Évacuation totale (1926-1936)
Le camp des Hattes est en définitive totalement évacué de ses 17 condamnés et deux surveillants, sur instructions du Ministère des Colonies, le 21 décembre 19
25, en même temps que plusieurs autres camps, dont le Camp Lorrain et le Camp du Tigre. Plutôt que de démolir les bâtiments encore en état, le Ministère voudrait les rentabiliser et autorise la mise en adjudication du camp. Mais l’administration pénitentiaire cède difficilement ses terres aux intérêts privés. Elle avait déjà écarté la possibilité d’un affermage des Hattes, proposé par l’Inspection de 1917-1918, puis refusé une demande de concession de Jean Galmot, en 1919, qui voulait y installer une voie ferrée reliant Mana aux Hattes, un appontement, une gare et un dépôt de bois. En 1931, c’est Roger Wachenheim, fils d’un ancien surveillant militaire à présent installé colon, qui convoite les terres de la Pointe Française, pour « planter en cocotiers [et] construire une ou plusieurs bouveries ». Il essuie lui aussi un refus. L’administration pénitentiaire se réserve Les Hattes pour d’éventuels nouveaux projets d’élevage : « Je rappellerai que depuis le début de l’année 1930, un plan de campagne élaboré par le Département et tendant à la création d’une entreprise d’élevage par l’administration pénitentiaire est en voie de réalisation […]. Dans ces conditions, il serait absolument contraire à la politique suivie par le Département en matière de colonisation pénale et d’élevage pénitentiaire, de concéder une zone de 953 hectares riche en prairies naturelles, proche de Saint-Laurent et susceptible d’être ut ilisées d’ici quelques années ».
Ultime reprise de l’élevage avant la fin du bagne (1936-vers 1953)
Ce n’est qu’en 1936 que l’administration pénitentiaire se décide à rouvrir Les Hattes. En effet, les différentes tentatives faites depuis 1930 sur tout le territoire pénitentiaire - dans la région de Kourou, aux Malgaches et à Charvein notamment - dans le cadre d’un plan de campagne visant à redynamiser l’activité de culture et d’élevage pénitentiaire, offrent alors un résultat des plus mitigés, du fait notamment de la pauvreté des pâtures littorales. L’administration pénitentiaire espère, « en envoyant aux Hattes la moitié du troupeau de chaque camp, […] laisser une large marge de nourriture pour le restant [et ainsi] alléger considérablement les difficultés d’alimentation du cheptel bovin du Maroni ».
En février 1936, le directeur de l’administration pénitentiaire et le commandant du pénitencier de Saint-Laurent visitent le camp pour mesurer l’ampleur des travaux à accomplir pour assainir et reconstruire l’établissement, abandonné depuis près de 10 ans. Il faut pouvoir loger convenablement le contingent de 76 condamnés qui vient juste d’y être affecté. Une deuxième phase de travaux prévoit déjà « le drainage, l’assèchement et la construction des parcs », tandis que des « semis de tomates et de giraumons [ont] été faits ».
Les travaux d’installation finalisés, le camp compte en 1938, 3 surveillants pour un effectif de 56 condamnés, et regroupe, « depuis l’abandon de Pariacabo, […] la plus grande partie du troupeau de l’administration pénitentiaire » dans lequel les buffles prédominent désormais. Le troupeau des Hattes se compose, ainsi, fin 1937, d’un total de 174 porcs, 62 bovins et 253 bubalins.
Comme le reste du territoire pénitentiaire, le Camp des Hattes est durement affecté par les privations occasionnées par la Deuxième Guerre mondiale. Le troupeau ne se compose plus, en 1946, que de « de 55 bovins, 54 bubalins et 1 cheval ». Une corvée d’entretien y est alors encore hébergée pour, notamment, « assurer la surveillance [du troupeau], laissé en vagabondage dans la savane environnante ». Pour l’approvisionnement en viande, il faut désormais « chasser », les buffles, dont une partie est devenue quasiment sauvage.
À l’heure de la liquidation du bagne, en 1946, l’établissement de la Pointe Française est placé en première position dans la liste des établissements « dont la liquidation peut s’effectuer peu à peu dès à présent, […] après consommation ou vente du troupeau, le service local prenant à son compte le poste vigie jusqu’à la constitution du service maritime des Ponts-et-chaussée ». Jusqu’au début des années 1950, et les derniers rapatriements de condamnés vers la métropole, quelques libérés sont maintenus aux Hattes, pour assurer l’entretien du poste de vigie, au phare de Panato. La mémoire collective kali’na « a conservé le souvenir d’au moins deux anciens bagnards qui occupaient encore les lieux au début des années 1950 ».
Le départ de l’administration pénitentiaire et le retour des Kali’na (à partir de 1953)
Avec l’abandon relatif du camp des Hattes, à partir des années 1920, les Kali’na fréquentent périodiquement la Pointe Française. Aucun village n’est installé, mais des abattis commencent à être entretenus, sur le territoire de l’administration pénitentiaire, laquelle semble volontiers s’accommoder de ce voisinage. En 1938, le gouverneur rassure le ministre des Colonies : « Les habitants du village de la Pointe-Isère qui ont établi des abatis aux Hattes ne sont autres que quelques Indiens paisibles venus faire des plantations de manioc […] sur le Domaine pénitentiaire. Sans y être contraints par les services pénitentiaires, ces Indiens se replient, leurs récoltes terminées. Avant peu de temps, ils auront quitté le Domaine des Hattes parcouru par les troupeaux de l’Administration ».
Ce n’est qu’au début des années 1950 que « les villages de Pointe Isère et de Couachi sont abandonnés au profit d’Awala et des Hattes-Yalimapo » préfigurant les actuels bourgs, tandis que « deux autres groupements s’installent à la Pointe Panato et à Coswine ». Peu à peu, les carbets kali’na se mêlent aux anciennes installations de l’établissement pénitentiaire. D’abord rattachés à la commune de Mana, les villages d’Awala et de Yalimapo, sont constitués, en décembre 1988, en commune de plein exercice.