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La mémoire des murs

Le fort de Romainville : des traces du camp d'internement aux graffitis de la casemate n°17

Sylvie Zaidman

Photographies : Emmanuelle Jacquot.

Le fort de Romainville, situé sur la commune des Lilas à l’est de la capitale, fut durant l’Occupation un camp allemand d’internement de victimes de la répression. Le site actuel est encore très proche de celui que les détenus ont pu connaître : l’emprise est de ce fait elle-même une première trace, monumentale, de l’internement. Bâtiments, cour, chemin, casemates, rendent perceptibles les espaces de l’enfermement et permettent d’aborder dans un contexte historique les graffitis qui subsistent encore.

Les nombreuses sources ont permis de retracer au cours d’une première recherche les différentes fonctions du camp sous l’Occupation, le profil des internés et leur vie quotidienne au fort 1 . Le déchiffrement des graffitis de la casemate n°17 a incité à prolonger le travail pour établir les identités des détenus auteurs des messages 2 . Les travaux scientifiques de Thomas Fontaine permettent à présent de comprendre les stratégies allemandes de la répression et leurs reconfigurations en fonction de l’avancée de la guerre. Il est ainsi aujourd’hui possible de donner à chacun des 53 internés auteurs de graffitis non seulement une individualité mais aussi un parcours et lui rendre sens au sein d’une histoire nationale et internationale.

De l’enceinte fortifiée au camp d’internement

Construit en 1848 comme élément de la ceinture défensive de la capitale, le fort était situé à l’est de la commune de Romainville. Lors de la création des Lilas en 1867, il fut inclus dans les limites de la nouvelle commune.  Son emprise est évaluée à 27 hectares en 1900. À l’intérieur, les 5 hectares du fort abritent principalement un pavillon d’entrée logeant les officiers, un bâtiment de casernement pour 300 hommes, un autre bâtiment probablement édifié à la veille de la première guerre mondiale et des casemates à l’intérieur des courtines. Il est occupé par les troupes françaises jusqu’au 12 juin 1940.

Peu après l’entrée de l’armée allemande dans Paris, un détachement de la Luftwaffe s’installe au fort. Cependant, le commandement militaire allemand en France (Militärbefehlshaber in Frankreich, ou MBF) décide dès le mois de novembre 1940 de transformer le fort en camp d’internement (Haftlager).

Durant trois ans et demi, le site accueillera plus de 7000 détenus. Or, ces internés diffèrent par le sexe (3800 sont des femmes et 3200 hommes), leur nationalité, les motifs de leur détention, leur catégorisation par les Allemands ainsi que par leur destin final. Ces éléments varient en effet avec les évolutions des politiques de répression allemandes, rendant complexe le tableau d’ensemble des statuts et des parcours des détenus.

En effet, les quinze premiers prisonniers furent enregistrés au début du mois de novembre 1940 et, le 12 décembre 1940, le fort de Romainville devient officiellement un centre d’internement réservé à la « détention administrative par mesure de sécurité » (Sicherungshaft) de prisonniers que les Allemands ne souhaitaient ni juger devant les tribunaux militaires, ni libérer.

En 1941, le camp est également un Frontstalag (camp de prisonniers de guerre) et camp d’internement des ressortissants de pays en guerre contre le Reich (britanniques, yougoslaves). Le camp comptait alors en moyenne une soixantaine d’internés présents en même temps.

Sans perdre sa fonction initiale, le camp devint en août 1942 le lieu de rassemblement des otages détenus de la région parisienne. Selon les inflexions de la politique répressive allemande, ces otages furent fusillés (pour 209 d’entre eux) ou déportés.

À compter du printemps 1943, la déportation vers les camps de travail du Reich devint l’élément central des dispositifs de répression. Le Frontstalag 122 regroupait les camps de Compiègne et de Romainville, qui concentraient les détenus avant leur départ en grands convois vers les camps de concentration. Au fort de Romainville, les flux d’entrées et de départ devinrent très importants : on dénombre entre 400 et 680 internés présents quotidiennement jusqu’à la fin de 1943 ; 5300 des 7000 détenus furent déportés.  A partir de janvier 1944, les Allemands utilisèrent le fort de façon encore plus spécifique : les hommes étant dorénavant orientés vers Compiègne, le fort de Romainville fut exclusivement un camp de femmes avant leur départ vers Ravensbrück ; au total 3500 des 3800 internées passées par le camp furent déportées.

Un enchevêtrement de messages et de parcours

Durant toute la période de l’Occupation, les détenus des deux sexes étaient logés dans le bâtiment principal. Mis à part ceux que les Allemands jugeaient trop dangereux, ils pouvaient bénéficier de la cour séparée en deux espaces, l’un pour les hommes, l’autre pour les femmes. Les casemates ont peut-être servi d’entrepôt, assurément de cachots et de sas lors de l’arrivée tardive d’internés au fort de Romainville. Mais certaines ont surtout été utilisées pour le rassemblement d’internés la veille de leur départ en déportation ou de leur exécution au Mont Valérien pour les otages destinés à l’exécution. Ces « tunnels » - des locaux partiellement enterrés, destinés à la troupe ou au matériel - de 20 mètres de long sur 6 mètres de large, sont voûtés à 2,10 mètres de hauteur et ont été équipés de paillasses puis de châlits. Seuls les murs de la casemate n°17 présentent encore des graffiti visibles malgré la fragilité du tracé et l’effritement des parois.

Cent trente-cinq inscriptions demeurent lisibles, dont 70 datées avec certitude de l’Occupation ; 53 ont pu être attribuées à des auteurs, 39 à des hommes et 14 à des femmes, après déchiffrement et confrontation avec les archives.

Ces traces se trouvent à hauteur d’homme sur les murs latéraux ; trois d’entre eux figurent sur le mur du fond. La plupart de celles qui sont datées de l’Occupation sont tracées avec des matériaux de fortune (crayon, craie, incision), contrairement aux inscriptions postérieures réalisées avec de la peinture.

Leur taille est proche de ce que l’on pourrait écrire sur une feuille de papier ordinaire : ce sont là des messages qui s’inscrivent sur les murs, et sans doute les bois des châlits, par défaut, en l’absence des supports traditionnels de dessin ou d’écriture.

Ce qui frappe en premier lieu est l’enchevêtrement de ces graffitis qui se superposent, se chevauchent sans lien apparent entre eux. De diverses formes, ils disent tout d’abord la masse dans laquelle se fondent les individus. La première impression est celle d’une « cacophonie silencieuse » des traces. La sensation de confusion est entretenue par le fait que de nombreuses marques n’apportent pas de réponse au lecteur : illisibles du fait de leur état matériel ou du laconisme de leur auteur, elles ne présentent parfois que quelques lettres éparses, quelques chiffres difficilement intelligibles en raison du décollement de l’enduit ou parce qu’on a perdu la clé de lecture du message. Ce n’est qu’en s’approchant, en prenant le temps du déchiffrement qu’émergent des individus, parfois très diserts sur leur identité, parfois anonymes.

Certaines inscriptions sont des dessins, des listes de dates et des bâtonnets barrés, décomptes que l’on peut observer dans tous les lieux d’enfermement où les prisonniers tentent de conserver la maîtrise du temps.  De façon plus étonnante subsistent aussi une liste d’ordre d’insectes, des mots en allemand et leur déclinaison, peut-être des cours de détenus germanophones à destination de ceux qui pensaient partir travailler en Allemagne ?

D’autres graffitis sont des marques de passage très individualisées, qui traduisent la volonté de leurs auteurs de laisser une trace précise de leur engagement, de leur foi, et surtout de leur identité à destination d’un interlocuteur à venir, les prochains détenus, les familles : les internés se nomment et précisent qui sa date d’arrestation, qui sa ville d’origine, afin de faire le lien entre leur vie antérieure, leur passage en ce lieu et leur avenir quel qu’il soit. Les événements postérieurs leur ont donné raison puisqu’à la Libération, l’administration française à bel et bien demandé à ce que tous les graffitis de prison et de camp soient relevés pour s’informer sur le parcours des hommes et des femmes arrêtés durant l’Occupation. Tous ces messages sont marqués par la précarité des conditions de détention et l’incertitude sur le destin à venir. Le moment passé dans la casemate n°17 est un entre-deux, un temps intermédiaire avant un départ vers un inconnu inquiétant.

En analysant les multiples sources (le registre d’entrée, conservé aux Archives nationales, les archives du Service historique de la Défense, les témoignages), on peut à présent retracer les histoires des auteurs des graffiti de la casemate n°17 et montrer qu’elles sont le reflet de la complexité des politiques allemandes de répression.

L’inscription de Raoul Sabourault et celle d’Abel Vacher offrent un exemple significatif de deux parcours très similaires, que seule une question de chronologie amène à diverger. Raoul Sabourault est un résistant communiste arrêté en 1942. Bien que classé comme « otage », il n’est pas exécuté, en raison de la suspension des exécutions, et sera donc déporté le 1er avril 1943 vers Mauthausen. Il décède à Gusen. Abel Vacher, un autre militant communiste, arrêté comme Raoul Sabourault en 1942 et lui aussi classé comme « otage », est encore au camp de Romainville lorsque Berlin demande une opération de représailles suite à l’assassinat de Julius Ritter : Abel Vacher fait partie des otages exécutés le 2 octobre 1943. Il laisse, juste avant sa mort, une autre inscription dans la chapelle du Mont Valérien.

Un autre exemple concerne les inscriptions des femmes qui se sont probablement rencontrées à la Centrale de Rennes où elles ont été emprisonnées avant d’arriver le 6 avril 1944 au fort de Romainville pour être déportées vers Ravensbrück le 18. Pour la plupart militantes communistes, ces femmes indiquent les uns à côté des autres leurs noms (parfois nom d’usage ou de jeune fille), leur provenance (« Rennes ») qui est aussi le lien qui les unit, et la date de leur départ du fort de Romainville. Leur déportation s’inscrit pleinement dans la dernière fonction du fort, au moment où celui-ci sert de camp de transit pour la déportation des femmes. On comprend alors tout l’intérêt d’utiliser les graffitis du camp de Romainville pour illustrer la complexité de la lecture des politiques de répression et leur opacité pour les internés qui les subirent. Mais au-delà de leur fonction d’exemple ou de preuve de passage, ces fragiles empreintes sont des matériaux singuliers, des archives sensibles.

La campagne photographique réalisée à la demande des Archives départementales de la Seine-Saint-Denis permet de conserver et de communiquer la trace de cette trace, cependant les images ne véhiculent qu’un pâle reflet de l’émotion ressentie dans ce lieu particulier qu’est la casemate n°17. Grâce aux sources, il a été possible de retrouver pour une cinquantaine de messages un nom, parfois même de découvrir un visage sur une photographie, de retracer un parcours d’arrestation et de répression. On s’éloigne alors de l’enchevêtrement perçu à l’entrée de la casemate pour recomposer une fresque de parcours individuels. Il émane de l’ensemble et de chacune de ces inscriptions une puissance évocatrice forte, qui permet de mettre en lumière chaque message pour le contextualiser historiquement et l’utiliser comme medium sensible pour la transmission des connaissances historiques.

Reste encore à retrouver leur profondeur anthropologique, à observer au plus près les détails de chaque calligraphie, le vocabulaire employé pour se désigner, le positionnement des messages dans l’espace, les archives et témoignages sur les personnes pour donner toute leur ampleur à ces parcelles d’histoires de vie. 

L’entrée du fort de Romainville

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Le fort de Romainville, situé à l’est de Paris (sur l’actuelle commune des Lilas) fut de novembre 1940 à l’été 1944 d’abord un camp allemand d’internement de prisonniers de guerre et de ressortissants de pays ennemis du Reich, puis surtout de détenus de sécurité, d’otages, de prisonniers destinés à la déportation - surtout des femmes puisqu’à partir de 1944 c’est de ce camp que partent les femmes déportées. L’entrée actuelle du fort est semblable à ce qu’on put connaître les internés durant l’Occupation. Des plaques mémorielles y sont apposées pour rappeler le sort de certains d’entre eux. Le lieu appartient encore au ministère de la Défense mais des projets d’aménagement par la ville des Lilas sont à l’étude

La cour et le bâtiment principal

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Au total, grâce aux registre des entrées, on sait que 7000 internés (3800 femmes, 3200 hommes) sont passés par ce camp durant l’Occupation. Ils étaient surtout logés dans le bâtiment principal, au centre de la photographie, initialement destiné à abriter une garnison de 300 hommes. L’accès à la cour était réglementé et une clôture séparait la zone des hommes et celle des femmes. D’une soixantaine à l’entrée en fonction du camp, le nombre de détenus présents quotidiennement dans le fort augmenta jusqu’à atteindre, à certains moments, près de 700 internés.

L’entrée des casemates

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Le sort de chaque interné peut se lire, grâce aux recherches scientifiques, à l’aune de l’évolution des politiques répressives des Allemands. En effet, 209 furent exécutés au Mont-Valérien dans le cadre de la politique des otages qui prévoyait de sévères représailles en cas d’atteinte aux occupants ou à leurs intérêts. Si 5300 internés du camp furent déportés par mesure de répression (dont 3500 femmes), c’est en raison à la fois de l’inflexion de la politique des otages, du nombre croissant de résistants arrêtés, mais aussi des besoins croissants de main d’œuvre pour atteindre les objectifs imposés par la « guerre totale ».

Des otages furent extraits du camp de Romainville lors de trois exécutions massives au Mont-Valérien, en 1942 et 1943. Les déportations d’internés du fort de Romainville commencèrent au début de l’année 1943.

Les détenus destinés à l’exécution ou à la déportation étaient rassemblés dans des casemates quelques temps avant leur départ. Le véhicule chargé de les convoyer se postait directement devant la porte de la casemate le matin.

L’intérieur d’une casemate

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Les casemates situées sous les courtines du fort sont de grandes pièces 20 m de long sur 6 m de large ouvrant vers l’intérieur du fort. On sait que certaines (la casemate n°17, la casemate n°22 par exemple) furent utilisées pour rassembler les détenus avant leur départ, mais certaines ont aussi servi de cachot ou de rassemblement de détenus arrivés tardivement au camp.

La casemate n°17 est la seule sur les murs de laquelle il est encore possible de lire des inscriptions et des graffitis datant de l’Occupation. Ceux-ci se déroulent sur une bande de paroi située sont à hauteur d’homme. Il a été possible de dénombrer 70 inscriptions datant de la période de l’Occupation (datant surtout de 1943 et de 1944), et pour 53 d’entre eux, d’en retrouver l’auteur.

Il s’agit ici  d’une casemate voisine de la casemate n°17, dont les murs sont vierges de graffitis, mais qui donne une idée de l’espace.

Des messages dispersés

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Les inscriptions retrouvées semblent s’ignorer les unes les autres. Sur cette photographie figurent par exemple quatre inscriptions lisibles et sans rapport entre elles. On lit notamment, tracé au crayon noir : «13.4.43. v.v. - r.v. - p .v. - vb. Glaser 14-4-43-  ?  ». Ce graffiti concerne Bedrich Glaser, et les initiales sont probablement celles de Vaclav Votocek, Rudolf Vyhnal, Paul Vrana et sans doute Vaclav Broz, opposants tchèques au nazisme qui arrivent au camp de Romainville le 13 et le 14 avril 1943. Déportés le 27 mai à Trèves, leur sort est inconnu. Au-dessous, figure le message « CHEVEAU CHRISTIAN 17-7-43 », d’un détenu arrêté pour avoir aidé des réfractaires au STO et des prisonniers de guerre évadés. Au camp de Romainville du 16 au 21 juillet 1943, il fut déporté le 2 septembre 1943 mais parvint à s’évader du convoi. Un peu plus bas, l’inscription « m 29, m 30 46, J 1 Juillet, 2  » est certainement un décompte de jours et correspond aux mois de juin et de juillet 1943. Un autre graffiti sur la droite indique « CLAUDE MONNIE 2.5.43  ». Claude Monnié, né en 1923, a tenté de franchir la frontière espagnole. Après son arrestation, il est détenu au camp de Romainville du 3 au 6 mai 1943 ; déporté à Buchenwald le 26 juin 1943 puis transféré à Dora, il décède en décembre 1943.

Graffitis de Raoul Sabourault et Sylvain Combes

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Il est des rapprochements physiques, sur la paroi, qui ne sont peut-être que des proximités de hasard. On peut lire sur cette photographie, avec difficulté en raison de la disparition d’une partie de l’inscription, deux graffiti proches l’un de l’autre et qui semblent se succéder, tracés par des internés qui ne se sont pas croisés.

Le déchiffrement du premier, « ..rault raoul, 13 novembre 1942 », permet de penser qu’il s’agit probablement de Raoul Sabourault, né en 1900, résistant communiste, dont la présence au camp de Romainville est attestée le 24 août 1942. Déporté à Mauthausen le 1er avril 1943, il décède à Gusen le 3 août 1944. A côté, le nom tracé « Combes 25-6-43 », se réfère à Sylvain Combes, né en 1901, résistant de l’Armée secrète. Au camp de Romainville entre le 25 juin et 1er octobre 1943, alors que Sabourault en est parti trois mois plus tôt, il est déporté à Buchenwald le 28 octobre, et meurt à Dora le 15 décembre 1943.

Traces pour soi, traces d’échanges

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

L’une des traces inscrites sur la paroi met en avant cinq ordres d’insectes figurant dans la classification zoologique : « Ortopteros, Lepidopteros, hymenopteros, dypteros, Coleopteros  ». Il est difficile d’en faire une interprétation. Les détenus ont souvent écrit pour passer le temps, pour écarter de leurs pensées les inquiétudes sur leur avenir. Il est possible que cette liste relève d’une pratique d’écriture pour soi. On sait aussi grâce aux témoignages que les internés organisaient des cours pour continuer à exercer leurs capacités intellectuelles et trouver des dérivatifs communs. Il est possible que ces inscriptions relèvent ainsi d’une transmission de connaissances.

Le groupe des femmes de Rennes

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Fin janvier 1944, le camp de Romainville est quasiment vidé de ses détenus. En effet, une nouvelle fonction lui est dévolue : l’internement des femmes en vue de leur déportation. De février à août 1944, près de 400 femmes arrivent en moyenne chaque mois et autant partent à destination des camps de concentration.

Avant leur départ, elles sont rassemblées dans les casemates, les murs de la casemate n°17 en porte le témoignage. La photographie présente cinq inscriptions voisines, tracées sur un même modèle mais par des mains différentes. On peut lire : « Chauviré J… déportée le 18 avril 1944 » (Probablement Jeanne Chauviré, née en 1901), « Andrée Bonnavita Gaudin Centrale de rennes déportée 18 avril 44 », (Andrée Gaudin épouse Bonnavita, née en 1913), «… Nicoletti Centrale … rennes » (Norma Nicoletti, née en 1912), « Fournier Yvonne, centrale de rennes, déportée le 18 avril 1944 », (Eugénie, dite Yvonne, Fournier, née en 1914), « Madeleine Deshayes (Gruel) de la centrale de rennes » (Madeleine Deshayes, épouse Gruel, née en 1920). Arrivées de la centrale de Rennes au fort de Romainville le 6 avril 1944, ces femmes sont déportées le 18 à Ravensbrück. Toutes reviennent de déportation. Elles indiquent de façon proche mais désordonnée leur nom de jeune fille ou d’épouse, leur prénom, mentionnent la centrale de Rennes, lieu où elles se sont probablement rencontrées et indiquent la date de leur départ. Le « 7 » du chiffre 17 est rectifié en « 8 » car elles partent le lendemain du jour initialement prévu pour leur déportation.

« J. Colin parti le 27-9-43 pour l’Allemagne. vive la liberté et vive le P .C. »

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Les graffiti sont des traces de passage dans un lieu. Dans le cas de l’internement durant l’Occupation, ils deviennent, par la volonté de leurs auteurs, des traces à destination des prochains prisonniers et surtout du monde extérieur et des familles en recherche d’informations. Les inscriptions comportent des noms, des dates, des lieux d’origine ou d’arrestation et parfois des affirmations d’engagement ou de foi.

Jacques Colin, né en 1899, fut résistant et agent de liaison du réseau Gloria SMH. Après son arrestation  le 3 septembre 1942, il fut classé « NN  », c’est-à-dire qu’aucune information sur son sort ne devait plus apparaître ; interné au camp de Romainville le 24 février 1943 et déporté le 27 septembre 1943 au camp de Sarrebruck Neue Bremm puis à Mauthausen, il survécut à son internement. Sur cette même paroi, mais un peu trop loin pour que la prise de vue permette de les rassembler, figure l’inscription d’André Hadji Lazaro, du même réseau que Jacques Colin, arrêté puis déporté le même jour vers Mauthausen.

Graffiti du temps qui passe

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Ecrire des listes

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

« Mais beaucoup écrivaient pour le plaisir d’écrire : des listes de mots allemands, des recettes de cuisine (…), je ne saurais épuiser les matières traitées » (André Chauvenet, Une expérience de l’esclavage. Souvenirs de déportation. Prisons et camps de Fresnes, Hinzert, Wittlich, Trèves, Tegel-Berlin, Bautzen, Dresde, Radeberg, Buchenwald (21 janvier 1942-23 avril 1945), Paris, s.d., office général du livre)

Ces grandes inscriptions couvrent les parties supérieures des murs de la casemate. Elles semblent tracées à l’encre noire et présentent des mots usuels en Allemand avec leur déclinaison. Leurs auteurs sont peut-être des opposants allemands ou tchèques aux nazis, réfugiés en France, qui ont été livrés par le gouvernement de Vichy. Certains transitent par le fort de Romainville avant d’être ramenés et emprisonnés en Allemagne. Les conditions de prise de vue n’ont pas permis de disposer d’une vue d’ensemble de ces graffitis.

Avion bombardant un train

Source : Emmanuelle Jacquot, Conseil général 93

Ce dessin représente un avion bombardant un train. Le graffiti se fait ici l’écho de l’extérieur, des événements qui ont bousculé la vie des détenus. On a pu identifier parmi les différents dessins tracés sur les parois un croiseur de la Kriegsmarine, le « Gneisenau ». On retrouve aussi des maisons, des portraits de femme, des hommes casqués, un mousquetaire probablement tracé juste après la guerre ainsi que des graffitis postérieurs à l’Occupation.

Notes

1.

Thomas Fontaine, Les oubliés de Romainville, un camp allemand en France (1940-1944), Tallandier, Paris : 2005, 144 p.

2.

Thomas Fontaine, Sylvie Zaidman, Joël Clesse : Graffiti de résistants. Sur les murs du fort de Romainville, 1940-1944, (photographies d’Emmanuelle Jacquot assistée d’Isabelle Gaulon), éditions Libel, Lyon : 2012, 158 p.