Législation / Le Code civil /

Les aléas de la technique législative

Alain Wijffels

 Même bicentenaire, le Code civil n’est pas encore un monument historique qui échapperait à la vie institutionnelle de la France contemporaine. Il demeure une législation fondamentale, l’expression normative d’une société vécue au quotidien. Cette société a subi, depuis le Consulat, des mutations profondes. Depuis la Ve République, la société française, tout comme, ces dernières générations, les sociétés des autres pays européens et du monde, s’est même transformée plus profondément, et assurément à un rythme plus accéléré, que durant toute la période depuis la fin de l’Ancien Régime jusqu’au lendemain de la Seconde Guerre Mondiale. Bien que de manière imparfaite et le plus souvent avec un certain décalage, ces transformations requièrent une adaptation du Code. D’ailleurs, la perception du droit, de la loi et d’un code n’est plus ce qu’elle était au lendemain de la Révolution. La stabilité et l’uniformité que promettait le Code en 1804 n’ont plus la même valeur aujourd’hui : comme toute législation, même le Code civil est désormais censé non seulement refléter, mais encore contribuer à l’évolution d’une société au sein de laquelle le pluralisme et la diversité ont acquis une bien plus grande légitimité qu’à l’époque de sa promulgation. Idéologiquement, la place du Code n’est d’ailleurs plus celle qui lui a longtemps été attribuée ; quelque peu marginalisé dans le foisonnement législatif de notre époque, son rôle dans la société française n’est provisoirement pas trop controversé, en attendant que les tendances décentralisatrices et l’européanisation se précisent. Quoiqu’il en soit, la nécessité d’adapter le Code aux changements sociaux perçus ou souhaités par le législateur et les acteurs politiques qui l’inspirent signifie que les techniques mises en œuvre pour modifier le texte du Code sont de plus en plus mises à l’épreuve. Dès le Premier Empire et tout au long du 19ème siècle, lorsque la stabilité du Code avait pratiquement une valeur axiomatique d’un régime constitutionnel à l’autre, on observe que les modifications n’ont pas toujours été réalisées avec toute la cohérence ou clarté que la technique législative moderne permettait d’espérer. Mais l’ensemble de ces modifications demeurait restreint. Nul doute que de nos jours, l’application de cette technique législative s’est perfectionnée. Cependant, d’autres difficultés apparaissent désormais plus clairement : parfois, ces modifications relèvent d’une législation de plus en plus complexe et abondante, chevauchant des domaines du droit qui ignorent en grande partie une systématisation surannée. L’enchevêtrement croissant des branches anciennes et nouvelles du droit provoque des répercussions, fussent-elles techniques, de plus en plus fréquentes d’une législation à une autre. Et même s’il n’est plus guère question à présent d’une révision globale du Code, voire d’une nouvelle codification de certaines matières encore toujours intégrées dans le Code civil selon la structure générale qu’il a maintenue depuis deux siècles, la question se pose progressivement dans quelle mesure la métamorphose des valeurs et intérêts que la législation française (et européenne) entend promouvoir et protéger peut continuer à se traduire de façon cohérente par des changements sur le fond incorporés dans le même agencement d’origine.

L’élaboration d’une base de données comprenant en principe toutes les modifications du Code civil de 1804 à 2004 devait en premier lieu identifier chacune de ces modifications. Quelques travaux historiques, en particulier l’édition parue dans la collection GF Flammarion (N° 523), ont considérablement facilité la tâche. Mais il a néanmoins fallu reprendre ab initio la recherche des textes individuels ayant modifié le Code afin de contrôler et de compléter ces données. Les moyens d’une telle recherche demeurent en pratique assez frustes. Il est évident qu’une lecture exhaustive de toute la législation publiée dans le Bulletin des Lois et dans le Journal Officiel dépasse les capacités humaines disponibles pour ce genre de recherche. S’il est facile d’identifier les lois ayant spécifiquement pour objet la modification de dispositions du Code civil ou de matières régies par ce Code, seule une lecture assidue des lois sur les sujets les plus divers permet d’y retrouver des dispositions d’ordre secondaire ayant pour effet de modifier le Code ; de telles dispositions ne sont pas toujours, tant s’en faut, clairement indiquées dans une section de la loi consacrée aux modifications d’autres lois et des codes. Dans certains cas, même une modification explicitement prévue par cette loi ne renseigne pas nécessairement quels articles du Code civil sont concernés ; il se peut même qu’une modification explicite ne mentionne pas spécifiquement le Code civil. Les tables analytiques, annuelles ou autrement périodiques, constitueront donc la source primaire pour une telle recherche. La conception et la fiabilité de ces tables ne sont toutefois pas homogènes sur la durée des 200 ans depuis la promulgation du Code, et il est donc nécessaire de consulter d’autres sources auxiliaires. Parmi celles-ci, les éditions du Code civil publiées depuis deux siècles, exclusivement sous la responsabilité d’éditeurs particuliers après 1816, constituent une source d’autant plus précieuse que relativement peu de bibliothèques semblent avoir systématiquement conservé ces éditions après leur remplacement par une édition plus récente. Longtemps, le juriste français a également pu vérifier le développement de la législation par le biais d’autres séries que celles du Bulletin des Lois ou du Journal Officiel : parmi d’autres, on citera principalement la Collection complète des lois… de Duvergier, ainsi que le Recueil Dalloz. Les éditions du Code à fascicules amovibles et mises à jour, ou plus récemment les éditions informatisées dont le disque est programmé à devenir illisible à partir d’une date de péremption, ou encore les textes législatifs mis à jour sur un site de la Toile (comme celui de Legifrance), sont en soi inutiles pour une recherche de ce type, ou ne fournissent tout au plus qu’une sélection des modifications antérieures.

Il n’existe donc pas, à l’heure actuelle, de méthode garantissant de manière absolue la recherche systématique des modifications d’une loi sur une durée déterminée, ni même pour un texte juridique aussi fondamental que le Code civil. Il suffit d’ailleurs de procéder à une collation des éditions commerciales les plus courantes et ‘faisant autorité’ pour se rendre compte que d’un éditeur à l’autre, et parfois même parmi les différents produits offerts par un même éditeur (version livre ou CD-Rom), le texte du Code civil en vigueur n’est pas exactement identique.

Certaines différences s’expliquent du fait qu’avec le temps, toute édition a procédé à des choix plus ou moins arbitraires ayant pour effet de modifier le texte. Il s’agit essentiellement d’interventions éditoriales, auxquelles la présente édition n’échappe pas – ces interventions étant renseignées et expliquées dans l’exposé des méthodes et conventions éditoriales qui fait partie de la Présentation de ce CD-ROM – : adaptation de l’orthographe, de la ponctuation, des polices, mais aussi de certains termes désignant des institutions ou fonctions politiques et judiciaires. Pour les éditeurs juridiques, de telles adaptations sans base législative se justifient par les besoins pratiques des utilisateurs ; on constate ainsi également des corrections tacites d’erreurs typographiques ou grammaticales qui ne semblent pas avoir fait l’objet d’un rectificatif dans le Journal Officiel : mais d’une édition à l’autre, on constate de nombreuses différences quant aux corrections apportées, ce qui, cumulativement, produit de véritables ‘leçons’ divergentes. Mais même dans le cadre d’une édition historique, les principes visant à présenter un texte évolutif  s’écartent des règles classiques élaborées pour l’édition d’un texte censé ‘stable’ ou ‘définitif’ à partir de plusieurs manuscrits ou d’autres supports. Dans le cas de l’édition d’un texte législatif, même les règles de technique législative devront céder le pas si l’on veut éviter un trop grand écart entre une version théoriquement applicable et la version réellement disponible et appliquée à un moment donné de l’évolution du texte.

D’autres différences et hésitations s’expliquent par contre en raison d’ambiguïtés ou d’incohérences relevant de la technique législative. En effet, la technique législative appliquée par le législateur lui-même depuis 1804 n'a pas toujours été sans équivoque. De ce fait, un travail d’édition s’impose au lecteur individuel de la loi – ou à l’éditeur professionnel. Ces interventions éditoriales sont plus délicates, car elles impliquent un degré d’interprétation de la loi. Heureusement, ces cas sont moins fréquents et il semble que les responsables des éditions commerciales arrivent le plus souvent à un résultat identique ou comparable dans leurs publications du Code. La solution de tels cas réside d’ailleurs souvent (comme dans la présente édition) dans le recours à la technique éprouvée d’une annotation avertissant le lecteur de la difficulté, tout en lui proposant le choix de l’éditeur.

Exemple A : L’interprétation n’est évidemment pas toujours d’ordre éditorial. Ainsi, pour le dernier alinéa de l’article 2045 Cc (dans la version inchangée depuis 1816 : ‘Les communes et établissemen[t]s publics ne peuvent transiger qu’avec l’autorisation expresse du Roi’), les éditions comportent depuis une décision du Conseil d’État du 23 avril 2001 la précision que pour le Roi, il faut lire : Premier Ministre ; les éditions antérieures (certaines s’étant adaptées plus tôt que d’autres) assimilaient le Roi au Président de la République.

Exemple B : Dans l’édition Litec 2004 du Code civil (format livre), l’alinéa numéroté 6° de l’art. 2101 est vide, comportant la précision (erronée): ‘alinéa abrogé, L. n. 98-69, 6 févr. 1998, art. 7-III’. L’édition du Code civil de Dalloz 2004 (format livre, 103ème éd.) maintient cependant dans cet alinéa 6° la rédaction de l’art. 23, al. 1er, de la loi du 9 avril 1898 concernant les responsabilités des accidents dont les ouvriers sont victimes dans leur travail, une disposition qui indique la modification à effectuer, mais sans énoncer distinctement comment l’alinéa 6° devra être modifié ou rédigé : ‘6° La créance de la victime de l’accident ou de ses ayants droit relative aux frais médicaux, pharmaceutiques et funéraires, ainsi qu’aux indemnités allouées à la suite de l’incapacité temporaire de travail, est garantie par le privilège de l’art. 2101 du code civil et y sera inscrite sous le n° 6’, une note précisant toutefois que cet alinéa (ainsi que les alinéas 7° et 8° du même article) ‘ont été implicitement abrogés en ce qui concerne  les régimes de sécurité sociale […]’. L’art. 7-III de la loi 98-69 du 6 février 1998 tendant à améliorer les conditions d’exercice de la profession de transporteur routier abroge le 6° de l’article 2102.  

Exemple C : Les éditions (format livre, 2004) Litec et Dalloz maintiennent à l’art. 459 l’expression ‘agent de change’ : le premier éditeur en y ajoutant entre parenthèses ‘société de bourse’, le second ‘prestataire de services d’investissement’. La loi 88-70 du 22 janvier 1988 sur les bourses de valeurs, art. 25-I, avait prévu que ‘dans tous les textes législatifs et réglementaires en vigueur : – les mots : « agents de change » sont remplacés par les mots « sociétés de bourse » […] ’ ; la loi 96-597 du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières, art. 94-I, a abrogé la loi 88-70, mais en ajoutant : ‘Les modifications effectuées par cette loi dans d’autres lois ou codes demeurent valides’ ; cette disposition semble toutefois être subordonnée à celle, immédiatement suivante dans la loi 96-597, de l’art. 94-II : ‘Dans tous les textes législatifs et réglementaires en vigueur, les mots : « société de bourse » sont remplacés par les mots : « les prestataires de services d’investissement »’.

Exemple D : Une collation des artt. 27, 27-1, 27-2 et 28-1 Cc dans les éditions Litec et Dalloz (format livre) fait apparaître que la première n’intègre pas le terme ‘acquisition’, en dépit de la loi 99-1141 du 29 décembre 1999.

 

Typologie générale des modifications

D'un point de vue formel, les principales modifications du Code peuvent présenter les caractéristiques suivantes:

– l'abrogation d'un ou de plusieurs mots (y compris un ou plusieurs articles);

– l'ajout d'un ou de plusieurs mots (idem);

– le remplacement d'un ou de plusieurs mots (idem);

– une modification de la numérotation d'un ou de plusieurs articles;

– une modification d'une partie du plan (c'est-à-dire de la subdivision officielle) du Code.

On notera qu'une modification au sens formel ne modifie donc pas nécessairement la substance de la disposition affectée. Mais même des modifications qui peuvent paraître à première vue de pure forme expriment souvent un changement plus substantiel.

Exemple A: Le taux prévu à l'art. 1341, lui-même un écho de la législation d'Ancien Régime, était en 1804 fixé à 150 francs; ce taux a été modifié en 1928 et en 1948, et en 1980, l'indication du taux a été remplacée par la mention: ‘une somme ou une valeur fixée par décret’. Juridiquement, sur le fond, ces modifications ne changent pas la disposition. En revanche, le décalage croissant, au fil des années, entre le montant fixé en 1804 ou lors des lois ultérieures et le pouvoir d'achat de cette somme a bel et bien une répercussion sur le champ d'application effectif de cet article.

Exemple B: La modification de l'expression ‘puissance paternelle’ par ‘autorité parentale’ exprime non seulement une nouvelle répartition des droits et devoirs respectifs du père et de la mère, mais en outre une nouvelle conception de ces droits et devoirs: ce n'est pas simplement l'ancienne puissance paternelle qui est à présent exercée par les deux parents.

L'abrogation est en principe explicite et précise. Mais, notamment lorsqu'une disposition relève à une époque d'un principe politiquement sensible, une abrogation peut s'opérer par une disposition générale, la modification d'articles spécifiques du Code (ou de toute autre loi) étant alors implicite dans le sens qu'elle est impliquée, mais non spécifiée, par la disposition générale. On pourrait aussi parler d’une modification indirecte.

Exemple A: Au 19ème siècle, la suppression de la mort civile et de la contrainte par corps en sont des exemples. La loi du 31 mai 1854 contient la formule générale selon laquelle ‘La mort civile est abolie’ (art. 1er) et règle certains effets de cette abolition, et notamment en déterminant les effets, tant en droit pénal qu'en droit civil, des peines afflictives perpétuelles. Mais cette loi ne spécifie pas les articles du Code civil qui se trouvent modifiés ou abrogés par cette abolition: il revient aux éditeurs du Code de répercuter cette abolition dans les textes.

Exemple B: Le cas de la contrainte par corps est plus compliqué. Parmi les premiers actes de la Seconde République, on note un décret du gouvernement provisoire du 9 mars 1848 mettant fin aux détentions pour dettes civiles et commerciales, mais un arrêté du 19 mai 1848 précisa ensuite que la suppression de la contrainte par corps ne serait pas applicable au recouvrement de certaines amendes et réparations au profit de l'État en matière pénale. Mais de toute façon, une loi du 13 décembre 1848 mit fin à la suspension de l'exercice de la contrainte par corps en vertu du décret du 9 mars 1848 et rétablit la législation antérieure sur la contrainte par corps, moyennant quelques modifications. Sous le Second Empire, la loi du 22 juillet 1867 déclara que ‘La contrainte par corps est supprimée en matière commerciale [et] civile [...]’, tout en confirmant son maintien en matière pénale (artt. 1 et 2). Selon l'opinion commune de la doctrine actuelle, la contrainte par corps n'est maintenue après cette loi de 1867 que pour le recouvrement d'amendes, pour dommages-intérêts et frais en matière pénale; les victimes d'infractions pénales ont été privées de ce moyen en 1958 (Code proc. pén., artt. 749 ss.), et actuellement, la contrainte ne subsisterait plus qu'au bénéfice du Trésor Public pour les amendes et autres sanctions pécuniaires encourues en matière d'infractions de droit commun, et encore avec des restrictions (v. p.ex. F. Terré, Ph. Simmler, Y. Lequette, Droit civil, Les obligations (Paris 1999, 7ème éd.), p. 920, No. 996). En conséquence, on constate que les éditions courantes du Code civil considèrent que les artt. 2062-2070 Cc ont été abrogés en vertu de la loi de 1867; mais que les textes mentionnant la contrainte par corps aux articles 2017 et 2040 sont maintenus, sous réserve d'une référence à la loi de 1867.

Exemple C : Le recours à deux notaires ou un notaire et deux témoins prévu à l’art. 2127 n’est plus requis, en vertu de l’art. 9 de la loi de ventôse XI, une disposition modifiée par la loi 66-1012 du 28 décembre 1966.

Un cas particulier, au 19ème siècle, fut celui des dispositions du divorce. Alors que le divorce fut aboli à la Restauration (loi du 8 mai 1816), les dispositions du Code civil sur le divorce furent maintenues dans le Code (notamment en raison de leur applicabilité dans des cas de séparation de corps). Ainsi, l'édition officielle de 1816 et les éditions privées jusqu'en 1884, lorsque le divorce fut (partiellement) rétabli (loi du 27 juillet 1884), ont maintenu ces articles.

Parmi les abrogations sans référence précise aux textes législatifs abrogés, on comptera également les cas où une loi comporte une clause du type: ‘toute disposition contraire à la présente loi est abrogée’. L'une des difficultés pour apprécier la portée d'une telle abrogation est qu'une telle disposition peut en effet rendre caduques certaines applications d'une disposition légale, tout en laissant néanmoins un reliquat d'applicabilité.

Hormis la question des dispositions transitoires, l'abrogation entraîne en principe ses effets ex nunc, à partir de l'entrée en vigueur de la loi d'abrogation. Pourtant, l'effet peut parfois être retardé selon des critères qui ne permettent pas d'en déterminer la date avec certitude. Les éditions du Code comportent de ce fait pendant longtemps des dispositions abrogées, en raison des applications qui continuent à se présenter après l'entrée en vigueur de la loi d'abrogation.

Exemple A: L'abolition du majorat correspond en partie à ce type d'abrogation. Deux lois sont à citer pour cette abolition: celle du 12 mai 1835 et celle du 11 mai 1849. La loi de 1835 disposait notamment que ‘toute institution de majorat est interdite à l'avenir’ (art. 1er) et que ‘les majorats fondés jusqu'à ce jour avec des biens particuliers ne pourront s'étendre au-delà de deux degrés, l'institution non comprise’. La loi de 1849 fut plus restrictive, disposant (entre autre) que ‘pour l'avenir, la transmission, limitée à deux degrés, à partir du premier titulaire, n'aura lieu qu'en faveur des appelés déjà nés ou conçus lors de la promulgation de la présente loi’ (art. 2, 1er al.). Ces deux lois sont habituellement citées pour justifier l'abrogation de l'al. 3 de l'art. 896 Cc, lequel avait été introduit quelque peu subrepticement dans la version officielle du Code en 1807. Il est toutefois évident qu'il n'est pas possible de fixer exactement la date à laquelle le dernier majorat s'éteint. En tout état de cause, le législateur n'a pas explicitement modifié l'art. 896, qui fut encore longtemps maintenu tel quel dans les éditions du 19ème siècle, c'est-à-dire en continuant à inclure le 3ème alinéa.

Exemple B: Le décret 67-167 du 1er mars 1967 relatif à la saisie immobilière et à l'ordre prévoit parmi les ‘dispositions diverses’: ‘[...] Sont également abrogées toutes dispositions contraires à celles du présent décret, et notamment les articles 2205 à 2217 du Code civil [...]’ (art. 23, 2ème al.), tandis que l'art. 25 dispose: ‘Un décret fixera la mise en vigueur du présent décret’. Or, ce dernier décret n'a pas encore été promulgué. Les éditions du Code civil depuis 1967 maintiennent par conséquent les articles abrogés, en faisant état de l'abrogation à une date qui sera fixée par décret. D'autre part, depuis 1967, certains de ces articles du Code civil ont été abrogés (art. 2205 en 1976; art. 2208 en 1985), mais l'art. 2217, quoiqu'abrogé en 1967, a entretemps été modifié (par la loi du 2 janvier 1979). Dans cette série, l'art. 2210 présente par ailleurs une autre particularité: s'il est repris tel quel dans l'édition Litec (2004), l'édition Dalloz (2004) en revanche y ajoute la remarque: ‘L'article 2210 a été modifié et complété par la loi du 14 novembre 1808, implicitement modifiée et même, dans certaines de ses dispositions, notamment celles de l'art. 3, abrogée par l'art. 675 du Code procédure civile (ancien)’, en y ajoutant le texte de la loi du 14 novembre 1808, dont il est précisé qu'elle ‘est abrogée par le décret No. 67-167 du 1er mars 1967 dont la date de mise en vigueur sera fixée par décret’. Malgré ces complications législatives, il est évident qu'une telle abrogation qui prendra effet à l'avenir, maintient le texte dans le Code jusqu'à ce que la date d'abrogation ait été déterminée.

La simple abrogation d'un article n'entraîne pas sa disparition, mais l'article est ‘vidé’ de son texte, quitte à être réutilisé à une occasion ultérieure. Dans certains cas, le législateur semble abroger et remplacer une disposition, ou abroger et recréer une disposition antérieure.

L'abrogation porte dans la plupart des cas sur un mot, un passage ou un article du Code: l'effet est alors de faire disparaître l'objet de cette abrogation (et éventuellement de permettre son remplacement). Mais si l'abrogation porte sur une modification, l'effet de l'abrogation est de rétablir le texte antérieur à cette modification.

Exemple: Un décret du 29 novembre 1939 avait modifié à titre temporaire (sinon le texte, du moins l'application de) l'article 310 du Code civil. Une loi de Vichy du 2 avril 1941 sur le divorce et la séparation de corps abroge ce décret, tout en modifiant l'al. 1er de l'art. 310: le résultat est donc de rétablir (l'application de) l'art. 310 selon la version antérieure au décret de 1939, sauf en ce qui concerne l'al. 1er.

Lorsqu'un texte est remplacé par un autre, l'objet du remplacement est en principe par définition déterminé. Pourtant, comme pour les abrogations, on constate parfois ce que l'on serait tenté de désigner comme une modification ‘implicite’, notamment lorsque celle-ci est l'effet d'une disposition générale, ne précisant pas les textes législatifs spécifiques affectés.

Implicites, ou plutôt indirectes, sont les modifications qui ont matériellement pour effet de changer la teneur d'une disposition (laquelle n'est en outre pas nécessairement spécifiée). L'éventail de cas susceptibles d'entrer dans cette catégorie est potentiellement infinie, car elle pourrait comporter les nombreux régimes dérogatoires au ‘droit commun’ du Code civil, que ce soit à propos de règles particulières, ou dans le cadre de nouvelles matières ou branches du droit développées depuis le 19ème siècle. Les grandes éditions récentes du Code civil contiennent, dans les annotations, de nombreuses références à de tels régimes dérogatoires, mais il est évident qu'un tel travail éditorial, même en omettant les nouvelles disciplines développées en marge du droit civil exprimé à travers le Code, est pratiquement impossible à envisager pour l'ensemble de l'évolution du droit entre 1804 et 2004. En dehors des nouveaux régimes politiques, des cas plus restreints concernent la modification d'une institution juridique (p.ex. l'interdiction d'un majeur incapable, devenu majeur protégé depuis 1968), d'une désignation officielle (v. les exemples ci-après: les tribunaux compétents après la réforme de 1958, les avoués après celle de 1971) ou d'une notion (l'exemple déjà cité de la puissance paternelle transformée en autorité parentale). L'une des difficultés pour identifier l'ensemble de tels cas est que les réformes ne sont pas toujours spécifiquement en rapport avec le droit civil, même si elles en affectent certaines dispositions (on songera p.ex. aux modifications du taux d'intérêt légal, ou à la conversion de l'ancien franc en nouveau franc, et plus récemment du franc en euro).

Exemple A: La loi du 12 février 1872 modifie et remplace les artt. 450 et 550 du Code de commerce. Le nouvel article 550 C. comm. comprend toute une réglementation concernant la résiliation d'un bail (commercial), commençant par: ‘L'article 2102 du code civil est ainsi modifié à l'égard de la faillite: [...]’; ce même art. 550 se termine par l'alinéa: ‘Le privilège et le droit de revendication établis par le no 4 de l'article 2102 du code civil, au profit du vendeur d'effets mobiliers, ne peuvent être exercés contre la faillite’. Malgré ces renvois explicites par lesquels le législateur affirme modifier l'art. 2102 Cc, le texte de cette disposition n'est pas modifié.

 Exemple B: La loi du 27 juillet 1900 relative à la transformation en une taxe proportionnelle des droits perçus sur les formalités hypothécaires ne contient aucune référence explicite au Code civil. Mais l'al. 1o de l'art. 1er de cette loi (‘Sont affranchis du timbre: 1o Les registres de toute nature tenus dans les bureaux d'hypothèques [...]’) est censé modifier l'art. 2201 Cc (v. p.ex.. G. Griollet et Ch. Vergé (dir.), Codes annotés, Nouveau Code civil annoté et expliqué d'après la jurisprudence et la doctrine, T. IV, 2ème partie (Paris 1907), p. 1697), mais les éditions du Code (jusqu'en 1959, lorsque cet article sera remplacé par une autre version) ne modifient pas pour autant le texte de l'article en question.

 Exemple C: La réforme judiciaire du 22 décembre 1958 comporte notamment de nouvelles désignations de tribunaux. L'art. 3 de l'ordonnance 58-1273 du 22 décembre 1958 relative à l'organisation judiciaire dispose: ‘En toutes matières civiles et pénales les dispositions législatives et réglementaires en vigueur concernant l'organisation, la compétence, la procédure et le fonctionnement des tribunaux de première instance d'une part, et des justices de paix et des tribunaux cantonaux d'autre part, ainsi que les attributions judiciaires et administratives de leurs membres sont applicables respectivement aux tribunaux de grande instance et aux tribunaux d'instance dans la mesure où elle ne sont pas contraires aux dispositions de la présente ordonnance ou des décrets pris pour son application’.

Exemple D: De même, la loi 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques prévoit à l'art. 76, dernier al.: ‘Dans toute disposition législative ou réglementaire, applicable à la date d'entrée en vigueur de la présente loi, l'appellation «avocat» est substituée à celle d'«avoué» lorsque celle-ci désigne les avoués près les tribunaux de grande instance’. Il revient alors aux éditeurs de déterminer si une mention d'un avoué dans un texte législatif se rapporte ou non aux avoués près les cours d'appel, et d'adapter ou non le texte de la loi dans leur édition.

Les éditions courantes du Code civil indiquent en général, pour les articles toujours en vigueur, une restriction (importante) de leur application par l'effet d'une disposition législative qui ne modifie pas pour autant le texte du Code.

Exemple A: Pour l'article 2245 (interruption de la prescription dans le cas d'une citation en conciliation devant le bureau de paix), l'édition Dalloz du Code civil ajoute l'observation: ‘L'art. 2245 est sans application, dans les affaires du ressort des tribunaux de grande instance, du fait de la suppression du préliminaire de conciliation par la loi du 9 févr. 1949’.

Exemple B: L'article 83, lequel est toujours rédigé (hormis une adaptation de l'orthographe) selon la version originale, se réfère à la peine de mort. La loi 81-908 du 9 octobre 1981 a aboli cette peine, mais n'a pas modifié la disposition du Code civil: la pratique des éditions postérieures, consiste à maintenir l'article en y ajoutant une note rédactionnelle précisant que la disposition est devenue caduque.

Exceptionnellement, on constate qu'une modification législative est réitérée. Si la réitération législative était souvent d'usage dans l'ancien droit, elle constitue une anomalie dans la technique législative contemporaine. Elle peut parfois se justifier lorsque la légitimité du législateur antérieur est mise en cause (v. infra: Vichy et le rétablissement de la légalité républicaine). Mais si aucune raison apparente ne peut être reconnue, le texte législatif apparaît en vigueur dès la première modification; tout au plus une note indiquant la réitération s'impose-t-elle, puisque, d'un point de vue formel, le texte matériellement identique a à présent un nouveau fondement légal (comme si, en somme, le texte eût été remplacé à l'identique).

Exemple: La loi du 28 juin 1918 modifie l'art. 2148 Cc en termes identiques à celle de la loi antérieure d'un peu moins d'un mois (L. 31 mai 1918).

Dans le cas d'un ajout, par contre, il n'est pas concevable qu'un ajout législatif soit ‘implicite’ ou ‘indirect’: toute modification textuelle de ce type est nécessairement explicite et précise.

Une difficulté particulière se rapportant à un ajout, dans l'élaboration d'une édition visant à présenter l'évolution des textes, s'est posée à propos des dispositions relatives à la nationalité française, tantôt intégrées, tantôt séparées du Code civil. Lors de la ‘réintégration’ des dispositions du Code de la nationalité dans le Code civil, en 1993, les dispositions ainsi ajoutées au corpus du Code civil se présentaient évidemment telles qu'elles étaient en vigueur au moment de ce transfert législatif: de ce fait, pour la période où ces dispositions n'étaient pas intégrées au Code civil, l'évolution textuelle de ces dispositions échappe à une base de données ne comprenant que les modifications du Code civil.

La loi 93-933 du 22 juillet 1993 réformant le droit de la nationalité: (a) modifie plusieurs articles du Code de la nationalité; (b) intègre (art. 50) dans le Code civil le Code de la nationalité, tel qu'il a été modifié par les dispositions du Ier chapitre de cette loi, fournissant un tableau de concordance indiquant la transposition des articles du Code de la nationalité dans le Code civil, c'est-à-dire en précisant aussi bien la sub-division de cette matière (Titre Ier bis, De la nationalité française; subdivision de ce titre en chapitres et ensuite en sections et paragraphes) que la nouvelle numérotation des articles intégrés dans le Code civil. Mais il est évident que, mis à part les articles entièrement modifiés par la loi de 1993, de nombreuses dispositions ainsi intégrées dans le Code civil ont une origine et une évolution antérieures à leur intégration, qui ne peuvent être retracées à travers l'histoire textuelle du Code civil.

D’autres problèmes concernent parfois les dispositions transitoires et la date de la mise en application d’une loi modifiant la Code civil. La politique éditoriale des éditions consiste en général à fixer une date de référence qui correspond non seulement à la vérification ou aux mises à jour sur base du Journal Officiel, mais en principe à l’état des ‘textes en vigueur’ à cette date. Les éventuelles anomalies dues aux dispositions transitoires ou relatives à l’entrée en vigueur d’une disposition fait alors l’objet d’une annotation. A défaut d'une date précise à laquelle l'applicabilité de la disposition transitoire s'éteint définitivement (ce qui, par le jeu d'interruption de la prescription en cas, notamment, de litiges de longue durée, qui ne sont pas exceptionnels dans, par exemple, les procès de succession, peut s'avérer très aléatoire), la fin de validité de ces dispositions transitoires, ou de dispositions abolies mais gouvernant des situations nées avant cette abolition, ne peut d’ailleurs pas toujours être établie à une date déterminée.

Le régime de l'État français et le rétablissement de la légalité républicaine

Les situations de guerre (1870-1871, 1914-1918, 1939-1945) ont provoqué des mesures spéciales, parfois d'urgence, souvent dérogatoires ou temporaires, dont la durée, malgré les lois prorogeant éventuellement telle ou telle mesure, n'est pas toujours facile à déterminer. Pour l'après-guerre des conflits du 20ème siècle, on note d'ailleurs que, par exemple après la Seconde guerre mondiale, les codes Dalloz ont repris pendant plusieurs années, en fin d'ouvrage, un supplément ‘Guerre de 1939-1945’ qui reprenait précisément des textes législatifs portant sur des conséquences (en matière civile) de la législation du temps de l'Occupation ou de la Libération.

 

Dans le cas de Vichy, la question se complique du fait que l'État a effectivement légiféré (et notamment remanié à plusieurs reprises des articles du Code civil), mais qu'à la Libération, la légitimité de ce régime (et, partant, de ses actes administratifs ou législatifs) a été rejetée. La sécurité juridique a toutefois été préservée pour l'essentiel grâce à des décrets promulgués à la Libération, par lesquels les actes de l'État français ont été validés ou invalidés. En outre, quelques lois spéciales ont traité spécifiquement des articles du Code civil affectés par les interventions législatives: tantôt pour annuler les modifications apportées par Vichy, tantôt pour les réintroduire en substance ou littéralement, mais en vertu de l'autorité républicaine, tantôt encore pour introduire une nouvelle version.

Exemple: L'ordonnance 45-651 du 12 avril 1945 sur le divorce et la séparation de corps illustre la diversité des solutions adoptées à la Libération à l'égard des interventions législatives du régime de Vichy, l'exposé des motifs offrant une justification pour chacune de ces solutions.

(a) L'art. 1er de l'ordonnance annule, mais seulement ex nunc (!) les articles 1 et 2 de la loi du 2 avril 1941: en conséquence, la rédaction des artt. 229, 230, 231, 232, 233 introduite en 1941 est abrogée et il eût fallu rétablir la version antérieure, si ce n'est que l'art. 2 de l'ordonnance de 1945 introduit une nouvelle rédaction des artt. 229, 230, 231 et 232, largement identique à la version de Vichy qui est annulée (v. cependant à l'art. 232 in fine: ‘du lien conjugal’ en 1945, au lieu de ‘de la vie conjugale’ en 1941); il reste donc de cette série le cas de l'art. 233, lequel avait été abrogé en 1884, et dont l'abrogation serait ainsi confirmée. (b) Pour l'art. 238, l'ajout de l'al. 5 introduit en 1941 est annulé, mais l'art. 4 de la loi de 1945 introduit une nouvelle rédaction d'ensemble de cet article, reprenant, avec une modification, l'ajout de 1941. (c) De même, pour l'article 239, la rédaction de 1941 est remplacée par une ‘nouvelle’ rédaction en 1945. (d) Le cas de l'art. 246 est plus complexe: la loi de 1941 n'avait modifié que les al. 1 et 2, l'al. suivant étant maintenu; l'ordonnance de 1945 annule ces al. 1 et 2, et les remplace par une nouvelle rédaction, tandis que l'art. 3 demeure inchangé à travers ces modifications. (e) Le cas de l'art. 248 est analogue: la loi de 1941 avait modifié l'al. 3, une modification annulée en 1945 et donnant lieu à une nouvelle rédaction de cet alinéa, le reste de l'article restant inchangé. (f) Pour l'art. 249, la rédaction de 1945 remplace celle de 1941. (g) Art. 306: La modification partielle de 1941 (al. 1 uniquement) est annulée en 1945, on en revient donc à la version datant de 1928. (h) Art. 308: l'ordonnance de 1945 remplace celle de 1941 par un texte identique. (i) Art. 310: la modification partielle (al. 1) de 1941 est annulée, mais l'ordonnance de 1945 n'offre pas de nouvelle rédaction, de sorte que l'on en revient à la version antérieure (1908), d'autant plus que la modification temporaire de 1939 avait été abrogée dès 1941, et que cette abrogation est validée en 1945. (j) Art. 301: L'ajout du 2ème al. en 1941 est maintenu tel quel en 1945.

Un exercice analogue peut être fait à propos des artt. 1714-1749 suite à l'ordonnance du 17 octobre 1945.

 

Plan et structure du Code civil

D'une manière générale, le législateur s'est efforcé de maintenir le plan général du Code civil de 1804. Certaines sub-divisions de ce plan ont toutefois été réaménagées ou nouvellement introduites. Contrairement à la technique appliquée par, par exemple, le législateur belge, le législateur français n'a eu qu'exceptionnellement recours au procédé d'insérer un article bis; à partir des années 1960, le système de tiret, et parfois de double tiret, a permis d'insérer des articles distincts supplémentaires, parfois des séries d'articles supplémentaires sur une matière déterminée, sans bouleverser la numérotation générale et continue des articles du Code civil. Dans d'autre cas, des articles ont été renumérotés.

Ces modifications ou interventions dans l'agencement présentent parfois des anomalies: la succession des sub-divisions ne suit plus toujours une séquence numérique stricte, l'adaptation du plan peut être en décalage par rapport aux modifications des articles, la place d'un article dans un nouvel agencement n'est pas toujours clairement établie...

Au sein d'un article, une certaine ambiguïté peut se présenter (du moins, pour le lecteur qui n’est pas familier avec les usages de la rédaction des lois en France) lorsque le législateur modifie une énumération numérotée: par exemple, la disparition de l'un des éléments d'une telle énumération n'entraîne pas automatiquement, semble-t-il, la renumérotation des éléments suivants de l'énumération.

Exemple A: La loi 55-934 du 15 juillet 1955 a introduit un art. 342bis (l'art. 4 de la loi précisant: ‘le chapitre II du titre VII du livre Ier du Code civil est complété par un article 342 bis [...]’, alors qu'il faut lire: chapitre III).

Exemple B: La loi du 19 juin 1923 modifiant différents articles du Code civil sur l'adoption modifie les artt. 343-370, sans toutefois (explicitement) modifier le plan de cette partie du Code, quoique la tutelle officieuse, qui faisait l'objet d'un chapitre distinct (art. 361-370) fût supprimée par cette loi. Mais il faut attendre la loi du 23 juillet 1925 pour que le législateur rectifie cette omission et donne un nouveau intitulé au titre VIII du Livre Ier (De l'adoption) et supprime la division de ce titre en chapitres et sections (art. 4).

Exemple C: La loi du 13 février 1932 abrogea le 5o du premier alinéa de l'article 76 du Code civil (énonciation de l'acte de mariage): cette abrogation ne modifie pas la numérotation des alinéas 6o à 8o du même article (ainsi, la loi du 28 octobre 1997 a ajouté un al. 9o, alors que l'al. 5o reste toujours ‘vide’).

Exemple D: A l'occasion de la réintroduction du divorce en 1884, le divorce par consentement mutuel ne fut pas réintroduit. Mais plusieurs articles figurant sous le chapitre III du Titre VI en 1804 (Du divorce, Du divorce par consentement mutuel) furent réutilisés, en 1884 ou ultérieurement, pour des dispositions s'appliquant au cas de divorce pour cause déterminée.

Exemple E : Les artt. 7 à 15 Cc apparaissent dans l’édition Litec 2004 (format livre) au ‘Chapitre Ier. – De la jouissance des droits civils’. En revanche, dans l’édition Dalloz 2004, ces mêmes articles apparaissent directement sous le Titre Premier (Des droits civils), avant le Chapitre 2, sans qu’il y ait un Chapitre 1 : une annotation précise que ‘Les divisions du titre Ier en chapitres et sections ont été supprimées par la L. n° 93-993 du 22 juill. 1993, qui a institué le titre Ier bis infra. – Par la suite, la L. n° 94-653 du 29 juill. 1994 a rétabli dans le titre Ier des chapitres II et III, infra, mais sans y rétablir de chapitre Ier’. Pourtant, dans cette même édition, la Table des Matières, p. XXI, range les artt. 7 à 15 sous un ‘Chapitre I, Des droits civils’.

Conclusion

Aucune édition - et la présente édition sous forme de base de données n’y fait pas exception – ne peut prétendre à l’exhaustivité, ni à une rigueur rédactionnelle absolue. En revanche, une édition suivant les règles strictes établies pour l’édition de documents historiques, et notamment selon les conventions d’usage parmi les médiévistes, résulterait en un texte hétérogène et contradictoire, qui, très tôt, ne correspondrait plus à la version selon laquelle le Code fut, au fil du temps, diffusé et perçu. A défaut d’éditions officielles et authentiques (depuis 1816), le dilemme de tout éditeur du Code civil est de parvenir à un compromis acceptable entre l’application stricte de la technique législative et la nécessité d’adapter le texte au critère plus flou du contexte de son époque. Cet équilibre est d’autant plus délicat à réaliser lorsque, comme pour la présente édition, cette adaptation ne doit pas seulement tenir compte des attentes au moment de l’édition, mais en outre d’une évolution de deux siècles.

Malgré tout, les dysfonctionnements semblent relativement restreints. Les exemples relevés ci-dessus ne doivent pas éclipser la constatation que dans la très grande majorité des cas, les modifications apportées au Code civil ont été ‘claires et distinctes’. La qualité des principales éditions commerciales du Code, malgré de nombreuses différences de détail, est excellente. Les annotations (même si l’on s’en tient aux annotations portant sur le texte, son énoncé et sa validité) fournissent l’équivalent, dans la perspective d’une application contemporaine du texte, d’un appareil critique scientifique de haute gamme.

Le plus grand risque vient sans doute d’ailleurs. Deux facteurs, dans un souci de simplification, peuvent être mentionnés. Premièrement, le phénomène déjà cité et bien connu d’une production législative de plus en plus abondante. Cette difficulté n’est pas nouvelle. Déjà au 19ème siècle, la série du Bulletin des lois était qualifiée de rudis indigestaque moles (H.F. Rivière, Codes français et lois usuelles – édition consultée : 15ème édition, 1887 -, p. II), et les éditeurs des codes constataient : « On s’était trop habitué à croire, au commencement de notre siècle, que les cinq Codes au moins, la partie principale de notre législation, pourraient rester intacts pendant un grand nombre d’années. Quelque remarquable que fût ce monument, il a dû subir déjà ; comme toutes choses, l’épreuve du temps, et nos cinq Codes ont reçu dans toutes leurs parties de nombreuses modifications » (cité d’après l’Introduction d’E. Durand et E. Paultre au Code général des lois françaises […] (Paris 1864), p. X ; citations aimablement communiquées par M. H. Moysan, Directeur de Rédaction, LexisNexis/JurisClasseur). Depuis lors, les lois en rapport avec des matières régies par le Code civil se sont multipliées. Non seulement le Code n’est-il plus qu’une sedes materiae réduite et incomplète des branches du droit qu’il est censé codifier, mais les valeurs morales, sociales, économiques et politiques qui inspirent ce corpus grandissant d’‘extravagantes’ – lois et réglementations en dehors du Code, sans oublier l’autorité de la jurisprudence - , ne correspond plus nécessairement à la conception de l’ordre moral, social, économique et politique exprimé dans les articles du Code de 1804. Or, précisément pour certaines formulations ‘classiques’ de principes directeurs et fondamentaux, l’énoncé n’a pas nécessairement changé depuis la rédaction d’origine.

En second lieu, et plus fondamentalement, la systématisation du droit sur laquelle repose la codification reflète (comme cela a également déjà été évoqué) une approche intellectuelle héritée des conceptions rationalistes et (proto-)positivistes du 18ème siècle. De toute évidence, la cohérence de cette systématisation est désormais fortement ébranlée. De plus en plus, la législation actuelle (en France comme ailleurs) est forcée d’ignorer les catégorisations du droit qui restent pourtant à la base des grandes compilations législatives en vigueur. L’interpénétration des dispositions juridiques est devenue la règle, et ne s’accommode que difficilement à la conception d’un code, fût-il le Code civil. D’autre part, il faut bien reconnaître que dans ce paysage juridique mouvant, où les repères familiers s’évanouissent, de nombreux juristes s’accrochent à la silhouette familière des codes.

Depuis quelques années, l’informatique et le progrès de ses applications commerciales permettent d’envisager une maîtrise adéquate de la masse législative croissante. Il n’est pas sûr, toutefois, que ces outils d’un nouveau type contribueront aussi rapidement à effectuer une mutation de la structure même de la pensée juridique. En attendant, la technique législative devra faire face à la complexité grandissante d’un droit dont les fondements systématiques se métamorphosent.