1. Une génération de gangsters

Plan du chapitre

1950 : gangsters et série noire

1950. C’est le terme d’une saga, celle d’une génération de gangsters qui multiplia les hold-up et les cambriolages durant les années qui suivirent la Libération.  Les forces de police – la Sureté nationale en concurrence, pour ne pas dire en guerre, avec la Brigade criminelle du Quai des Orfèvres – en ont fini avec les premiers « ennemis publics n° 1 », les rois de l’évasion, les cambrioleurs audacieux que la presse de faits divers compare hâtivement à Arsène Lupin et, bien sûr, les gangsters aux « Tractions Avant », ces véhicules puissants utilisés par les uns et par les autres. Pierre Loutrel est « enfin » mort ! Son cadavre a été exhumé en mai 1949, près de Porcheville. Il s’était blessé mortellement à la fin de l’année 1946. Abel Danos, dit le Mammouth, est dans le couloir des condamnés à mort. Jo Attia et Georges Boucheseiche ont été arrêtés en 1947. Ils vont attendre 1953, à Fresnes, d’être jugés. Henri Fefeu a été pris également. Il est relégable. Raymond Naudy est mort lors d’une fusillade avec des policiers à Menton. Marcel Ruard, autre comparse de Pierrot le Fou, vient d’être lourdement condamné par une cour d’assises du Sud de la France. Pierre Carrot, que la presse nomma Pierrot le Fou n° 2, est sous les verrous. Paul Dellapina, le cambrioleur des beaux quartiers, est condamné à de longues années de travaux forcés et à la relégation. La police s’apprête à mettre un terme aux méfaits de René Girier, dit René la Canne, à ses multiples évasions et, lui aussi, va entamer quelques années de prison, interrompues par les relations de sa visiteuse de prison, la princesse Charlotte de Monaco. Émile Buisson, nouvel ennemi public n° 1, mais récidiviste de hold-up sanglants depuis les années 30, vient d’être arrêté en juin 1950. Il ne reste que son frère en liberté, Jean-Baptiste Buisson, dit Le Nuss. Il tombera en 1952, après un crime commis dans un bar, lui aussi condamné à de longues années de prison et à la relégation. 

Curieuse énumération d’anciens collaborateurs de nazis, d’anciens résistants, certains évoluant d’un bord à un autre, les uns s’accommodant du passé des autres, pour accomplir des coups de main audacieux. Ils mènent chacun de leur côté leur « carrière » criminelle, mais se sont rencontrés, côtoyés, entraidés durant leur jeunesse aux Bat’ d’Af’, dans les prisons de l’Occupation et de la Libération, dans les officines allemandes pour certains, à l’occasion d’évasions préparées ou réalisées, fréquentant les mêmes quartiers et bars parisiens des environs de Pigalle, les mêmes auberges des bords de Marne. Ils appartiennent au milieu et ont contribué à son mythe. Plusieurs ont séjourné dans les maisons d’éducation surveillée, dans les établissements les plus durs comme Aniane ou Eysses, les « bagnes d’enfants » dénoncés par la presse durant les années vingt et trente.

1950. La Série Noire, publiée par Gallimard, accueille depuis un an des auteurs français. Serge Arcouet, affublé du pseudonyme Terry Stewart, est le premier auteur publié. Les éditions du Scorpion du jeune éditeur Jean d’Hallouin offrent, elles aussi, des hard-boiled stories sur le modèle américain depuis 1946. Dans les deux cas, Boris Vian, auteur ou traducteur, est la cheville ouvrière du succès. Des auteurs français se glissent dans les deux collections. Ils vont contribuer, avant le cinéma, à créer une représentation du milieu. Ils l’ont fréquenté, en connaissent les lieux et la langue, mais aussi les cheminements tortueux des truands pendant l’Occupation. L’ancien collaborateur du Parizer Zeitung, chroniqueur du Cahier jaune et de Revivre, de Radio Paris, co-auteur d’un ouvrage collaborationniste avec Henri Coston, condamné à cinq ans d’emprisonnement à la Libération, incarcéré jusqu’en 1950 à Fresnes puis à Fontevraud, Albert Simonin, côtoie Auguste Montfort, dit le Breton, petit malfrat organisateur de parties de cartes clandestines, mais résistant et décoré. Victor Marie Lepage publie dans les deux collections, sous le pseudonyme de Maurice Raphaël et sous celui d’Ange Bastiani, des romans policiers. Il fut un responsable du Parti Populaire Français (PPF) dans l’Eure-et-Loir. Il fut par ailleurs condamné pour une escroquerie au faux policier à l’encontre d’un commerçant juif. Reste José Giovanni, dont plusieurs romans évoquent les liens entre le gangstérisme et l’Occupation, si on sait les lire. Ainsi « Classe tout risques », version édulcorée des mésaventures d’Abel Danos, le « gestapiste » et de Raymond Naudy, « le résistant ». On sait aujourd’hui que José Giovanni fut un militant du PPF marseillais de Jacques Doriot, participa à des arrestations de réfractaires du STO, et fut condamné à mort pour avoir racketté et tué des juifs en 1944, en compagnie de son frère milicien et de son oncle. Sa peine de mort, graciée, se transforma en onze années de détention. L’historien Philippe Burin a évoqué, par maints exemples, les attitudes d’accommodation pendant l’Occupation. Peut-on prolonger sa réflexion au-delà de la Libération ? L’édition s’accommoda de curieuses mémoires du milieu, associant des personnages peu fréquentables et des résistants, mais, les uns et les autres, hissés au rang de bandits tragiques. Les gangsters fascinèrent, au gré de romantismes troubles et au nom d’une envie « américaine » refoulée pendant les années d’Occupation et qui faisait fi des passés compromettants.

Étonnante mythologie du milieu à l’instar de ses protagonistes, des tueurs de la Gestapo et des résistants, alliant dans une mémoire trouble les uns et les autres. Par le biais des seconds, l’aura du milieu excusa bien des crimes sordides et suscita les fictions cinématographiques édulcorées.

Il ne peut être question ici de suivre pas à pas les mésaventures des uns et des autres. Biographies et autobiographies abondent. Nous privilégions quelques traits saillants de ces personnalités, quelques épisodes de leurs mésaventures et les instants où leurs destinées se croisèrent. Il existe trop de confusions entre les différentes équipes de gangsters, souvent confondus, comme à l’époque, parce qu’ils usaient tous de puissantes cylindrées.

 

Conclusion

Au-delà d’une commune appartenance au milieu, qu’ils soient parisiens, lyonnais ou marseillais, ces criminels partagent de nombreux traits communs. Leurs destinées semblent accréditer la thèse de la « filière criminelle » proposée par le psychiatre Vullien à la fin des années quarante. Avec ses collègues Vienne, magistrat à Lille, et Gayraud, directeur à l’administration pénitentiaire, ils avancèrent le concept « d’antisocial » pour désigner des récidivistes en lutte contre la société, les membres du milieu. Ce concept imaginé pour étiqueter les relégués-récidivistes du centre de triage de Loos-lès-Lille, demeura le mode de triage essentiel des récidivistes jusqu’en 1970. Les antisociaux étaient séparés des asociaux, abouliques, clochards et « pauvres types ». Les gangsters mentionnés dans ce dossier auraient été rangés dans cette catégorie. Plusieurs étaient frappés de la peine de la relégation et tombaient sous le coup de cette catégorisation. Il faut reconnaître que l’étude de centaines de dossiers de relégués montre un usage assez approximatif de la notion d’antisocial. La majorité de ceux qui furent envoyés dans les prisons de Gannat et de Lure étaient des prisonniers qui avaient posé des problèmes – psychiatriques, de comportement, d’insubordination – à l’administration pénitentiaire.

L’équipe expérimentale du centre lillois proposa une autre notion, celle de « filière criminelle ».

Elles insistait sur des étapes dans la vie des délinquants récidivistes et force est de reconnaître la pertinence du concept pour les cas qui nous intéressent : une enfance dans un milieu familial dissocié (Dellapina dont la mère mourut à la suite des coups de pieds de son père alcoolique), les placements à l’Assistance publique, et/puis dans les patronages et les fermes de familles avides aux gains (Jo Attia), les fugues et l’éducation correctionnelle, d’abord dans les patronages, puis dans les maisons de correction jusqu’à la sinistre colonie disciplinaire d’Eysses (Girier, Buisson, Dellapina, Guillo), les premières peines de prison avant un service militaire aux Bat’ d’Af (Loutrel, Attia, Courtois), puis la carrière délinquante, jusqu’à la guillotine pour Émile Buisson ou le peloton d’exécution pour Abel Danos.

Cette filière criminelle ne concernait qu’une fraction minoritaire des récidivistes mais, pour les criminels du milieu, le concept n’est pas sans intérêt.

Dernier trait saillant de cette « communauté » de gangsters, ce sont des « taulards ». Ils ont passé des années en prison, avant de devenir célèbres et après. Une culture, une éducation carcérale ? Les uns et les autres ont fréquenté Fresnes, la Santé, ils y ont fait « gourbi ». Jo Attia, à Fresnes, régnait comme « juge de paix du milieu ». Ils se croisèrent dans les maisons centrales. Les uns et les autres payèrent lourdement, longuement, leurs forfaits, quand leur destinée ne fut pas abrégée par un complice, un policier ou par le glaive de la justice.

Le gang des Tractions Avant

Le gang des Tractions Avant multiplia les hold-up en 1946, dans la région parisienne comme en Provence, avec une frénésie et une audace qui stupéfièrent. Ils utilisaient de puissantes cylindrées, des pistolets-mitrailleurs et s’en prenaient principalement aux convoyeurs de fonds. 7 février 1946, deux tractions bloquent un fourgon du Crédit Lyonnais à Paris. 11 février 1946, une camionnette des PTT est attaquée gare de Lyon. 13 février, dans les environs de Marseille, des employés de banque sont agressés par des malfaiteurs en tractions. 14 mars 1946 à Nice, des encaisseurs du gaz sont dévalisés. 5 avril 1946, un comptable qui convoyait la paie des ouvriers d’une entreprise de travaux publics est dévalisé et mortellement blessé. Fin mai 1946, c’est au tour du directeur du Comptoir national d’Escompte de Marseille d’être victime d’un hold-up. Puis la bande dévalise l’Hôtel des Postes à Nice, le 30 juin 1946. Les gangsters accumulent les millions dérobés. Fin août à Paris, deux tractions bloquent un fourgon postal. Les voyous dérobent près de huit millions de francs.

Les principaux auteurs de ces agressions violentes et motorisées sont les suivants : Pierre Loutrel, dit Pierrot le fou, Jo Attia, Georges Boucheseiche, Abel Danos, Marcel Ruard, Henri Fefeu.

Pierre Loutrel

Pierre Loutrel, fils d’un agriculteur de la Sarthe, est né en 1918. Il  effectue son service militaire aux Bat’ d’Af’, ces bataillons d’infanterie légère d’Afrique où échouaient les jeunes gens qui avaient subi des condamnations avant leur incorporation et les militaires indisciplinés. Loutrel s’engage dans la marine dès l’âge de seize ans. Nous ne connaissons pas l’incident qui le conduisit en prison militaire puis dans un régiment disciplinaire. Il y séjourne en compagnie de Joseph Brahim Attia, et comme lui, en revient le corps « bousillé », orné de nombreux tatouages. Pierre Loutrel commet des cambriolages, devient proxénète et, dès l’Occupation, travaille pour les services de répression allemands, comme bon nombre de truands parisiens et marseillais de cette époque. Il y côtoie Abel Danos. En juin 1944, il quitte la capitale et rejoint Toulouse, se glisse dans la peau du lieutenant Pierre  Déricourt, membre du réseau de résistance Morhange, spécialisé dans l’exécution des traîtres et agents allemands. C’est à Toulouse que Pierre Loutrel se lie à Raymond Naudy, jeune résistant de vingt-quatre ans, qui refuse le retour à la vie civile, de reprendre son métier d’horloger, rêve d’aventures et de mauvais coups. Né en 1921, Raymond Naudy refusa la réquisition du STO, devint réfractaire puis maquisard.

 

Abel Danos, dit le Mammouth

Abel Danos, dit le Mammouth, naît en 1904 en Haute-Garonne. Dès l’âge de quatorze ans, il a affaire au tribunal pour enfants. Voleur, cambrioleur, suspecté d’avoir été l’un des auteurs de l’attaque d’un train d’or en 1936 en gare de Marseille, Abel Danos est emprisonné à plusieurs reprises durant les années 30. En 1933, il est condamné à quatre années de prison pour des cambriolages commis dans la capitale. Il subit sa peine dans la maison centrale de Poissy. Mobilisé en 1939, il est affecté comme réserviste aux Bat’ d’Af’ dans le camp du Ruchard. C’est son second séjour dans ces corps d’armée disciplinaires, car il avait effectué son service militaire à Tatahouine. Une nouvelle enquête de police le pousse à fuir le camp. Il part à Montreuil, puis à Dijon. Le premier janvier 1940, il est arrêté à la suite d’une bagarre avec des militaires, trouvé avec des faux papiers et une arme. Le 15 juin 1940, il s’échappe de la maison d’arrêt de Dijon, la veille de l’entrée des troupes allemandes dans la ville. En février 1941, Abel Danos, avec trois complices dont Émile Buisson, agresse des personnels de la banque de France rue de la Victoire à Paris, vole plus de trois millions de francs et s’enfuit dans une traction-avant. L’un des convoyeurs de la banque est tué. Incarcéré à la Santé en mars 1942, il propose ses services aux autorités allemandes, après avoir, semble-t-il, travaillé pour le contre-espionnage français. Il rejoint d’autres truands rue Lauriston, ceux que l’on a coutume d’appeler la Gestapo française du policier Pierre Bonny et du gangster Henri Chamberlain, dit Lafont. Arrêté à la Libération, Danos s’évade du Dépôt en janvier 1945.

 

Joseph Brahim Attia, dit Jo Attia

Joseph Brahim Attia, dit Jo Attia, né en 1916 en Ille-et-Vilaine, fugue de la ferme où il est maltraité et exploité. Après avoir vagabondé et volé, il effectue de courts séjours en prison avant d’être lui aussi envoyé aux Bat’ d’Af’ en 1936. Il y fait la connaissance de Pierre Loutrel et l’un et l’autre reviennent à Paris en 1938.

Jo Attia est déporté à Mauthausen en 1943, livré aux autorités allemandes par la Gestapo française de Lafont. Pour quelle raison ? Désaccords sur des trafics ?  Engagement patriotique ? De nombreux compagnons de déportation attestent de son courage dans le camp, notamment le révérend père Ricquet et Edmond Michelet. Il revient à Paris en 1945, participe aux hold-up du gang en 1946. Arrêté l’année suivante, il attend longtemps son procès dans la prison de Fresnes. Fin 1953, il n'est condamné qu’à trois années d’emprisonnement pour un cambriolage commis en 1946 et sort le soir même de l’enceinte judiciaire. Détective du 4 janvier 1954 décrit ainsi le procès : « Quelques jours plus tard vint le tour de Brahim Attia. Après quelques heures d’audience, un concert d’éloges tomba sur Attia. Il fut, il est vrai, d’une grande franchise quant à son rôle dans l’affaire (un cambriolage commis en 1946) qui l’amenait, avec onze complices, devant le président Jadin. De nombreux témoins vinrent mettre un autre trait en lumière : la vaillance. Anciens déportés de Mauthausen, ils sont venus dire que, s’ils étaient vivants, ils le devaient à Attia. Attia les a sauvés lors du tragique exode où ils eussent succombé sous les coups de matraque des Allemands ; il les avaient soutenus moralement ; il les avaient nourris ; il avait dévié vers son dos puissant les coups de la colère teutonne. Mais restait que Brahim Attia avait été le lieutenant de Pierre Loutrel, Pierrot le Fou, l’ennemi public numéro 1 ! ... L’inspecteur principal Borniche – un des plus remarquables policiers de notre époque – n’est pas suspect de tendresse pour les gangsters. Il en a arrêté des centaines ; les plus dangereux. Eh bien ! Borniche fut le meilleur avocat d’Attia et de sa bande. (…) ». Surnommé le « roi du non lieu », il passe cependant près de vingt-trois années de sa vie en prison et meurt d’un cancer en 1972.

 

Georges Boucheseiche

Georges Boucheseiche est un malfaiteur au casier chargé : proxénète, auteur de violences et de cambriolages. Il a lui aussi travaillé pour les services allemands de répression.

 

Henri Fefeu, dit Riton le Tatoué

Henri Fefeu, dit Riton le Tatoué, a quarante ans en 1945. Il est né le 13 juillet 1905 dans la Sarthe, tout comme Pierre Loutrel. Lui aussi est passé par les Bat’ d’Af’. C’est un multirécidiviste des cambriolages, des vols à main armée et des tentatives de meurtre. Son casier judiciaire est pourvu de sept condamnations et il a été condamné à la relégation par défaut. Ses activités pendant l’Occupation lui ont valu d’être déchu de ses droits par une chambre civique. Il a probablement côtoyé Pierre Loutrel auprès des services policiers allemands.

Marcel Ruard, dit le Gitan

Marcel Ruard, dit le Gitan, s’est engagé dans la Résistance à dix-sept ans. Il a combattu dans un maquis de Haute-Loire puis s’est engagé dans l’armée. A vingt-quatre ans, il participe aux hold-up commis dans la région de Marseille, notamment celui de la poste de la rue Thiers à Nice, en compagnie de Raymond Naudy, Pierre Loutrel et Maurice Laguerre. Il comparait devant la cour d’assises d’Aix-en-Provence en décembre 1949 et est condamné à vingt années de travaux forcés.

L’étau policier se resserre sur les malfaiteurs. Ils sont suspectés de fréquenter le Chalet des Marronniers à Saint-Maur et L’Auberge à Champigny, sur les bords de la Marne. Le 25 septembre 1946, les policiers tentent d’arrêter les gangsters dans ces établissements. C'est un fiasco. Pierre Loutrel, Henri Fefeu, Jo Attia parviennent à s’enfuir. Georges Boucheseiche, caché, échappe aux policiers venus en nombre, sous la direction du Préfet de police.

Le premier à tomber est Henri Fefeu, arrêté dans un bar de Montmartre le 30 septembre 1946. Il mourra en prison de la tuberculose en 1953. Certains auteurs ont affirmé qu’il y avait avalé des crachats contaminés afin de se faire transférer vers le sanatorium pénitentiaire de Liancourt. Le 6 novembre 1946, Pierre Loutrel attaque une bijouterie rue Boissière et se blesse mortellement en rengainant son revolver. Boucheseiche et Jo Attia, qui étaient présents, le transporte dans une clinique parisienne pour une opération en urgence, sous un faux nom. Peu après, ils tentent de le mettre en sécurité à Porcheville, chez un ancien des Bat’ d’Af. Le transport rouvre ses blessures et Pierre Loutrel meurt peu après son arrivée chez Edmond Courtois. Son cadavre, enseveli sur une petite île de la Seine, ne devait être exhumé qu’en mai 1949. Entre temps, on lui attribua bien des hold-up sanglants.

Le 11 juillet 1947, Jo Attia est arrêté dans un bar marseillais. Le 29 juillet, Georges Boucheseiche est pris dans une villa de Mandelieu. Après plusieurs fusillades dans le sud de la France à l’encontre de gendarmes et de policiers qui tentaient de les arrêter, Naudy et Abel Danos s’installent en Italie. Il y accomplissent des hold-up meurtriers. Décidés à revenir en France avec leurs familles, ils sont interceptés sur une plage de Menton. Naudy est abattu, Abel Danos parvient à s’enfuir. Il est aidé à Vence par un ancien de la rue Lauriston, Auguste Jeunet et parvient à remonter dans la capitale. Aux abois, sans argent, il tente de cambrioler des chambres de bonnes et est arrêté le 30 novembre 1948. Condamné à mort le 17 mai 1949, Abel Danos est exécuté le 14 mars 1952 au fort de Montrouge.

Le 7 mai 1949, le cadavre de Pierre Loutrel est exhumé.

 

Pierre Carrot dit Pierrot le Fou n° 2

Pierre Carrot naît en 1922. Son père était gendarme. Ami de Jo Attia, c’est un cambrioleur qui agit principalement avec deux complices, Pierre Hervouët et Robert Méry, dit Robert le Relégué. Son surnom vient du fait qu’il n’hésitait pas à revenir sur les lieux qu’il avait déjà cambriolés.

Fin juillet 1948, il est arrêté dans un immeuble délabré du IIIe arrondissement. Connu pour ses évasions et tentatives d’évasion, il est notamment parvenu à s’échapper des locaux de la police mobile, rue de Bassano, à Paris, le 2 juillet, en compagnie de son complice Pierre Hervouët.

La presse multiplie les titres sur la capture de Pierrot le Fou. On ne savait pas encore que Pierre Loutrel était mort. Assez vite, les journaux s’aperçoivent de leur méprise, Pierre Carrot ne semblant être qu’une pâle copie du vrai Pierrot le Fou. Il fanfaronne quelque peu, s’attribuant des prouesses et des méfaits imaginaires, mais il n’a jamais commis d’actions très audacieuses. Détective, le 2 février 1953, titre « Le caïd dégonflé ». Pierre Carrot venait de comparaître devant la cour d’assises de la Seine aux côtés de treize autres accusés pour des vols à main armée. L’inspecteur Borniche dépose à l’audience et accable Pierre Carrot : « J’aurais pu tenter de vous ménager, car vous étiez mon meilleur indicateur ; vous étiez mon mouchard depuis 1942. (…) On vous prend pour un caïd. Carrot, et vous risquez de payer cher cet excès d’honneur, car vous n’êtes qu’un petit cambrioleur de banlieue. Oui ! monsieur le président, il a pleurniché comme un enfant quand il s’est vu les menottes aux mains : il a vendu tous ses camarades ; il l’aurait fait pour une louche de soupe. Carrot, c’est le lâche, c’est l’imbécile prétentieux. »

En 1949, il est condamné à une longue peine et demeure vingt-deux ans en maison centrale. À l’occasion de plusieurs procès, il est également puni de la peine complémentaire de la relégation. En 1960, à Chartres ou à Orléans selon les sources, il aurait côtoyé Jacques Mesrine.

Émile Buisson « l’ennemi public n° 1 »

Plusieurs gangsters accompagnèrent « le petit Émile » lors de ses hold-up. Aux débuts de l’Occupation, il y eut Abel Danos. Après-guerre, ses principaux complices sont Francis Guillo, Roger Dekker, Henri Russac, son frère Jean-Baptiste Buisson dit Le Nuss et d’autres comparses recrutés pour accomplir certains hold-up.

Émile Buisson naît en 1902, en Saône-et-Loire. La misère régne au foyer à cause d’un père alcoolique qui bat femme et enfants. Les vols alimentaires commis par les frères et sœurs pallient les excès du père. Très jeune, il est déféré devant un tribunal pour enfants à la suite de ses vols. Il subit même 15 jours de prison à l’âge de seize ans, peine prononcée par le tribunal de Nevers. À dix-neuf ans, en 1921, il est condamné à dix-huit mois de prison pour un cambriolage à main armée. Il subit sa peine dans la maison centrale de Clairvaux. Il effectue donc son service militaire aux Bat’ d’Af’, comme tous les jeunes gens qui ont tâté de la prison avant leur incorporation. À trois reprises, durant les années 20 et 30, il est associé à son frère, Le Nuss. Émile le fit transférer de la section judiciaire de l’hôpital de Villejuif vers une clinique de Chelles d’où il s’enfuit. Il l’aide également à s’échapper de l’hôpital de Mulhouse en 1932. Enfin, ils passent plusieurs années ensemble en Chine.

Il commet un hold-up à Troyes au Crédit Lyonnais, en 1937. Arrêté l’année suivante, il est incarcéré dans cette ville. Lors de l’exode pénitentiaire, il parvient à s’échapper. Probablement contacté à Marseille par les services secrets de la France Libre, en même temps que son ami Abel Danos, il bénéficie de faux papiers. En février 1941, avec ce dernier, il participe au hold-up de la rue de la Victoire, à l’aide d’une traction-avant. Deux convoyeurs de fonds du Crédit industriel et commercial sont abattus ; l’un succombe à ses blessures. Émile Buisson est emprisonné à Orléans à la suite d’un contrôle de police, sous une fausse identité. Reconnu, il est transféré à Troyes. Après une tentative d’évasion sanglante, Émile Buisson comparait devant la cour d’assises de Troyes le 13 mai 1943. Il est condamné aux travaux forcés à perpétuité et est de nouveau incarcéré à Clairvaux. Transféré à Paris pour répondre du hold-up de la rue de la Victoire et de la mort d’un encaisseur, il est incarcéré à la prison de la Santé.  En 1946, simulant la folie, il est transféré à l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Dans la section des « fous-criminels », René Girier est également interné et, lui aussi, simule la folie. En septembre 1947, ils parviennent à s’évader grâce aux complicités de Jean-Baptiste Buisson, de Roger Dekker, un évadé de la maison centrale de Caen et de Henri Russac, un relégué évadé de l’île de Ré. Émile Buisson avait pris contact avec un ancien détenu des prisons de Troyes et de la Santé, Francis  Guillo, qui venait de s’évader de Fresnes. Dès le 9 septembre 1947, ils commettent un hold-up dans un restaurant, l’Auberge d’Arbois, place de l’Étoile à Paris. Ils volent les bijoux des clientes, les portefeuilles de leurs époux et la caisse du restaurant. Au cours de leur fuite en traction, ils mitraillent deux motards ; l’un des deux succombe aux rafales. Un des complices, Russac, est abattu par un membre de la bande. Par Émile Buisson qui lui reprochait d’avoir dissimulé un diamant lors d’un partage ? Par Roger Dekker, qui lui reprochait d’être trop pressant envers sa compagne, selon les mémoires de Jean-Baptiste Buisson ? Trahis par un comparse, Jean-Baptiste Buisson et Roger Dekker sont arrêtés le 27 septembre 1947. Le gang effectue encore quelques agressions de PMU et de négociants en gros. Francis Guillo est pour sa part arrêté et condamné à mort. Mais sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité. Il est ensuite libéré après vingt-et-un ans de prison. Émile Buisson commet d’autres hold-up sanglants. Le 10 juin 1950, il est arrêté dans une auberge, l’Auberge de la mère Odue, près d’Evreux. Il comparait à plusieurs reprises devant les assises, est plusieurs fois condamné aux travaux forcés et à la peine de mort pour ses nombreux hold-up – on avança le chiffre de quatre-vingts – et pour ses meurtres.  Le 8 mars 1954, Détective décrivit la session de la cour d’assises de la Seine qui le condamne à mort. L’hebdomadaire le présente ainsi : « face blême, teint livide, mais le regard perçant comme une vrille. » Il est accusé d’une agression contre un bijoutier de Boulogne-sur-Seine commise en mars 1949, en compagnie de trois complices. Les gangsters ont tiré des coups de feu sur le bijoutier et l’un de ses employés : deux blessés et un butin d’un million de francs. L’hebdomadaire conclue ainsi : «  Le couperet de la guillotine mettra fin prochainement au cycle effroyable des forfaits de cet homme. Ce sera d’un bon exemple pour tous ceux qui seraient tentés de croire que resterait texte sans force, sans effet, la fameuse loi de 1950 prévoyant la peine capitale pour les agresseurs en bande et à main armée, même si la victime n’est pas tuée. » Il est guillotiné le 28 février 1956.

 

Jean-Baptiste Buisson, dit le Nuss

Jean-Baptiste Buisson, le frère aîné, est né en 1895. À seize ans, il est conduit dans la maison de correction d’Aniane. Un an plus tard, il s’en échappe lors d’une mutinerie et d’un incendie. Il a un beau comportement durant le premier conflit mondial : engagé volontaire, décoré et gradé. Mais il déserte en 1917. Ce qui lui vaut dix années de travaux publics à Douera, en Algérie. Employé à l’entretien de vendanges, le régime des « Travaux » ne diffère guère de celui des « Joyeux » des Bat’ d’Af’. Sa peine ne dure que trois ans et demi, interrompue par une mesure d’amnistie collective en 1921. Il entame peu après une « carrière » de cambrioleur. À la suite du « cassement » d’une villa, il est condamné en 1921 à trois années d’emprisonnement et à cinq années d’interdiction de séjour. Il subit sa peine dans la prison cellulaire de Fresnes ; il y connaît le régime de la cagoule lors des déplacements dans la prison. Après vingt-quatre mois, profitant des réductions de peine en application de la loi de 1875 sur le régime cellulaire, il est placé en liberté. Elle ne dure guère. Fin juillet 1924, il est condamné à six mois de prison ferme. Retour à Fresnes. L’année suivante, il tue un joueur de poker corse qui trichait. Il simule la folie, « bat le dingue », et est transféré à la section Henri Mondor de l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Son frère, Émile, vient à son secours et obtient son transfert dans une clinique. Il s’éloigne de la capitale, puisque « tricard », et s’installe à Grenoble, ville ouverte aux interdits de séjour. Les cambriolages ne cessèrent pas, selon ses mémoires. Il est condamné pour une tentative de cambriolage d’un appartement parisien et pour tentative de meurtre de son propriétaire : huit années de réclusion et cinq années d’interdiction de séjour. Il est acheminé dans la maison centrale de Melun, puis dans celle d’Ensisheim. Ses transferts sont provoqués par le fait qu’il s’accuse de différents délits pour être condamné aux travaux forcés. Une évasion de Guyane lui semble effectivement plus aisée que depuis une maison centrale. Cette version lui est personnelle. Il est possible également que la justice s’intéressait à ses périples à travers la France et aux cambriolages qu’il effectua à l’occasion. En août 1932, incarcéré à Ensisheim, il se blesse volontairement – ce que les détenus appelaient un « maquillage » - et est transféré à l’hôpital de Mulhouse. Son frère Émile l’aide à s’en évader. Il accumule donc les condamnations, souvent confondues, et c’est vraisemblablement durant ces années 30 qu’il est frappé de la peine complémentaire de la relégation.  Lors de l’offensive allemande de mai 1940, la maison centrale d’Ensisheim est évacuée vers la maison centrale de Riom. Il y poursuit sa peine de réclusion jusqu’en 1945. Il entre alors en relégation, est transféré dans la centrale de Nîmes où il bénéficie de l’appui du médecin Salan et d’un pasteur. Le 7 septembre 1946, il est relevé de la relégation, comme beaucoup de ces prisonniers qui ont subi les dures conditions d’emprisonnement de la période de guerre. L’année suivante, en septembre 1947, il aide son frère Émile et René Girier à s’évader de l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Peu après, il participe au hold-up de l’Auberge d’Arbois. Dans ses mémoires, il dit s’être tenu en retrait alors que les autres gangsters agissaient à visage découvert puisqu’ils étaient tous évadés de prison, alors que lui n’était sous le coup d’aucune condamnation, conduisant la voiture lors de la poursuite avec les motards. Probablement pour exonérer son frère de certains meurtres qui le menèrent à la guillotine, il s’accuse du meurtre de l’un des policiers, après sa sortie de prison dans le livre Le dernier Mandrin.  Arrêté peu de jours après, il bénéficie d’un non-lieu dans cette affaire.

Il est arrêté le 3 avril 1953, à la suite d’un règlement de compte dans le bar La Sirène, rue Saint-Denis, à Paris. Un consommateur aurait dit que son frère était un « enculé ». Suite à cela, il sort chercher un paquet dans un autre bar et abat un consommateur qui s’interpose, une petit trafiquant havrais. Ce vieux « cheval de retour » avait déjà subi près de treize années de prison à Melun, Riom, Ensisheim, Nîmes pour des vols à main armée, des violences, voies de fait et port d’armes. Malgré sa relégation, il avait été libéré en 1946. Il attend trois années son procès dans la prison de Fresnes. Il y fait « gourbi » au quatrième étage de la première division avec deux complices de Pierre Loutrel, Jo Attia et Georges Boucheseiche, l’un et l’autre bénéficiant d’un non-lieu pour leur participation au gang des Tractions Avant. Il est condamné aux travaux forcés à perpétuité le 6 octobre 1956, six mois après l’exécution de son frère. C’en est fini des frères Buisson. Il a alors soixante-et-un ans. Il commence sa peine à Ensisheim, puis est acheminé au Centre national d’Orientation de Fresnes. Il est proposé pour la maison centrale de Nîmes, puis à Cognac pendant une année car l’administration pénitentiaire y tente la brève expérience du regroupement des détenus âgés, avant d’effectuer le restant de sa peine dans l’hospice-prison de Liancourt. Il demeure incarcéré jusqu’en mars 1969, date de sa libération conditionnelle. Sa peine est commuée en vingt années de travaux forcés en 1960. Il se retire dans le Nord de la France et accepte de livrer ses souvenirs au journaliste Maurice Frot en 1977.

 

Roger Dekker

Roger Dekker est l’un des nombreux complices d’Émile Buisson. Évadé de la maison centrale de Caen, il aide ce dernier à s’échapper de l’hôpital psychiatrique de Villejuif. Détective le présente comme un « romanichel à face de brute » lorsqu’il s’évade de la maison centrale de Fontevrault, en compagnie de deux autres prisonniers en 1955. Il y purgeait une sentence perpétuelle.

 

Francis Guillo, dit Le Petit Francis

Comme la plupart des complices d’Émile Buisson, surnommés les « basduc », Francis Guillo était de petite taille : 1 m 59. Son père était cheminot à Argentan. Sa mère, infidèle et alcoolique, fut chassée du foyer familial et mourut de la grippe espagnole dans la maison centrale de Rennes, condamnée pour avortement. Très jeune, et en échec à l’école, Francis Guillo s’engage dans la marine. A la suite d’une bagarre au couteau, un conseil de guerre l’acquitte comme ayant agi sans discernement puisque, mousse, il n’était pas majeur.  Il est envoyé dans la maison de correction d’Aniane, y demeure jusqu’à dix-neuf ans et demi. Admis à la section de mérite, il bénéficie d’une libération surveillée chez son père en Bretagne. Il travaille un temps chez Renault, puis part aux vendanges dans le bordelais. Dans un bar, une nouvelle bagarre et le port d’un cran d’arrêt lui valent trois mois de prison au fort du Hâ. Ramoneur, ouvrier dans la région parisienne, il participe aux grèves de 1936, puis connait le chômage. Mobilisé en 1939, il rejoint le camp d’Auvour, puis Vannes où était regroupé, au sein du 16ème bataillon d’infanterie, les anciens condamnés, c'est-à-dire un régiment de « bataillonnaires ».  Ils sont acheminés en Alsace, puis au camp de Sainte-Suzanne où ils sont désarmés, puis à Marseille et enfin en Afrique du Nord, dans le camp de Boudnib. Après l’armistice, les bataillonnaires sont rapatriés dans un camp de l’Ardèche. Francis Guillo, qui était marié, est libéré. Il revient à Paris, participe au marché noir, fait de l’abattage clandestin. Pris par la police allemande, il est incarcéré six mois dans la prison militaire du Cherche-Midi. Il continue le trafic de métaux non ferreux, vole des bobines de cuivre dans des dépôts PTT.  À la suite du cambriolage d’une usine, il est condamné a dix mois de prison. Incarcéré à la Santé, il y rencontre Émile Buisson, condamné à perpétuité. Libéré, il est de nouveau arrêté pendant le cambriolage d’un diamantaire. Retour à la Santé, de nouveau avec Émile Buisson. Ils participent à la mutinerie de l’été 1944, sévèrement réprimée par les miliciens. Francis Guillo est ensuite transféré à Fresnes. Il connaît la prison surpeuplée de la Libération puisqu’on y regroupait les prévenus des cours de justice pour faits de collaboration. Il se fait embaucher au garage comme tôlier carrossier et s’évade.

La justice l’inculpe dans trente-deux agressions à main armée et des meurtres : PMU du carrefour de Châteaudun, PMU de la rue de Vaugirard, attaques de grossistes, d’un bureau de tabac, d’une usine Saint-Gobain pour y dérober la paie des ouvriers.

L’instruction de son procès est longue, plus de sept années. Il est condamné à mort le 27 janvier 1955. Mais sa peine est commuée en travaux forcés à perpétuité, puis en vingt années. Il a effectivement comparu dans d’autres procès et a été sanctionné à plusieurs reprises de vingt années de travaux forcés, augmentés de la peine de la relégation. Il demeure huit ans à la Santé puis est transféré à Toul. C’était un établissement à régime progressif. Il subit donc six mois d’isolement, puis est admis à travailler dans les ateliers. Après Toul, il est incarcéré à Caen.

Il bénéficie d’une libération conditionnelle, assortie d’une interdiction de séjour, à l’âge de soixante-deux ans, après vingt-et-un ans d’emprisonnement. Il devint outilleur-ajusteur dans une entreprise de Lorraine, puis se retire dans un monastère.

Paul Delappina, « gentleman-cambrioleur » ?

Paul Dellapina, cambrioleur des beaux quartiers de l’Ouest parisien, bénéficia d’une presse indulgente. Il fut tantôt le gentleman cambrioleur de l’après-guerre, une sorte d’Arsène Lupin, tantôt un cambrioleur souriant et peu avare de bons mots dans les enceintes judiciaires. Ses méfaits s’écartaient des modes d’opération du héros de Gaston Leroux puisqu’il s’en prenait aux habitants des résidences qu’il cambriolait ; il les forçait, non sans quelques violences, à lui révéler l’emplacement de leur coffre. Il fut accusé d’avoir violé certaines de ses victimes et même d’un crime lors du cambriolage de la demeure du consul de Norvège à Marseille. Ce qui lui valut une condamnation à mort par contumace.

Né en 1911 à Sartène, orphelin de mère et battu par son père, il fugue dès l’âge de quinze ans à Marseille. Accusé de vols, un tribunal pour enfants le mène au patronage de la rue des Vertus à Marseille, maison tenue par des sœurs. Il s’enfuit, commet de nouveaux larcins et est enfermé à la prison Chave, aux côtés de détenus adultes. Il est envoyé dans la maison de correction d’Aniane, près de Montpellier. Indiscipliné, « caïd » dans la détention, il est transféré dans l’établissement disciplinaire d’Eysses jusqu’à ses vingt ans. Après son service militaire, affecté aux Bat’ d’Af’ mais insoumis, il tombe pour un cambriolage et pour proxénétisme. Il séjourne durant trois ans dans la maison centrale de Nîmes, de 1934 à 1937. Nouveau cambriolage à Marseille : deux années supplémentaires à Nîmes et à Clairvaux. Pendant l’Occupation, cambriolages et trafics divers semblent lui avoir rapporté gros. Son casier judiciaire compte également des condamnations prononcées en 1942 et 1943, notamment pour infraction à son interdiction de séjour de dix années prononcée en 1934. Il devient Monsieur Paul à Marseille, propriétaire d’un bar, d’une villa, de deux magasins de vin et liqueurs. Toutes les traces de son passé ont été effacées du commissariat central de la ville grâce à un policier soudoyé. Marcel Montarron, dans le numéro 413 de Détective du 31 mai 1954, résume la vie de ce « dernier seigneur de cette pègre marseillaise, aujourd’hui décapitée ». Il décrit son appartement au luxe tapageur, son téléphone en ébonite, sa voiture américaine, ses magasins mis au nom de son épouse. Dans les dossiers judiciaires, on ne mentionne que les professions de plongeur ou de garçon de café.

Après guerre, la police est de nouveau sur ses talons. Il est accusé du meurtre du consul de Norvège à l’occasion d’un cambriolage. Arrêté le 17 décembre 1946, il tente de s’évader de la prison Saint-Pierre à Aix-en-Provence, en compagnie de Jo Attia et de Marcel Ruard qui venaient de se faire prendre. Mais c'est un échec. Il réussit la belle depuis la prison des Baumettes dans la nuit du 17 au 18 décembre 1947. Il est condamné à mort par contumace par la cour d’assises des Bouches-du-Rhône le 23 juin 1949. Il ne devait être jugé qu’en 1954 pour cette première série de cambriolages marseillais et pour association de malfaiteurs, défendu par le ténor du barreau Henri Torrès et son assistant Robert Badinter : 20 ans de travaux forcés et la relégation. Détective a décrit ce procès dans son numéro du 31 mai 1954.

Après son évasion, il fuit à Paris et commence à cambrioler les demeures du XVIe arrondissement et de Neuilly. Son butin est énorme. Cela dure deux années jusqu’à une trahison et son arrestation. Il est condamné à vingt ans de travaux forcés et à la relégation par la cour d’assises de la Seine durant l’automne 1952. L’acte d’accusation dénombre treize vols qualifiés dont neuf commis à main armée, certains avec deux complices, Tomasini et Filippi, de 1948 à 1950. Le procureur général note que des violences ont été exercées sur les victimes à cinq reprises. En 1948, son évasion ratée est sanctionnée de dix mois de prison. En 1953, son évasion réussie des Baumettes lui coute six mois supplémentaires. L’administration pénitentiaire se méfiait d’un personnage qui, en 1950, avait également tenté de s’échapper de la prison de la Santé. Il y était en contact avec Abel Danos.

Son parcours dans les prisons pour peines débute par un stage au Centre national d’Orientation de Fresnes. Malgré la dangerosité du personnage suspecté de vouloir encore s’évader, il est admis dans les établissements de la Réforme pénitentiaire. Il commence par un séjour dans la centrale Ney de Toul jusqu’en 1958, puis à Ensisheim, puis à Clairvaux jusqu’en 1965. Il aurait pu échapper à la relégation puisque les centrales réformées dans lesquelles il était incarcéré proposaient un parcours progressif jusqu’à la libération conditionnelle, mais il profite d’un placement en semi-liberté à Ensisheim pour s’enfuir. Repris, il quitte l’univers des prisons réformées pour la maison centrale ordinaire de Clairvaux. En 1965, ayant achevé sa peine, il part pour le centre d’épreuve de relégués de Saint-Martin-de-Ré. Il y demeure deux années, accablé par seize années de détention. Il continue d’avoir du prestige auprès des détenus. Le 14 février 1968, il est transféré au centre d’observation de relégués de Rouen. L’équipe pluridisciplinaire, composée d’un éducateur, d’une assistante sociale, d’un psychiatre et de personnels pénitentiaires, observe son comportement, d’abord durant les quelques mois d’isolement, puis en semi-liberté. Le psychiatre note, non sans humour : « C’est un truand désireux de prendre sa retraite au terme de dix-huit ans de réflexion. » Mais le stage ne se déroule pas très bien : plusieurs retards lors de ses retours à la prison alors qu'il est employé dans un établissement de l’agglomération, puis une altercation avec un surveillant. Il avait dissimulé des lames de rasoir dans une chemise. Il est exclu du stage et écroué dans la maison d’arrêt de Rouen le 6 octobre 1969. Il risquait alors d’entamer un long parcours dans les centres de relégués, mais, l’année suivante, la relégation disparut du Code pénal. Libéré en 1970, il écrit ses mémoires, Cambrioles ; mémoires très discrètes sur la phase de relégation. Il meurt peu après dans un accident de voiture.

 

René Girier, le « roi » de l’évasion

René Girier dit René la canne, à cause d’une blessure, naît en 1919, près de Lyon à Oullins.  Il connaît lui aussi l’éducation correctionnelle des maisons d’éducation surveillée à la suite de vols et de fugues. Il est emprisonné dans la maison d’éducation surveillée de Lamotte-Beuvron dans le Loir-et-Cher,  dans la section d’éducation surveillée de Fresnes et enfin dans l’ancienne colonie pénitentiaire de Saint-Hilaire. À dix-huit ans, il quitte cet univers de violences, d’homosexualité où les prévôts faisaient régner l’ordre  aux côtés de gardiens qui tapaient fort – univers fustigé par la presse à la suite de la mort d’un colon – et il s’engage dans l’armée. Il n’y demeure que cinq mois et est réformé pour troubles psychiatriques.

Sur la période de l’Occupation, nous ne disposons que des autobiographies de René Girier. Proxénète, auteur de cambriolages de fermes, agressions et cambriolages au faux policier, il est emprisonné à plusieurs reprises, retenu dans l’hôpital psychiatrique de Bron, puis à l’hôpital Marmottan. Il s’échappe, est repris, incarcéré au Cherche- Midi par les autorités allemandes et transféré au camp de Compiègne. Il aurait été acheminé vers Buchenwald en août 1944 et aurait réussi à fuir du train. Revenu à Paris, il aurait monté une nouvelle équipe et agressé des paysans soupçonnés de s’être enrichis pendant l’Occupation. René Girier affirme avoir fait partie d’une bande de cambrioleurs pendant la guerre et même d’avoir pratiqué des hold-up avec des tractions-avant. Il n’est pas aisé de confirmer ces affirmations. René Girier ne figure pas dans le Livre mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution (1940-1945), publié aux éditions Tirésias en 2004, ni dans les listes alphabétiques, ni dans les listes des transports de l’été 1944 vers le camp de Buchenwald.

Perceur de coffres-forts, auteur de hold-up, voleur et cambrioleur, il s’en prend à des fourgons blindés et tente de kidnapper Rita Hayworth. Son attaque de la bijouterie Van Cleef et Arpels à Deauville, en 1949, lui aurait rapporté près de soixante-cinq millions d’anciens francs. La presse consacrait des articles louangeurs à ce personnage élégant qui parvenait à s’évader des prisons où il était retenu. Elle le présentait en « spécialiste de l’évasion », « en gangster intelligent », en « bandit bien aimé ». En 1947, il s’échappe de l’asile de Villejuif avec Émile Buisson, grâce à l’aide du Nuss et de Roger Dekker. En avril 1949, il fausse compagnie aux débonnaires gardiens de la maison d’arrêt et de correction de Pont-l’Evêque. Il y était incarcéré à la suite d’une condamnation à huit mois de prison, le 18 janvier 1949, pour un vol de voiture.

Le 12 septembre 1949, Détective relate une nouvelle arrestation de René Girier et de ses complices, à Montfermeil. Ce 2 septembre sont arrêtés José Arellano, Auguste Vasseur, Arsène Godart, dit Dédé de Deauville, soupçonné d’avoir participé au hold-up de la grande bijouterie, Jean-Gaston Debusigne, et deux autres complices, tous déjà connus pour des méfaits antérieurs. L’hebdomadaire ajoute : « C’en est fait de la liberté de René Girier, ennemi public, (…) ; Girier, un des chefs du gang des tractions avant. » Le journaliste Marcel Lacoste affirme que Girier avait avoué l’attaque d’un fourgon postal à la porte d’Orléans et de nombreux vols de voitures. La police avait déjà arrêté deux autres complices de ce hold-up : Marcel Barbé, dit Marcel le Frisé, et Rodolphe Drollinger. Il offre le portrait d’un jeune premier élégant : « Il contemple souvent, avec complaisance, ses ongles soignés et ses pieds élégamment chaussés de daim marron. Le pli de son pantalon bleu ardoise lui cause du tourment lorsqu’il s’assied dans les fauteuils des interrogatoires, et c’est avec précaution qu’il le tire sur ses cuisses. » Le journaliste accrédité à la préfecture de police retrace les péripéties judiciaires antérieures de Girier : deux mandats d’arrêt pour des vols en mars et novembre 1943, une condamnation par défaut à trois années de prison en 1945. La peine est confirmée en appel l’année suivante. En juillet 1946, il est acquitté faute de preuves de vols et d’association de malfaiteurs par une autre chambre correctionnelle. En novembre 1946, il simule la folie, bénéficie de l’application de l’article 64 du Code pénal et est transféré le 2 de ce mois à l’infirmerie spéciale du dépôt, puis à l’hôpital psychiatrique de Villejuif, le 21 novembre 1946. En juin 1947, son épouse qui le visite est trouvée porteuse d’un revolver. Elle est condamnée à trois mois de prison avec sursis. Un peu plus tard, c’est l’évasion avec Émile Buisson. Il faudrait également ajouter l’épisode de Pont-l’Evêque, que le journal passe sous silence.

En 1950, il s’évade d’un fourgon cellulaire, en découpant le plancher. Arrêté le 26 janvier 1951, à Paris, il est condamné par la cour d’assises de la Seine le 15 octobre 1952 à huit années de réclusion et à la relégation pour vols qualifiés et association de malfaiteurs. Il est envoyé dans la maison centrale de Fontevraud. Sa visiteuse de prison, la princesse Charlotte de Monaco, multiplie les démarches pour lui éviter d’entrer en relégation, au terme de sa peine principale. Elle persuade en 1956 Pierre Cannat, qui dirige le bureau des affaires criminelles et des grâces, de le faire admettre au CNO de Fresnes, préalablement à une affectation dans la prison-école d’Écrouves. Il n’y demeure que quelques mois et obtient une exceptionnelle libération conditionnelle qui lui évite un séjour parmi les relégués de Saint-Martin-de-Ré. Il vécut un temps auprès de la princesse, puis s’installe à Reims.

Il y meurt en 2000, après avoir tenu une librairie et dirigé des entreprises pour aider à la réinsertion de délinquants.