Landru avant Landru : profession escroc
Henri-Désiré Landru est né le 12 avril 1869 dans une famille modeste et honnête. Son père est chauffeur, sa mère couturière. La famille est établie à Paris, rue du Cloître Notre-Dame, où Landru a passé l’essentiel de son enfance… Il a fréquenté l’école primaire des Frères de la rue de Bretonvilliers dans l’île Saint-Louis. Il a été enfant de chœur à l’église Saint-Louis en l’Ile et a fait parfois fonction, en 1888, de sous-diacre. Il n’a pas suivi d’études supérieures. Henri Landru a tenté d’étudier l’architecture et son premier emploi fut celui de commis d’architecte chez les sieurs Bisson-Alleaume-Lecoeur. Landru a fait ensuite ses trois années réglementaires de service militaire au 87e régiment d’infanterie, à Saint-Quentin.
En 1889, il se lie avec Mlle Marie-Catherine Remi qui habite chez sa mère, blanchisseuse rue Saint-Louis en l’Ile. De leur relation naît le 24 juin 1891 Marie-Angèle. Libérés de ses obligations militaires, Landru régularise sa situation et se marie, le 7 octobre 1893, en légitimant l’enfant. Le jeune ménage se fixe rue de Jussieu, Landru est alors employé à la « Garantie immobilière ». Le couple déménage à plusieurs reprises : rue Lecourbe, rue Gît-le-Cœur, rue de Vaugirard, à Clamart, Montmorency, Tournai et au Grand Montrouge où ils habitent, en 1900, avec leurs trois autres enfants (Maurice-Alexandre, né le 4 mai 1894, Suzanne, née le 7 avril 1896 ; et Charles, né le 1er avril 1900)
Landru ne trouve pas de situation stable à son goût. Il est successivement comptable, entrepreneur de travaux, fabricant de bicyclettes… En 1900, à trente et un ans et sans ressources, il monte sa première escroquerie. Autoproclamé « ingénieur civil », Landru loue une boutique puis un magasin boulevard Péreire, un bureau rue Drouot et un bâtiment vide à Tournay, sur la commune de Saint-Rémy-lès-Chevreuse pour faire – déclare-t-il alors - du commerce automobile. Landru fait passer le bâtiment de Tournay pour une « usine » et publie dans les « Petites affiches » et « Le Matin » des annonces d’embauche de ce type : « Place de 350 frs à monsieur actif, pouvant se déplacer une semaine sur deux. 2000 frs exigés garantie. 87 A.B. Matin ». Plusieurs personnes répondent, Landru exige le versement de la caution puis, ayant amassé une belle somme, il disparaît sans laisser de trace. N’ayant pas été retrouvé par la police, il est condamné par défaut le 24 février 1902 par le Tribunal de la Seine à trois ans de prison et 500 francs d’amende.
Si Landru n’a pas été retrouvé par la police, c’est qu’il a pris soin de changer d’identité. Cette condamnation ne change pas ses plans. Landru ne tarde pas en effet à reprendre son activité frauduleuse sous le nom de Natier, en améliorant sa procédure. Afin d’inspirer confiance à ses futurs employés fictifs, il les fait cette fois-ci déposer l’argent de la caution dans un établissement de crédit, l’objectif étant de le retirer un peu plus tard en signant du nom du déposant. Manquant de chance, Landru-Natier est arrêté en flagrant délit lors d’un retrait de fonds. La perquisition à son domicile permet de retrouver un type de pièce à conviction qui ne sera pas sans effet sur ses affaires à venir : il s’agit d’un carnet répertoriant minutieusement les noms et les adresses de tous ses « clients » : les escroqués, et ceux qu’ils avaient tenté d’escroquer…
Le 21 juillet 1904, Landru est condamné par la Cour de Paris à deux ans de prison et 50 francs d’amende. Cette peine est confondue avec la précédente, réduite sur opposition à deux années d’emprisonnement.
Dès sa sortie de prison, en 1906, Landru reprend ses activités illicites sous les pseudonymes de Maddau, Remy, Chatelle, de Dupont. Le hasard joue encore une fois contre lui : une de ses victimes le reconnaît dans la rue, il est arrêté, condamné le 28 mai à 13 mois de prison puis, le 19 juin de la même année, à deux ans de prison.
Ce second séjour en prison n’a pas d’effet dissuasif. Landru est désormais escroc de profession. Dès l’année de sa libération, en 1909, il réalise de nouvelles arnaques au cautionnement et publie parallèlement sous le nom de Paul Morel, dans l’ « Echo du Nord », une proposition de mariage. Une femme lui répond, un échange épistolaire s’ensuit. Elle le rencontre, le fréquente, le présente à sa mère, se fiance et, pour finir, lui confie ses économies au prétexte d’établir le contrat de mariage chez un notaire. Morel disparaît immédiatement dans la nature chargé des valeurs de sa promise. Certaine d’avoir été dupée, la victime fait opposition sur ses titres. Landru est rattrapé une nouvelle fois par la justice, alors qu’il tentait d’utiliser ces valeurs pour une nouvelle escroquerie. Ces nouveaux exploits lui valent trois condamnations : le 4 janvier 1910, à deux ans de prison et 50 frs d’amende, le 28 mai 1910, à trois ans de prison et cent francs d’amende, le 5 août, pour l’escroquerie au mariage, à trois ans de prison et cent francs d’amende. Les peines étant confondues, Landru ne doit exécuter que la dernière ; mais celle-ci est lourde de conséquence. Ces trois années de détention ont-elle permis à Landru de réfléchir à son avenir, d’infléchir sa trajectoire ? L’alternative est simple : soit il abandonne définitivement ses activités illicites, soit il persiste dans sa carrière d’escroc, mais il ne doit plus être confondu, il n’a plus droit à la moindre erreur. Toute nouvelle condamnation le rendrait passible de la relégation, synonyme d’un exil définitif en Guyane.
Landru perd ses deux parents alors qu’il purge sa peine de prison. Ceux-ci avaient décidé de quitter Paris en 1910, pour se retirer à Agen. Le décès de la mère, dans la même année, incita le père à revenir sur Paris. Il se suicida le 28 août 1912, au Bois de Boulogne.
Landru prit-il le temps de la réflexion, eut-il un moment d’hésitation ?
Libéré fin 1913, il ouvre à Malakoff un atelier de construction mécanique. Il en vivote pendant quelques mois mais il n’attend pas un an pour reprendre ses escroqueries au cautionnement en publiant simultanément des annonces de recrutement dans Le Journal, Le Matin et L’Echo du Nord. Il parvient ainsi à voler quinze personnes et disparaît, le 23 avril 1914.
Le 20 juillet, il est condamné par défaut à quatre ans de prison et 1000 francs d’amende, ainsi qu’à la relégation.
La période du Landru escroc aura duré quatorze ans.
Des femmes disparaissent
Condamné, en fuite, Landru ne peut plus désormais que se constituer prisonnier ou survivre en hors-la-loi. Sa trace est perdue par les autorités judiciaires durant tout le temps de la guerre. Mais il n’est pas le seul à disparaître mystérieusement, dans la région parisienne :
- depuis mars 1915, plus personne n’a eu de nouvelles de la veuve Cuchet et de son fils, vus pour la dernière fois à Vernouillet.
- Mme veuve Laborde-Line est vue pour la dernière fois en juin-juillet à Vernouillet
- Mme veuve Guillin de même, en août
- En décembre 1915, la veuve Heon disparaît sans laisser de traces
- En décembre 1916, la veuve Collomb est vue pour la dernière fois à Gambais
- Même phénomène, en avril 1917, pour la veuve Babelay
- Puis en septembre 1917, avec la veuve Buisson
- En novembre 1917, la femme Jaume
- En avril 1918, la femme Pascal
- En janvier 1919, la demoiselle Marchadier.
Ces disparitions touchent des femmes esseulées, veuves ou vieilles filles en quête de mariage. Deux d’entre elles, toutefois, suscitent l’inquiétude de leur famille. La veuve Buisson avait un fils et une sœur. Tous deux avaient été prévenus de son intention de se remarier avec un sieur Fremyet. La sœur avait d’ailleurs déconseillé ce remariage après avoir vécu quelque temps dans l’intimité du couple, dans la propriété de campagne de Fremyet, à Gambais. Le fils ayant eu un accident, il tenta en vain à plusieurs reprises de prévenir sa mère. Sans nouvelles depuis de longs mois, sa sœur entreprit d’écrire au maire de Gambais, qui lui répondit qu’il n’avait aucune trace de sa sœur sur les registres d’état-civil et que la villa indiquée n’était d’ailleurs pas louée par M. Fremyet, mais par un certain Dupont. Sa demande lui paraissait étrange pourtant, car elle lui rappelait celle d’une dame Collomb, en quête elle aussi d’une sœur dont la trace se perdait à Gambais. Les familles se mirent en relation. Elles comprirent ainsi très vite que les deux femmes avaient été fiancées au même Fremyet, et vues pour la dernière fois en cette même villa de Gambais. Deux plaintes furent déposées. La brigade mobile fut chargée de l’enquête. Le 10 avril 1919, le procureur de la République de Mantes ouvrait une information contre X… dit Fremyet, dit Dupont, sous l’inculpation d’assassinats. Le 11 avril, une amie de la veuve Buisson reconnut Fremyet sortant d’un magasin parisien. La police fut prévenue. La marchandise achetée devait être livrée chez Lucien Guillet, ingénieur, rue de Rochechouart. Vérification faite, cet homme n’était autre que Fremyet, connu par le maire de Gambais sous le nom de Lacoste. Il partageait son appartement avec la demoiselle Fernande Segret. Après son arrestation et sa mise en garde à vue, la perquisition à son domicile permit de découvrir un brevet d’invention déposé au nom de Landru !
Confondu, l’escroc séducteur n’est guère décidé à aider l’instruction de son affaire : « C’est bien moi Landru, mais je me refuse à vous faire toute autre déclaration ». Un petit carnet noir en moleskine ciré, prélevé sur lui, contient une page qui va guider les investigations : « Cuchet – J. idem – Bresil – Crozatier – Havre – Buisson – Colomb – Babelay – Jaume – Pascal – Marchadier ». On a également trouvé lors de la perquisition des feuilles d’agenda reportant précisément toutes ses dépenses du 6 juin 198 au 31 mars 1919, avec des opérations de bourses aux noms de Buisson, Jaume et Paulet, des effets de femmes à initiales différentes… Landru proteste de son innocence, indique que Mme Collomb doit être à Nice, Mme Buisson dans le Midi. Mais l’enquête avance. On découvre bientôt, dans un garage loué par Landru sous le nom de Fremyet, des objets, des meubles, des vêtements et des papiers ayant appartenus à d’autres femmes, celles-là même qui sont signalées sur le carnet, nommément ou indirectement (« Bresil » pour l’origine de Mme Laborde-Line, « Crozatier » pour la rue du domicile de Mme Guillin, « Havre» pour Mme Heon etc.). En avril 1919, une information est ouverte à Paris contre Landru sous les inculpations d’homicides volontaires, vols, recels et complicité. L’enquête se ressert. Le décryptage des carnets codés de Landru permet de mettre au jour une activité de séducteur qui l’aurait conduit à être en rapport avec 283 femmes ! Ses annonces matrimoniales sont retrouvées, il est confondu à plusieurs reprises sous ses différents pseudonymes par des proches de ses victimes. Sur les 283 femmes identifiées, seules dix disparues, promises au mariage par Landru, restent introuvables (ainsi que le fils de l’une d’elle). On trouve des restes d’ossements humains calcinés dans la villa de Gambais. La cuisinière du lieu est testée : une moitié de tête de mouton y est calcinée en moins d’une demi-heure mais un gigot de plus de deux kilos exige une heure dix de cuisson pour une incinération complète. Elle paraît donc permettre l’incinération d’un corps humain découpé, sauf le tronc, peut-être… Or Landru a acheté beaucoup de scies. Sa cheminée a attiré à plusieurs reprises l’attention du voisinage par l’odeur pestilentielle qu’elle dégageait, certaines nuits. Odeur caractéristique, selon un boucher, de chair brûlée.
Inculpé et écroué, Landru va devoir répondre de onze assassinats devant la cour d’assises de Seine-et-Oise.
Landru sous les feux de la rampe
L’instruction de l’affaire ayant été largement relayée par la presse, le procès du « Barbe-bleue de la villa de Gambais » est attendu avec impatience. Celui-ci s’ouvre le lundi 7 novembre 1921, à Versailles. Colette rend compte de la première audience dans le quotidien Le Matin :
« C’est son entrée, et non celle des robes rouges et noires, qui met un peu de gravité dans cette salle petite, dépourvue de majesté, où l’on parle haut et où l’on s’ennuie parce que la Cour se fait attendre. C’est lui qui attire et retient tous les regards, lui, cent fois photographié, caricaturé, reconnu de tous et différent pourtant de ce que l’on connaît de lui. Voilà bien la barbe, la calvitie popularisée ; le sourcil crêpé, comme postiche. Mais cet homme maigre porte sur son visage quelque chose d’indéfinissable qui nous rend tous circonspects. - un peu plus j’écrivais : déférents.
Une femme tête nue, derrière moi, chuchote :
- Il a vraiment l’air d’un monsieur.
Quel éloge !… Un journaliste affirme que Landru a « une barbe de préparateur en pharmacie ». Un dessinateur dit :
- Il est bien convenable, on jurerait un chef de rayon à la soie
La foule n’émettra jamais d’opinion unanime sur Landru. L’homme aux cinquante noms, l’homme aux deux cent quatre-vingt-trois aventures féminines, même sans bouger, et avant qu’il ait parlé, est déjà Protée. Séduisant ce séducteur ? Correct, certainement. Faunesque, verlainien, comme on l’a décrit ? Non. Ni génial, ni difforme. Au-dessus des vertèbres maigres du cou, le crâne est beau, et peut couver l’intelligence, qui sait, l’amour…Pour ce qui est de la face, sa ressemblance évidente avec l’ancien député Ceccaldi, le Ceccaldi de Caillaux, frappe, et gêne un moment, puis on l’oublie. On l’oublie quand on a vu l’œil de Landru. Je cherche en vain, dans cet œil profondément enchâssé, une cruauté humaine, car il n’est point humain. C’est l’œil de l’oiseau, avec son brillant particulier, sa longue fixité, quand Landru regarde droit devant lui. Mais s’il abaisse à demi ses paupières, le regard prend cette langueur, ce dédain insondables qu’on voit au fauve encagé. Je cherche encore, sous les traits de cette tête régulière, le monstre, et ne l’y trouve pas. […]
A-t-il tué ? S’il a tué, je jurerais que c’est avec ce soin paperassier, un peu maniaque, admirablement lucide, qu’il apporte au classement de ses notes, à la rédaction de ses dossiers. A-t-il tué ? Alors, c’est en sifflotant un petit air, ceint d’un tablier par crainte des taches. Un fou sadique Landru ? Que non. Il est bien plus impénétrable, du moins pour nous. Nous imaginons à peu près ce que c’est que la fureur lubrique ou non, mais nous demeurons stupides devant le meurtrier tranquille et doux, qui tient un carnet de victimes et qui peut-être se reposa, dans sa besogne, accoudé à la fenêtre en donnant du pain aux oiseaux. Je crois que nous ne comprendrons jamais rien à Landru »
Le procès de Landru attire peu à peu, au fil des audiences, de plus en plus de curieux et de personnalités dans le public. On y voit tour à tour ou simultanément, outre Colette, l’écrivain Henri Béraud, le comique Louis Boucaut, Mlle Spinelli, Mistinguett. La Cour est salle de spectacle.
Défendu par maître Moro-Giafferi, Landru entend prendre les débats à son compte, sans parvenir toutefois à infléchir le scénario de l’accusation. Très incisif sur les détails, l’accusé est évasif lorsqu’il s’agit d’éclairer la Cour. « Il ne m’appartenait pas de guider la police. Depuis trois ans, ne me reproche-t-on pas des faits que les disparues elles-mêmes ne m’ont à aucun moment reprochés » (Audience du 8 novembre 1921)
Pourquoi un marchand de meubles passe t-il des annonces matrimoniales à répétition ? C’était une « petite ruse commerciale bien innocente » qui permettait d’entrer en contact avec des personnes ayant des meubles à vendre. Il n’a jamais prétendu se marier, seule l’annonce était vraie. On lui lit une lettre d’amour destinée à l’une de ces femmes ? « Cette lettre n’est qu’un brouillon ; une fantaisie d’écrivain. Beaucoup d’auteurs écrivent ainsi, et peu de volumes paraissent ». Mais si Landru ne songeait pas sérieusement au mariage, pourquoi écartait-il certaines lettres de correspondantes sans leur répondre en notant dans son carnet « Sans suite. Sans fortune » ou encore « Intérieur sale, voix éraillée, fox blanc insupportable » ? Landru répond à côté : « Je ne songeais pas au mariage ». Démenti des proches des victimes. Pourquoi alors ces femmes lui aurait-elles laissées leurs bijoux (parfois offert à sa propre femme), leurs papiers intimes, leurs pièces d’identité ? « C’était un dépôt sacré ». Landru s’abrite derrière le mur de la « vie privée » pour ne pas en dire plus. Ainsi, il esquive : « J’ai une très mauvaise mémoire… » (Audience du 10 novembre 1921), et de temps en temps, il trouve le bon mot, avec des effets plus ou moins heureux sur l’assistance :
« Je suis aux regrets, monsieur l’avocat général, mais je n’ai qu’une tête à vous offrir » (Audience du 12 novembre 1921). Lorsque les experts psychiatriques (Vallon, Rogues que Fursac et Roubinovitch) témoignent de la parfaite intégrité mentale de l’accusé en relevant « le charme extrême de sa conversation », Landru réplique que les crimes qu’on lui impute ne peuvent précisément qu’être ceux d’un fou. Ce qu’il n’est pas et ce qu’il n’a jamais prétendu être alors que c’était peut-être là, à la réflexion, comme le noteront certains journalistes, le seul moyen d’éviter la peine capitale (Audience du 23 novembre). Landru attaque même, parfois, lançant, à la sœur de Mme Cuchet qui témoigne :
« Avez-vous une preuve que j’ai assassiné votre sœur ? »
« J’ai dit que vous l’aviez assassinée, car c’était une femme de cœur, un brave cœur, qui ne laisserait pas condamner un homme qu’elle aimait tant »
A l’évocation de chaque femme disparue, l’échange prend la même tournure. Landru ne peut en dire plus sur ses relations « privées ». Il clame son innocence et demande que l’accusation établisse la preuve de sa culpabilité. Son attitude à l’égard des familles déroute les observateurs, comme le relève Georges Clarétie, dans Le Figaro (15 novembre 1921) :
« A chaque audience nous voyons apparaître une mère ou une sœur en larmes qui ne veulent pas croire, qui ne peuvent pas croire, que celle qu’elles aimaient ne leur aient pas donné de nouvelles. Elles sont douloureuses ; elles pleurent ; la salle est émue de ces cris de mère. Landru seul reste impassible. Ce qui caractère ce singulier accusé, c’est l’absolue et inquiétante insensibilité.
Un innocent – tous les innocents – devant cette douleur vraie, crierait : « Non, non, je n’ai pas tué votre enfant ! Ce n’est pas moi ! » Bien des coupables aussi feraient de même pour troubler le cœur des juges. Landru écoute, regarde pleurer. On l’appelle « assassin » et il consulte ses notes. On lui demande s’il a quelque chose à dire. Il lève la tête, contemple la mère ou la sœur en larmes : « Non, rien du tout ! absolument rien ! monsieur le président ! ». Jamais encore on n’avait vu cela en Cour d’assises ».
La pierre d’achoppement de l’accusation est d’établir la matérialité du corps du délit. Il y a à la fois trop de victimes et trop peu de corps. La déposition des experts en médecine légale apporte quelques éclaircissements. Le 25 novembre, Raoul Antony, professeur à l’Ecole d’anthropologie de Paris, déclare que le petit kilo de 295 débris d’os humains retrouvés à Gambais a permis de reconstituer partiellement trois crânes, cinq pieds et six mains, donc trois cadavres différents, probablement de femmes. Maître Moro-Giafferri répond : les scellés n’ayant pas été apposés dès la première visite des enquêteurs, ces éléments ne peuvent être recevables. Et un médecin légiste de préciser, au détour de sa démonstration : « les brûleurs de cadavres n’avouent jamais ».
Même si les corps des victimes n’ont pas été retrouvées, même si les restes humains sont discutés, même si on ne sait comment Landru tuait – par empoisonnement, par strangulation ? – l’appropriation des effets personnels des personnes disparues et les dépositions des témoins qui furent proches des victimes ou voisins de ses villas sont autant d’éléments à charges.
Les 28, 29 et 30 novembre sont réservés au réquisitoire et aux plaidoiries. Les avocats des parties civiles soulignent l’attachement des femmes disparues à leur assassin, le caractère exceptionnel et abominables des crimes commis et requièrent la peine de mort. L’avocat général Robert Godefroy fait de même, affirmant que le procès a démontré que le plaisant Landru décrit et chanté avant le procès n’était qu’une invention de café-concert :
« Landru devenait une sorte de Charlot du crime. Ses victimes, ridiculisées ou calomniées, s’effaçaient ; lui seul dominait, railleur et gouailleur, emplissant Paris de bons mots, dus généralement à l’intarissable esprit des journalistes (rires). En notre pays d’esprit et de fronde, il devenait le sympathique Guignol bernant le commissaire et rossant le gendarme.
[…] Aujourd’hui fini le jovial facétieux. Devant vous, messieurs les jurés, est un monstre dégouttant du sang de onze victimes. Il me reste à le démasquer complètement pour obtenir de vous la suppression de ce rameau corrompu de l’arbre social ». (Le Gaulois, 29 novembre 1921)
C’est enfin le tour de maître Moro-Giafferri, qui appuie sa plaidoirie sur les dispositions du code civil relative à l’absence. Ce n’est, en droit français, qu’au bout de quatre ans qu’un héritier peut entrer en possession provisoire de l’héritage d’un disparu, et il lui faudra attendre trente ans pour que cette possession soit définitive car « avant trente ans, le fait de la disparition ne démontre pas la mort ». Landru doit bénéficier du doute.
A sept heures du soir, le jury entre en délibération. A neuf heures vingt, le verdict est rendu : Landru est condamné à mort.
« Je n’ai qu’un mot à dire. Le tribunal s’est trompé. Je ne suis pas coupable d’assassinats. Que ce soit ma dernière protestation ! »
L’accusé Landru avait tenu à prendre le rôle d’acteur principal lors du procès. Il y parvint. Songeait-il sérieusement à infléchir le scénario de l’accusation ? Rien n’est moins sûr. Voici le sentiment du chroniqueur Henri Vonoven, qui assista à toutes les audiences :
« Ce que veut Landru, ce n’est pas tant persuader le jury de son innocence que se persuader lui-même qu’il est le plus bel accusé des temps modernes… Il le fut. L’accueil qu’il fit à sa condamnation montra sa volonté de réussir au mieux la dernière scène du drame. Le châtiment suprême lui parut la peine à sa taille. Il la domina, comme un vaincu glorieux qui méprise son vainqueur. Sa crânerie devant le verdict prit des allures d’héroïsme criminel. Il rayonnait d’orgueil, transfiguré, triomphant. C’est un grand artiste » (Le Temps, 23 novembre 1921)
De retour en prison, Landru se pourvoit en cassation. Témoignage de vie quotidienne de celui que la presse appelle encore « le sire de Gambais » :
« Depuis sa condamnation à mort, Landru a cessé d’être loquace ; sa faconde, dont se divertissait le petit personnel de la prison Saint-Pierre, a fait place au silence dédaigneux. Tout au plus consent-il à échanger quelques propos avec le docteur Charles-Robert, médecin chef de l’établissement, et avec maître Navières du Treuil, secrétaire de maître de Moro-Giafferi qui, lui aussi, visite régulièrement le locataire involontaire de la cellule n° 5.
Contrairement à l’usage qui voulait qu’un condamné à mort eût des gardiens comme compagnons de cellule, Landru est seul. Sans doute, il est étroitement surveillé… du couloir, par un gardien qui, jour et nuit, monte une garde vigilante et silencieuse devant la porte de sa cellule, dont le guichet est constamment ouvert.
[…] Les missives étant devenues rares et les moments de loisirs trop longs, le condamné s’occupe à compulser les notes d’audience qu’il a prise et à feuilleter les documents de son dossier.
- Mon dossier, disait-il récemment, on ne me l’a communiqué qu’un mois et demi avant le procès ! Si je l’avais eu plus tôt, j’y aurais certainement trouvé des éléments susceptibles d’entraîner un autre verdict…
[…] La sentinelle préposée à sa garde se plaint seulement de son mutisme et lui reproche de se lever fréquemment la nuit, ce qui a l’inconvénient de l’alerter (H.L., Excelsior, 31 janvier 1922)
Le 3 février 1922, la cour de cassation rejette le pourvoi de Landru. Le 16, le ministre de la justice Louis Barthou rejette la demande de révision. Le 24, le président de la République Alexandre Millerand rejette le recours en grâce.
Landru est exécuté, à l’aube, le samedi 25 février, devant la prison Saint-Pierre de Versailles, sans faire de révélations ultimes.
Quel fut le dernier mot de Landru ? La presse rapporta assez tôt cette confidence, de son avocat :
« Il avait les mains liées, les pieds entravés… les aides de M. Deibler allaient le saisir pour le jeter sur la bascule de la guillotine. Je me suis approché de lui, et, à voix basse, penché à son oreille :
- Voyons Landru, je vous ai défendu de toutes mes forces et je suis là encore comme votre dernier ami. Il faut que je sache si je dois, maintenant, défendre votre mémoire. Dites-moi le secret de votre vie…
- Alors, me regardant dans les yeux, profondément, pesamment :
- Non maître… je vous remercie, mais mon secret… je l’emporte. C’est tout mon bagage » (propos attribués à Moro-Giafferi, Le petit marseillais, 26 août 1922)
La liquidation des objets mobiliers de Landru s’est terminée par une vente aux enchères, presque un an après son exécution, dans la salle de la Cour d’assises de Versailles, le 27 janvier 1923. Cette vente se fit dans une atmosphère de gaieté et de plaisanteries. La pièce de choix était la cuisinière. Elle fut adjugée 4200 francs au forain Anglade (Le Matin, 28 janvier 1923). Elle fut rachetée un peu plus tard par un forain italien pour la somme de 40 000 lires (Le petit marseillais, 11 février 1923). Cet achat avait pour but de l’exposer en public et d’en tirer profit. La première exposition, prévue à Turin, dans une salle de cinéma, fut interdite par la police (Le petit marseillais, 19 février 1923). Aujourd’hui, elle serait la propriété de l’animateur Laurent Ruquier.
On se souvient que l’avocat général avait demandé la tête de Landru, et qu’il l’obtint, effectivement. Mais l’avocat avait également affirmé, dans son réquisitoire, que le procès avait permis de dissiper la figure du « Charlot du crime » or cette figure survécut largement à l’exécution du condamné. En 1947 – ironie du sort – c’est précisément Charles Chaplin qui adaptait pour la première fois au cinéma le personnage de Landru, abandonnant pour l’occasion son costume de Charlot (M. Verdoux). Le film dérouta la critique et n’eut guère de succès en Amérique, à un moment où Chaplin était soupçonné de sympathie pour le communisme. L’adaptation de Claude Chabrol et Françoise Sagan, en 1962, fut un succès en France. Elle reprend pour une part cette dimension à la fois légère et cynique du personnage. Ultime témoignage d’une époque révolue ? Rien n’est moins sûr et cette postérité de Landru a certainement de l’avenir... Mais imaginerait-on de nos jours une presse raillant la naïveté des victimes ? Imaginerait-on que le procès d’un tueur en série serve de prétexte à une chanson comique ? C’est pourtant ce que fit, en 1921, Louis Boucot. La logique de Landru échappait déjà à ses contemporains, comme le notait Colette, c’est désormais son époque qui, peu à peu, nous apparaît dans son étrangeté.
DOCUMENTS
COLLECTION ZOUMMEROFF
DÉTECTIVE
POLICE-MAGAZINE
EN CHANSONS
SUR LA REVUE