullourde) Paris 11e, avec ses parents et son frère. Son père, Salomon, est né le 17 mai 1904 à Kałuszyn (Pologne). Sa mère est, très vraisemblablement, Rachel, née en 1899 à Kałuszyn. Son frère Marcel est né le 27 octobre 1934.

Salomon Altermann est interné dès 1941, il est déporté le 27 mars 1942 par le premier convoi vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Ce convoi est constitué pour moitié de détenus du camp de Drancy et du camp de Royallieu de Compiègne. Rachel et son fils cadet sont vraisemblablement arrêtés au cours de la rafle du Vél’ d’Hiv’. Elle est déportée du camp de Pithiviers le 3 août 1942 par le convoi n°14 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Marcel, transféré de Pithiviers à Drancy, est déporté le 19 août 1942 par le convoi n°21 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne).

Désormais seul, Albert Altermann héberge chez lui Henri Wulfourcz et ses parents, recherchés par la Gestapo. Ils sont arrêtés sur dénonciation le 7 décembre 1943 par la police française et la Gestapo. Albert Altermann est interné le 8 décembre 1943 à Drancy sous le matricule n°9823. Il est déporté le 17 décembre 1943 par le convoi n°63 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Là, il travaille dans le camp de Monowitz (Auschwitz III). Il est évacué d’Auschwitz III et rejoint le camp de Buchenwald le 20 janvier 1945. Transféré au camp de Natzweiler-Struthof le 9 mars 1945, il est rapatrié le 5 mai 1945. Nous n’avons trouvé aucune information sur le sort de Salomon, Rachel et Marcel Altermann.

« Lucie / Guelidi [ ?]/ Déportée le 22 / 3 / [19]43 / Muriel »

Lucie Guelidi est née le 16 septembre 1923 à Marseille (Bouches du Rhône). Elle vivait avec sa famille au 3 rue Molière à Marseille. Son père Elie est né le 27 février 1888 à Salonique (Thessalonique, Grèce), tout comme sa mère Souhoula, née Mitjy le 24 juin 1893. Sa sœur Rosette, est née le 25 septembre 1929 à Marseille.

Lucie et Elie Guelidi sont déportés par le convoi n°52 du 23 mars 1943 vers Sobibor (Pologne). Souhoula et Rosette Guelidi sont déportés par le convoi n°74 du 20 mai 1944 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne).

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

En haut à gauche :

« [illisible] 13.11.[19]43Paris XVIII /  [illisible] le 6.12.[19]43 / [illisible] une destination / inconnue / on avait un très bon / moral »

Les auteurs de ce graffiti ont été déportés par le convoi n°64 du 7 décembre 1943 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne).

En haut à droite :

« RACHEL LEVY / arrivée ici le 8 avril [19]44 / déportée le […] »

Rachel Fuentes est née Lévy le 2 janvier 1906 à Istanbul (Turquie). Elle habitait au 87, boulevard de Picpus à Paris 12e, avec son époux Raphaël Fuentes, marchand, né le 15 août 1903 à Istanbul (Turquie). Ils sont internés à Drancy le 8 avril 1944 sous les matricules n°19782 et 19783. Ils sont déportés le 29 avril 1944 par le convoi n°72 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Rachel et Raphaël Fuentes.

Au centre :

« Ici était / installé le « JUIF » GRUNSTEIN Armand / arrivé à Drancy le 16 / 11[...] »

Armand Grunstein est né le 10 décembre 1924 à Paris. Étudiant, il est alors domicilié Villa Annette à Saint-Nectaire (Puy-de-Dôme), où il est arrêté par la Gestapo le 2 novembre 1943, lors d’une rafle. Interné à Drancy sous le matricule n°8271 le 16 novembre 1943, il est déporté le 20 novembre 1943 par le convoi n°62 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort d’Armand Grunstein.

Armand Grunstein n’écrit pas « JUIF » entre guillemets par hasard, il entend vraisemblablement signaler ainsi qu’il ne se reconnaît pas dans cette désignation imposée par les nazis. Nombreux sont les juifs français ou étrangers athées, agnostiques ou non pratiquants qui refusent de se voir imposer d’être « JUIF ». Le port de « l’étoile jaune » suscite de la même façon rejet ou, au contraire, revendication et fierté, par conviction ou par provocation. Les « Amis des Juifs », ainsi désigné par les nazis, hommes et femmes, jeunes et moins jeunes, bien que « aryens » portent l’étoile jaune par solidarité avec les « Juifs » et, par bravade, y ajoutent « auvergnat », « breton », « swing », « zazou », entre autres. C’est à ce titre qu’ils sont, en région parisienne, internés à Drancy de juin à août 1942. Cet élan spontané de solidarité fut très apprécié des internés « juifs », comme le révèlent de nombreux témoignages.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

En haut, à gauche :

 « 31 mars [19]44 / NATHAN [encadré] »

L’auteur de ce graffiti a vraisemblablement été déporté par le convoi n°71 du 13 avril 1944 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne).

En haut, à droite :

 « à LA FAMILLE BENIAES / DU 81 RUE St Maur / Déporté Dimanche / Destination inconnu / grec [encadré] »

Abraham Beniaes est né en 1889 à Salonique (Grèce). Marchand forain, il habitait au 81, rue Saint-Maur, Paris 10e. Il est déporté le 23 septembre 1942 par le convoi n°36 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort d’Abraham Beniaes.

Joseph Beniaes est né le 14 mars 1903 à Salonique (Grèce), il est vraisemblablement le frère d’Abraham. Chauffeur de taxi, il habitait également au 81 rue Saint-Maur. Marié, il était père de trois enfants. Engagé volontaire dans la Légion étrangère le 5 février 1940, il est incorporé à sa démobilisation, le 22 septembre 1940, dans le 4e Groupe de travailleurs étrangers (GTE) au Maroc. Il est interné le 18 octobre 1941 à Drancy. Il est déporté le 23 septembre 1942 par le convoi n°36 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Il y meurt le 28 septembre 1942 (JO RF).

En bas, à gauche :

« Influen »

Au centre :

« laetopi / ilyarqe / zliacd »

En bas, à droite :

«Mireille Erl[…] h […] m / parée i i le 9  Août / elle est à Dra[…]y [Drancy] depuis le 31 juillet [19]44 / t repart le 19 Août [19]44 »

Il peut s’agir de Mireille Erlich. Elle habitait au 1, rue Emile Bertin, Paris 18e. Elle est internée à Drancy le 31 juillet 1944, sous le matricule n°26151. Elle a vraisemblablement été libérée le 18 août 1944 aux côtés de 1386 autres internés dont 64 enfants.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« [Étoile de David] / Françoise Lewinsohn / Marcel Lewinsohn / à Lyon et après Grenoble / arrivés le : 16–2–1944 / déportés le : 7–3–1944 / COURAGE / ESPOIR »

Franziska, ou Amalia, dite Françoise Lewinsohn est née Blumbei le 2 juin 1894 à Leipzig (Allemagne). Assistante sociale, elle habitait Lyon avec ses deux fils : Eliezer Oskar, dit Bobby, Lewinsohn Lev-Zion, né le 7 janvier 1927 et Marcel Lewinsohn, né le 26 août 1933 à Lyon. Suite à l’arrestation de son mari en 1933, elle a quitté l’Allemagne pour se réfugier en France et dès 1936 elle est en relation avec l'HICEM et l'HIAS (œuvres d'aide à l'immigration Juive). Françoise Lewinsohn aide les réfugiés juifs qui fuient le régime nazi à quitter l'Europe par tous les moyens. En 1942, elle travaille à Lyon et dans la région lyonnaise avec l'abbé Alexandre Glasberg et le comité d'Aide aux Réfugiés (CAR) de la rue Sainte-Catherine en liaison avec le Joint (American Joint Distribution Committee). Elle rassemble des fonds et s'occupe de répartir des tickets d'alimentation à des Juifs cachés.

À partir de mars 1941, Bobby Lewinsohn est dans le chantier rural des Éclaireurs israélites de France (EIF) de Taluyers (Rhône).Il est muni de faux papiers lors de la dispersion du centre en août 1942. Les événements se précipitent et la direction des EIF décide de planquer les jeunes, la plupart chez des paysans. Bobby Lewinsohn gagne Lyon où vit sa mère. En septembre 1942, il est arrêté et mis au secret en prison à Lyon jusqu'en novembre 1942 pour faux papiers. Après sa libération, il gagne Grenoble où il adhère au mouvement de Jeunesse Sioniste (MJS). Sous le couvert d'un poste d'instructeur de premiers soins des Compagnons de France (Jeunesses pétainistes), il remplit toutes sortes de missions.

Marcel Lewinsohn est lui caché chez un fermier résistant, 3 place de l’église à Domène, aux environs de Grenoble. Le 13 février 1944, Françoise et Bobby Lewinsohn rendent visite à Marcel à Domène. Ils y sont arrêtés par la Gestapo et la Milice. Bobby parvient à s'enfuir.
Françoise et Marcel Lewinsohn sont transférés de Grenoble à Drancy le 16 février 1944 sous les matricules n°14983 et 14894. Ils sont déportés le 7 mars 1944 par le convoi n°69 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Françoise et Marcel Lewinsohn.
Bobby Lewinsohn, toujours sous l’uniforme des Compagnons de France, se rend à Nice où il travaille pendant trois mois dans une ferme. Après ce séjour, il part pour différentes missions dans la région de Caussade (Tarn-et-Garonne) (cf.  Collectif, Organisation juive de combat. Résistance / sauvetage. France 1940-1945, Paris Autrement, 2006).

« O.Z.O/ ADOLF KLEIN / EN / SIMON ELIASAR / geb 9 / 8 1885 ROTTERDAM / HOLLAND / ANNGECOMEN 10 December / 1943 / VERKANNEN DECEMBER / 1943 / 17 Dec. 1943 »   « ICI ETAIT »

Adolf Klein est né le 1er octobre 1904 à Stadskanaal ou Wilderwank (Hollande). Représentant, il aurait été interné au camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) jusqu’au 26 février 1943. Libéré ou évadé, il est à nouveau arrêté à Landry (Savoie) le 1er décembre 1943 par la Gestapo. Il est transféré à Drancy le 10 décembre 1943, sous le matricule n°9910. Il est déporté le 17 décembre 1943 par le convoi n°63 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). Il a écrit le 30 janvier 1944 du camp de Monowitz (Arbeit LagerHaus 15, dit aussi Auschwitz III).

Simon Isaac Eliasar est né le 9 août 1885 à Rotterdam (Hollande). Commerçant, il est arrêté et détenu à Chambéry avant d’être interné au camp de Gurs (Pyrénées-Atlantiques) jusqu’au 26 février 1943. Libéré ou évadé, il est lui aussi arrêté à Landry (Savoie) le 1er décembre 1943 par la Gestapo. Il est transféré à Drancy le 10 décembre 1943, sous le matricule n°9918. Il est déporté le 17 décembre 1943 par le convoi n°63 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne).

Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Simon Isaac Eliasar et Adolf Klein.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

 « FRANçAIs / ancien combattant /[illisible][19]4[…] - 194[3] »

Ce double statut permettait, théoriquement, d’être classé comme « non-déportable ». Cette catégorie s’appliquait aux « demi Juifs », selon le décret nazi Lösener de 1935 ou à des personnes ayant un parent juif, aux juifs et juives conjoints d’aryens et d’aryennes, aux épouses juives de prisonniers de guerre et, enfin, aux ressortissants de certains pays et ce, selon qu’ils étaient favorables ou neutres à l’égard des forces de l’Axe. Mais de nombreux contre-exemples démontrent combien au camp de Drancy ce statut de « non-déportable » était fragile et précaire.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

 « Jacques Kink[…] / arrivé le 5 juillet / déporté le / bon moral »

Jacques Kinkis, ou Jacob Khinkis, est né le 29 juillet 1919 à Paris 18e. Son père Hirsch Khinkis est né le 25 mai 1880 à Litine (Monténégro), il était tailleur. Sa mère Sarah est née le 25 janvier 1887 à Jinirivko (ville non identifiée). Vendeur, Jacques habitait au 42, rue Sibuet, Paris 12e, tandis que ses parents vivaient 47 bis, rue Boinod, Paris 18e.
Arrêtés, Hirsch et Sarah Khinkis sont déportés le 6 mars 1943 par le convoi n°51 vers Maïdanek puis Sobibor (Pologne).
Jacques est arrêté à Paris, dans un café, le 4 juillet 1944 par la Gestapo, sur dénonciation. Il est interné à Drancy le 5 juillet, sous le matricule n°24868. Il est déporté le 31 juillet 1944 par le convoi n°77 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne). En janvier 1945, il est transféré au camp de Vaihingen (Allemagne), camp annexe de Natzweiler-Struthof, où il meurt à l’infirmerie le 6 mars 1945 à 13 h 30.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« MAX LEVY et / FERNAND BLOCH / et Eliane HAAS / arrivé le 27 / 7 / [19]44 / déporté le 31 / 7 / [19]44 – je reviens Fernand Bloch [signature] »

Max Abraham Lévy est né le 5 juin 1913 à Lyon (Rhône) où il habitait au 95, rue de Sèze. Menuisier, il est arrêté le 30 juin 1944, interné à Lyon, il est transféré à Drancy le 24 juillet 1944. Fernand Bloch est né le 24 septembre 1917 à Lyon. Employé, il est interné à Drancy le 22 juillet 1944 sous le matricule n°25733.
Eliane Haas est née le 10 juillet 1918 à Mulhouse (Bas-Rhin), elle résidait 212 rue Paul Bert à Lyon où elle était vendeuse. Arrêtée le 13 juillet par la Gestapo avec
sa mère Jeanne Haas, née le 1er avril 1879 à Délemont (Suisse) elles sont internées à Lyon, puis transférées à Drancy le 24 juillet 1944.

Ils sont tous déportés le 31 juillet 1944 par le convoi n°77 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne) où Eliane et Jeanne Haas meurent le 4 août 1944 (JO RF). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Max Lévy. Fernand Bloch est rapatrié en France le 19 mai 1945.

« Le 18 juillet 1944, j’ai été appréhendé à mon domicile 16, rue Franklin à Lyon (2e), par des membres du Parti Populaire Français. J’ai été conduit au siège de la police allemande, place Bellecour et ensuite emprisonné au Fort Montluc. Le 22 juillet 1944, j’ai quitté ce lieu de détention pour être transféré à Drancy. Le 31 juillet, j’ai quitté Drancy pour Auschwitz. Le 18 janvier 1945, j’ai été transféré à Dachau. J’y suis resté jusqu’au 25 avril 1945. J’ai regagné ensuite l’Autriche, ou plus exactement Zewfel. J’ai été libéré par l’Armée américaine le 1er mai 1945. J’ai été rapatrié le 19 mai 1945 », témoignage de Fernand Bloch (19 novembre 1949, procès-verbal d’audition pour l’obtention du statut de déporté politique, Service historique de la Défense ou BAVCC).

« HOFFMAN […]/ le 20 juillet […]/ déporté […]»

Léon Hoffman, est né le 12 novembre 1888 à Odessa (Ukraine). Naturalisé en 1928, il était tailleur. Son épouse, Rifka Hoffman est née Modak le 2 janvier 1897 à Rowno (Pologne). Naturalisée en 1928, elle était couturière. Leurs enfants sont nés à Paris : Sarah, née le 22 avril 1925 à Paris 10e, Charlotte le 28 octobre 1928 à Paris 12e, Maurice, le 8 septembre 1931 à Paris 10e, Juliette, le 4 mai 1934 à Paris 10e, Nathan le 2 septembre 1940 à Paris 18e.
Ils habitaient 1, rue Fernand Laborie à Paris 18e, où ils sont arrêtés le 20 juillet 1944, à l’exception de Charlotte. Ils sont internés le même jour à Drancy.

Ils sont déportés le 31 juillet 1944 par le convoi n°77 vers Auschwitz-Birkenau (Pologne) où Léon, Sarah, Maurice, Juliette meurent le 5 août 1944 (JO RF). Nous n’avons pu trouver d’information sur le sort de Rifka et de Nathan. Seule Charlotte Hoffman a survécu.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« Liz [illisible] [inscription dans une étoile de David] »

Dessin sur carreau de plâtre de deux étoiles de David et inscription lacunaire (Liz […]).

L’étoile de David est un symbole judaïque très ancien mais qui ne devient courant et connu comme tel qu’au XIXe siècle. En France, elle est reprise par les nazis pour stigmatiser les Juifs en y ajoutant l’inscription « juif » au cœur de l’étoile à six branches. Le port de celle-ci fut rendu obligatoire en zone Nord dès le 7 juin 1942, selon l'ordonnance allemande publiée le 29 mai 1942.

Graffiti du camp d'internement de Drancy

Source : Jean-Bernard Vialles, Région Île-de-France, Inventaire général du patrimoine culturel, Département de la Seine-Saint-Denis, Archives nationales, ADAGP, 2011.

Graffiti sur carreau de plâtre formant contre-cloison.

« JUIF [dans une étoile de David] L’ETOILE / Filante /[texte quasi illisible dont on peut lire :] […] Quoiqu’il arrive gardons le sourire /[…] bon côté [ ?] / pire / chanson populaire [ ?] »

Selon Bertrand Dicale, spécialiste de la chanson française, il pourrait s’agir d’une parodie au sens propre, c’est-à-dire un texte posé sur une mélodie connue de tous. Cette thématique est extrêmement courante dans la chanson de l'époque, avec les injonctions à garder le sourire et tout prendre du bon côté - de Tout ça nous fait d'excellents Français par Maurice Chevalier en 1939 à La Tour Eiffel est encore là par Mistinguett en 1942... Ces chansons d'actualités sont entourées dans la production de l'époque de beaucoup de créations résolument optimistes et enlevées, d'une banalité étourdissante mais sur ce modèle d'insouciance volontaire et d'optimisme affiché. Cela fera d’ailleurs le ‘’fonds de commerce’’ des orchestres les plus proches de l'esprit zazou, comme celui de Raymond Legrand. Il existe un grand nombre de partitions de ce type à l’époque qui, pour la plupart, n'ont pas été enregistrées. Elles étaient éditées en petits formats ou figuraient dans les recueils des organisations de jeunesse de l'époque - Chantiers, Compagnons etc. Ce graffiti reflète ainsi une part du discours dominant de l'époque, cette obstination des humains à trouver des raisons de sourire même dans les pires situations. Des témoins de cette époque - musiciens ou amateurs - conservent le souvenir de la féroce gaieté de la musique jouée durant ces années-là.

Notes

1.

Klarsfeld Serge, Mémorial de la Déportation des Juifs de France, Paris, Fils et Filles de Déportés Juifs de France, 2012, Klarsfeld Serge, La Shoah en France, Paris, Fayard, 2001 (4 tomes), Fontaine Thomas, Déporter. Politiques de déportation et répression en France occupée. 1940-1944, Université Paris I, thèse d’histoire, 2013, Wieworka Annette, Laffitte Michel, À l’intérieur du camp de Drancy, Paris, Perrin, 2012, Rajsfus Maurice, Drancy. Un camp de concentration très ordinaire, 1941-1944, Paris, le Cherche Midi, 1996 réédité en 2012, Peschanski Denis, La France des camps, L'internement 1938-1946, Paris, Flammarion, 2002, Poznanski Renée, Être juif en France pendant la seconde guerre mondiale, Paris, Hachette, 1994 réédité en 2005.

2.

En 1951, le musée bénéficie du don de l'organisation américaine Jewish Restitution Successor Organization, chargée de la redistribution des biens culturels juifs spoliés par les nazis.

3.

Pouvreau Benoît (dir.), Curdy Mélanie, Peschanski Denis, Zimmer Thierry, Les graffiti du camp de Drancy. Des noms sur des murs, Courtrai, Département de la Seine-Saint-Denis, éditions Snoeck, 2014.

4.

Betsch William, Drancy ou le travail d’oubli, Londres, Thames & Hudson, 2010.