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Le palais de justice de Paris. Une visite pour l'histoire

Hélène Bellanger, Marc Renneville

Palais de justice de Paris
Visite du palais de justice de Paris

Le palais de justice de l’île de la Cité à Paris constitue depuis huit siècles le lieu central, symbolique et effectif de l’extension du pouvoir judiciaire en France. La singularité de son agencement ne peut toutefois s’apprécier à la seule contemplation de sa façade extérieure. Ce n’est qu’en pénétrant dans le palais que l’on comprend pourquoi ce lieu peut apparaître comme un labyrinthe, un « patchwork de constructions du Moyen Âge à nos jours » ou « un monstre de quatre hectares ». Cette sédimentation architecturale résulte des multiples incendies, réorganisations et travaux d’agrandissements qui ont modifié progressivement son emprise et son organisation au cours des siècles.Durant la période médiévale, l’architecture du palais a évolué à mesure de la sédentarisation de la cour, de l’affermissement du pouvoir royal et de l’extension de son emprise judiciaire et politique sur la féodalité. Robert II le Pieux (996-1031) fut le premier souverain à entreprendre des travaux conséquents mais ce n’est qu’à partir du XIIIe siècle, que le roi résida de plus en plus dans son palais de la Cité. Philippe Auguste (1180-1226) en fit le siège du pouvoir capétien ; Saint Louis (1226-1270), roi-juge de droit divin y érigea la Sainte Chapelle ainsi que la galerie mercière, la salle sur l’eau et la tour Bonbec. Philippe le Bel (1285-1314) remodèle et agrandit le palais pour y rassembler les institutions judiciaires et financières du royaume. Il devient le siège de la justice souveraine du Parlement de Paris et de l’administration du royaume, quand Charles V (1338-1380) le délaisse comme résidence au profit du Louvre, de l’Hôtel Saint-Pol et du château de Vincennes. Les rois toutefois ne le délaissent pas : ils se rendent régulièrement au palais pour tenir les lits de justice ainsi que pour des cérémonies, comme la réception de l’empereur Charles V en 1378, ou celle de Charles Quint par François Ier en 1540. Dès le XVe siècle, la cour souveraine est dotée d’une prison : la Conciergerie.

La mise en scène architecturale et décorative du pouvoir royal et la sacralisation de la Justice se poursuit à l’époque moderne. Sous Louis XIV, le palais de la Cité, « temple de justice » apparaît comme un espace multifonctionnel :  un lieu politique et ritualisé (notamment par les entrées royales après le sacre), un lieu de Justice avec le parlement de Paris, dont le ressort couvre alors presque la moitié de la France, mais aussi un centre administratif et commercial. En 1776, un incendie ravage  une partie importante du palais. L’architecte Pierre Desmaisons (1711-1795) est chargé d’édifier une nouvelle façade orientale (celle que nous connaissons aujourd’hui). Il profite de ce chantier pour exclure du Palais, et notamment de la Cour du mai, les nombreuses boutiques et habitations qui l’encombraient et convenaient peu à ce « sanctuaire de la Justice ». La sacristie de la Sainte-Chapelle, comme l’ancien escalier (« les grands degrés ») sont détruits et les travaux terminés à la veille de la Révolution.

De 1793 à 1795, les grands procès du tribunal révolutionnaire se déroulèrent dans « la Grand’ Chambre » rebaptisée « salle de la Liberté ». Ils marquent le basculement de la Révolution porteuse des droits de l’homme dans la Terreur. Sous la Monarchie de Juillet, les grands travaux d’aménagement reprennent. Jean-Nicolas Huyot (1780-1840) est chargé en 1835 d’un projet d’agrandissement afin de transformer le palais en un édifice majestueux permettant de recevoir tous les services judiciaires et la Préfecture de police. Le projet est accepté et sanctionné par l'ordonnance royale du 26 mai 1840. Huyot décède au début de ce projet, et le chantier est conduit jusqu'au Second Empire sous la direction de Joseph-Louis Duc et Étienne-Théodore Dommey.(1801-1872). À partir des années 1860, c’est l’ensemble de l’île de la Cité qui est prise dans la politique urbaine du préfet Haussmann. Le percement du boulevard du Palais parachève l’isolement spatial du Palais de Justice. En 1867, l'architecte Honoré Daumet (1826-1911) est adjoint de Joseph-Duc pour la construction de la façade occidentale du Palais de justice donnant sur la place Dauphine.

Durant la « Semaine sanglante » de la Commune de Paris, un incendie détruit, les 24 et 25 mai 1871, le tribunal de première instance, la police correctionnelle, les bureaux de l’État civil, les archives, le parquet général, le parquet du Procureur de la République, les cabinets des juges d’instruction, mais aussi les deux salles des cours d’assises à peine achevées depuis deux ans, une grande partie de la Cour de cassation, la Cour d’appel, la salle des pas-perdus et la grand-chambre. La reconstruction s’étend sur plusieurs années. Le vestibule de Harlay (antichambre de l’unique cour d’assises maintenue) et son escalier monumental donnant sur la place Dauphine sont inaugurés en 1875. En 1904, après l’expropriation des habitants on confia à Albert Tournaire la construction sur le quai des Orfèvres des nouvelles chambres correctionnelles achevées en 1914.

En 2018, une nouvelle page de l’histoire du Palais de justice s’est tournée, avec le déménagement du Tribunal de grande instance sur le nouveau site des Batignolles, dans un palais neuf, inauguré pour l’occasion.

La visite virtuelle que nous proposons en libre accès au sein du Musée Criminocorpus a été réalisée grâce à un partenariat de Sciences Po et du CLAMOR avec la Cour d’Appel de Paris et le Centre des Monuments Nationaux, et à la mobilisation de l’équipe du service audiovisuel de Sciences Po. Pendant une année (2015-2016), étudiants, enseignants et chercheurs ont pu entrer au tribunal, parcourir et interroger ces espaces historiques dans lesquels, encore aujourd’hui, se fabrique la Justice. Les façades extérieures et les salles intérieures ont été filmées, photographiées et commentées par des spécialistes et des professionnels de justice.

Une première version de cette visite a été réalisée dans le cadre d’un programme financé par l’USPC et associant le CLAMOR et Sciences Po (2015-2017). La seconde version remaniée et complétée a été publiée en 2018, au moment du déménagement du tribunal de grande instance de Paris. Cette visite permet à chacun d’explorer le palais grâce à un plan cliquable qui donne accès à des vidéos, des documents, des entretiens et des photos des différents espaces.

De nombreuses personnes, magistrats, avocats, jurés, archivistes, conservateurs, chercheurs, réalisateurs, photographes, documentalistes, éditeurs, journalistes et dessinateurs ont généreusement offert leur temps et leur savoir pour ce projet. Nous tenons à remercier chacune très chaleureusement pour sa participation (voir la liste des contributeurs).

Et nous souhaitons à tous : Bonne visite !

Quelques incontournables sur l’histoire du palais de justice de Paris

- Association française pour l'histoire de la justice. La justice en ses temples. Regards sur l'architecture judiciaire en France, Paris, Editions Errance, 1992.
- Delhumeau (Herveline). Le palais de la Cité. du Palais des rois de France au Palais de Justice, Collection « Les grands témoins de l’architecture », Cité de l’architecture et du patrimoine/MMF/ARISTEAS/Actes Sud, 2011.
- Favard (Jean). Au cœur de Paris, un palais pour la justice, Paris, Gallimard, 1995.
- Guerout, (Jean). Le Palais de la cité à Paris des origines à 1417, Fédération des Sociétés historiques et archéologiques de Paris et d’Île-de-France, Mémoires, t. I (1949), p. 57-212 (republié en 1976 avec une nouvelle pagination p. 54-197), t. II (1950), p. 21-206 et t. III (1951) p. 7-66.
- Madranges, (Étienne), Les palais de justice de France, Paris, Lexis Nexis, 2011.
- Ozanam, (Yves), Robert, (Hervé), Szambien (Werner), Le Palais de Justice, Action artistique de la Ville de Paris, 2002.