2. Le temps de la détention

Plan du chapitre

Le personnel de l’établissement

À la Libération, les Baumettes sont dirigées par un directeur (qui dirige également les autres prisons de Marseille), un sous-directeur, un économe, un greffier-comptable et un personnel de surveillance constitué d’un surveillant-chef assisté de cinq premiers surveillants, de six commis-greffiers et de 125 surveillants (40 titulaires, 10 stagiaires et 75 auxiliaires). Ces auxiliaires, pour la plupart assez jeunes, disposent de peu d’expérience et pallient le manque de titulaires. Qui plus est, ils ne disposent pas d’uniformes : « il est regrettable que ces jeunes auxiliaires ne soient pas revêtus de la tenue réglementaire. Habillés pour la plupart de vêtements civils ou d’anciens uniformes militaires, de coupes et de teintes variables, la diversité de leur équipement ne laisse pas de donner, à l’observateur, une certaine impression de confusion. »

Une assistante sociale se rend tous les jours aux Baumettes pour assurer des permanences, ce qui lui permet notamment de s’entretenir avec les détenus arrivés la veille et de dépister tous ceux qui doivent être aidés sur le plan familial. Les détenus peuvent leur transmettre des messages, soit par le biais du personnel, soit par le biais d’une boîte aux lettres. L’assistante relève ensuite son courrier et convoque le détenu si elle le juge nécessaire.

Le personnel des Baumettes est particulièrement politisé, comme l’indique un inspecteur à la Libération : « La plupart des agents aussi bien du personnel administratif que du personnel de surveillance sont communistes. C’est évidemment leur droit le plus absolu, à la condition qu’ils oublient leurs idées politiques dans leur service. Mais n’est-ce pas trop demander à des méridionaux et à des Corses ? Bien au contraire il semble que l’exaltation propre à leur tempérament les poussent à toutes les formes évangéliques du péché : par parole, par pensée, par action et par omission. » En 1948, sur 180 agents, 100 sont d’origine corse. De ce fait, l’administration pénitentiaire prend la décision de ne plus affecter de Corses aux Baumettes : « Comme chacun sait qu’ils ont l’esprit de clan très développé et un patois dont ils usent couramment entre eux. Ils en arrivent à se considérer comme une sorte de minorité ethnique au sein d’un appareil administratif dont ils ne possèdent pas les leviers de commande. » En 1947, tout le personnel de direction de la prison est également corse. Dans la même optique, l’administration pénitentiaire décide de le muter pour l’éloigner, laissant un goût amer aux surveillants qui restent sur place. Et entraînant de nombreuses tensions avec le personnel de direction remplaçant.

La santé

En 1950, une annexe psychiatrique ouvre ses portes aux Baumettes. Elle est essentiellement chargée de dépister les troubles mentaux des détenus. Elle est située dans le bâtiment A des Grandes Baumettes et comprend un dortoir de cinq lits, six cellules ordinaires et trois cellules de force. Une infirmière interroge tous les entrants et leur fait passer un test. Ceux qui présentent des troubles psychiques sont ensuite présentés au psychiatre qui peut prononcer des internements. Les autres établissements pénitentiaires du département y envoient également leurs malades. En 1967, l’annexe devient un Centre médico-psychologique régional puis un service médico-psychologique régional en 1986. Il s’agit d’une structure hospitalière au sein de la prison qui est rattachée à l’hôpital Sainte-Marguerite de Marseille.

La « prison hôpital des Baumettes », surnommée « P.H.B. », ouvre ses portes au mois de mai 1948 et comprend trois bâtiments : un quartier pour hommes de 52 cellules, un quartier pour femmes de 32 cellules et un bâtiment central disposant, entre autres, d’un bloc opératoire. Le personnel est composé d’un médecin-chef, de quatre internes, d’un chirurgien, d’un anesthésiste et de six infirmières. Les détenus qui y sont soignés proviennent des Baumettes mais également d’autres établissements relevant du ressort de Marseille.

Les Grandes Baumettes dispose également d’une infirmerie où le médecin organise deux visites hebdomadaires. Certains malades peuvent être envoyés à l’hôpital de la Timone, à l’hôpital psychiatrique de Montdevergues, à l’hôpital de la Conception (qui dispose d’une salle des consignés) mais surtout au P.H.B. Cet établissement permet ainsi de soulager les hôpitaux de Marseille et de réaliser d’importantes économies (tout en évitant les évasions lors des transferts ou des hospitalisations).

Le travail pénal

L’établissement rencontre beaucoup de difficultés pour offrir des emplois aux détenus. Ce qui pèse sur leur capacité d’achat de produits de cantine pour améliorer l’ordinaire. Les entreprises rechignent à venir s’installer dans une prison située à des dizaines de kilomètres du centre de Marseille. Le transport des marchandises et le déplacement des entrepreneurs et de leurs agents de surveillance entraînent des frais trop importants. De plus, cet établissement cellulaire ne dispose d’aucun local permettant d’installer des ateliers. Les détenus qui ne sont pas employés par le service général de l’établissement fabriquent dans leur cellule des sacs en tissu, des épingles à linge, des filets à provisions ou travaillent dans un garage pour l’armée. Pour obvier à cette situation, l’administration pénitentiaire encourage les chantiers extérieurs. Certains détenus travaillent pour les Salins du Midi en Camargue. D’autres travaillent dans un camp à Gignac-La-Nerthe où ils trient du matériel provenant de surplus américains. D’autres travaillent chez des agriculteurs à Vitrolles ou participent à des chantiers de reconstruction.

En 1951, des cours de formation professionnelle sont organisés aux Baumettes. Deux sections sont ouvertes : une pour le béton armé et une pour la maçonnerie. Elles sont réservées aux condamnés à une courte peine d’emprisonnement âgés de 18 à 35 ans et sans qualification professionnelle. Elles sont installées dans les locaux de désencombrement des Grandes Baumettes. La section béton armé dispose d’une salle d’enseignement et d’une salle de travaux pratiques. Un emplacement est réservé dans la cour pour y réaliser des exercices. La section « Limousinerie » dispose d’une salle d’enseignement et d’une aire dans la cour réservée également aux exercices. Les formations sont assurées par deux instructeurs de l’Association nationale interprofessionnelle pour la formation rationnelle de la main-d’œuvre. Mais ces deux sections ferment en 1953.

En avril 1987, des chantiers extérieurs sont mis en place pour des détenus de moins de 21 ans en fin de peine. Ils sont hébergés à la Campagne Pastré et bénéficient d’une formation assurée par l’Office national des forêts. Ils sont chargés de débroussailler les abords des calanques sur le territoire de Marseilleveyre, à la Campagne Pastré, à Valmont Redon et de restaurer l’hôpital Caroline sur l’île du Frioul.

Les détenus mineurs

En décembre 1944, un centre d’accueil et d’observation pour mineurs délinquants (ou centre de triage) est installé en lieu et place du quartier des mineurs des Grandes Baumettes. Cette décision fait suite à la loi du 27 juillet 1942 relative à l’enfance délinquante qui porte création de centres d’observation pour jeunes délinquants. Il n’existe pas à Marseille de structures d’accueil pour les mineurs durant leur période d’instruction judiciaire. À défaut, ceux-ci sont maintenus dans leurs familles ou envoyés dans le quartier des mineurs de la prison de Chave intitulé « École de réforme ». Mais cette structure est totalement inadaptée, comme le souligne le directeur régional des services pénitentiaires de Marseille : « L’école de réforme demeurait le meilleur moyen de pervertir indubitablement les détenus mineurs, non seulement par leur influence réciproque, mais aussi par le manque complet de surveillance adaptée et par l’ambiance générale. »

Ce centre est géré par les services de l’Éducation surveillée, créée en 1945. Il reçoit des mineurs (surnommés « J.3 ») âgés de 13 à 18 ans qui y sont placés par un juge. Mais les débuts de ce centre sont très difficiles comme en témoigne un médecin en mars 1945 : « J’ai visité ce centre que j’ai trouvé dans un état lamentable. […] la situation est pitoyable. C’est à peine si chaque enfant a un lit pour lui. […] Ceux-ci vont nu-pieds et sont couverts de haillons plus que de vêtements. Le service médical est autant dire inexistant. […] Tous les dortoirs comportent des vitres brisées. Le chauffage central est hors d’état de fonctionner. […] Au total, la situation est lamentable. Il ne reste plus rien de l’installation primitive. Les enfants livrés à eux-mêmes se sont révoltés, ont tout saccagé. Leurs vêtements sont en lambeaux ; quelques-uns n’ont pour se vêtir que des morceaux de couvertures. Ils croupissent dans la crasse et dans la paresse, fumant des cigarettes à longueur de journée. La masturbation et la pédérastie sont la règle. » Ces jeunes détenus, qui sont pour la plupart « inoccupés » faute de travail, sont l’objet d’une prise en charge à partir de 1948 par une équipe d’éducateurs. Ce centre fermera en 1972.

Les mineurs de 18 à 21 ans sont hébergés aux Petites Baumettes. Dès leur arrivée, ils sont soumis à des tests de niveau scolaire et sont répartis entre différentes classes. L’objectif est de lutter contre l’analphabétisme et de permettre leur préparation au Certificat d’Études Primaires (C.E.P.). Pour ce faire, deux instituteurs sont détachés à temps complet par l’Éducation nationale en 1967. Les élèves passent le C.E.P. aux Baumettes et ceux qui ont un niveau supérieur peuvent s’inscrire à des cours par correspondance. En 1955, un terrain de sport de 60 m² est construit aux Petites Baumettes. Puis en 1967, le ministère des Sports détache à temps complet un moniteur d’éducation physique et sportive, ce qui permet d’inclure l’éducation physique obligatoire dans le régime des jeunes détenus. En juin 1990, les détenus de 18 à 21 ans et les mineurs quittent tous les Petites Baumettes pour être hébergés au centre pour jeunes détenus de la nouvelle maison d’arrêt d’Aix-Luynes.

Le problème du logement pour les personnels

Les personnels de l’établissement rencontrent de grandes difficultés pour se loger. Il est pratiquement impossible de trouver un appartement aux alentours des Baumettes dans les années 1950. Beaucoup d’entre eux vivent soit dans des dortoirs installés dans l’établissement, soit dans des chambres inconfortables louées à des prix très onéreux. Ainsi, un agent marié qui est nommé à Marseille ne peut pas y faire venir sa famille et doit y vivre seul. Souvent, après quelques semaines de recherche, beaucoup présentent leur démission ou demandent à changer d’établissement. En 1939, 120 H.B.M. (Habitations Bon Marché) réservées aux surveillants sont construites à proximité de la prison. Puis en 1948, l’achat de la propriété de Monroc permet la construction de cinq bâtiments destinés au personnel de direction.

Mais ces efforts ne suffisent pas pour résorber ces problèmes de logements, comme en témoigne le ministre de la Justice en 1950 : « Le personnel de ces prisons éprouve, en effet, les plus grandes difficultés à se loger non seulement en raison de la crise de logement particulièrement aigüe qui sévit à Marseille, mais aussi parce que ces prisons sont situées à une grande distance de la ville (14 km) et même assez à l’écart de l’agglomération de Mazargues. Cette situation difficile a des répercussions très graves sur le fonctionnement du service. Beaucoup de surveillants habitent à une très grande distance des prisons et les longs trajets qu’ils doivent faire pour rejoindre leur poste sont cause d’irrégularité et de défaillances susceptibles de compromettre le service. Un grand nombre ne peuvent pas trouver de logement et vivent séparés de leur famille, ce qui n’est pas sans inconvénient. Un dortoir commun a été aménagé tant bien que mal dans la prison dans un local à usage de magasin, mais alors que cette possibilité offerte aux agents n’aurait dû être que provisoire et n’avoir pour objet que de leur donner le temps de chercher un logement, il se trouve que certains d’entre eux y vivent depuis plus de deux ans. Ce dortoir est d’ailleurs insuffisant et de nombreux agents qui vivent également séparés de leur famille habitent en garni en ville dans de mauvaises conditions pouvant même être préjudiciables à leur fonction. Le fait que très peu de surveillants habitent à côté des prisons est une cause d’insécurité inquiétante, en cas de mouvement parmi les détenus, surtout la nuit, il serait impossible de rassembler un personnel de renfort. Les prisons ne comptent que trois logements situés au-dessus de la porte d’entrée de chacun des trois quartiers (quartier hommes, femmes et infirmerie) et qui sont affectés aux surveillants-chefs de chaque quartier. »

Évasions et sécurité

Afin de prévenir les évasions, quatre miradors sont construits aux Grandes Baumettes en 1948. Et les bâtiments sont puissamment éclairés de nuit par des projecteurs fixés sur les corniches. Un quartier de haute surveillance est aménagé au quatrième étage du quartier A, où l’on accède par un seul escalier barré par une grille. La sécurité extérieure et la surveillance des abords de la prison sont assurées par la police. Mais cette surveillance est rendue difficile par l’éloignement des Baumettes du centre-ville et de leur difficulté d’accès. Les agents doivent emprunter un chemin de trois kilomètres depuis le terminus du tramway de Mazargues jusqu’à l’établissement. Les rondes y sont donc peu fréquentes. Et elles ne suffisent pas à enrayer les parloirs sauvages qui provoquent de multiples plaintes et pétitions lancées par les habitants au voisinage des Baumettes.

Comment s’évade-t-on des Baumettes ? Parfois très simplement. En 1949, un trafic de libération frauduleuse organisé au greffe des Baumettes est découvert. Un détenu y est employé depuis dix ans pour ses qualités de comptable et il assure quasiment à lui seul toutes les opérations (libération, transfèrements, etc.). Les surveillants responsables du greffe lui laissent à peu près toute latitude. Ainsi, contre rémunération, il falsifie des documents et permet à des congénères d’être libérés bien avant le terme de leur peine !

L’absence d’achèvement des travaux des Baumettes facilite également les évasions. Dans la nuit du 15 au 16 décembre 1948, huit détenus parviennent à s’échapper du quartier disciplinaire de la prison, dont quatre condamnés à mort. Leurs grilles n’ont effectivement pas de serrure et sont simplement maintenues par une entrave (et les condamnés bénéficient en outre de la complicité de deux surveillants). Ces évasions sont également favorisées par la situation géographique de l’établissement qui a été construit dans un cirque entouré de collines. Du haut de celles-ci, on dispose d’une vue plongeante sur l’établissement et il n’est donc pas rare que des rôdeurs soient surpris en train d’effectuer des signaux visuels ou lumineux à des détenus à l’aide d’un code convenu à l’avance !

On s’évade également des Baumettes par les airs. Le 5 octobre 1990, une tentative d’évasion par hélicoptère a lieu aux Baumettes. Mais des policiers présents par hasard dans l’établissement font feu sur l’appareil qui rebrousse chemin. Une autre évasion par les airs a lieu le 25 juillet 1992. Ce jour-là, un hélicoptère parvient en quelques minutes à emporter avec lui cinq détenus depuis la cour des Grandes Baumettes. Les fuyards seront tous appréhendés peu de temps après et l’établissement sera doté de filins anti-hélicoptère.

Les détenues femmes

La construction du quartier des femmes s’étend de 1933 à 1935. D’une contenance de 170 cellules, il contient entre autres une infirmerie, un quartier pour mineures et une nursery. Mais en 1957, les détenues sont toutes déplacées dans le bâtiment de l’hôpital qui leur est réservé. Cette mesure est dictée par l’afflux massif de détenus algériens qui sont installés dans les Petites Baumettes.

Cette situation crée de gros problèmes car seules 23 cellules de l’hôpital sont cédées à la détention des femmes, alors que leur nombre oscille entre 40 et 50. Cette surpopulation entraîne ainsi une grande promiscuité entre elles. Et l’encombrement de l’hôpital entraîne de son côté des risques sanitaires qui font craindre le pire.

Ainsi, à partir du mois de janvier 1965, tous les détenus tuberculeux sont systématiquement envoyés dans des hôpitaux civils de Marseille pour y être traités. Ceci afin d’éviter toute contamination avec le reste de la détention. Ce n’est qu’en juin 1990, suite au départ des mineurs et des jeunes détenus à la maison d’arrêt d’Aix-Luynes, que les femmes réintègreront les Petites Baumettes.

L’arrivée des détenus algériens du F.L.N.

En 1957, le garde des Sceaux décide d’affecter la prison des Petites Baumettes à des Algériens condamnés en Algérie pour des faits de droit commun et en métropole pour des faits en relation avec la guerre d’Algérie. L’administration pénitentiaire craint une attaque extérieure en soutien à ces détenus et prend des mesures de sécurité : un réseau de fils de fer barbelé est posé sur la colline située derrière l’établissement, neutralisant une zone de 10 mètres de profondeur sur 250 mètres de largeur et un mirador de 14 mètres de haut est construit derrière la prison.

La même année, l’organisation de la répartition des détenus aux Grandes Baumettes est modifiée : le quartier A accueille des prévenus et des condamnés et le quartier B accueille des prévenus et des condamnés du Front de libération nationale (F.L.N., soit 600 détenus environ). Ceux-ci bénéficient à partir de 1959 d’un régime politique dit de catégorie A, plus libéral que le régime de droit commun. Ils disposent notamment de la possibilité de donner des représentations théâtrales. Le 23 juin 1961, une pièce est donnée par les détenus algériens aux Petites Baumettes, à l’occasion de la fête de l’Achoura. En 1959, suite à une grève de la faim particulièrement suivie, les détenus algériens des Grandes Baumettes obtiennent l’ouverture de leurs cellules de 7 heures à 20 heures. Cette mesure entraîne en retour une grève de la faim des détenus algériens des Petites Baumettes afin d’obtenir le même régime.

En réaction, l’administration pénitentiaire organise une fouille générale des cellules avec l’appui de C.R.S. dans le quartier B des Grandes Baumettes. Ce qui entraîne en riposte une nouvelle grève de la faim conduite du 17 septembre au 8 octobre 1961. La direction ne cède pas et décide de mettre un terme, entre autres, au régime des portes ouvertes. Puis la décision est prise le 26 juin 1961 d’évacuer la totalité des détenus algériens des Petites Baumettes vers d’autres établissements pénitentiaires. Enfin, suite à la signature des accords d’Évian en 1962, de nombreux détenus algériens des Grandes Baumettes bénéficient d’une amnistie.

L’arrivée des détenus de l’O.A.S.

En 1963, les Petites Baumettes sont divisées en deux parties : 40 cellules sont réservées aux mineurs et 98 autres sont occupées, au rez-de-chaussée, par de jeunes militaires ou des marins (condamnés essentiellement pour des faits de désertion) et au premier étage par des détenus « activistes ». Il s’agit de détenus issus de l’Organisation de l’Armée Secrète (O.A.S.) qui n’ont pas été acceptés à la maison centrale de Saint-Martin-de-Ré ou qui ont été incarcérés aux Baumettes du fait de leur indiscipline.

À cette époque, les prévenus peuvent conserver leur tenue civile. Mais les condamnés à une peine supérieure à un mois et les travailleurs se voient remettre un uniforme constitué d’un pantalon de toile de coton ou croisé de coton bleu, une veste, un pull-over de laine, une chemise, un caleçon, une paire de chaussettes ou chaussons, une paire de galoches ou de sabots à semelle de bois et un mouchoir. Ceux qui travaillent à l’extérieur disposent durant l’hiver d’un costume en droguet de laine et d’une capote militaire. Chaque détenu dispose d’un lit rabattable scellé au mur, d’une paillasse en toile de coton ou de rayonne, d’un traversin, et de quatre couvertures de laine (deux durant l’été). Tous les détenus arrivants sont fouillés, douchés et passés au D.D.T. Une gamelle, une assiette, une cuiller, une fourchette et un quart leur sont remis, ainsi qu’une serviette hebdomadaire (distribuée au moment où les détenus passent sous la douche) et 250 grammes de savon mensuel.

Les cheveux sont coupés une fois toutes les trois semaines et les barbes sont rasées deux fois par semaine. Un catalogue circule de cellule en cellule et les détenus ont le droit d’emprunter un livre par semaine (deux pour les mineurs) à la bibliothèque de la prison. Les détenus ont droit à deux séances de cinéma par semaine et ceux qui travaillent peuvent regarder la télévision de 14 heures à 17 heures le dimanche. Enfin, trois institutrices assurent trois heures d’enseignement par semaine pour les détenus illettrés ou pour ceux qui souhaitent passer leur C.E.P.

Les grèves de la faim des années 1970

Durant les années 1970, de nombreux évènements collectifs éclatent aux Baumettes, essentiellement des grèves de la faim. Par exemple, le 24 mai 1973, 40 détenus des Grandes Baumettes refusent de réintégrer leur cellule après la promenade, obligeant le directeur à demander l’intervention des C.R.S. La veille avaient été distribués aux familles en attente de parloirs des tracts du Comité d’action des prisonniers (C.A.P.) signalant de récentes mutineries survenues aux prisons de Lyon. Les jours de parloirs, ces familles stationnent parfois pendant de longues heures sans autre abri qu’un café situé face à la prison. Dès 1948, le directeur de l’administration pénitentiaire veut faire fermer ce bar-restaurant intitulé « Ici mieux qu’en face ». Ouvert en novembre 1946, il s’y mêle effectivement des surveillants, des familles de détenus et des « amis du milieu ».

Un quartier de sécurité renforcée d’une contenance de 17 cellules (surnommé Q.H.S.) est aménagé au mois de mars 1975 dans le quartier B des Grande Baumettes. Mais le régime d’isolement strict qui y est appliqué constitue dans les faits un régime d’incarcération bien plus favorable que celui de droit commun. En effet, dans un Q.H.S., les détenus ont le droit de travailler en commun dans des ateliers et sont isolés en cellule. Or, les détenus des Grandes Baumettes se partagent souvent une cellule à trois où ils demeurent enfermés 23 heures sur 24 et ne peuvent pas travailler faute d’emplois. Le Q.H.S. est donc transformé en octobre 1975 en un quartier d’isolement pour les détenus les plus dangereux. En 1977, la dernière exécution capitale en France est organisée aux Baumettes.

En 1972, les détenus des Baumettes sont soumis au règlement intérieur suivant :
6 heures 30 : Au son de cloche, lever obligatoire (il est interdit de se recoucher avant 19 heures), toilette, pliage et rangement des draps et couvertures au fond du lit.
7 heures : Petit déjeuner et nettoyage de la cellule.
8 heures : Promenade obligatoire pendant une heure par roulement ; travail en cellule, activités personnelles et entretiens avec les avocats ; cours scolaires pour les mineurs.
11 heures 30 : Déjeuner et nettoyage des cellules, détente.
14 heures : Travail en cellule ou activités personnelles, entretiens avec les avocats et les visiteurs de prison ; cours scolaires pour les mineurs.
17 heures 30 : Dîner.
18 heures 45 : Dernier appel, fermeture des cellules et coucher.
22 heures : Extinction des lumières.

Le home de semi-liberté

Un home de semi-liberté d’une capacité de 20 places ouvre dans l’ancien quartier des mineures des Petites Baumettes en 1951. Il reçoit des forçats (c’est-à-dire des condamnés aux travaux forcés) bientôt libérables. Le séjour est prévu pour durer 4 mois, dont 1 mois à l’intérieur et 3 mois en semi-liberté. Pendant le premier mois, les détenus travaillent au service général des Grandes Baumettes puis ils sont placés à l’extérieur dans des entreprises pendant trois mois. À l’issue de quoi le comité de libération conditionnelle peut prononcer leur libération conditionnelle. Mais les forçats marseillais et corses ne sont pas admis dans ce centre, afin d’éviter qu’ils ne retombent « dans des bandes » à l’extérieur. Ce projet fait suite à la loi d’amnistie du 11 janvier 1951 qui prévoit l’admission au bénéfice de la libération conditionnelle des condamnés aux travaux forcés à temps (essentiellement condamnés pour des faits de collaboration). Mais le home de semi-liberté est supprimé en 1956, faute de candidats assez nombreux.

Les années 1980-1990 marquées par une situation de surpopulation carcérale

En 1984, l’effectif s’élève à 2 135 détenus, puis à 2 305 l’année suivante (pour 965 places) ! La situation sanitaire est très préoccupante, comme le note un rapport d’inspection : « Les cellules ont un aspect délabré, miteux, sale : aucune d’entre elles n’a été repeinte depuis plus de deux années. La quasi-totalité est équipée d’un simple robinet placé à un mètre au-dessus de la cuvette des WC, laquelle n’est séparée par aucune cloison du reste de la cellule. […] Le comble de l’insalubrité est atteint par les cellules d’entrants en attente dans le bâtiment A : une cellule de 10 détenus, 12 de 4 détenus et une de 14, laquelle remplace une salle d’activités socio-culturelles, les détenus passant leur enfermement sur des matelas de mousse posés au sol, les deux plus grandes munies de WC et lavabos, mais avec une unique tinette… Les douches construites en 1985, promesses faites à la suite de mouvements collectifs, ne fonctionnent pas, à la suite d’un vice de construction en cours d’expertise […]. De sorte que, malgré les conditions d’hygiène épouvantables dues à l’entassement des hommes et à la chaleur des locaux, au lieu de deux douches par détenu et par semaine, une tous les douze jours peut être assurée. »

Bien que les détenus aient obtenu la possibilité de louer un poste de télévision individuel à partir de 1985, cette situation entraîne des mutineries. Durant l’été 1987, certains parviennent à monter sur le toit des Grandes Baumettes, brisent les verrières et incendient une grue de chantier. Suite à cela, des mesures sont prises en urgence pour désencombrer l’établissement. La construction d’un bâtiment de 470 places (dit bâtiment D) débute aux Grandes Baumettes en février 1988, sur l’emplacement des ateliers pour une mise en service prévue au mois de février 1989. 204 cellules occupées par des bureaux ou des salles de classe sont récupérées dans les Grandes et les Petites Baumettes en septembre 1987. Un bâtiment de 72 places est construit aux Petites Baumettes pour une mise en service prévue au mois de mars 1988 et 100 places sont mises en service en février 1987 suite à l’aménagement de la chapelle des Grandes Baumettes. Des travaux sont également engagés sur le site de la carrière Martini, qui sépare les Petites des Grandes Baumettes, où sont construits de nouveaux ateliers et des espaces dédiés à la pratique du sport.

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