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Les exécutions publiques dans la France d'Ancien Régime

Les châtiments non mortels

Pascal Bastien, Normand Renaud-Joly

Les châtiments non mortels

L’exécution publique n’est pas nécessairement une exécution capitale : les peines de mort furent loin de constituer le spectacle le plus commun de la justice pénale à l’époque moderne. L’exposition au carcan, la condamnation au bannissement et la pendaison, peines aux rigueurs inégales, étaient prononcées par les mêmes magistrats, étaient exécutées par le même bourreau et appartenaient à la même justice. Elles constituaient le théâtre commun et public, presque banal, de la justice criminelle d’Ancien Régime.

Le galérien

Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes, Hennin 4280.

Ce galérien soupire accablé sous ces chaines

Qui sont bien différentes de celles de Climène

La gravure fut réalisée en 1664 par Sébastien Le Clerc (1637-1714), ingénieur militaire et membre de l’Académie royale de peinture et sculpture, reconnu pour ses dessins et ses gravures d’architecture et de géographie militaire. Cette estampe s’inscrit dans une série consacrée aux usages vestimentaires du royaume.

Apparue au XVe siècle, la peine des galères n’est devenue courante qu’au XVIe siècle, sous le règne de Charles IX. À leur apogée, vers 1680, les galères du roi utilisaient 7000 rameurs. La peine était imposée à temps ou à perpétuité et avait l’incomparable avantage de pourvoir en main-d’œuvre les galères royales. Le corps des galères entra en déclin au XVIIIe siècle, avant que Louis XV ne le dissolve en 1748 et confine les condamnés à terre. Les galères furent ainsi remplacées par le bagne, appelé en ces temps « galères sèches ».

Le fouet

Source : Archives communales de Lille, archives anciennes 12119.

Les registres relèvent parfois d’étonnantes surprises. À travers les longues délibérations ou les minutes interminables des procédures, on peut retrouver la signature artistique du greffier. Ainsi ce dessin marginal dans les registres aux sentences criminelles de la gouvernance de Lille. Le dessin s’inscrit parmi de nombreux autres du même genre, représentant des criminels conduits ou appliqués au supplice.

La fustigation était infligée comme peine principale pour des délits mineurs ou en composition avec des peines plus graves. À Paris et dans la région parisienne, seuls les condamnés à mort étaient transportés à bord du tombereau ; les condamnés aux bannissements ou aux galères, marqués au fer rouge et parfois fouettés avant leur expulsion, étaient traînés derrière le tombereau.

La flétrissure

Source : Histoire véritable et facétieuse d’un Espaignol lequel a eu le fouet et la fleur de lis dans la ville de Thoulouse pour avoir dérobé des raves et roigné des doubles, 1638, gravure à l’eau-forte anonyme, Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes, G 153085.

Cette feuille volante profite de l’histoire malheureuse du capitaine espagnol Don Arnandes de Muranda, réfugié à Toulouse après la défaite des siens à la bataille de Leucate en septembre 1637, pour se moquer de l’ennemi privilégié des caricaturistes et pamphlétaires français pendant la guerre franco-espagnole de 1635-1659. Voleur dans les marchés et contrefacteur de monnaies, Don Arnandes fut condamné par la justice toulousaine au fouet, à la marque et au bannissement à perpétuité. Rejouant la sentence infamante prononcée contre le condamné, l’image dénonce et raille l’indignité des Espagnols, comme nombre d’autres farces et chansons colportées de l’époque.

L’estampe met en scène la marque infamante au fer rouge. La flétrissure se faisait anciennement au front ou sur la joue mais, à l’époque moderne, elle était appliquée sur les épaules mises à nu. La flétrissure à l’épaule s’inscrivait directement et exclusivement dans les peines des galères et du bannissement. Dans les juridictions royales, cette marque était une fleur de lys et ce n’est qu’en 1724 que la flétrissure lettrée, V pour les voleurs, VV pour les récidivistes et GAL pour les galériens, remplaça la fleur de lys.

La promenade sur l’âne

Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes, Hennin 7986.

Le châtiment des délits contre les mœurs présentait au regard du public une symbolique particulière leur permettant, sans guide explicatif, de comprendre le désordre moral dont avait fait preuve le criminel. Fondée sur les pratiques anciennes du charivari, la promenade sur l’âne était le châtiment réservé aux maquerelles et aux prostituées. La maquerelle était promenée en ville assise sur un âne tiré par l’exécuteur, mais à l’envers, la tête tournée vers la queue. Elle était coiffée d’un chapeau de paille, « nue jusqu’à la ceinture », et tenait entre ses deux mains la queue de l’animal. Après la promenade, elle était fouettée ou flétrie, et bannie ou enfermée dans une maison de force.

Les jugements et les arrêts criminels déterminent clairement le lieu d’exécution pour les peines capitales et l’exposition au carcan ou au pilori, mais restent toujours très vagues à l’égard des itinéraires dans l’espace urbain. On peut parfois repérer certains trajets dans les procès-verbaux d’exécution, mais l’information est généralement rarement énoncée. Dans le cadre de la promenade sur l’âne, les « lieux et carrefours accoutumés » laissent à l’exécuteur et au greffier criminel qui coordonne le cérémonial toute la souplesse nécessaire pour ajuster le parcours à la tradition du lieu et aux circonstances qui pourraient nuire au bon déroulement du spectacle.

Cette estampe s’inscrit dans une série d’autres images satiriques produites contre les prostituées, dans la foulée de la nouvelle ordonnance de police de 1778 : « Faisons très expresses inhibitions et défenses à toutes femmes et filles de débauche de raccrocher dans les rues sur les quais, places et promenades publiques, et sur les boulevards de cette ville de Paris, même par les fenêtres, le tout, sous peine d’être rasées et enfermées à l’Hôpital, même, en cas de récidive, de punition corporelle… ».

La promenade à rebours de Jeanne Moyon, 1750

Source : Paris, Archives nationales, AD III 7.

 Le 11 juillet 1750, le chroniqueur de la vie parisienne Edmond-Jean-François Barbier se réjouissait, comme beaucoup d’autres, de l’exécution de la maquerelle Jeanne Moyon : « La nommée Jeanne Moyon, maquerelle publique, a eu le fouet et la fleur de lys et a esté conduitte depuis le grand Chatelet jusqu’à la porte Saint-Michel, où s’est fait l’exécution du fer au chaud, sur un asne, avec un chapeau de paille, la teste tournée vers la queuë avec écriteau : “ maquerelle publique ”. Cette exécution a beaucoup diverti le peuple » (Edmond-Jean-François Barbier, Journal historique et anecdotique du règne de Louis XV). L’estampe présentée ici appartient à la collection du procureur au Châtelet Thomas Simon Gueullette, qui assista à l’exécution de Moyon et ses complices. Il rapporta de nombreux détails sur cette cérémonie dans ses cahiers, dont nous ne présentons ici qu’un extrait : Lecture faitte de leur arrest, l’exécuteur leva l’escriteau de derrière sur lequel était escrit sur carton, Maquerelle publique, et lui passa seulement les verges sur le dos sans lui toucher, après quoy l’on se mit en marche. Le valet du boureau, qui a coustume de conduire sa charrette, tenoit l’asne par son licol ; les deux prostituées, et Benoist, les mains liées, marchoient derriere l’asne, escortez devant et derriere par le guet à pied ; ils tournerent sur le quay de la Ferraille, lequel était remply d’une foule excessive de monde sur le pavé, et aux fenêtres ; le peuple qui croyoit que la marche se feroit sur le pont au change et quay des Morfondus, voyant qu’elle n’était pas selon son idée, courut au pont neuf par le quay, parce que l’on devoit aller par la rue Dauphine passer devant la Comédie françoise et finir la marche à la porte Saint-Michel où Jeanne Moion a dû être fouettée véritablement, marquée d’une fleur de lys et ensuitte être conduitte à la Salpestriere où elle fera son ban.

L’exposition au carcan de François Pierre Billard, 1772

Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes, Hennin 9387.

« La peine du carcan s’exécute ainsi. Celui qui y est condamné, est conduit à pied, les deux mains liées en devant, & attaché au derrière de la charrette de l’Exécuteur, jusqu’au poteau planté dans la place publique, auquel est attachée une chaîne, au bout de laquelle pend un collier de fer de trois doigts de large, ayant une charnière pour l’ouvrir. L’Exécuteur fait entrer le cou nud du Patient dans ce collier, qu’il ferme ensuite avec un cadenat : celui-ci a quelquefois un écriteau devant et derrière, où est marquée la qualité de son Crime. Il reste en cet état plus ou moins d’heure, & y est remis deux ou trois jours, aux termes de son Arrêt » (Muyart de Vouglans, Les lois criminelles de France, 1780).

« Il étoit encore vêtu de l’habit du deuil de son épouse, morte il y avoit environ un an, portoit à ses pieds des escarpins tout neufs, étoit frisé et poudré à blanc, et avoit d’ailleurs une contenance si modeste et si imposante, que les personnes qui s’étoient trouvées à portée de le contem- pler de plus près, disoient qu’il falloit qu’il fût ou le chrétien le plus parfait, ou le plus grand de tous les hypocrites. En allant à la Grêve, attaché au cul de la charrette du bourreau, l’écriteau qu’il portoit sur la poitrine s’étant dérangé, on remarque qu’il le redressoit lui-même, sans doute, pour qu’on pût le lire plus facilement. Pendant les deux heures qu’il demeure exposé au carcan dans la place de Grêve, on observe qu’une multitude prodigieuse de personnes de distinction dans leurs équipages se succédoient les unes aux autres, attirées probablement par la curiosité de voir un personnage si étonnant; il y avoit aussi un très grand nombre de piétons. Le temps de l’humiliation dudit Billiard étant achevé on le détache du poteau, et on le conduit à l’entrée de la rue du Mouton, où il monte dans un carrosse de place, accompagné de deux exemts de robbe courte, s’il n’avoit pas été bien escorté en gagnant ce carrosse, on pensoit qu’il eût été difficile de le garantir des mauvais traitements de la populace qui crioit haro contre lui. On le menne à la barrière du Trône, d’où l’on assuroit qu’il avoit été conduit par ordre du Roi chez les religieux de Charenton ». Siméon Prosper Hardy, Journal, 18 février 1772.



Jean Joseph Grillot chanoine de Chablies et Antoine Patron mis au carcan en place de Grève à Paris le 13 mars 1731 pour avoir travaillé à l’impression des écrits faits pour la défense des vérités condamnées par la Constitution, gravure à l’eau forte anonyme.

Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes, Hennin 8135.

Cette estampe dénonce le sort infligé aux appelants, ici Jean Joseph Grillot et Antoine Patron, qui embrassèrent le jansénisme et participèrent à la production et à la diffusion des imprimés du parti. Après sa mise au carcan, Grillot fut banni du royaume par lettre de cachet et se réfugia en Hollande.

Les Nouvelles ecclésiastiques du 31 avril 1731 racontent en détails l’affaire Grillot et l’exécution au carcan (p. 69-72). « Sur les deux heures et demie après midi, on fit sortir de la prison les deux victimes ; et sans leur avoir lu leur sentence, on les livra entre les mains des exécuteurs. M. Grillot embrassa le sieur Patron et ils se mirent en marche, liés à la charrette, et récitant les prières que leur piété leur inspiroit. Le cortège, le spectacle, l’appareil et toutes les circonstances de l’exécution furent presque les mêmes qu’à celle de Baudrier [mis au carcan en 1730 sur les mêmes chefs d’accusation]. On a seulement remarqué que la piété et la religieuse sensibilité des spectacteurs de tout âge, de tout sexe et de toute condition, s’étaient encore plus fait sentir. L’on voyoit et l’on entendoit faire des prières de toutes parts ».

Le pilori des Halles à Paris

Source : Paris, Archives nationales, AD III, 11.

Le pilori de Paris fut reconstruit en 1542 à la place des Halles et fut le seul bâtiment patibulaire permanent de la capitale : toute potence, échafaud ou carcan étaient érigés le matin même de l’exécution et défait au plus tard 24 heures après le supplice. Le pilori était surélevé et mobile, alors que le carcan était posé au ras du sol et fixe.

Il se composait d’un plancher rond et surélevé qui tournait sur un pivot. Le condamné pouvait ainsi être présenté successivement à tous les côtés de la place. Le pilori se prolongeait d’un appentis dans lequel l’exécuteur rangeait outils et cadavres, et c’est à ce bâtiment que les chirurgiens venaient acheter leur dépouille au bourreau pour leurs exercices anatomiques.

Vestige familier de la justice pénale, le pilori disparut des Halles et de l’espace parisien en 1786.

Charles Roger Maître Mercier de Paris condamné par Arest de la Cour de Parlement, d’estre Exposé au Pillory le 21, 22 et 23 juin 1768, tel qu’il est icy représenté pour Banqueroute Frauduleuse

Source : Paris, Archives nationales, AD III 11 (270).

Il étoit vêtu de noir, avoit de grands cheveux épars et sur la tête une calotte de laine brune, il étoit âgé d'environ quarante-cinq ans. Un des jours et pendant qu'il étoit au pilori, plusieurs peintres et dessinateurs s'étant placés sur la balustrade qui tourne autour dudit pilori précisément au dessous de lui pour être plus à portée de le dessiner et d'attraper sa ressemblance. Il eut l'effronterie de cracher au visage d'un de ces dessinateurs qui lui répondit sur le champ par un autre crachat.

Siméon Prosper Hardy, Journal, 21 juin 1768.

L’amende honorable de Jacques Le Normand, gravure à l’eau forte anonyme, 1716.

Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes, Hennin 7677.

L’amende honorable précédait le plus souvent un châtiment plus rigoureux. Le condamné devait à genoux, tête et pieds nus, en chemise, une torche de cire jaune à la main, et parfois avec une corde au cou, répéter l’amende honorable lue par le greffier pour demander pardon de ses crimes à Dieu, au Roi et à la Justice. À Paris, c’était devant le portail nord de Notre-Dame, ou face à la Vierge du pilori des Halles, que se faisait ce rituel où le condamné devait reconnaître publiquement son crime. Le greffier lisait le texte, rédigé par le magistrat, de l’amende honorable, et le condamné devait le répéter « à haute et intelligible voix ».

Jacques Le Normand est condamné par arrêt de la Chambre de justice de 1716, convoqué par le Régent pour punir financiers, agioteurs et autres fraudeurs. Une importante littérature pamphlétaire et versifiée circula pendant la période, dont cette estampe n’est qu’un exemple.

Charles Brunel dit Bétancourt conduit au supplice, 1670, dessin lavé

Source : Paris, Bibliothèque nationale de France, Estampes, collection Hennin 4550.

Charles Brunel dit Bétancourt fut jugé pour « blasphèmes horribles et exécrables par luy proféré avec impiété contre le saint nom de Dieu ». Il fut condamné le 18 décembre 1670 à faire amende honorable sur le parvis de Notre-Dame, puis à être conduit à la place de Grève pour y avoir la langue coupée, y être pendu et ensuite son corps brûlé, avec les pièces du procès.

Le dessin, beaucoup plus sophistiqué que les esquisses marginales du greffier de Lille, représente Brunel descendant les escaliers de la Conciergerie du Palais, en route vers l’église Notre-Dame.

Un rituel infamant

Source : Paris, Archives nationales, AD III, 11 (269).

L’exécution publique des châtiments non mortels comportait une forte dimension infamante pour le condamné, que la publicité du rituel de l’exécution contribuait à diffuser largement dans l’espace public. Le criminel était transformé par l’exécution, dégradé et séparé des sphères ordinaires de sociabilité pour intégrer un état de marginalité permanente que lui conférait non pas son crime, ni même peut-être sa condamnation, mais bien son exécution. Dans une ville comme Paris, où chaque quartier était un village, où chaque individu était le membre d’une petite communauté, une exposition au carcan ou une condamnation au fouet pouvait entraîner les mêmes conséquences sociales qu’une peine de bannissement. La marginalisation juridique entraînée par l’infamie de l’exécution contrevenait ainsi à la resocialisation du délinquant, ce qui paradoxalement, constituait l’une des principales causes de la récidive criminelle.