6. Crimes et délits

Plan du chapitre

L’Ancien Régime répartit les infractions, suivant la procédure, en grand et petit criminel selon que la faute mérite une peine afflictive, voire infamante, ou seulement une amende. Seulement, aucun corpus pénal ne consacre le principe de la légalité des incriminations et des peines. Tout au plus avons-nous des actes royaux, en principe obligatoire, mais habilement contournés par des magistrats.

Le Code pénal de 1791 est le premier véritable ensemble législatif codifié, en matière pénale, en France. Il ne s’intéresse qu’aux infractions criminelles, qu’il classifie, selon la vision politique des Constituants, par ordre décroissant d’importance à leurs yeux et selon les besoins de l’époque : crimes contre la chose publique, dans le but de protéger le régime nouveau et de défendre les citoyens contre les abus de pouvoir ; atteintes contre les particuliers, d’abord en tant que personnes (principes de liberté et d’égalité) puis comme possédants (défense de la propriété). Les crimes religieux (blasphème, suicide, sacrilège, adultère, etc.) sont abolis. Seules les infractions les plus graves sont du ressort de la justice criminelle. Les dossiers des tribunaux criminels provisoires présentent cependant une multitude d’affaires que l’on se serait attendu à voir relever de la justice correctionnelle, tel le vol d’un panier de poires. Point de laxisme, donc, ni chez les législateurs, ni chez les juges, souvent issus de la bourgeoisie et soucieux, certes, de liberté individuelle, mais pas au prix du maintien de l’ordre, de la sécurité des citoyens ou de la sûreté des propriétés. Dès lors, voleurs, escrocs, auteurs de sévices n’ont qu’à bien se tenir ! Pourtant, on doit aussi faire la part, sans pouvoir l’apprécier précisément, des infractions qui restent sans suite faute de plainte ou de preuves.

Le principe de légalité que nous mentionnions, inspiré de l’œuvre de Cesare Beccaria (1738-1894), n’intègre véritablement la législation pénale qu’en 1795, grâce au Code des délits et des peines. Certes, l’idée de devoir respecter la loi pénale de manière stricte est véhiculée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ; néanmoins, comme son nom l’indique, il ne s’agit que d’une « déclaration », qui n’a pas encore de force juridique opérante.

Le vol

Objets volés : 26 portefeuilles

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L’ensemble de ces éléments a été recueilli à Paris, aux Archives nationales :
• Portefeuille en cuir noir, 24,5 x 15 cm (Z3 7 7) ;
• Portefeuille en cuir brun, 18,5 x 12,5 cm (Z3 7 5) ;
• Portefeuille en cuir rouge, 12 x 8 cm (Z 3 7 6) ;
• Portefeuille en cuir rouge, 14 x 13 cm (Z3 7 6 2) ; • Portefeuille en cuir rouge avec rabat, 8 x 11 cm (Z3 75 7) ;
• Portefeuille en cuir rouge avec rabat, 7,5 x 11 cm (Z3 75 8) ;
• Portefeuille en cuir brun avec lanière, 9 x 13 cm (Z3 75 12) ;
• Portefeuille en cuir vert à rabat 13 x 18 cm (Z3 75 11) ;
• Portefeuille en cuir brun, 19 x 13 cm (Z3 75 10) ;
• Portefeuille en cuir rouge à rabat avec fermoir métallique, 9,5 x 13,5 cm (Z3 61-62 11) ;
• Portefeuille en cuir brun à rabat, 8,5 x 13 cm (Z3 61-62 10) ;
• Portefeuille en cuir brun, doublé de tissu vert, 10 x 15,5 cm (Z3 61-62 7) ;
• Portefeuille en cuir rouge à rabat, 7,5 x 11 cm (Z3 61-62 13) ;
• Portefeuille en cuir rouge à lanière, 10,5 x 15,5 cm (Z3 61-62 8) ;
• Portefeuille en cuir rouge à rabat, 8 x 14,5 cm (Z3 61-62 6) ;
• Portefeuille en cuir rouge, 11 x 19,5 cm (Z3 61-62 12) ;
• Portefeuille en tapisserie à rabat et fermeture métallique, 15 x 16,5 cm (Z3 75 9) ;
• Portefeuille en tissu jaune brodé de rose, 10 x 13 cm (Z3 27) ;
• Portefeuille en soie blanche brodée, 11 x 7,5 cm (Z3 6 7) ;
• Portefeuille en cuir rouge à dorure et à rabat, 7 x 9,5 cm (Z3 6 4) ;
• Portefeuille en cuir rouge à rabat au nom de « François Gille marchand de Corbon près Lisieux », 11 x 18,5 cm (Z3 6 3) ;
• Portefeuille à rabat en cuir rouge avec ferrure, 6 x 10,5 cm (Z3 44-45 6) ;
• Portefeuille en cuir rouge, 11,5 x 20 cm (Z3 44-45 7) ;
• Portefeuille en cuir rouge à rabat avec fermeture métallique, 15 x 18,5 cm (Z3 44-45 8) ;
• Porte-monnaie en cuir rouge à rabat, 8 x 6 cm (Z3 6 5) ;
• Porte-monnaie en peau, 12 x 8 cm (Z3 6 6 1).

Le vol constitue la classe de délit la plus représentée dans les fonds judiciaires des tribunaux provisoires de la Révolution de 1789. Cette infraction, déjà reconnue comme une offense par les sociétés dites primitives – antérieures à l’organisation étatique des derniers siècles avant notre ère –, connaît une recrudescence particulière dans le contexte économique de cette période. Cette forme de délinquance occasionnelle est souvent justifiée par la misère : pour beaucoup, le vol, notamment de nourriture ou d’effets personnels, est un moyen de survie. Les portefeuilles volés ou saisis constituent la plus grande partie des objets. Ils sont déposés aux greffes des différents tribunaux parisiens, et nous parviennent aujourd’hui.

Cette panoplie est très réduite : certains vols, à la tire, à l’étalage, ne nécessitent pas d’instruments et les vols avec effraction peuvent s’exécuter avec des objets ordinaires détournés de leur utilité courante (barre de métal ou simple pierre ; lime, pince, vrille). Ici, quelques outils de menuisiers – garçons ou compagnons sont nombreux à être impliqués dans des vols – et une banale cordelette sont transformés, par l’effet d’une saisie, en articles délictueux. Des accessoires plus spécifiques, comme les rossignols ou les passe-partout, pourtant fréquemment pris sur les inculpés, n’ont pas été conservés.

Verrait-on aujourd’hui un vol de mouchoir poursuivi au pénal ? Le 26 avril 1791, Charles Gallet est arrêté dans l’église Saint-Paul pour en avoir subtilisé un.

Ce vol, insignifiant, s’inscrit dans un contexte de vols à la tire excessivement répandus dans la capitale où portefeuilles, tabatières, bijoux, etc., sont dérobés chaque jour dans les endroits les plus divers. Néanmoins, ici, le vol est commis en public et dans un sanctuaire. Gallet est alors condamné par le 4e tribunal criminel provisoire à une peine légère, d’une année de détention, ce qui prouve qu’il n’est pas toujours aisé de classifier une infraction dans la catégorie criminelle ou correctionnelle.

Les violences

Violences banales dans une taverne rue du Louvre. Le 20 septembre 1792, un ancien Suisse devenu hussard de la liberté, tient des propos indécents à la tenancière, Marie Adélaïde ; celle-ci s’indigne, se dégage de son étreinte et lui réclame le prix de la consommation. Néanmoins, l’homme poursuit ses invectives et lui assène un coup de bouteille sur la tête. Marie Adélaïde s’évanouit, est emmenée à l’Hôtel-Dieu où elle meurt finalement le 13 octobre, des suites de l’agression. Bien que les chirurgiens n’affirment pas formellement que la blessure a été mortelle, le coupable est condamné le 24 octobre pour meurtre, selon les termes de l’article 8 du Titre II, Section i du Code pénal. La peine prévue dans l’hypothèse d’un « homicide commis sans préméditation », qualifié de meurtre, est de 20 ans de fers – travaux forcés. Cette dernière est ici assortie d’une peine accessoire : l’exposition au public du condamné, pour atteindre à sa réputation – peine infâmante.

La contrefaçon

Panoplie de faussaire pour la réalisation de faux bons de caisse patriotique et autres (1790-1792)

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L’ensemble de ces éléments a été recueilli à Paris, aux Archives nationales, cote Z3 101 :
• 8 vrais bons blancs, 1 vrai bon jaune, 3 vrais bons rouges, papier, imprimé, 9 x 11 cm ;
• Papier vierge bleu et jaune partiellement déplié, papier, 12 x 23 cm et 8 x 14 cm ;
• Deux godets en verre contenant de l’encre, verre et pigments, diamètre 5 x hauteur 3 cm et diamètre 3,5 x hauteur 2 cm ;
• Une cuillère en étain sans manche contenant de l’encre (?) métal, 7 x 4 cm ;
• 4 épreuves de faux bons de caisse patriotique, papier, imprimé, 9 x11cm ;
• 8 vraies et fausses « portions d’assignats de la section de l’Arsenal de 50 sols », papier, imprimé, 4,5 x 13,5 cm et 5,5 x16 cm.

 

 

 

 

 

 

Panoplie du faussaire (suite)

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L’ensemble de ces éléments a été recueilli à Paris, aux Archives nationales, cote Z3 102 :
• Un tampon en bois « caisse patriotique », bois, 4,5 x14 cm ;
• Un tampon avec signatures, bois, 5 x 14 cm ;
• Un tampon avec le chiffre 25 [sols], bois, 4 x 7,5 cm ;
• Un tampon avec le chiffre 10 [sols], bois, 3 x 7 cm ;
• Un pinceau, bois et poils, 21,5 cm ;
• Neuf ustensiles servant de godets, avec des résidus de peinture et d’encre, verre, faïence, pigments, diamètres entre 4 et 9 cm ;
• Un pied de verre, verre, 6,5 x 5 cm ;
• Un chiffon, tissu, 15 x 28 cm ;
• Deux gouges, bois et métal, 22,5 x 2,5 cm ; • Trois outils indéterminés, bois et métal, 9 x 3 cm ; 8 x 3 cm ; 7,5 x 2 cm ;
• Modèle et signatures des commissaires nommés pour signer les billets, mis en circulation par la section des Lombards, 14 décembre 1791, papier imprimé, 32 x 41,5 cm ;
• Papiers divers : 14 cadres vides sur papier blanc, sept faux bons de la maison de secours rue des Filles-Saint-Thomas sur papier blanc, 23 calques, 2 bons jaunes de la caisse patriotique, 2 bons bleus de la caisse patriotique, 2 papiers bleus sans impression, 4 dessins figuratifs avec lavis de couleur, papier jaune (37,7 x 22 cm), papier bleu (38 x 22,4 cm), 4 feuilles vierges (40 x 31,5 cm), une chemise marquée « no 346 François Hubert Jean Louis Martin » (26 x 19 cm), papier ;
• Trois papiers ayant protégé le bureau du faussaire, papier, 53 x 34 cm, 34 x 28 cm et 41 x 33 cm 
• Fragments de papiers et de pierres.
 

La création de billets, dont la valeur est assignée sur les biens du clergé devenus biens nationaux, est une véritable aubaine pour les faussaires en tout genre. En effet, la facilité pour imiter cette monnaie multiplie l’éclosion d’imprimeries clandestines rudimentaires. L’émission de ces billets, dont la plupart sont des faux assez grossiers et facilement reconnaissables, éveille l’attention des autorités. Le 27 février 1792, l’Assemblée publie une loi qui autorise tout officier de police de sûreté à procéder à des saisies d’instruments servant à la fabrication de ces faux.

Avant de traduire en justice les prévenus de fabrication, de distribution ou d’introduction de faux assignats, l’accusateur public envoie au vérificateur général tous les assignats saisis comme faux, et au greffe du tribunal criminel les instruments et outils ayant servi à leur fabrication. Si les planches à graver, matrices ou poinçons ne nous sont pas parvenus, nous trouvons en revanche de grossiers tampons en bois, des gouges, et divers papiers servant de modèles, de calques ou d’épreuves. Plus curieux sont les ustensiles en verre ou en faïence, ainsi que des outils dont l’utilité demeure indéterminée.

Arrêté le 9 août 1791 par le commissaire de police de la rue des Mathurins, comme porteur de faux congés militaires et de tampons intitulés « La Loi et le Roi », ou aux armes de France, François Delamarre est mis en détention. Le Code pénal prévoit des peines sévères contre ce délit, mais l’accusé affirme avoir le droit de faire de pareilles impressions à titre privé. On demande l’expertise du ministère de la Guerre qui ne tarde pas. La seule impression de documents militaires, en blanc, n’est vraisemblablement pas punissable. Pour caractériser le faux, qui concerne ici l’impression de documents de congés militaires, il convient que ces documents soient signés ; l’imitation de la signature serait donc l’élément qui permettrait la caractérisation de l’infraction. Or, sur le document saisi, aucune signature n’est portée ; en l’absence d’élément matériel, M. Delamarre est donc acquitté le 28 avril 1792.

Cette affaire est au départ un simple crime crapuleux ; une machination impliquant des individus rescapés des massacres de Septembre, élaborée pour piller le Garde-Meuble, place de la Révolution. Dans la nuit du 11 septembre 1792, les uns escaladent la colonnade, les autres, déguisés en gardes nationaux, font le guet. Impunément, au cours de quatre nuits, ils récidivent, et écoulent les bijoux dès l’aube. L’un des faux gardes, Cottet, mercier en faillite et pilleur des Tuileries, est arrêté alors qu’il cherchait à vendre sa part. Pour se dégager de sa responsabilité, le ministre Roland charge les royalistes. Le Tribunal du 17 août est alors saisi, l’affaire s’ébruite et cause des troubles à l’ordre public. Pour condamner à mort les voleurs, on les accuse de complot avec les ennemis coalisés : le vol, même avec les circonstances aggravantes prévues par le Code pénal de 1791, est généralement puni par de l’emprisonnement ou du travail forcé. Sur le document présenté, nous lisons que « Cottet, jugeant à propos de se faire un plan particulier de défense, qui le mis à l’abri des peines de la loi, avait imaginé de se faire une mission intermédiaire entre un détenteur de diamants et lui, afin de ne paraître qu’un agent dévoué aux intérêts de la nation pour lui faire retrouver les objets du vol du garde-meuble ». Pour autant, il sera lui aussi exécuté.