1. Les camps au nord de Saint-Laurent

Plan du chapitre

Le Camp Saint-Pierre (1860-1906)

Un centre de libérés concessionnaires (1860-1891)

Saint-Pierre est un centre de concessionnaires établi en 1860. Dans sa logique de ségrégation des différentes catégories pénales, l’administration pénitentiaire décide de créer à Saint-Pierre, un centre spécialement dédié « aux libérés astreints à la résidence perpétuelle » qui, le plus souvent, arrivaient « à leur libération sans avoir rien préparé en vue de cette nouvelle situation » et « restaient à la charge de l’État qui les employait, mais cela était onéreux pour le budget et sans profit pour l’œuvre ». Il fallait pouvoir « forcer ces hommes à se fixer définitivement dans la terre d’exil, devenue leur nouvelle patrie, » en leurs octroyant des concessions, sur le modèle du centre de Saint-Laurent. Ces libérés ne pouvaient être installés à Saint-Laurent même dont ils étaient exclus par une décision du ministre des Colonies. Un centre spécifique, le village de Saint-Pierre, fut ainsi fondé.

La Maison de force et de correction de Saint-Pierre (1891-1906)

Le 24 octobre 1889, le directeur de l’administration pénitentiaire décide par décret que tous les libérés condamnés en Guyane à l’emprisonnement ou à la réclusion seront internés au Maroni. Un arrêté du 17 mars 1891 désigne ainsi Saint-Pierre comme « maison de force pour l’internement des libérés ayant à subir des peines de plus de deux mois de prison prononcées dans la colonie ou dont ils ont été frappés antérieurement à leur condamnation aux travaux forcés » et qui en détermine le fonctionnement. L’arrêté est appliqué tel quel, sans la validation réglementaire du Ministère des Colonies qui a demandé des révisions au texte. C’est ainsi que l’administration pénitentiaire reconvertit dans l’illégalité ce centre laissé à l’abandon. Les inspections sont unanimes à dénoncer cette « caricature de prison », où les condamnés sont libres de jour comme de nuit, habitent des cases ou paillottes ne fermant pas », faute d’intervention du service des travaux, trop occupé alors à la reconstruction de Saint-Laurent pour ériger, à Saint-Pierre, des locaux adaptés. Un seul surveillant, aidé de deux porte-clés (c’est-à-dire des transportés en cours de peine auxiliaires de l’administration pénitentiaire) est chargé de la garde de 10 à 20 condamnés, de la tenue du livre d’écrou et de la cambuse du poste. Dans ces conditions, il n’est pas rare de retrouver les condamnés « vagabonder à Saint-Laurent ou dans les concessions de Saint-Maurice, quand ils ne se rendent pas coupables de plus graves méfaits ».

Le Camp des Malgaches (1909 - vers 1946)

Les travaux d’assainissement de Saint-Laurent (1909 - vers 1914)

La question de l’assainissement des environs de Saint-Laurent est posée en 1899 lorsque le Ministère des Colonies décide « l’évacuation du pénitencier-dépôt de Cayenne et sa concentration au Maroni ». Une dépêche ministérielle du 31 janvier 1899 ordonne ainsi « d’entreprendre sans retard l’assainissement du centre de Saint-Laurent où allaient être centralisés tous les services de l’administration pénitentiaire ». Les proches abords de la ville, et en particulier la zone de près de 260 hectares qui s’étend en aval le long du Maroni, du cimetière à la briqueterie, sont encore constitués de savanes et forêts noyées, dont les terres basses et vaseuses véhiculent fièvres et paludisme.

Un chantier forestier et un centre agricole (vers 1914 - vers 1946)

Les premiers essais d’exploitations forestière et agricole autour du Camp des Malgaches commencent avant même la fin des grands travaux d’assainissement. Dès 1911, quelques hommes sont ainsi affectés à la préparation de charbon, tandis que les premières mises en culture se préparent. Avant la Première Guerre mondiale, on déboise si bien qu’en lieu et place de marécages, une vaste savane est aménagée, prête à accueillir de riches cultures et troupeaux, entre le cimetière de Saint-Laurent et le Camp des Malgaches. Mais pendant la guerre, les convois de transportés sont interrompus et la main-d’œuvre n’est plus renouvelée. Les canalisations ne sont plus entretenues et la savane laissée en friche redevient un marécage. Le camp lui-même dépérit et, en 1918, il ne compte plus que 56 condamnés. Après la guerre, le Camp des Malgaches est repris en main.

Le Camp Lorrain (1922-1939)

De l’avis même du directeur de l’administration pénitentiaire de l’époque, la création du Camp Lorrain est une abbération, symptomatique des nombreux « essais mal étudiés » et souvent « vite abandonnés » qui jalonnent l’histoire du développement du territoire pénitentiaire. Le camp est fondé en 1922 sous les ordres de M. Tell, alors commandant-supérieur par intérim du pénitencier de Saint-Laurent. Il en prend la décision seul, en toute irrégularité « car de pareils travaux doivent être entrepris seulement après inscription de crédits au plan de campagne et après approbation par le département », et surtout, contre tout bon sens vu la proximité du Camp des Malgaches : « L’A.P. n’a pas assez de main-d’œuvre dans ses camps déjà organisés, à fortiori ne doit-elle pas gaspiller ses efforts dans des innovations coûteuses qui entrainent toujours des pertes de main-d’œuvre par décès et maladie. […] Le Camp Lorrain ne s’explique pas. Les Malgaches suffisent à assurer l’exploitation forestière ».
Le Camp Lorrain n’était d’ailleurs pas le seul projet porté par M. Tell.

Sainte-Marguerite (vers 1860 - vers 1915)

Un chantier forestier (vers 1860 - vers 1880)

Le camp de Sainte-Marguerite est créé vers 1860, dans la même dynamique qui voit naitre Saint-Louis, Saint-Pierre, Saint-Maurice, Sainte-Anne ou Saint-Jean, « au point de la route projetée de Saint-Laurent à Cayenne [où] l’embranchement sur Mana traversera la Crique Maïpouri [Margot] ». Le gouverneur Hennique veut alors en faire « la tête des concessions agricoles qui devront border cette route dans l’avenir ». Dans les faits, Sainte-Marguerite va demeurer un chantier forestier, initialement « destiné [...] à se déplacer à mesure que le travail d’abattage pénètre dans l’intérieur des forêts ». Sainte-Marguerite est maintenu jusque dans le courant des années 1870, mais est vraisemblablement évacué peu avant 1880, en même temps que beaucoup d’autres camps.
Le chantier est exploité par des transportés en cours de peine, au nombre de 102 en 1865. Des radeaux maintenus par des flotteurs en tôle dirigent le bois vers Saint-Laurent où ils sont utilisés aux constructions de la ville et par la Marine. Le camp abrite également une carrière « d’où l’on extrait des roches que l’on taille sur place en dalles pour être expédiées au chef-lieu » et une briqueterie.

Godebert (1909 - 1938)

Un chantier forestier (vers 1860 - vers 1880)

La finalisation de la voie ferrée Saint-Laurent - Charvein (1909-1912).
En 1909, il est toujours impossible de relier Saint-Laurent à Charvein par voie de terre, mais, bien que longs et laborieux, les travaux sont en cours. En 1898-1899, déjà, des travaux ont été entrepris pour tracer une ébauche de route longeant la Crique Margot, sur les vestiges de l’ancien réseau qui reliait les centres de concessions de la deuxième moitié du XIXe siècle. De même, entre 1899 et 1903, une portion de voie ferrée a été mise en place entre Charvein et le Nouveau-Chantier. C’est pour finaliser la section de voie ferrée devant relier le Nouveau-Chantier à la Crique Margot que sont installés, « en juillet 1909, quelques hommes sur un […] campement provisoire [qui] reçut le nom de Godebert, en mémoire du premier directeur de l’administration pénitentiaire en Guyane ».

En concession à la Société Forestière de la Guyane Française (1920-1930)

À la fin de la Première Guerre mondiale, la métropole affiche des besoins en bois estimés à près de 8 000 000 m3 pour la reconstruction des régions dévastées par la guerre. L’utilisation des bois des colonies devient ainsi une nécessité pour la métropole, et une mission de prospection, menée par le commandant Bertin, inspecteur des Eaux et Forêts, est envoyée par les Ministères de la Guerre, de l’Armement et des Colonies en Guyane française. Il visite les forêts du domaine pénitentiaire et y confirme les conclusions des rapports internes antérieurs, et celles de la mission d’Inspection de 1917-1918 quant au potentiel de la région de Godebert en matière d’exploitation forestière.

La S.F.G.F. s’installe à Godebert en septembre 1920. Très vite, elle organise l’exploitation, entre la concession forestière de Godebert et ses installations industrielles, basées à Saint-Laurent grâce au chemin de fer Saint-Laurent - Charvein. La S.F.G.F. va ainsi rapidement s’attacher à « réparer entièrement la voie construite par l’administration pénitentiaire, en ballast, soutènement, tranchées, ponts, voie, aiguilles, etc. », tout en fournissant « les matériaux et le matériel nécessaires ». La voie est « prolongée et modifiée pour la rendre plus praticable [et les] locomotives qui y circulaient péniblement et sur une partie seulement, circulent [bientôt] sur toute la longueur ». L’exploitation ne se fait pas aux abords immédiats du camp, déjà dégarnis des meilleurs produits par l’administration pénitentiaire, mais au nord-est de Godebert, en bordure de la frontière est du territoire pénitentiaire, tout au bout d’une portion de voie ferrée construite par la Société elle-même. Elle finit même par y installer un camp permanent, référencé sur un plan de 1930 sous le nom de « Nouveau chantier en construction ».

À côté des condamnés en cession à la S.F.G.F., Godebert compte également un contingent de condamnés affectés au service du camp. En 1924, ils sont ainsi 91, soit autant que l’effectif affecté à la S.F.G.F., occupés essentiellement aux cultures, à une petite exploitation forestière et à divers travaux, dont le fonctionnement de la tannerie de l’administration pénitentiaire fondée par le surveillant-chef Wachenheim. Dans les faits, le rendement des cultures confinées à quelques hectares de manioc, de patates et de bananes à cause de l’invasion de la brousse sur les terres « jadis débroussaillées autour du camp » est médiocre. L’exploitation forestière ne produit que quelques stères de bois et la tannerie ne produit « pas une peau par semaine ». L’administration pénitentiaire renonce finalement à toute exploitation à Godebert, pour ne plus y assurer que les corvées strictement nécessaires et laisser tout l’effectif du camp à la S.F.G.F. En 1929, le service général du camp ne compte ainsi plus que 8 condamnés.

Un camp disciplinaire (1931-1938)

Après l’évacuation des incorrigibles de Charvein, en 1925, ces derniers furent affectés aux Iles du Salut, à Saint-Joseph. Là, « la mission d’inspection de 1929 avait signalé l’oisiveté à peu près complète dans laquelle vivaient les condamnés ». Décision est ainsi prise, par dépêche ministérielle n°417 du 19 septembre 1930, de procéder au « transfert sur le continent des condamnés à l’emprisonnement et des forçats incorrigibles » où ils pourraient être employés « à des travaux d’hygiène, d’assainissement et de production dont la composition est rendue souvent très difficile ». Des arrêtés du 6 janvier 1931 affectent finalement les incorrigibles et les condamnés à l’emprisonnement au camp de Godebert, rétrocédé à l’administration pénitentiaire par la S.F.G.F., et fixent les conditions d’exécution de la peine.

Contrairement à son voisin Charvein, une dizaine d’années plus tôt, le camp disciplinaire de Godebert doit cependant plus cette réputation de « Camp de la Mort » à son insalubrité qu’à la rigueur du travail et à une discipline excessive. Pour le reste, le tableau donne une idée sans doute faussée de ce que pouvaient être les « Incos » de Godebert. Il ne semble ainsi pas qu’il y ait eu, abstraction faite des condamnés du service intérieur du camp, plus de quelques dizaines d’incorrigibles affectés à Godebert. Peu après la fondation du camp disciplinaire, en 1932, le camp ne compte que 97 hommes. En 1938, il n’y a plus que 59 condamnés à Godebert, camp libre compris.

Le Nouveau-Chantier (vers 1870 - vers 1915)

Un camp forestier (vers 1870 - vers 1899)

Dans le courant des années 1870, alors que la population pénale voit ses effectifs fondre suite à l’arrêt des convois de transportés européens vers la Guyane, au Maroni, l’activité est au plus bas. De nombreux camps ferment. Les exploitations forestières insalubres du Haut-Maroni sont ainsi évacuées alors que celle de Sainte-Marguerite est progressivement abandonnée. L’administration pénitentiaire a cependant toujours besoin de bois et décide de la fondation d’un nouveau chantier forestier, le Nouveau-Chantier, dans une région du Bas-Maroni relativement proche de Saint-Laurent et aux ressources forestières encore intactes.

Un centre agricole (vers 1899 - vers 1904)

Le 18 janvier 1897, alors que la raréfaction des ressources forestières aux alentours du Nouveau-Chantier rend de plus en plus pressante la question du devenir du camp, le Ministère des Colonies adresse au gouverneur de Guyane une dépêche appelant l’administration pénitentiaire à substituer, par l’exploitation agricole du domaine pénitentiaire, les produits du pays aux denrées importées à grands frais de métropole. Comme à Kourou ou sur les camps du Haut-Maroni, cette impulsion nouvelle entraine la mutation progressive du Nouveau-Chantier en centre agricole.
Les débuts sont prometteurs.

Les travaux de construction de la route Saint-Laurent - Charvein (1905 - vers 1909)

Depuis la création du Nouveau-Chantier, le paysage du Bas-Maroni a considérablement évolué. De nouveaux camps, Charvein, le Nouveau-Camp, Godebert, ont été implantés, et, au fur et à mesure des besoins de l’exploitation forestière, un réseau anarchique de routes et de sentiers plus ou moins praticables se met en place. En 1899, un projet de route est initié. La portion de route reliant le Nouveau-Chantier à Charvein est une des premières à voir le jour. La construction est menée exclusivement par la main-d’œuvre des incorrigibles de Charvein, à partir de ce camp et elle est achevée en mars 1903.
Mais aucune voie ne permet encore d’assurer la jonction jusqu’à Saint-Laurent.

L’exploitation du balata (vers 1910 - vers 1915)

Le Nouveau-Chantier est un des tous premiers terrains du domaine pénitentiaire où la gomme de balata fut exploitée. À la fin des années 1890, l’administration pénitentiaire expérimente ainsi la récolte de cette nouvelle ressource dans les forêts séparant le Nouveau-Chantier de Charvein. Les réserves épuisées, des plantations de caoutchoutiers sont expérimentées autour du Nouveau-Chantier, mais sans grand succès.
En 1911, alors que les balatas de Coswine, à leur tour saignés à l’excès, sont laissés au repos, « l’existence d’arbres à latex [est] signalée à une distance de 10 km environ du [Nouveau-Chantier] », et « on [procède] à des prospections et à l’ouverture de chemins ». En 1912, les 28 hommes du camp sont presque tous employés à la récolte du latex qui s’effectue déjà à plus de 5 km.

Nouveau-Camp de la Transportation (1899 - 1946)

Un chantier forestier (1899 - vers 1912)

À la fin des années 1890, l’administration pénitentiaire cherche à organiser l’exploitation forestière de la région comprise entre le Nouveau-Chantier et Charvein. Après de nombreuses années d’exploitation, les ressources se sont épuisées aux environs immédiats des camps et il faut aller chercher le bois de plus en plus loin. De plus, tout le bois abattu est évacué par un seul et même débarcadère, le dégrad Joucla, situé entre les deux camps, au « point extrême jusqu’auquel les chaloupes à vapeur et les chalands peuvent remonter la Crique Charvein sans avoir à tenir compte des heures de marée ». Décision est ainsi prise, en 1899, d’initier des travaux, « réservés exclusivement à la main d’œuvre des incorrigibles », pour relier « Charvein au Nouveau-Chantier » par une voie Decauville. Un embranchement doit mener à Joucla. Le Nouveau-Camp est immédiatement établi à proximité de l’embranchement projeté. Les travaux Charvein - Joucla sont achevés en septembre 1902 et ceux de la section Charvein - Nouveau-Chantier en mars 1903.

Un centre agricole (vers 1912 - vers 1920)

Dès la fondation du Nouveau-Camp, l’administration pénitentiaire se prépare, en marge de l’exploitation forestière, à une probable reconversion du camp en centre agricole. En 1901, des arbres fruitiers sont ainsi « plantés au fur et à mesure du débroussage ».
Avec l’arrivée du surveillant-chef Bourgeois au commandement du Nouveau-Camp, les cultures s’organisent un peu plus. L’exploitation forestière reste l’activité principale du camp, mais « des tentatives très intéressantes [de] cultures alimentaires, poursuivies avec méthode et intelligence » sont menées en parallèle. La production en « manioc, ignames, bacoves, patates, maïs, ananas et œufs » est essentiellement « consommée sur place (établissements de Charvein, du Nouveau-Camp et du Nouveau-Chantier), pour la ration des transportés », en remplacement des légumes secs réglementaires. D’année en année, les surfaces cultivées augmentent.

Un centre d’impotents (vers 1920 - 1946)

En même temps qu’elle préconise la poursuite et l’optimisation des cultures au Nouveau-Camp, la Mission d’Inspection de 1917-1918 demande la suppression du Camp des Hattes et l’envoi des infirmes et des impotents qui y étaient jusqu’alors regroupés « dans un pénitencier, à désigner, où ils formeraient une section spéciale ». C’est finalement le Nouveau-Camp qui est choisi, vraisemblablement vers 1920, pour devenir le nouveau centre pour impotents de la Transportation.
L’affectation au Nouveau-Camp se fait sur décision du service médical. Les médecins décident aussi du classement des impotents en plusieurs catégories en fonction de la nature et du degré de leur handicap. Sont ainsi regroupés au Nouveau-Camp les tuberculeux, les aveugles, les impotents sans travail, les travaux légers, les aptes à tous travaux, et les malades au repos.

Si « les hommes du Nouveau-Camp prétendent être dans une annexe de l’hôpital et, par ce fait, dispensés de tout travail », il n’en est rien. L’administration pénitentiaire attend un minimum de rendement. Même s’il est parfois dérisoire, la plupart des condamnés du Nouveau-Camp travaille. La nature des travaux effectuée par les condamnés dépend de leur classement.
Ceux qui sont classés aux impotents sans travail ne sont astreints à aucun travail et « passent leurs jours dans la plus complète oisiveté ». Le classement aux travaux légers astreint au tressage ou au débroussaillage et au nettoyage des chemins et des cases. C’est un travail « si léger qu’on peut l’affirmer presque inexistant ».

Charvein (1893 - vers 1946)

Un chantier forestier (1893-1896)

Le chantier Charvein est créé « à côté du Nouveau-Chantier en 1893 pour remplacer ce dernier qui a été épuisé » par 20 ans d’exploitation forestière. Le gouverneur alors en fonction en Guyane, M. le Commissaire général Charvein, visite « la nouvelle exploitation [et] le nom de ce haut fonctionnaire lui fût donné ainsi qu’à la crique qui y conduit ». Un effectif d’une quarantaine d’hommes est tout d’abord affecté à la mise en place des installations du camp et à un début d’exploitation forestière, consistant notamment « à abattre du bois de chauffage, à fabriquer du charbon, à confectionner des bardeaux ».

Le camp disciplinaire des incorrigibles (1896-1925)

La création des quartiers disciplinaires de la Transportation

La création et l’organisation de quartiers disciplinaires à la Transportation avaient été prescrites par un décret du 4 septembre 1891. Les incorrigibles de la Transportation sont initialement affectés au camp de l’Orapu, mais, à la suite « des scènes sauvages dont [il] fut le théâtre en 1896 », ce dernier dû être évacué. Le 5 septembre 1896, un arrêté du gouverneur prescrit alors « l’organisation au chantier Charvein, sur le territoire du Maroni, d’un camp spécial pour l’internement des transportés incorrigibles », où, l’espère-t-on, « le régime, moins abandonné à la fantaisie d’agents subalternes serait autant que possible administrativement défini ».

La construction de la voie Charvein - Nouveau-Chantier

Au moment de la création du quartier disciplinaire, Charvein est essentiellement tourné vers les cultures alimentaires qui comprennent « plusieurs espèces de légumineuses, pois divers, patates, manioc, bananes ». L’exploitation forestière est en passe d’être abandonnée du fait de l’éloignement « des bois utilisables », mais une certaine production demeure. En 1899, en plus du service intérieur du quartier disciplinaire, Les 90 condamnés du camp libre, principalement, assurent également cultures et exploitation forestière. Après avoir été « employés à l’intérieur des quartiers à des travaux de vannerie et chapellerie en paille », les 184 incorrigibles « sont employés à l’exploitation des jardins » et à des travaux divers tels que « l’édification d’une case neuve dans l’intérieur du camp disciplinaire ».

La reprise de l’exploitation forestière

La voie ferrée ouvre à Charvein de nouvelles facilités pour l’exploitation forestière. Celle-ci reprend progressivement de l’importance et s’organise autour de chemins de halages rayonnant depuis la voie et permettent d’exploiter des secteurs de plus en plus éloignés. En 1904, quelques incorrigibles sont simplement « utilisés pour débiter le bois », mais les années suivantes, les taches sont réparties entre condamnés disciplinaires et ordinaires : « les condamnés du camp libre sont employés en plusieurs équipes (chercheurs de bois, abatteurs, équarrisseurs) à l’exploitation forestière. Au contraire, les incorrigibles, réunis en une seule corvée, sont spécialement chargés du halage des bois de la forêt au dégrad ».

Les excès de la discipline et la fermeture du quartier des incorrigibles

Dans les années 1920, en parallèle de sa transformation en centre agricole, Charvein est confronté à une autre mutation : la remise en cause du système de répression des incorrigibles et de son extrême rigueur, d’abord dénoncé par de nombreux rapports internes avant de devenir l’objet de plusieurs témoignages diffusés auprès du grand public métropolitain.
Bien que « plus ou moins accentués suivant la manière dont le camp est dirigé et surtout suivant l’état d’esprit du commandant-supérieur, président de la commissions disciplinaire », cette rigueur et ces excès sont confirmés par les différents rapports d’inspection faites à Charvein qui reconnaissent eux-mêmes l’échec d’un système qui « ruine le moral de l’homme en même temps qu’il dégrade son organisme et le conduit presque invinciblement, à retomber dans ces mêmes fautes qu’il a pour but de corriger ». Plusieurs épisodes feront scandale auprès de la hiérarchie.

Un centre agricole (1926 - vers 1946)

Le quartier disciplinaire fermé et évacué, Charvein n’est pas supprimé pour autant. Le camp libre est maintenu et dès lors, « il n’y a plus à Charvein que des hommes de bonne conduite ». En 1929, ils sont toujours « 82 transportés, parmi lesquels un grand nombre d’Arabes », placés sous la garde du « surveillant de 1ère classe Battini, chef de camp », secondé de deux surveillants.
Reconverti en centre de cultures où on fait également « un peu d’élevage », Charvein ne deviendra jamais la grande colonie agricole qu’espéraient les autorités de l’administration pénitentiaire en 1924.

Loulette (1929 - vers 1945)

La création de Loulette, vers 1929, est motivée par les travaux de construction de la portion de la route coloniale n°1 qui doit relier Saint-Laurent à Mana. Une voie ferrée permet déjà, depuis Saint-Laurent, de rejoindre Charvein, mais la route Charvein - Mana est à achever. Il est ainsi décidé d’implanter à mi-distance, à « Louleth », à la frontière du territoire pénitentiaire, un camp de base pour les « condamnés, terrassiers et bûcherons », en charge de la construction de la route Mana. Au final, la voie ferrée est prolongée jusqu’à Loulette, tandis qu’au delà, une route prend le relai.
La route achevée, le poste, rattaché au camp de Charvein, est maintenu. Il est vraisemblablement affecté à l’entretien de la route Saint-Laurent - Mana, en même temps qu’il fait office de relai télégraphique et téléphonique et qu’un peu de bétail y est installé. Toujours représenté sur un plan du territoire pénitentiaire en date de 1946, Loulette semble avoir été évacué assez tardivement.

Le Camp de la Crique Jacques (1922 - 1926)

Les travaux de la route Charvein - Mana (1923-1926)

Le Camp de la Crique Jacques est créé pour les besoins des travaux de la route Charvein - Mana, dernier tronçon à construire de la route devant relier Saint-Laurent à Mana. La création du camp, la conception et la réalisation du projet de route sont toutes placées sous le commandement du surveillant-principal Wachenheim, dans une demi-illégalité, « sans ordre écrit du gouverneur ou du directeur de l’administration pénitentiaire [et] sans étude préalable, malgré les lourds problèmes techniques que pose la nature marécageuse des terrains ». Les premières implantations datent de 1922, mais, en juin 1923, une corvée de 120 hommes est toujours affectée à l’installation du camp. Il ouvre officiellement le 17 août suivant et accueille dès lors un effectif de 50 à 80 hommes, encadré de deux surveillants. Très vite, les résultats se ressentent du manque de préparation du projet.

Les Hattes (1858 - vers 1953)

Premiers essais d’élevage dépendants du pénitencier de Saint-Laurent (1858-1861)

À la fin des années 1850, le devenir des ménageries qui s’égrènent tout au long du littoral guyanais entre l’Approuague et Organabo, inquiète les autorités locales. Essentiellement tenues par des Européens, « venus pour la colonisation avortée de Mana », ou des « soldats congédiés, travaillant sans l’auxiliaire d’esclaves », les ménageries ne comptent plus, en 1855, que 5 200 têtes de bétail, là où elles en comptaient près de 14 000 en 1846. L’Administration prend ainsi la décision, « d’assimiler la Transportation à l’industrie hattière », en permettant, par exemple, le 15 décembre 1859, « à 14 hattiers de confier leurs ménageries, comptant ensemble 1 050 têtes, à des transportés choisis et intelligents en la matière ». Mais le gouverneur, conscient de la « démoralisation » générale des hattiers, qui « n’ont pas le désir de persévérer même avec l’aide que leur donne l’administration en mettant les transportés à leur disposition », fait le choix de développer des ménageries pénitentiaires, directement entretenues par l’administration pénitentiaire, notamment dans les savanes encore peu colonisées des quartiers sous le vent, à l’ouest de la Guyane, entre Organabo et le Maroni.

Notre-Dame-de-la-Pointe, centre pour transportés repris de justice (1861-1868)

En 1861, l’état sanitaire des Hattes est toujours des plus satisfaisants et le dessèchement des savanes donnent de bons résultats. Dans le même temps, l’échec des pénitenciers de l’est guyanais est consommé. L’insalubre camp de la Montagne d’Argent, notamment, évacue les transportés de la 3e catégorie, qui, dans la logique hygiéniste de l’époque, y avaient été regroupés de peur que leur mauvaise influence ne contamine les autres types de condamnés. Aux yeux des autorités, ces transportés comptent effectivement parmi les plus difficiles : « Ces hommes, de beaucoup plus mauvais que ceux de la 1ère catégorie disent eux-mêmes qu’accoutumés dès l’enfance à l’oisiveté, ils sont aujourd’hui incapables de tout travail, et j’ajouterai que corrompus autant au physique qu’au moral, ils ne me donnent qu’un faible espoir d’en rien faire, quelque avantage que le travail puisse leur offrir ».

L’élevage abandonné, une briqueterie est maintenue (1868-1870)

Jamais, au final l’administration pénitentiaire ne se donnera le temps de vérifier le potentiel des installations et des importants aménagements qu’elle a réalisé aux Hattes. En effet, lorsque la métropole décide de la suspension en 1867 des convois de transportés européens vers la Guyane, l’établissement de la Pointe Française, « créé au Maroni pour l’élève du bétail [sans justifier] les espérances de l’administration », malgré « l’expérience poursuivie depuis 4 ans sans succès », compte parmi ceux que sacrifie l’administration pénitentiaire : « En vue de réaliser les économies dont m’entretient Vôtre Excellence, par sa dépêche du 7 mai, n°242, en raison de la diminution progressive de la Transportation, j’ai l’honneur de lui proposer la suppression […] des Hattes ».

L’hospice de la Transportation (vers 1895-vers 1918)

Dans le courant des années 1890, l’administration pénitentiaire décide de faire des Hattes le lieu de séjour de tous « les transportés en cours de peine convalescents, impotents ou incurables, ainsi que [des] libérés âgés, infirmes ou incapables de subvenir à leur entretien ». Une deuxième grande phase d’occupation du camp s’ouvre.
Aucun document ne mentionne la date exacte de la création de cet hospice de la Transportation. La présence d’impotents aux Hattes est citée de manière explicite, pour la première fois, en 1899, mais elle est vraisemblablement déjà effective en 1896. En effet, à cette date, une quarantaine d’hommes est « affectée exclusivement à la confection de chapeaux de paille et de balais, au fonçage de chaises et à la récolte de la paille d’awara », corvées usuellement réservées aux condamnés physiquement diminués. Quoi qu’il en soit, dès lors, les effectifs explosent. Valides et impotents combinés, il y a déjà 86 hommes en 1896 et jusqu’à 269 en 1904, pour un effectif moyen d’environ 200 condamnés.

La proportion de condamnés valides maintenus aux Hattes est peu documentée. Elle semble cependant décroître progressivement, au fur et à mesure de la mutation en hospice et de la diminution générale de l’activité du camp. En 1899, sur un effectif total de 219 condamnés, ils sont environ 100 hommes valides là où, en 1917, ils ne sont plus que 17 valides sur un total de 108 hommes.
Les condamnés valides assurent principalement le service intérieur du camp. Au début des années 1900, face au délabrement d’installations vieilles de près de quarante ans, les condamnés valides sont affectés à la rénovation du camp. Utilisant les matériaux produits sur place et n’hésitant pas à mobiliser une partie des convalescents et des impotents, le chef du camp, M. Carrier, ancien sous-officier du génie, entreprend, en marge des prévisions du plan de campagne, des travaux urgents de démolition et de construction qui se poursuivent jusque vers 1907.

Un simple poste de surveillance (vers 1918-1925)

Si la mission d’Inspection de 1917-1918 entraîne effectivement l’évacuation des impotents des Hattes, désormais affectés au Nouveau-Camp de la Transportation, le camp n’est pas totalement évacué. Soucieux d’occuper l’embouchure du Maroni pour prévenir au mieux les évasions, le gouverneur demande le maintien, a minima, d’un poste de surveillance : « [Je milite] en faveur du maintien des Hattes - non des impotents - mais bien d’un poste de surveillant militaire dont la principale mission serait la surveillance du fleuve et du littoral, au point de vue des évasions. [Sinon], Les Hattes, en raison même de leur situation à l’embouchure du Maroni, deviendraient, à bref délai, le rendez-vous [des évadés] ». On laisse ainsi aux Hattes, « une vingtaine de vieux transportés hors de service sous la garde de deux surveillants », pour « signaler à Saint-Laurent les navires qui s’engagent dans le fleuve », et assurer « l’entretien du phare » et « la surveillance des barques ». La vaste plantation de cocotiers y marque toujours le paysage.

Coswine (1900-1918)

C’est pour faire suite aux nombreuses demandes émanant d’industriels de la métropole que le Ministère des Colonies active les prospections et les essais pour l’exploitation de la gomme de balata sur le territoire de l’administration pénitentiaire. Les premières prospections sont menées en 1898, autour des postes de Charvein et du Nouveau-Chantier, et permettent « de se rendre compte que ces arbres, quoique d’une essence inférieure à ceux du Brésil, produisaient cependant une gomme de qualité fort satisfaisante et dont le prix marchand ne s’élève pas à moins de 5 F le kg ». Face au faible rendement et à l’épuisement des balatas de la région Nouveau-Chantier - Charvein, de nouvelles prospections sont menées pour découvrir les régions du territoire pénitentiaire du Maroni les plus appropriées pour une exploitation régulière et raisonnée. C’est le bassin de la Coswine, où, par endroits, près de « 60 balatas par hectares ont été dénombrés », qui est désigné. En 1900, Coswine, est ainsi créé, spécialement pour l’exploitation du balata.

L’effectif du camp de Coswine, très variable, a compté de 10 à 55 personnes, d’origine « européenne, arabe et créole » et placé sous les ordres d’un à deux surveillants militaires. Les balatistes - rarement plus de 15 à 20 transportés - sont « sur les chantiers de 5h30 à 11h ». L’après-midi, « ils se reposent aux carbets ». Leur travail, effectué à la tâche, comprend prospection, préparation des chantiers, saignées, et conditionnement de la sève en plaques de latex. En plus des balatistes, une corvée de 10 à 15 hommes est affectée au service intérieur. Cette corvée minimaliste est également affectée « à la coupe de bois de chauffage, gaulettes, perches et piquets », et chargée de 5 hectares de cultures plantées en « cocotiers, bananiers, cramanioc et patates ». Elle inclue, en 1917, « 3 porte-clefs, 1 jardinier, 1 perruquier, 1 homme d’équipe, 1 cuisinier, 1 gardien de culture, 1 boulanger, 1 charbonnier, 1 canotier, 1 infirmier », pour douze balatistes et deux surveillants. Pendant les périodes d’interruption de l’exploitation, alors que les balatistes sont déplacés sur d’autres chantiers, l’administration pénitentiaire maintient cette corvée minimaliste pour l’entretien du camp, et surtout pour assurer une présence qui tienne « en respect les nombreux maraudeurs [susceptibles de saigner] les arbres à latex ».

Le Nouveau Camp Balata (vers 1901- vers 1912)

Le Nouveau Camp Balata est créé peu de temps après celui de Coswine, dans la même dynamique qui suit la découverte de ressources en latex sur le territoire pénitentiaire. Il s’y opère toutes les étapes de l’exploitation du balata, de la saignée au conditionnement de la gomme, dans des zones inondées du littoral où ces arbres sont particulièrement abondants. Si l’exploitation du balata aux Hattes débute dès 1901, les premières mentions explicites à un camp spécialement dédié à cette récolte datent de 1904. C’est entre 1904 et 1906, alors que les balatistes de Coswine sont temporairement déplacés au Nouveau Camp Balata que l’activité du camp est la plus forte.
L’inspecteur adjoint des colonies Demaret fait ainsi état, en 1904, d’un camp déjà bien établi qui compte une quarantaine d’hommes, dirigés par un surveillant.

Les chantiers de la ligne télégraphique Saint-Laurent - Les Hattes (1878 - vers 1920)

Construction de la ligne télégraphique (1878 - 1883)
Avant 1900, l’administration pénitentiaire n’investit les marécages qui séparent la Crique Coswine et la Crique Margot que pour y installer puis entretenir les 35 km de la ligne télégraphique Les Hattes - Saint-Laurent. Cette ligne est l’ultime tronçon des 353 km de ligne joignant Cayenne à Saint-Laurent, en passant par Mana, dont la construction, assurée par plusieurs camps de base répartis le long du Maroni, a commencé en 1878 et s’est achevée en 1883.

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