Expositions / Fichés ? Photographie et identification du Second Empire aux années 60 /

Les années 1950-1960

Archives nationales

Les années 1950-1960

Registre des ouvriers algériens du douar de Mechtras ayant émigré en France depuis 1906, années 1940

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, 5 SAS 114

L’usage des fichiers par le régime de Vichy a laissé des traces et, dans les années d’après-guerre, le devenir des dispositifs « d’encartement » des citoyens fait l’objet de nombreux débats. Certes, la police judiciaire continue à œuvrer selon les méthodes héritées de Bertillon et la Sûreté nationale reconstitue patiemment le fichier central disparu en 1940, mais c’est l’identification des citoyens à travers une carte d’identité obligatoire qui soulève le plus de questions. En 1955, le ministère de l’Intérieur décide finalement d’instaurer une carte nationale d’identité facultative, d’un modèle unique, gérée seulement à l’échelon départemental, par les préfectures. Le ministère de l’Intérieur prend ainsi ses distances avec Vichy. Les conflits liés à la décolonisation et surtout la guerre d’Algérie provoquent toutefois une recrudescence dans la création de fichiers et l’instauration de pratiques inédites. À Paris, le fichage des « Français musulmans d’Algérie » donne lieu à une première utilisation des cartes perforées. D’une manière générale, le recours à l’informatique naissante apparaît indispensable, l’intervention humaine n’étant plus assez performante pour assimiler les données nominatives dans un pays qui connaît alors une forte croissance démographique. En 1967, les seuls services centraux et parisiens de la Police nationale détiennent 130 millions de fiches ! Bien plus que le portrait en couleur qui s’impose peu à peu dans la photographie d’identité à partir des années 1970, c’est l’informatique qui commence à modifier en profondeur les modalités d’identification des individus par les autorités.

Registre des ouvriers algériens du douar de Mechtras ayant émigré en France depuis 1906, années 1940

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, 5 SAS 114

Ce registre, tenu sur un simple cahier d’écolier par un administrateur français anonyme, recense les ouvriers de France originaires du douar de Mechtras, qui ont émigré en France à partir de 1906. Il donne pour chacun d’eux l’adresse (on relève surtout les villes de Nanterre et de Puteaux), une photographie d’identité des ouvriers et de leur famille. Le registre semble être régulièrement tenu à partir de 1949.

Les fichiers de la décolonisation - la guerre d'Algérie

Dossier nominatif de la Sûreté française en Indochine sur Ho Chi Minh, années 1950

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, SPCE 366

Les nationalistes de l’empire colonial ont fait l’objet, dès les années 1920, d’une surveillance étroite. Dans les années 1950, la hantise d’une subversion nationaliste a provoqué, dans les procédés de fichage, une utilisation très poussée de la photographie dans des pays où son usage est alors beaucoup moins développé qu’en France, notamment pour des raisons culturelles et religieuses. Pendant la guerre d’Algérie, la fouille systématique des combattants tués ou faits prisonniers fournit des photographies prises dans leurs cantonnements, les montrant en présence de camarades, de leur famille, etc. En 1959-1960, le recensement de la population algérienne apparaît comme une étape ultime : séance de photographie obligatoire, recours à l’armée, recoupement avec les fichiers des services de renseignement.

Dossier nominatif de la Sûreté française en Indochine sur Ho Chi Minh, années 1950

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, SPCE 366

Le dossier constitué sur le leader du Viet-minh contient plusieurs lots de photographies d’origines diverses et centralisés par les services de sécurité français basés à Saigon. L’une d’elle, récupérée auprès d’un officier de l’armée du Viet-minh en 1952, est transmise par Paris aux services de sécurité. Une mention manuscrite figurant en marge du bordereau de transmission en dit long sur la méfiance qu’inspire aux fonctionnaires français ce genre de photographie : « Se charger d’établir qu’il s’agit bien de H.C. Minh en montrant la photo à des personnes qui l’ont connu ».

Fiches de renseignement sur des caïds marocains, années 1940

Nantes, Centre des Archives diplomatiques, fonds protectorat Maroc, Bureau de Fès, Dossier Région de Meknès, cercle de Midelt, art. 31

Dans les protectorats du Maroc et de Tunisie, les mouvements nationalistes prennent une nouvelle vigueur aux lendemains du deuxième conflit mondial. L’administration française dénombre les éléments favorables à sa présence et ceux qui lui sont hostiles comme en témoignent ces ensembles de fiches établies au Maroc sur les caïds fidèles du cercle de Midelt et les nationalistes. Ces opérations de fichage n’ont toutefois pas atteint l’ampleur de celles menées en Algérie.

Fiches de renseignement sur des caïds marocains, années 1940

Nantes, Centre des Archives diplomatiques, fonds protectorat Maroc, Bureau de Fès, Dossier Région de Meknès, cercle de Midelt, art. 31

Fiches de renseignement sur des caïds marocains, années 1940

Nantes, Centre des Archives diplomatiques, fonds protectorat Maroc, Bureau de Fès, Dossier Région de Meknès, cercle de Midelt, art. 31

Fiches de renseignement sur des chefs de tribus, années 1950

Nantes, Centre des Archives diplomatiques, fonds protectorat Maroc, Bureau de Fès, Région de Meknès, cercle de Taliouine

Fiches de renseignement sur des chefs de tribus, années 1950

Nantes, Centre des Archives diplomatiques, fonds protectorat Maroc, Bureau de Fès, Région de Meknès, cercle de Taliouine

Fiches de renseignement sur des chefs de tribus, années 1950

Nantes, Centre des Archives diplomatiques, fonds protectorat Maroc, Bureau de Fès, Région de Meknès, cercle de Taliouine

Fiches de renseignement sur des nationalistes marocains, 1945

Nantes, Centre des Archives diplomatiques, Région de Rggabat, art. 33

Formulaires de demandes de certificats de recensement de la population des Heuraouas, 1960-1961.

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, 2 SAS 207

Sélection dans deux séries de fiches numérotées 2741 à 2792 et 2907 à 2992. Le recensement de la population algérienne (1959-1960) au cours duquel la photographie est imposée à la population entière, apparaît comme une étape ultime. Pour la première fois, l’armée française participe à une opération de fichage systématique. Les soldats travaillent en effet au sein de structures mixtes, à la fois militaires et civiles : les Sections administratives spécialisées, créées en 1955, héritières des fameux « bureaux arabes ». Les femmes musulmanes doivent enlever leur voile au cours de séances de pose dont le souvenir a laissé des traces tant dans la population que parmi les soldats du contingent à qui cette tâche était confiée. Le photographe Marc Garanger qui effectue alors son service militaire témoigne : « dans chaque village, les habitants sont convoqués par le chef de poste, puis ils doivent s’asseoir sur un tabouret, en plein air, devant le mur blanc d’une mechta. Ces images dégagent une expression très dure : les femmes exceptionnellement sans voile, offrent des expressions fermées, des regards crispés, furieux, désespérés ou effrayés. Elles posent pour la première fois, afin que l’état français puisse établir leur carte d’identité ». À la même époque, en métropole, le contrôle des individus amorce un tournant décisif avec l’utilisation de cartes perforées pour le fichage des Français musulmans d’Algérie vivant en France.

Formulaires de demandes de certificats de recensement de la population des Heuraouas, 1960-1961.

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, 2 SAS 207

Formulaires de demandes de certificats de recensement de la population des Heuraouas, 1960-1961.

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, 2 SAS 207

Certificat de recensement, 1959

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, 2 SAS 207 (n° de demande 2768).

Certificat de recensement, 1959

Aix-en-Provence, Archives nationales d’outre-mer, 2 SAS 207 (n° de demande 2768).

A l'aube de l'informatique, les fichiers d'un pays en pleine mutation

Fichier des étudiants de la faculté des lettres et des sciences humaines de Paris, 1945-1975

Fontainebleau, Archives nationales, 19800246

Dans les années 1960, le fichage généralisé de l’ensemble de la population s’inscrit moins dans le fantasme policier ou étatique d’un fichier central unique que dans la multiplication des outils d’identification. L’utilisation d’un identifiant numérique unique, la semi-mécanisation et la pré-automatisation des systèmes de fichage donnent à ceux-ci une ampleur et une efficacité encore inconnues, notamment dans les grandes entreprises. La plupart de ces fichiers ne sont pas encore communicables. Ne sont présentés, pour clore ce parcours, que deux exemples significatifs montrant deux « visages » de la France d’alors : ses futures élites avec les étudiants parisiens, ses ouvriers avec le fichier matricule d’une filature de Roubaix.

Fichier des étudiants de la faculté des lettres et des sciences humaines de Paris, 1945-1975.

Fontainebleau, Archives nationales, 19800246

Dans ce fichier de La Sorbonne, riche de près de 160 000 fiches et versé aux Archives nationales en 1980, cette sélection de fiches, pratiquée sur les patronymes commençant par Az, offre un panorama des élites intellectuelles de la France des années 1950-1960. On note l’apparition progressive d’un élément désormais capital de l’identité de chacun : le numéro Insee pour lequel, toutefois, l’administration de l’université n’a prévu aucun cadre sur le recto des fiches. Les portraits révèlent, à leur façon, les mutations de la France d’alors : les jeunes dont les visages sont encore marqués par une certaine réserve dans les années 1950, avec des sourires quelque peu figés notamment chez les jeunes femmes, apparaissent beaucoup plus sûrs d’eux dans les années 1960.

Fichier des étudiants de la faculté des lettres et des sciences humaines de Paris, 1945-1975.

Fontainebleau, Archives nationales, 19800246

Fichier des étudiants de la faculté des lettres et des sciences humaines de Paris, 1945-1975.

Fontainebleau, Archives nationales, 19800246

Fichier des étudiants de la faculté des lettres et des sciences humaines de Paris, 1945-1975.

Fontainebleau, Archives nationales, 19800246

Fichier des étudiants de la faculté des lettres et des sciences humaines de Paris, 1945-1975.

Fontainebleau, Archives nationales, 19800246

Peignage Amédée, fichier du personnel né avant 1903 ou décédé, années 1950-1960

Roubaix, Archives nationales du monde du travail, 1997 014 35, 38 et 2000 52 0001

Cette sélection d’une trentaine de fiches-matricules d’une usine textile de Roubaix montre un autre « visage » de la France : celle du monde ouvrier. Sur le plan formel, ces fiches pré-imprimées de grand format, à l’italienne, portent au recto l’état civil, au verso les états de service et la photographie. Les nombreuses pastilles de couleur et la dactylographie témoignent d’efforts de semi-mécanisation dans la gestion des ressources humaines qui préfigurent l'informatique.

Peignage Amédée, fichier du personnel né avant 1903 ou décédé, années 1950-1960

Roubaix, Archives nationales du monde du travail, 1997 014 35, 38 et 2000 52 0001