5. Faites entrer les accusés !

Plan du chapitre

La délinquance à laquelle se consacre la justice criminelle parisienne provisoire présente une parfaite continuité avec celle de l’Ancien Régime : la sociologie des accusés est strictement identique. À la suite de la suppression des juridictions et du vaste mouvement migratoire que cela a entraîné, il y a certes un peu plus de gratte-papiers, de saute-ruisseaux ou de domestiques qui ont perdu leur place. La délinquance profite sans doute des carences policières et des désordres ; de fait, toutes les infractions ne sont pas portées devant les tribunaux criminels. Cependant, auteurs, actes et victimes restent les mêmes. Cette délinquance concerne indifféremment hommes et femmes, avec néanmoins une répartition sexuée des offenses. Si les premiers sont plus nombreux et instiguent l’offense principale, les secondes servent souvent d’auxiliaires : complices ou receleuses. Les prévenus appartiennent à ce que l’on appelle le petit peuple : métiers urbains et classes modestes. Peu sont des marginaux, habitués de la rue. Eux commettent le plus souvent des infractions mineures, sans circonstances aggravantes, relevant de la police municipale ou de la justice correctionnelle. Majoritairement, les délinquants opèrent seuls, sans préméditation relevée, quand l’occasion se présente – délit d’opportunité –, ou en petits groupes. Souvent, lorsque l’objet du larcin est de valeur, le voleur implique d’autres complices : receleurs, revendeurs. Les faussaires, quant à eux, mettent en place tout un réseau y compris dans les prisons ! Seul le Vol du Garde-Meuble en 1792, spectaculaire à tous points de vue, rassemble une quarantaine de comparses ; il reste une exception à la délinquance habituellement observée et jugée.

Au voleur !

Ce livre de police, paraphé par le commissaire du quartier, appartient à Simon Couder, fripier rue de la Juiverie. Il y inscrit les effets, hardes, chiffons et autres marchandises qu’il achète auprès des particuliers. Les inscriptions, faites par ordre chronologique, donnent la date de chaque achat, la description précise des objets, les noms et adresses des vendeurs et acheteurs, ainsi que le montant des prix d’achat et de vente convenus. Les dossiers de procédure regorgent de cas de marchands fripiers arrêtés en flagrant délit de vols d’effets et, le plus souvent, condamnés à de courtes peines de fers.

Interrogé sur les raisons du vol d’un panier de poires d’une valeur de six livres, Jacques Chambert, journalier, répond « … quand un homme est sans ouvrage il fait ce qu’il peut pour gagner sa vie… ». Faute de chiffres précis, nous ignorons le nombre d’indigents, de gagne-deniers et de journaliers présents dans la capitale. Arrivés depuis peu à Paris, ces provinciaux, pour la plupart, s’approprient tant bien que mal l’espace transformé et hétérogène d’une ville de Paris post-Révolution ; ils sont alors contraints à de menus larcins pour survivre. Après cinq mois en détention, Jacques Chambert est jugé puis acquitté le 19 avril 1791 par le 1er tribunal criminel provisoire.

Pièces à conviction

À côté des dossiers de procédure, quelques objets anonymes saisis sont conservés. Ces objets, déposés au greffe des tribunaux, loin de n’être que de simples pièces à conviction, permettent, par leur intérêt plastique (dessin aquarellé), ou leur valeur utilitaire (étui à lunettes, nécessaire à couture), de situer les différentes activités individuelles ou collectives de cette époque (livre de comptes de dépenses par exemple). Ils ont servi à la preuve d’un crime ou d’un délit mais, faute d’une identification précise, n’ont pas pu être rattachés aux affaires instruites. Ils demeurent cependant de solides indicateurs d’une vie quotidienne où s’imbriquent l’affectif et le social.

Les pièces suivantes dans le sens de l’exposition, et ici rassemblées, donnent à la vie quotidienne parisienne une connotation cultuelle, politique ou culturelle. On y trouve un chapelet et un livre d’oraison de très petit format, qui se placent naturellement au fond d’une poche, et témoignent d’une dévotion aussi simple que profonde dans une société majoritairement catholique. Calendriers et livres de prières en hébreu et judéo-allemand laissent entrevoir dans la capitale une petite communauté juive. Un ouvrage de spiritualité en allemand gothique ou grammaire, et vocabulaire anglais, révèlent, eux, un aspect cosmopolite.

L’objet présenté à gauche, une cocarde tricolore accompagnée d’une chanson légère, fait partie du registre populaire.