Législation / Textes relatifs aux peines et aux prisons en France / De la Monarchie de Juillet à 1914 /

Instruction du 30 octobre 1841 (3/7)

Instruction sur le Règlement général pour les Prisons départementales.




CHAPITRE II. RÉGIME ÉCONOMIQUE.

La plupart des prescriptions de ce chapitre ont été empruntées à l’Instruction du 7 août, sur les dépenses personnelles des prévenus et des accusés.

J’ai jugé, nonobstant les observations faites à ce sujet par quelques conseils généraux, que les dépenses de la nourriture, du vêtement et du coucher, réglées par cette Instruction, n’avaient rien d’exagéré.
Ainsi que vous le verrez, la nourriture de chaque détenu doit se composer d’une ration de pain bis de 75 décagrammes pour les hommes, et de 70 décagrammes pour les femmes, et de plus, six fois par semaine, d’une soupe aux légumes avec 90 grammes de pain blanc (art. 56). Le dimanche ou le jeudi, il doit être servi une soupe dans la composition de laquelle il entrera 200 grammes de viande pour chaque individu (art. 57). Les condamnés renfermés dans les maisons centrales reçoivent une nourriture plus abondante.
Cependant, Monsieur le préfet, la prescription d’un régime à la viande a été critiquée, blâmée même dans quelques départements, comme introduisant une sorte de luxe dans le régime des prisons, et comme formant un contraste fâcheux avec la nourriture des classes laborieuses; et il est vrai que la plupart des habitants de la campagne et des ouvriers des villes mangent rarement de la viande. Tout en appréciant le sentiment de moralité publique sur lequel s’appuie cette observation, je me suis déterminé par d’autres considérations. C’est la volonté de la loi elle-même, ainsi que je le disais tout à l’heure, que tout prisonnier reçoive une nourriture suffisante et saine, et la société doit cette nourriture à tous les détenus, sans qu’elle ait à s’enquérir de la condition dans laquelle ils se trouvaient au moment de leur arrestation. Je persiste à croire, Monsieur le préfet, qu’un régime à la viande, une fois par semaine, est aussi utile dans les prisons départementales qu’il peut l'être dans les maisons centrales de force et de correction, pour la conservation de la santé des détenus. Vous prendrez donc des dispositions, si vous ne l’avez déjà fait, pour que chaque détenu reçoive ce régime. La société doit, sous ce rapport, aux prévenus, ce qu’elle accorde aux condamnés dans les maisons centrales.
La composition du pain a aussi été l’objet de quelques critiques faites du même point de vue. Ce pain est cependant le même que celui que mangent les condamnés renfermés dans les maisons centrales. On ne saurait accorder du pain de moindre qualité aux prévenus, et si le Règlement prescrit l’emploi de farines de pur froment, c’est surtout afin d’obtenir un pain plus substantiel que celui dans lequel il entre du seigle.
Le vêtement est réglé par l’art. 66. Ce service doit être assuré avec économie sans doute, mais de manière à satisfaire à tous les besoins. Vous vous occuperez, Monsieur le préfet, des moyens de pourvoir chaque prison du linge de corps et des effets d’habillement nécessaires en vous conformant aux prescriptions du Règlement. Cependant une distinction essentielle est à faire en ce qui concerne le vêtement. Si tout condamné doit prendre le costume pénal de la maison, tout prévenu doit être libre de conserver ses vêtements et de s’en procurer de nouveaux. L’Etat ne doit lui en fournir que s’il en manque et s’il est dans l’indigence.
Les dépenses de blanchissage sont une conséquence de celles du vêtement. Il va sans dire que si le prévenu, possesseur d’effets d’habillement et de linge de corps, était hors d'état de les faire blanchir a ses frais, cette dépense serait supportée par le département.
Le coucher doit être fourni gratuitement à tous les détenus, à l’exception toutefois des détenus pour dettes, qui sont tenus de pourvoir à toutes leurs dépenses personnelles. L’Instruction du 7 août avait accordé un matelas à chaque prisonnier, le Règlement général ne lui accorde qu’une simple paillasse. Une paillasse suffisamment garnie constitue un coucher propre et sain ; c’est tout ce que la société doit, sous ce rapport, aux détenus. D’ailleurs, les prévenus pourront s’en procurer un meilleur à leurs frais, dans les limites du Règlement particulier de la maison.
Mais l’usage de la paille étendue sur le sol doit être formellement proscrit. Ce coucher, toujours mal propre, a dit l’Instruction précitée, est en définitive le plus dispendieux de tous. Je vous recommande, Monsieur le préfet, de prendre des mesures pour l’exécution des dispositions du Règlement relatives au coucher, si vos prisons ne sont pas encore suffisamment pourvues de matelas ou de paillasses, ainsi que de draps de lit et de couvertures.

Dans un intérêt d’ordre et de propreté, le Règlement veut que le hamac1 ou la couchette puisse, au besoin, s’enlever ou se relever pendant le jour; mais cette prescription n’a en vue que les couchettes qu’il sera nécessaire de se procurer pour en augmenter le nombre, ou pour remplacer celles qui seraient hors de service, à moins toutefois qu’il ne fût possible, à peu de frais, d’approprier les couchettes actuelles dans les conditions voulues par le Règlement.

Le Règlement vous charge, Monsieur le préfet, de déterminer les dépenses du chauffage et de l'éclairage, suivant les localités, sur la proposition du sous-préfet, l’avis du maire et celui de la commission de surveillance. Il veut que les dortoirs communs soient éclairés (art. 81). Les bonnes mœurs commandent celle mesure de précaution, qui est aussi un moyen de surveillance.
Relativement au chauffage, je me bornerai à vous faire uniquement de prévenir les effets d’un froid rigoureux épargner aux détenus une souffrance physique qui pourrait d’une manière fâcheuse.

En réglant le régime économique des prisons départementales qui, presque toutes, renferment à la fois des prévenus et des condamnés, j’ai été amené à m’occuper de dispositions disciplinaires qui en étaient inséparables, afin d'établir une distinction bien tranchée entre les deux classes de détenus. Si le Règlement reconnaît aux prévenus le droit d’améliorer, dans certaines limites, leur nourriture et leur coucher, il interdit formellement aux condamnés l’usage du vin et de toute autre boisson fermentée, ainsi que celui du tabac; c’est l’application du Règlement du 10 mai 1839, arrêté pour les maisons centrales de force et de correction. Il ne veut pas non plus qu’ils aient un autre coucher que celui de la maison. Dans les prisons départementales la captivité pénale doit avoir le même caractère que dans les maisons centrales.


Notes

1.

Une Circulaire de M. Guizot, ministre de l’intérieur, du 23 août 1830, recommande particulièrement l’emploi du hamac, comme constituant le lit le plus sain, le plus moral, le plus économique. L’essai en a été fait, avec avantage, dans les prisons de l’Isère.