Instruction sur le Règlement général pour les Prisons départementales.
Monsieur le préfet , depuis longtemps mon administration se propose de soumettre le régime intérieur des prisons départementales à des règles fixes et générales. C'était la pensée de l’Ordonnance royale du 9 avril 1819, d'établir et de maintenir dans toutes les prisons l’application des mêmes principes et d’un système uniforme 1 . La législation criminelle étant la même pour tous, les mêmes règles doivent présider à son application. Indulgentes ou sévères, ces règles doivent toutes prendre leur source dans l’esprit de la loi et dans nos mœurs, et être exécutées ensuite sans acception ni des lieux ni des personnes. Relativement aux condamnés, l’inégalité du régime, c’est l’inégalité des peines. Relativement aux prévenus, cette inégalité constitue un abus plus grave encore, car elle soumet un homme, peut-être innocent, à des rigueurs et à des privations que l’administration n’impose pas ailleurs à un autre prévenu. Il ne faut donc pas, sous peine d’enfreindre la loi elle-même, que deux prévenus, que deux condamnés soient traités différemment, uniquement parce qu’ils se trouvent dans des prisons différentes. Si des mesures de contrainte sont jugées nécessaires, il faut qu’elles pèsent également sur tous et en tous lieux. C’est d’après ces principes que sont depuis longtemps administrées, sous mon autorité et la vôtre, les maisons centrales de force et de correction.
Mais avant de soumettre d’une manière formelle le régime des prisons départementales au principe de l’unité, mon administration avait besoin d’obtenir des renseignements précis sur ce qui se pratiquait, afin d’arriver à la connaissance des dispositions qu’il conviendrait d’arrêter. Elle n’a rien négligé pour s'éclairer.
Dans son Rapport au roi du 1er février 1837, sur l'état des maisons d’arrêt et de justice, l’un de mes prédécesseurs avait signalé de nombreuses inégalités dans le régime matériel, et de graves abus dans la police intérieure. Si, dans un certain nombre de prisons, il avait été convenablement pourvu aux divers services, dans le plus grand nombre la position des prévenus eux-mêmes avait grand besoin d'être améliorée sous le rapport du coucher, du vestiaire, et même de la nourriture. Il fut pourvu d’une manière générale à cette première amélioration par l'Instruction du 7 août 1838, dont les prescriptions sont aujourd’hui observées dans la plupart des départements.
Une autre Instruction de la même année (29 juin), en rappelant quelle devait être l’action de l’autorité administrative dans les prisons, se proposa de les soumettre à une police plus protectrice et plus morale. Mais ce but ne fut atteint que d’une manière bien imparfaite, parce que, ici, l’autorité locale manquait de prescriptions formelles. Dominée par des traditions et par des usages abusifs, souvent elle a laissé s’affaiblir la discipline, au point de faire de la prison un asile dont s’accommode aisément l’homme dépravé, et, par cela même, un séjour affreux pour l’homme honnête que le hasard lui a donné pour compagnon de captivité. L’impossibilité d’opérer dans la plupart des prisons les classifications voulues par la loi, est encore venue aggraver les funestes effets d’une discipline sans vigueur. Trop souvent, ainsi que l’attestent les rapports de tous les inspecteurs généraux des prisons du royaume, il semblerait que l’autorité
locale a voulu adoucir la captivité en l’entourant d’une sorte de liberté de tout faire et de tout dire. Elle ne s’est pas rendu compte qu’une pareille liberté de parler et d’agir, avec le régime de la vie en commun, c’est la licence pour les uns, c’est l’oppression pour le plus grand nombre. La conservation des bonnes mœurs et la liberté morale de chaque détenu ne peuvent être obtenues qu’au prix d’une discipline uniforme, et le prévenu doit y être soumis comme le condamné, dans un intérêt plus puissant que le sien propre. Si, comme tout l’annonce, Monsieur le préfet, le régime cellulaire doit être bientôt la règle légale pour les prisons départementales, il faudra cependant plusieurs années pour introduire partout cette réforme salutaire. Ainsi, longtemps encore, le régime de la vie commune sera le seul possible dans un grand nombre de nos 400 maisons d’arrêt, de justice et de correction. Dès lors, j’ai dû me décider à demander, dès à présent, à une discipline plus vigilante et plus énergique, les seuls moyens que nous ayons d’y introduire un meilleur ordre de choses : tel est l’objet du Règlement général que vous trouverez à la suite de la présente Instruction.
Ce Règlement a été, de la part de MM. les inspecteurs généraux des prisons du royaume réunis en conseil, le sujet de longues délibérations. Leur expérience m’assure que rien d’essentiel n’a échappé à leurs investigations. De mon côté, j’en ai étudié toutes les dispositions avec l’attention la plus sérieuse.
Du principe d'égalité et d’uniformité sur lequel il reposé résultait une double nécessité : celle de soumettre à une police unique toutes les prisons départementales sans exception, et celle de ne faire que des dépenses de même nature dans toutes. Nos mœurs comme la loi exigent qu’il en soit ainsi.
J’ai donc réglé, Monsieur le préfet, la nourriture, le coucher, le vestiaire et les autres dépenses personnelles des détenus. Les bases que j’ai adoptées seront suivies dans tous les départements, à partir du 1er janvier 1842 ; elles ne pourront être ni restreintes ni étendues, si ce n’est en vertu d’une autorisation expresse de ma part, accordée dans des circonstances nécessairement très rares, et après que le conseil général en aura délibéré. Il se peut, je le sais, que, dans quelques départements , le nouveau régime ait pour effet d’accroître les dépenses du chapitre VI de la première section du budget ; mais j’ai pris, sans hésiter, la responsabilité d’un pareil résultat. J’ai la conviction de n’avoir accordé aux détenus rien au delà de ce que l’humanité conseillait de leur accorder.
J’ai considéré que c'était une obligation pour la société de pourvoir, sans condition, aux premiers besoins de la vie du prévenu. Le Règlement n’admet qu’un seul cas où celui-ci n’ait pas droit aux vivres de la maison : c’est lorsqu’il se fait apporter sa nourriture du dehors (art. 58); car il prouve par là qu’il n’a pas besoin que la société pourvoie à ses dépenses personnelles.
Le condamné n’a droit aux secours de la société que sous la condition de contribuer, par son travail, au payement d’une partie de ses dépenses, au moins, en attendant qu’une bonne organisation des travaux industriels dans les prisons départementales permette d’exiger qu’il les acquitte entièrement.
Ainsi, Monsieur le préfet, la société doit à tous les prisonniers , d’abord, une nourriture suffisante et saine (Code d’instruction, art. 613); ensuite un coucher propre , et des vêtements s’il en est dépourvu. N’oublions pas en effet que la loi exige également que toutes les prisons soient telles, que la santé des prisonniers ne puisse en être aucunement altérée (art. 605). De là résulte l’obligation de pourvoir gratuitement, sur les fonds de l’Etat, à leur habillement et à leur coucher. L’absence surtout des secours de cette nature a contribué, plus que toute autre chose, à une époque heureusement éloignée de nous, à donner à nos prisons cet aspect de misère qui offensait l’humanité. Alors, les condamnés, les prévenus eux-mêmes étaient jetés dans des cachots, sans protection, sans souci de leur vie et de leur santé , et bien souvent sans d’autres secours que ceux qu’ils devaient à la charité publique. L’opinion accuserait à juste titre une administration qui ne s’occuperait pas avec une attention suffisante du sort des prisonniers.
Il ne vous échappera pas, d’ailleurs, que le budget départemental se trouve soulagé des dépenses des jeunes détenus, auxquels il est fait application de l’article 66 du Code pénal, ces dépenses étant supportées par l’Etat depuis 1841. Les bases plus larges adoptées par mon Instruction du 10 février dernier, pour le remboursement aux départements des frais d’entretien des condamnés à plus d’un an, jusqu’au jour de leur sortie de la prison départementale, ont encore dégrevé la première section du budget de charges assez considérables.
Et je dois ajouter ici, Monsieur le préfet, que les principes de l’administration, relativement a l’intervention de la charité publique dans les prisons, n’ont pas changé. Ces principes sont toujours ceux qui ont été développés dans la Circulaire déjà citée du 7 août 1838. Le prévenu surtout ne doit pas recevoir à titre d’aumône les aliments et les autres secours. La société les lui doit gratuitement, s’il les demande ; les nécessités de l’instruction judiciaire, en le privant de sa liberté, le privent souvent aussi de ses moyens d’existence. Les secours de la charité ne doivent être distribués aux détenus qu'à leur sortie de prison, et il est vivement à désirer que ces secours alors ne leur manquent pas, puisque souvent ils se trouvent dans un état de dénuement auquel il ne peut cependant être pourvu sur les fonds du budget départemental.
Après ces réflexions, qui n'étaient pas sans utilité pour bien faire comprendre dans quel esprit a été rédigé le Règlement général sur les prisons départementales, j’arrive à l’explication de quelques-unes de ses dispositions les plus importantes.
Notes
1. | Art. 7 et 8.-Rapport au roi du même jour. Arrêté du 25 décembre 1819. |