Législation / Textes relatifs aux peines et aux prisons en France / De la Monarchie de Juillet à 1914 /

Instruction du 30 octobre 1841 (2/7)

Instruction sur le Règlement général pour les Prisons départementales.

CHAPITRE Ier. PERSONNEL ADMINISTRATIF.

Mon administration en a plus d’une fois fait l’observation, Monsieur le préfet ; le choix sévère des employés est la première condition d’un bon régime disciplinaire. Les règlements les plus sages ne sont qu’une lettre morte, si les agents préposés à l’administration et à la garde des prisonniers n’en assurent pas l’exécution avec une constante fermeté 1 . Le mal s’aggrave encore s’ils manquent de probité. Nous devons beaucoup compter, je le sais, sur le zèle et le dévouement des commissions de surveillance , et je leur ai donné un témoignage non équivoque du prix que j’attache à leur concours, en les appelant à donner leur avis sur toutes les mesures de quelque importance, en les chargeant même de préparer le Règlement particulier que doit avoir chaque prison. Mais toute leur bonne volonté pourrait souvent être paralysée par des agents incapables ou d’une moralité douteuse. Le moyen le plus sûr de trouver des hommes probes, intelligents, et dévoués, est, sans contredit, de leur assurer des moyens suffisants d’existence, afin de pouvoir leur interdire formellement toute espèce de trafic avec les prisonniers, et toute sorte de spéculation sur les fournitures qui leur sont accordées par les règlements 2 . Pénétré de cette nécessité, j’ai déterminé le minimum du traitement qui sera attaché aux emplois de gardien-chef et de gardien. Les premiers auront 600 francs au moins, et les seconds 400 francs (articles 13 et 25). Sur ce point encore, je n’ai pas craint de prendre la responsabilité d’un accroissement de dépenses. Par application d’une disposition du Règlement général sur le service des gardiens dans les maisons centrales de force et de correction, j’ai décidé que les gardiens des prisons départementales auront droit à une augmentation de traitement de 25 francs, à la fin de chaque période de cinq années de services non interrompus, mais je dois expliquer que le bénéfice de cette disposition ne profitera aux gardiens qu'à partir du 1er janvier 1842, et sans aucun rappel pour les services antérieurs, de sorte qu’elle ne pourra recevoir sa première application que le 1er janvier 1847.
L’article 35 déclare que les gardiens ne pourront jamais être détournés de leur service, sous aucun prétexte et à aucun titre, pour quelque service extérieur que ce soit. L’objet de cette discussion est facile a saisir. Le poste d’un gardien est à la prison et non ailleurs. Sa mission ne consiste pas seulement à empêcher les prisonniers de s'évader ; il doit encore surveiller constamment leurs actions. Il ne peut donc être chargé, par qui que ce soit, de conduire les prisonniers devant les magistrats ni ailleurs ; ce service doit être fait par la gendarmerie 3 . Toutes les pièces nécessaires à la régularité de l’incarcération et des élargissements doivent lui être produites , conformément aux articles 608, 609 et 610 du Code d’instruction, et les ordres qu’il doit faire exécuter en conformité du 2e § de l’article 613, doivent lui être transmis de manière qu’il n’ait jamais à se déranger de ses fonctions pour aller chercher ces pièces ou recevoir ces ordres.
Le Règlement autorise la création d’un directeur, titre qu’il ne faut pas prodiguer. Le minimum de son traitement, fixé à 2,000 fr., indique assez que cet emploi ne doit être créé que dans les prisons importantes, et lorsqu’il y a réellement une administration à diriger, ainsi que s’en sont plusieurs fois expliqués mes prédécesseurs. Les gardiens sont des agents spécialement préposés à la surveillance et à la garde des prisonniers; un directeur remplit des fonctions essentiellement administratives. Dans nos maisons centrales de détention, la force des choses a même fait attribuer aux directeurs tous les pouvoirs que les maires et les commissions de surveillance tiennent des lois et des règlements. Sans doute, il me serait difficile de dire ici dans quelles conditions devra nécessairement se trouver une prison départementale, pour qu’il puisse y être nommé un directeur. Cependant je serais peu disposé à autoriser la création de cet emploi, lorsque la population habituelle de la prison ne serait pas d’au moins 200 détenus, et lorsque en même temps le travail, ainsi que l’instruction religieuse et l’instruction primaire n’y auraient pas été organisés d’une manière permanente 4 .

Vous verrez, Monsieur le préfet, que j’ai déterminé un minimum et un maximum d'âge pour l’admission aux emplois de gardien-chef et 3e gardien : c’est encore l’application d’une disposition du Règlement du 30 avril 1822, sur le service des gardiens des maisons centrales. S’il importe que des hommes trop jeunes ne soient pas chargés de fonctions qui exigent de la prudence et de la fermeté, il importe aussi qu’ils puissent les remplir assez longtemps pour obtenir une pension de retraite avant que les infirmités inséparables de la vieillesse les aient rendus incapables de faire un bon service.
J’ai également jugé utile, essentiel même, de donner aux gardiens un costume qui sera le même pour toutes les prisons départementales (art. 34). N’oublions pas que les gardiens sont des agents de la force publique, institués par la loi elle-même. A ce point de vue, et, en outre, comme mesure d’ordre et comme moyen de les obliger à être habillés d’une manière convenable, il n’est pas indifférent qu’ils aient un uniforme dans la prison. C’est ce qui a lieu depuis plus de vingt ans dans nos grandes prisons pour peines. Je déterminerai ultérieurement la forme et les insignes du costume des gardiens. Je serais bien aise, Monsieur le préfet, d’avoir, sur ce point, voire avis et celui des commissions de surveillance de votre département.
Il ne vous échappera pas que le Règlement veut que les quartiers occupés par les femmes soient surveillés par des personnes de leur sexe, à l’exclusion des gardiens (art. 27). Cette mesure est aujourd’hui en vigueur dans toutes nos maisons centrales de détention. II importait de l'étendre au service des prisons départementales.
Depuis quelques années, des corporations religieuses des deux sexes se sont vouées à la réforme morale et disciplinaire des prisons. J’apprécie tout le bien qu’elles peuvent faire, mais je tiens à être toujours informé des conditions que ces corporations mettront à leurs services. Il convient que vous preniez pour base des conventions de cette nature que vous pourriez avoir à passer, sous la réserve de mon approbation, les dispositions de mon Arrêté du 22 mai dernier, portant Règlement du service des sœurs religieuses dans les maisons centrales.

Je me suis attaché, Monsieur le préfet, à bien déterminer, dans ce chapitre, les attributions de chaque employé. Chacun d’eux trouvera, dans le paragraphe qui le concerne, l’indication des devoirs qu’il aura à remplir, sous l’autorité du maire et le contrôle de la commission de surveillance, sans préjudice de vos droits comme administrateur supérieur des prisons de votre département.


Notes

1.

Voir sur le personnel des prisons départementales, le Rapport au Roi du 1er février 1837 et la circulaire du 29 juin 1838.

2.

II est expressément défendu aux employés des prisons d’entreprendre aucune fourniture relative aux besoins des détenus ; un traitement annuel proportionné à l’importance de leurs fonctions est l’unique salaire qu’ils puissent prétendre.» (circulaire du ministre de l’intérieur du 22 vendémiaire an VIII).

3.

Loi du 28 germinal an VI, art. 125. - Circulaire du 28 octobre 1820, art. 179.

4.

Dans ce cas, il n’y aurait pas six prisons départementales, en dehors des prisons de Paris, qui auraient un directeur. Aussi, le ministre a-t-il fléchi, sur ce point, en nommant des directeurs dans plusieurs prisons cellulaires établies dont le chiffre de la population est, de beaucoup, au-dessous de 200.