2. Les camps au sud de Saint-Laurent

Plan du chapitre

Saint-Maurice (vers 1863 – 1949)

Les Chantiers Riollet (vers 1860-1862)

Deux entrepreneurs privés, les frères Riollet, sont les premiers à s’installer sur la rive est de la Crique Balaté, à plusieurs kilomètres en amont de Saint-Louis, sur des terres données en concession par l’administration pénitentiaire et dont ils exploitent le bois. Leur installation semble suivre de peu la création de Saint-Louis, en 1859, puisque les premières mentions qui en sont faites remontent à février 1860.
Les termes de la convention qui lie les Riollet à l’administration pénitentiaire ne sont pas connus. Cette convention semble toutefois leurs assurer une importante cession de main-d’œuvre, prélevée sur l’effectif du camp de Saint-Louis. En 1861, le chantier est ainsi exploité « par un atelier de 60 transportés choisis [à Saint-Louis] parmi les hommes les plus robustes et méritant cette faveur ». L’effectif est même porté à 80 hommes en mai 1862. Les deux frères semblent toutefois évacuer les lieux peu de temps après, puisqu’en juillet de la même année, « les hommes employés par ces industriels [sont rendus à Saint-Louis] ». La rive est de la Crique Balaté est dès lors laissée libre à la colonisation pénale.

L’implantation de l’industrie de la canne au Maroni

L’administration pénitentiaire réorganise son territoire au profit de Saint-Maurice dans un but bien précis. Elle souhaite y développer l’industrie de la canne pour en faire le fer-de-lance de la colonisation pénale. Le coton et le café ayant déjà été cultivés sans grands résultats, le sucre parait être la denrée la plus sûre pour tirer le meilleur profit des concessions agricoles : « Les produits de cette culture trouveront un placement facile, soit auprès des services publics de la colonie, soit dans le commerce d’exportation ». L’administration pénitentiaire espère ainsi offrir des revenus suffisants à ses concessionnaires pour qu’ils puissent s’auto-suffire : « [La] production du sucre et du tafia [ouvrira] une ère nouvelle à la colonisation, en procurant aux concessionnaires des prix assez rémunérateurs pour que l’administration puisse […] cesser les sacrifices qu’elle s’impose, avec la certitude qu’elle ne livre pas les familles à la misère ». Elle attend, par la même occasion, économiser près de 60 000 francs annuels en remplaçant le vin par le tafia dans la ration des condamnés.

Vers l’autonomie financière de l’usine

L’usine créée, l’administration pénitentiaire travaille à la rendre à la fois tout à fait opérationnelle, mais aussi financièrement autonome. Il faut d’abord calibrer les capacités des installations aux quantités de cannes produites. La machine de Saint-Georges devenue insuffisante, une nouvelle machine est achetée à la Société Isnard frères, propriétaires de l’habitation La Jamaïque, sur l’Approuague. Elle est installée à Saint-Maurice en janvier 1871 « pour doubler la puissance de l’ancienne usine à sucre ». L’administration pénitentiaire continue ainsi d’acheter du matériel de seconde main, peu onéreux, plutôt que d’investir plus lourdement dans des machines neuves. L’ensemble, vétuste, connait de nombreuses avaries et les machines sont fréquemment remplacées.

L’usine, établissement autonome, en régie à l’administration pénitentiaire

Au 1er juin 1875, malgré de nouveaux « sérieux sacrifices pour mettre l’outillage en rapport avec les besoins de la production, […] l’usine [a] non seulement remboursé les avances faites par l’État, mais elle [a aussi] constitué un fonds de roulement de 100 000 francs ». Le 1er juillet, elle est « déclarée établissement libre, devant fonctionner à l’aide de ses propres ressources ».
La production continue d’augmenter et les champs de cannes occupent une surface toujours plus importante : « En 1879, les concessionnaires [entretiennent] 263 hectares plantés en cannes. Cette superficie comprend environ le tiers des terres cultivées au Maroni. Tout porte à croire que ce développement agricole ne s’arrêtera pas là, et que dans un avenir prochain, les concessionnaires mettront à la disposition de l’usine la récolte de 300 hectares plantés en cannes à sucre ». Ainsi, malgré une diminution sensible de l’effectif général des condamnés, celui des concessionnaires se maintient à peu près. En 1875, Saint-Maurice compte ainsi 377 concessionnaires.

Des premiers symptômes de l’échec à l’abandon des concessions (1880-1913)

Une usine mise en gestion à la commune pénitentiaire

En même temps qu’il érige Saint-Laurent en commune pénitentiaire, le décret du 16 mars 1880 lui confie la régie de l’usine de Saint-Maurice. L’administration espère ainsi donner à la commune les moyens d’assurer son rôle principal : aider à la colonisation pénale tout en procurant des moyens de subsistance aux concessionnaires. La commune administre l’usine. Elle bénéficie ainsi des produits de la vente du sucre et du tafia tandis que les frais d’entretien, de construction et d’exploitation sont à sa charge.
L’administration pénitentiaire et la commune sont dès lors censées être deux administrations distinctes, avec leurs budgets propres. Dans la réalité, elles sont si étroitement intriquées qu’il s’avère vite difficile d’imposer leur stricte indépendance.

Le découragement des concessionnaires

Les rapports d’inspection qui sont dressés à partir de la fin des années 1880 laissent peu à peu entrevoir les symptômes, de plus en plus affirmés, de l’échec des concessions et de l’industrie de la canne au Maroni.
Du point de vue comptable, le bilan est toujours des plus timides. Les produits de l’usine peinent à être vendus. Depuis 1894, la fabrication du sucre ayant cessé d’être rentable, l’usine ne produit plus que du tafia. L’administration pénitentiaire a d’ailleurs le plus grand mal à écouler ce dernier sur le marché métropolitain, et même à Cayenne. Les bénéfices des débuts se muent progressivement en déficit, estimé à 7 956 F en 1896. L’inspecteur explique ce chiffre, d’abord, par les avaries récurrentes des machines, mais surtout par une gestion et une administration peu scrupuleuses : « L’abus scandaleux des ouillages, l’admission trop facile des déclarations des pertes inexplicables, la surveillance imparfaite des magasins, la comptabilité trop vague des fabrications, la négligence apportée au recouvrement des recettes, le magasinage et l’ouillage gratuits des fûts vendus à certains fonctionnaires, tout cela explique, et très amplement, le déficit relativement minime qui est constaté aujourd’hui ».

Le décret de 1895 et l’abandon des concessions

Le décret de 1895 fixe, d’un côté, plus clairement les droits des concessionnaires et les obligations de l’administration pénitentiaire vis-à-vis d’eux, tandis que, de l’autre, il apporte de nouvelles contraintes permettant une sélection plus rigoureuse des colons tout en limitant les possibilités de reventes de terrains. Il marque un point de non-retour dans le dépérissement de la culture de la canne et des concessions rurales au Maroni. Inadapté aux réalités à laquelle l’administration pénitentiaire est confrontée et opposant les rigueurs des prescriptions disciplinaires du décret de 1891 aux exigences de la colonisation, le décret ne fait que rajouter de nouvelles contraintes, définitivement rédhibitoires, à des concessionnaires déjà démoralisés.
L’inspection de 1900 dresse un bilan des principaux dysfonctionnements observés.

Dans les concessions, les abattis remplacent les champs de cannes ; l’usine chôme

Avec l’abandon progressif des concessions, la production de cannes devient insuffisante pour alimenter l’usine, laissée à l’arrêt l’essentiel du temps : « depuis le 1er janvier 1908, l’usine n’a jamais fonctionné plus de quelques jours par mois pour le broyage des cannes (un jour seulement en mai, juillet et octobre 1908 et janvier 1909, néant en mars 1908) et plus de quatre jours par mois pour la distillation (un jour en mai et juillet 1908 et février 1909) ». Plus que jamais, la raison d’être de l’usine est philanthropique plutôt qu’économique. L’état du camp reflète l’inactivité de l’usine. Les locaux, anciens, mal entretenus et vermoulus lui valent une réputation d’insalubrité. Et pour cause, aucune rénovation majeure n’a été entreprise depuis leur construction, dans les années 1870-1880.

Une usine en sursis

Si l’embellie des années 1914 et 1915 s’accompagnait de productions exceptionnelles (1 500 tonnes), à la fin de la guerre, celles-ci retrouvent un niveau habituel (800 à 900 tonnes), faute d’amendement, de terrains bien préparés et de concessionnaires planteurs de cannes, désormais massivement reconvertis dans des activités plus rémunératrices (production de charbon, élevage et maraîchage). L’usine redevient déficitaire.
Par la suite, la situation continue d’empirer. En 1923, la production est tombée à 205 tonnes. Il ne s’agit plus seulement des récoltes des concessionnaires, mais aussi de celles des cultures communales, peu à peu abandonnées elles aussi. Alors qu’ils produisaient, avant la guerre, « un cinquième environ des cannes broyées », les champs communaux n’ont même pas produit, en 1923, le « 1/20e de la production des concessionnaires ».
Faute de matière première, l’administration pénitentiaire entretient l’usine à perte, et ce, jusqu’à la fermeture du bagne, au grand dam des inspecteurs qui se succèdent : « Cette fabrique […] travaille actuellement à 8% de sa capacité de production. […] Elle nécessite la présence d’un directeur et d’un mécanicien, fort peu occupés, et d’un agent de la régie qui pêche à la ligne les 11/12e du temps. Pourquoi ne pas mettre les scellés lorsque la distillerie ne travaille pas et utiliser cet argent ailleurs ? ».

Saint-Louis (1859 - vers 1945)

La création de Saint-Louis, aux origines de la Transportation (1859-1861)

En 1859, seulement deux ans après sa création, alors que Saint-Laurent commence à prospérer, le territoire pénitentiaire du Maroni s’apprête à accueillir les transportés des pénitenciers de la Comté, évacués pour cause d’insalubrité : « nos deux pénitenciers de la Comté m’ont apparu dans le triste aspect d’un vaste hôpital, et je crois de mon devoir […] de vous proposer l’abandon de ces établissements [et] de disséminer le contingent [de transportés] vers le Maroni ». Fort de ses 600 condamnés, Saint-Laurent ne suffit plus à absorber à la fois les condamnés qui continuent d’être envoyés de métropole et ceux qui sont déplacés de l’Est guyanais. Le gouverneur Baudin fonde ainsi un deuxième camp, qu’il nomme Saint-Louis, « patron de l’amiral Tardy de Montravel, qui devait être, dans quelques semaines son successeur ». Il annonce la création du nouveau camp en ces termes : « J’ai dû, par une décision du premier [mai 1859], créer tout près de Saint-Laurent un établissement secondaire […]. Cet établissement qui pour le moment, ne comprend que 150 hommes, sera chargé des travaux de construction, d’exploitation et autres, nécessaires à l’installation première et des usines, scieries, moulins qui doivent y être établis ».

Un chantier forestier (1861-1865)

En mai 1861, le gouverneur Tardy de Montravel juge que « la situation de Saint-Louis est aussi bonne et aussi avancée que celle de Saint-Laurent quant aux travaux généraux ». Une gravure d’époque montre un centre qui a pris l’aspect d’un petit bourg, en bord de fleuve. Désormais, « 500 transportés et tout le personnel nécessaire s’y trouvent définitivement installés de la manière la plus commode et la plus saine, des digues mettant l’établissement à l’abri des inondations biannuelles, […] un pont de 6m de largeur et de 35m de longueur, jeté sur la Balaté relie Saint-Louis à Saint-Laurent par une route en voie d’exécution par les soins des deux établissements ». Saint-Louis est entièrement autonome vis-à-vis de Saint-Laurent. En plus d’une administration propre, le camp dispose d’une église et de son aumônier, d’un hôpital tenu par des sœurs, d’un quartier disciplinaire, d’un cimetière et de bâtiments pour loger surveillants, fonctionnaires et gendarmes. Un registre d’état-civil est ouvert. On y enregistre naissances, mariages et décès.

L’échec des concessions, les épidémies et l’évacuation de Saint-Louis (1867)

Les premiers concessionnaires s’installent le 1er avril 1866 : « 100 concessionnaires ont été placés à Saint-Louis depuis le mois d’avril. Ils ont reçu 290 hectares de terrain en défrichement ». Les plantations de caféiers sont maintenues : « La plantation de caféiers est toujours bien soignée. Je doute, malgré cela, qu’elle ne donne jamais de grands produits, attendu que ces arbustes ne réussissent pas dans les terres du Maroni ».
En avril 1867, le bilan des concessions est sans appel. Le camp, installé sur des terres marécageuses et pauvres se révèle impropre à l’agriculture : « Les pieds sont languissants et dépérissent déjà. J’ai donné l’ordre de les arracher et de les remplacer par une plantation d’herbes qui sera d’une grande utilité pour nos bestiaux, tandis que les caféiers ne servent à rien et exigent des travailleurs pour les entretenir ».
Quelques mois plus tard, ordre est donné de « supprimer les derniers groupes de concessionnaires », décimés par les fièvres.

Un camp annamite (vers 1884 - 1888)

En 1884, à une époque où seuls des condamnés originaires des colonies sont envoyés en Guyane, l’administration pénitentiaire tente de donner un souffle nouveau à Saint-Louis en y installant des condamnés annamites. En 1885, un groupe de 15 Annamites « qui cultivent un ou deux maigres champs de riz » est déjà présent. Il est rejoint, l’année suivante, par 132 autres condamnés.
L’objectif principal est la mise en culture de rizières et la mise en place de canalisations pour assainir les terres marécageuses et insalubres de la « rive gauche de la Balaté, en remontant vers Saint-Maurice ». Le projet, mené par un ancien de la Cochinchine, est de tout faire pour que les condamnés s’attachent à la terre en reproduisant, à Saint-Louis, les conditions et l’organisation d’un vrai village annamite : être à Saint-Louis doit être vécu comme une récompense, s’en éloigner doit être une punition.

La prison et le quartier disciplinaire de la Relégation (1888-1898)

Des relégués collectifs sont tout de même maintenus à Saint-Louis. En 1896, ils sont ainsi « 140, [essentiellement] employés aux travaux du chemin de fer de Saint-Laurent à Saint-Jean ». Les travaux terminés, ils sont affectés à l’entretien de la voie et du camp, à l’exploitation de la carrière, à la réparation du matériel, à l’entretien des chemins et des fossés d’assainissement et au débroussage ». Jusqu’en 1899, une corvée est aussi employée « à l’entretien des plantations et cultures de cacao, caoutchouc, eucalyptus, niaoulis, patates, bananes, haricots, pois [et] herbe de Para ».
En plus des relégués collectifs, Saint-Louis accueille, à partir de 1888, le quartier disciplinaire de la Relégation.

Le retour des concessions (1898-1908)

Sur le territoire encore en construction de la Relégation, alors que très peu de condamnés ont été promus à la relégation individuelle, il faut attendre 1895 pour que soit rédigé le premier texte réglementant l’attribution de concessions aux relégués. L’administration pénitentiaire se contente alors d’adapter le décret du 18 janvier 1895 sur le régime des concessions à accorder aux transportés. Forte d’un effectif de 312 relégués individuels, la Relégation se dote par décret du 8 mai 1899, d’un règlement fixant spécifiquement le régime des concessions à la Relégation. Des parcelles peuvent désormais être provisoirement accordées aux « relégués collectifs de bonne conduite qui ont constitué un pécule suffisant [et aux] relégués individuels qui ont versé […] un dépôt de garantie ». Saint-Louis, localisé à la fois au bord de la ligne de chemin de fer et à peu de distance de Saint-Laurent, semble être l’emplacement idéal pour permettre aux futurs concessionnaires d’écouler leur production. Après avoir été un des centres de concessionnaires de la Transportation, Saint-Louis devient le centre de concessionnaires de la Relégation.

Sur le territoire encore en construction de la Relégation, alors que très peu de condamnés ont été promus à la relégation individuelle, il faut attendre 1895 pour que soit rédigé le premier texte réglementant l’attribution de concessions aux relégués. L’administration pénitentiaire se contente alors d’adapter le décret du 18 janvier 1895 sur le régime des concessions à accorder aux transportés. Forte d’un effectif de 312 relégués individuels, la Relégation se dote par décret du 8 mai 1899, d’un règlement fixant spécifiquement le régime des concessions à la Relégation. Des parcelles peuvent désormais être provisoirement accordées aux « relégués collectifs de bonne conduite qui ont constitué un pécule suffisant [et aux] relégués individuels qui ont versé […] un dépôt de garantie ». Saint-Louis, localisé à la fois au bord de la ligne de chemin de fer et à peu de distance de Saint-Laurent, semble être l’emplacement idéal pour permettre aux futurs concessionnaires d’écouler leur production. Après avoir été un des centres de concessionnaires de la Transportation, Saint-Louis devient le centre de concessionnaires de la Relégation.

Déchus pour des motifs disciplinaires, réintégrés pour des raisons de santé, décédés, évadés ou partis s’installer à Saint-Laurent, les concessionnaires de Saint-Louis ne sont pas assez nombreux pour mettre en valeur le centre concessionnaire. Les relégués individuels s’installent de préférence à Saint-Laurent, plutôt qu’en concession à Saint-Louis. En 1901, on ne compte ainsi que 3 élèves concessionnaires sur un total de 356 relégués individuels. La concession provisoire étant le plus sûr chemin vers la relégation individuelle, l’intérêt est plus grand pour les relégués collectifs. Mais celle-ci obtenue, ils abandonnent généralement leur concession pour vivre à Saint-Laurent. Les mouvements au sein des concessions sont ainsi très fréquents, et l’administration pénitentiaire échoue à compenser les départs. D’année en année, les effectifs chutent. De 132 concessionnaires en 1900, il n’en reste plus que 87 à la fin de l’année 1901, 43 en 1902 et seulement 21 en 1904. Et encore, au lieu de véritables colons, il s’agit plutôt d’élèves concessionnaires, totalement inexpérimentés et qui ne parviennent pas à mettre en valeur leur parcelle. Pratiquement tous les lots abandonnés sont retournés à la brousse et les parcelles encore entretenues sont dans un piètre état.

Un camp sans affectation précise (1908 - vers 1945)

Avec l’échec des concessions, Saint-Louis a fini de gagner sa mauvaise réputation de camp insalubre et impropre à tout développement. Plus aucun projet d’envergure n’y sera tenté. Jusqu’à la fin, dans le courant des années 1940, on se contente pour ainsi dire d’occuper, de surveiller et d’entretenir les lieux, dont la léproserie de l’Ilot Saint-Louis (ou Ile des Lépreux).
Sous la direction d’un surveillant-chef de camp et de trois autres surveillants, environ 100 relégués, dont 21 lépreux isolés sur l’Ilot Saint-Louis, sont internés à Saint-Louis en 1917. Parmi eux, 35 sont employés comme mineurs à la carrière de granite dont la production profite essentiellement aux constructions de Saint-Laurent. L’écoulement des eaux de pluie nécessite l’utilisation, de nuit, d’une pompe à bras mobilisant 24 hommes. Les efforts nocturnes s’avèrent d’ailleurs contrariés en journée par l’action combinée des marées du Maroni et des pluies qui inondent continuellement la carrière. Ces travaux sont très éprouvants et la plupart souhaite en partir au plus vite.

L’Ile des Lépreux (1895 - vers 1946)

Avant la léproserie

En 1859, l’Ile des Lépreux, alors baptisé « Ile Balété », puis « Ilot Saint-Louis » est exploitée comme carrière pour la construction des premiers bâtiments du camp Saint-Louis. Par la suite, l’administration pénitentiaire délaisse complètement l’endroit pour plusieurs décennies.
En 1895, dans la continuité de l’Affaire Dreyfus et suite à l’abandon de la Nouvelle-Calédonie comme lieu d’application de différentes peines, dont la peine de la Déportation en enceinte fortifiée, c’est l’Ile du Diable, jusqu’alors affectée à l’isolement des condamnés lépreux, qui est désignée pour recevoir les déportés. L’arrivée de Dreyfus est imminente et très vite se pose le problème du transfert des lépreux. Afin d’enrayer la lèpre qui sévit en Guyane, le Conseil général de la colonie avait pourtant voté, en 1891, un budget destiné à prendre en charge les indigents lépreux de la Guyane au sein de la léproserie de l’Acarouany. Un décret en date du 11 mai 1891 précise que les individus reconnus atteints de la lèpre qui n’ont pas les moyens de se soigner tels que les « vagabonds, les mendiants, les gens sans asile et sans ressources, ainsi que les condamnés » doivent être envoyés d’office à l’Acarouany.

Une léproserie provisoire (1895-1907)

L’installation de la léproserie devait être temporaire. Dans les faits, son occupation dure près de 50 ans pendant lesquels l’administration pénitentiaire abandonne pour ainsi dire les condamnés lépreux sur cette île où ils manqueront de soins, d’une alimentation adaptée à leur état et même, longtemps, des installations les plus élémentaires. Tous ceux - procureurs généraux, inspecteurs, médecins, journalistes, etc. - qui visitent l’Ile des Lépreux dressent les mêmes rapports, tous plus alarmants les uns que les autres, sur l’état sanitaire et d’abandon des 20 à 60 lépreux qui ont composé l’effectif de la léproserie au fil des ans. À une époque où aucun traitement efficace n’existe, la raison d’être du camp est uniquement d’isoler les malades : « Le service des lépreux […] ne répond en rien aux concepts modernes d’un tel service. Comme je l’ai déjà dit, les lépreux m’ont donné l’impression d’être abandonnés dans [l’île] administrativement et médicalement - Il importe à mon avis qu’une solution intervienne promptement pour améliorer l’état de cette catégorie de malades ». On ne peut guérir. On ne peut qu’isoler. Et les hommes qui y séjournent n’ont d’autre choix que d’attendre patiemment que la maladie les emporte, en assistant chaque jour à la lente décomposition de leur corps.

La pérennisation de la léproserie (1907-vers 1946)

Ce n’est qu’en 1904 que l’administration pénitentiaire envisage la construction d’installations plus pérennes, en maçonnerie. Il faut cependant encore attendre 1907 pour voir débuter les travaux. En février, un « petit appontement en pierre est construit afin de faciliter l’accostage des embarcations, les matériaux et outils nécessaires à l’édification des cases sont transportés sous un hangar ». En septembre, les cases sont achevées. Mais les effectifs augmentent et les cases s’engorgent : « De 29 qu’ils étaient en 1910 et 37 en 1911, ils étaient de 41 au 31 décembre 1912. Une douzaine d’hommes environ occupent des carbets de fortune. Il a été prévu au plan de campagne de 1913 l’édification de quelques cases ».
La condition générale des lépreux ne s’est malgré tout guère améliorée.

L’Ile de la Quarantaine (vers 1885 - vers 1890)

Entre les années 1870 et le courant des années 1880, Cayenne est touché par plusieurs grandes épidémies de fièvre jaune. À chaque alerte, les procédures sanitaires préconisent la mise en quarantaine des nouveaux arrivants au Maroni avant tout débarquement à Saint-Laurent. C’est ainsi qu’en 1876, un matelot étant mort de la fièvre jaune à l’hôpital de Cayenne, le médecin-major de Saint-Laurent ordonne six jours de quarantaine au Dr Jules Crevaux et à son équipe, tout juste arrivés pour préparer leur mission d’exploration du Haut-Maroni. Ils passent alors ces 6 jours au camp de Saint-Louis, pour ainsi dire vide d’hommes à cette époque. Le retour d’importants effectifs de condamnés au camp Saint-Louis à partir de 1884 oblige l’administration pénitentiaire à s’organiser autrement, et, en 1885, le lazaret de l’Ile Paréthy est créé. Le déboisement de l’île et les constructions sont exécutés par une main-d’œuvre composée de 35 condamnés annamites, sans doute débauchés du camp de Saint-Louis. Les résidents de l’île comprennent un médecin, un garde sanitaire et des transportés affectés au service intérieur du camp.

Sainte-Anne (1863 - vers 1875)

Une annexe forestière de Saint-Louis (1863-1865)

Sainte-Anne est fondé en 1863, alors que le territoire pénitentiaire du Maroni s’organise encore autour de deux centres principaux, Saint-Laurent et Saint-Louis. Avec Saint-Jean, créé un peu plus tôt, Sainte-Anne fait partie des annexes de Saint-Louis : « Avant-garde de la Transportation dans le Maroni, [Saint-Louis est] dirigé par un véritable pionnier, M. le capitaine Ronmy, [qui] marche en déblayant le terrain devant lui tout en se parachevant lui-même […] ; je lui fais définir l’établissement de Sainte-Anne, qui sera un jour un nouveau centre admirablement placé sur le haut du Balété ». On y place « des condamnés en cours de peine, qui avaient paru dignes de devenir concessionnaires, […] ouvriers plutôt que cultivateurs », pour les affecter à l’exploitation forestière. Les effectifs et leur évolution, tant pour les condamnés que pour le personnel libre, ne sont pas connus. On sait néanmoins qu’en 1865, les exploitations forestières de Saint-Louis et Sainte-Anne cumulent à elles deux un total de 282 condamnés.

Le Camp du Tigre (1896-1926)

L’achèvement de la voie ferrée Saint-Laurent - Saint-Jean (1896-1897)

Le Camp du Tigre est créé pour être un chantier provisoire où sont initialement placés 28 hommes affectés spécifiquement « à la construction et à l’entretien du chemin de fer destiné à relier Saint-Jean à Saint-Laurent ».
Ce camp marque l’avancée des travaux de la voie ferrée vers Saint-Jean, et est ainsi, dans un premier temps, baptisé le « chantier de l’avancement ». La plupart des installations du camp, prévues pour 200 hommes, sont prêtes en juin 1896 mais pas la voie ferrée et il faut l’intervention agacée de l’inspecteur des Colonies Picquié pour éviter que l’administration pénitentiaire n’affecte la majorité des effectifs du camp dans l’exploitation forestière au lieu de les concentrer dans les travaux de la voie ferrée : « Obéissant à la singulière manie qui la caractérise d’entreprendre simultanément plusieurs travaux sans en terminer aucun, l’administration pénitentiaire veut établir au point indiqué un chantier forestier nouveau. Les exploitations actuelles donnent un rendement qui suffit amplement à ses besoins et qui permet d’accueillir toutes les demandes d’achats ou de cessions. La création d’un nouveau chantier ne répond donc à aucune nécessité immédiate et peut être ajournée. Mais même à ce point de vue spécial, l’achèvement rapide de la ligne s’imposerait, car l’écoulement des produits ne pourrait s’effectuer soit sur Saint-Jean soit sur Saint-Laurent, que sur une voie ferrée définitivement assise. C’est pourquoi je crois devoir insister pour que 200 relégués soient placés au camp projeté dit de l’avancement et que ces hommes soient uniquement affectés aux travaux du chemin de fer ».

Un camp disciplinaire (1911-1926)

Si, dans les premières années du camp, la salubrité et la discipline sont jugées plutôt bonnes et si les « relégués se plaisent généralement sur ce centre où après l’accomplissement de leur tâche ils jouissent d’une sorte de liberté relative qu’ils ne peuvent trouver au dépôt », la réputation du camp se mue progressivement. Le Camp du Tigre devient plus que le simple centre forestier décrit dans les rapports annuels de l’administration pénitentiaire. Comme d’autres camps annexes de la Relégation, tels Tollinche ou « La Forestière, il s’apparente dans les faits davantage à un camp disciplinaire, sauf que les relégués qui y sont envoyés sont tous bien notés par les services pénitentiaires. En 1908, les relégués se plaignent de « la sévérité des surveillants qu’ils trouvent exagérée et parfois brutale, [du] travail au stère, qu’ils estiment plus pénible que tout autre » et des privations générales qui leurs sont imposées, tant au niveau de la nourriture et des soins que des effets personnels, vêtements ou chaussures : « Presque tous en un mot n’ont qu’un désir. Etre envoyés n’importe où, même à Tollinche, afin de quitter ce qu’ils considèrent comme un enfer ».

Le Nouveau-Camp de la Relégation (1909-1942)

Le Nouveau-Camp entre officiellement en fonction en 1909 pour accueillir les impotents transférés du camp de Tollinche. L’emplacement initial ayant été choisi trop bas, la salubrité du camp est d’abord mauvaise : début 1910, « 147 entrées à l’hôpital et 35 décès sont enregistrés ». C’est pour remédier à ces « conditions de salubrité déplorables » que le camp est déménagé des bords de la voie au sommet d’un mamelon déboisé. Les installations sont prêtes dès janvier 1911 et le Nouveau-Camp se compose alors de 75 relégués placés sous la garde d’un chef de camp et de deux surveillants.
Tous les impotents, invalides, tuberculeux et estropiés des différents centres de la Relégation sont dès lors affectés au Nouveau-Camp de la Relégation. Les médecins décident de leur affectation au Nouveau-Camp et, en fonction du degré de handicap, de leur classement en trois catégories possibles : les impotents, les travaux légers et les aptes à tous travaux. Ce classement détermine la nature des travaux imposés.

Cette ingérence de l’administration pénitentiaire dans des questions purement médicales, son excessive sévérité et l’indifférence du personnel de surveillance au sort d’hommes usés et vieillis, conduisent à des situations complètement absurdes. Ainsi, lors d’une visite inopinée, le médecin-commandant Parfaite rencontre un relégué paralytique enfermé dans le blockhaus du camp, et un autre, âgé de soixante-cinq ans, amputé d’une jambe et non appareillé, arrachant de l’herbe autour de la case des impotents « en rampant sur les genoux ». Le chef de camp se justifiera en indiquant que le premier relégué, malgré sa paralysie, vole la nuit dans les jardins du camp et que le second effectue cette besogne car il n’a pas encore été classé « impotent définitif pour tout travail » par le service de santé. De fait, beaucoup de relégués classés « travaux légers » s’activent sur le chantier forestier du Nouveau-Camp aux côtés des relégués classés « aptes à tous travaux ». Le personnel de surveillance préfère ne rien voir et imposer à des relégués âgés et diminués des charges de travail disproportionnées.
Comme son homologue de la Transportation, le Nouveau-Camp de la Relégation se mue en une véritable cour des miracles. Deux photographies jointes aux rapports de l’Inspection Générale de 1917 en offre une illustration édifiante.

Malgré leur état, les relégués du Nouveau-Camp sont astreints à un certain nombre de travaux. Les « impotents » sont affectés à des « travaux de tressage de paille », comme les « travaux légers » qui doivent également s’atteler « au débroussaillage des savanes situées autour du camp ou au nettoyage de ses chemins et de ses cases ». Seuls ceux qui sont classés « aptes à tous travaux » travaillent à l’entretien de la « ligne de chemin de fer, aux travaux de cultures ou à des travaux forestiers ».
En 1924, parmi les 292 condamnés regroupés au Nouveau-Camp, on compte « 67 aptes à tous travaux, 116 aptes seulement aux travaux légers, 67 impotents et 44 tuberculeux », dont la garde est assurée par trois surveillants militaires et un chef de camp. Le rendement d’un pareil camp est nécessairement minime et c’est le service intérieur qui mobilise le plus grand nombre de journées de travail.

Que deviennent tous ces relégués, trop vieux ou trop abîmés par leur trajectoire au bagne et que l’administration pénitentiaire concentre au Nouveau-Camp ? Le plus souvent, ils y meurent. Le classement au Nouveau-Camp peut être provisoire, dans l’attente d’une amélioration de l’état de santé et d’une réintégration à Saint-Jean, ou définitif, mais, de fait, il s’agit souvent de la dernière destination des relégués qui y arrivent : « Ce camp peut rivaliser d’atrocité avec celui de la Transportation que je visitais il y a quelques jours. Ici, des grands malades, épileptiques et idiots, vivent avec les cancéreux ... misère sans nom, et sans espoir. Cependant, quelques jeunes gens peuvent attendre, avec un geste d’espoir inconscient, le miracle qui les sortira de là. Hélas ! On se rend compte que le miracle ne se produira jamais. Si le bagne est une oubliette, ce Nouveau-Camp est l’oubliette du bagne. Quand un malheureux est sur le point de mourir, - et cela arrive fréquemment, comme on peut l’imaginer -, on le charge sur un de ces pousses, et en route pour Saint-Jean ! Alors, pendant quatre kilomètres, le moribond supporte, - ou ne supporte pas - les secousses de cette locomotion qui anéantissent un homme bien portant. Quand on arrive à Saint-Jean, il ne reste plus qu’à constater le décès. Et cela fait un de moins ».

Tollinche (1895-1917)

Les établissements Tollinche, dits « Tollincheville » (vers 1870-1884)

Avec l’arrêt des convois de transportés européens en Guyane, l’administration pénitentiaire avait pour ainsi dire abandonné toute entreprise dans la région du Haut-Maroni. Elle y attribue ainsi un certain nombre de concessions à des intérêts privés.
Parmi ces concessionnaires privés, le négociant et aventurier Tollinche, est une figure des relations entre la France et le peuple boni : il est le premier à les atteindre, en 1855, en leur territoire de la région du Lawa, malgré le barrage imposé en aval par le peuple ennemi des djukas. Il est aussi un pionnier de l’avancée coloniale sur le Maroni. De par sa connaissance du fleuve et de ses habitants, il est régulièrement mis à contribution par les autorités françaises comme guide ou comme intermédiaire. Il avait obtenu de l’administration pénitentiaire, dans le courant des années 1870, une concession provisoire, située un aval de la Sparvine. Il y installe les Établissements Tollinche, dits « Tollincheville », proposant « hôtellerie et ravitaillement aux mineurs des placers ». L’endroit était devenu « la première étape en partant de Saint-Laurent pour aller dans le haut fleuve ».
À la mort du commerçant en 1884, la cession des droits de la concession est remise en cause par l’administration pénitentiaire qui réintègre le lieu-dit « Tollinche » au domaine pénitentiaire, le 18 février 1888.

Un camp d’impotents (1896-1909)

L’administration pénitentiaire maintient cependant Tollinche et rapidement, le camp devient l’asile « des relégués classés aux impotents ou aux travaux légers par prescription médicale », une cour des miracles où sont reçus tous les condamnés abîmés par la Relégation. En 1891 déjà, le commandant-supérieur de la Relégation ne savait plus que faire des relégués impotents que la métropole envoyait en Guyane à chaque convoi. Disséminés sur le dépôt de Saint-Jean, ils « ne pensent qu’à trafiquer du matin au soir et sont la cause de bien des ennuis au camp ». En 1896, la situation n’a pas changé : « C’est parmi ces gens qu’on trouve les fainéants, les cameloteurs, les vicieux, c’est la plèbe de la Relégation. Leur présence au dépôt est d’un mauvais effet, elle encourage la paresse et tout ce qu’elle engendre. C’est un foyer d’infection qu’on entretient au dépôt ». En mars de la même année, décision est ainsi prise de transporter tous les impotents et les relégués classés aux travaux légers de Saint-Jean et de Saint-Louis à Tollinche : « l’isolement des impotents sera une excellente chose [...] parce que la perspective d’être envoyés à Tollinche arrêtera bien des paresseux en quête d’une décision médicale les classant aux travaux légers ».

Un camp d’incorrigibles (1909-1917)

Après l’évacuation des impotents, Tollinche est requalifié en annexe disciplinaire accueillant les « indisciplinés » de la Relégation, à la manière du camp de Charvein, pour la Transportation. Ces punis représentent, dans les faits, environ 10% de l’effectif d’un camp désormais entièrement composé d’individus valides. Même si, en conséquence, la salubrité du camp s’améliore soudainement, les conditions de vie restent quasiment inchangées, et Tollinche, en 1917, est encore considéré comme le « plus malsain des établissements pénitentiaires ».
À Tollinche, le camp comme les relégués sont dans un état lamentable. Les hommes sont vêtus de loques suffisant à peine à les couvrir et sont obligés de travailler pieds nus dans la brousse, ce qui les exposent tous à des blessures assez graves. Pour obtenir leur ration alimentaire normale, ces punis sont tenus d’effectuer une double tâche, d’exploitation forestière ou de travaux de cultures. Cette tâche, détournant les dispositions des articles 3 et 6 du décret du 11 juillet 1887, est exécutée à l’extérieur des locaux disciplinaires.

Les photographies sont éloquentes et le rapport qui les accompagne est sans concession. L’inspecteur Muller réclame la fermeture de toute urgence de Tollinche (un camp, non pas disciplinaire, mais de représailles) et de La Forestière. Par-dessus tout, leur éloignement permet toutes les exactions possibles de la part de surveillants brutaux délibérément choisis à cette seule fin par l’administration pénitentiaire : « Le caractère disciplinaire de ces camps ne saurait être sérieusement défendu ; pour mon compte je n’arriverai que difficilement à admettre que l’intoxication et la cachexie palustres soient à ranger au nombre des mesures de répression à employer par l’administration française. Ces deux camps excentriques de La Forestière et de Tollinche, véritables nids à abus, improductifs et malsains, devraient donc, à mon avis, être supprimés d’urgence. Toute la Relégation devrait être concentrée sur le territoire qui s’étend entre Saint-Jean et la crique Balété. La mise en valeur progressive de cette zone aura forcément pour conséquence la naissance de relations avec le monde extérieur; peu à peu les camps de la Relégation tomberont sous le regard de témoins libres n’appartenant pas à l’administration pénitentiaire, et ce contrôle latent de l’opinion publique, auquel aucune institution républicaine ne saurait prétendre à échapper bien longtemps, sera vraisemblablement le moyen le plus efficace d’assainir la Relégation et de la faire évoluer dans le sens de la civilisation ». À la demande pressante de l’inspecteur des Colonies Bérrué, la décision tombe le 6 juillet 1918 et règle le sort du camp de Tollinche en même temps que celui de La Forestière. Le département des Colonies impose l’évacuation du camp qui retourne ainsi à la brousse et l’exploitation de tout le Haut-Maroni est définitivement abandonnée par l’administration pénitentiaire.

La douane et l’or de la Sparwine (1900-1917)

Bien en aval des lointains placers du Lawa et de l’Inini, en plein cœur du territoire investit par l’administration pénitentiaire, la crique Sparwine est, sur le Maroni, un des hauts lieux de l’histoire de l’exploitation aurifère. Dès la deuxième moitié du XIXe siècle et encore aujourd’hui, les intérêts privés et les placers s’y succèdent et s’y concentrent. Elle draine toute une population de chercheurs d’or et de maraudeurs venus tenter leur chance, souvent sans autorisation. C’est ainsi qu’à Tollinche, l’administration pénitentiaire se confronte au plus près, à l’or et à la population flottante d’aventuriers de toutes provenances qui lui est liée, avec deux problématiques : le contrôle des flux de personnes et de marchandises, et l’exploitation des ressources que renferme son territoire. Pour ce faire, il manque un cadre légal à l’administration pénitentiaire. C’est chose faite le 9 février 1900, lorsque la police de la navigation, assurée habituellement par la douane, est dévolue aux surveillants militaires du poste de Sparwine, dépendance du camp de Tollinche. Les outils sont en place pour un meilleur contrôle des mineurs des placers du Maroni. Un poste de douane ouvre ainsi sur le territoire pénitentiaire. Les résultats sont loin d’être négligeables. Au mois d’août 1917, par exemple, il saisit ainsi plus de 500 grammes d’or provenant de chantiers aurifères clandestins.

Les Hauts-Chantiers (1865-1867)

Création (1865)

La création des Hauts-Chantiers du Maroni, en 1865, résulte de la décision du gouverneur Hennique de désencombrer les terrains de Saint-Louis des condamnés en cours de peine pour y favoriser le placement de groupes de concessionnaires libérés. Les transportés de Saint-Louis sont ainsi déplacés sur divers chantiers forestiers créés en amont du site pour une exploitation à grande échelle des forêts du Maroni, « pour le service de la marine ou des chemins de fer » : « Le personnel des transportés [de Saint-Louis] dont le voisinage a toujours été extrêmement nuisible aux concessionnaires va être refoulé dans les divers chantiers qu’on prépare sur trois ou quatre points, c’est-à-dire dans les endroits où nous pourrons trouver le plus grand nombre de bois […]. C’est une exploitation que je tiens à faire sur une vaste échelle s’il est possible ».

La Forestière (1883-1937)

Une concession de la Société Forestière et Agricole du Maroni (1883-1888)

Avant l’implantation d’un camp annexe de la Relégation, c’est la Société Forestière et Agricole du Maroni, de la maison Wacongue, qui occupe le site. Elle avait obtenu, « en 1883, la cession de 37 000 hectares de forêt, prélevés sur le territoire de l’administration pénitentiaire ». Cette société civile, la première à s’implanter au cœur du territoire pénitentiaire, engage plus de 800 000 francs en voies ferrées, logements, bureaux, scierie, matériel d’exploitation et matériel naval pour son installation. Autour de Saint-Laurent, nombre de libérés concessionnaires abandonnent « leurs concessions pour aller offrir leurs services à [cette] société ». Mais l’exploitation cesse vite. En 1885, la production s’essouffle et tous les chantiers sont évacués. En liquidation en 1887, elle est cédée l’année suivante à l’administration pénitentiaire « en vue [d’accueillir les] récidivistes que la métropole se dispose à envoyer en Guyane ».

Un camp forestier (1888-1899)

La situation du chantier forestier est marquée, tout au long de son existence, par une situation sanitaire catastrophique. Dès les débuts, une épidémie de fièvre frappe le chantier. Il ne compte ainsi, en 1889, que 50 hommes dont 10 abattent du bois en forêt et le transportent vers la scierie où le reste de l’effectif est employé. En 1896, l’inspecteur des Colonies Picquié décrit 98 relégués « fiévreux, anémiés, la respiration courte », fatigués par le travail « excessivement pénible » que représentent les abattages en forêt et le fait de pousser à bras d’hommes des wagons lourdement chargés à travers la brousse. Une telle « obligation, dans une contrée malsaine, au travail le plus dur qui soit » est loin de représenter l’affectation de faveur voulue par les textes, et bon nombre de relégués réclament, en vain, leur réintégration au dépôt de Saint-Jean. En 1898, l’état sanitaire de La Forestière est tel qu’il « en a nécessité l’évacuation presque complète ». Jusqu’en 1904, le camp jouit d’une telle réputation que la plupart des « récidivistes considérant comme une disgrâce d’être envoyés à La Forestière, faisaient tout ce qui étaient humainement en leur pouvoir en vue d’éviter leur classement à la section mobile, alors que les règlements pénitentiaires font pourtant de ce classement une faveur de laquelle résulte, en effet, une amélioration notable du régime, tant alimentaire que disciplinaire appliqué à cette catégorie pénale ».
La Forestière s’avère rapidement être un échec accompli.

Un camp agricole (1899-1918)

Sous l’impulsion de son nouveau chef de camp, la section mobile n°2 semble enfin retrouver sa vocation première. La conversion en centre agricole et les travaux d’assainissement qui l’accompagnent accroissent la salubrité de La Forestière. Le taux de mortalité chute et le centre devient un des plus sains de la Relégation. L’idée d’un déménagement est abandonnée. Le camp est réorganisé et se développe. En parallèle des travaux d’assainissement, les différents bâtiments sont refaits à neuf. Les nouvelles constructions s’alignent le long du fleuve, tandis que tout autour, une large bande de terrain est défrichée et aménagée pour être mise en culture.

La Première Guerre mondiale et le rapport Berrué (1918)

Avec la Première Guerre mondiale, la situation de La Forestière devient dramatique. Alors qu’une pénurie généralisée touche la Guyane entière, ce camp isolé de tout ne peut plus être ravitaillé correctement en vêtements et en vivres. À partir de 1914, des épidémies de fièvre sévissent, ajoutant leur contribution à un état sanitaire devenu catastrophique et alimentant un flux continu de relégués vers l’hôpital de la Relégation. En 1917, l’inspecteur des Colonies Berrué découvre ainsi à La Forestière des relégués « vêtus parfois de loques immondes, sans chaussures, et les pieds blessés […] assujettis à un dur travail, sans utilité réelle pour l’état, la colonie et encore moins pour eux-mêmes ». Le local disciplinaire abrite un relégué « vêtu d’un lambeau de toile de sac, d’une maigreur squelettique, les pieds rongés d’ulcères, qui s’est plaint d’être resté quatre jours consécutifs au pain sec, punition non prévue par les textes ».

Un Établissement Pénitentiaire Spécial du Territoire de l’Inini (1931- 1937)

En 1930, le paysage politique guyanais est brusquement transformé par la création du Territoire de l’Inini. Impulsé par le gouverneur Siadoux, le décret ministériel du 6 juin 1930, subdivise la Guyane en deux. La bande côtière, zone concentrant l’ensemble des agglomérations et des populations, reste sous le contrôle des élus locaux et de l’administration pénitentiaire, tandis que tout l’intérieur guyanais est érigé en un territoire autonome, le Territoire de l’Inini. Ce territoire englobe le Haut-Maroni, l’Itany, l’Ouaqui, la haute vallée de la Sparwine, celles de la Mana, de la Comté, du Sinnamary, de l’Iracoubo et de l’Oyapock, soit plus de 80% du territoire guyanais. Il est placé sous la dépendance du gouverneur qui a la charge de le développer et de mettre en œuvre tous les travaux utiles pour son exploitation.
Pour développer ce vaste territoire presque exclusivement forestier, le gouverneur mise sur la construction de routes qui relieraient le chef-lieu cayennais aux grands centres miniers de l’intérieur - Saint-Elie sur le Haut-Sinnamary, Paul Isnard sur la Haute-Mana et l’Inini sur le Haut-Maroni - pour permettre « aux directeurs d’entreprise le rapide contrôle de leurs placers éloignés [et] établir de rapides moyens de ravitaillement ».

C’est le capitaine Lelarge, chef de la circonscription de l’Inini à La Forestière qui met le camp en place : « avec un effectif réduit au possible, il a fait déboiser et nettoyer une grande superficie de terrain sur laquelle s’édifient activement diverses maisonnettes destinées à recevoir les Annamites de même que les hommes de troupe sénégalais ». Le journaliste Stéphane Faugier est de passage au Maroni au moment de l’installation de l’EPS : « J’étais passé là, voici deux mois bientôt, remontant la rivière. Le dégrad, abandonné depuis longtemps, ne différait guère de la jungle avoisinante. Les hautes herbes, les arbustes, les plantes grimpantes y poussaient comme partout ailleurs. Seule, l’absence d’arbres de haute futaie indiquait que la hache du blanc avait séjourné là, en des temps plus reculés. À présent, une vaste esplanade s’étend sur les bords du Maroni. Les herbes ont été coupées, à 500 m à la ronde, les lianes arrachées. Une belle allée de manguiers conduit à une maison fraîchement peinte de blanc. Des tirailleurs s’affairent, près d’un appartement de bois. Aux alentours, un village a poussé, où logent les soldats ». Le 24 septembre 1931, 200 condamnés indochinois sont installés à La Forestière.

Continuer la visite de l'exposition Les camps annexes de la colonie pénitentiaire du Maroni